CA Montpellier, 4e ch. civ., 8 septembre 2021, n° 19/00401
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
STPH Cleaner (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
Mme Youl Pailhes, M. Denjean
Avocats :
Me Dupetit, Me Vedel Salles, Me Benhamou Barrere
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte du 27 août 2014, Madame Z X épouse Y a assigné la SASU STPH CLEANER (ci après : la SASU), afin de l'entendre condamner à lui payer une somme de 1980 ' en indemnisation du préjudice consécutif à la détérioration d'un ensemble vestimentaire composé d'une veste et d'un gilet de marque 'B A', confié en novembre 2013 pour un nettoyage, au pressing exploité par la défenderesse à l'enseigne 'H20 PRESSlNG' devenue 'CENTER LAVANDE'. Elle sollicite en outre l'attribution, à charge de la défenderesse, des sommes de 3000 ' de dommages intérêts à raison de la résistance abusive et 2000 ' au titre des frais irrépétibles, par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de son jugement du 29 janvier 2016, le tribunal avant dire droit, a ordonné une expertise en vue de déterminer les cause et conséquences de la détérioration du vêtement. Le CENTRE TECHNIQUE DE LA TEINTURE ET DU NETTOYAGE (CTTN IREN), expert désigné, a rendu son rapport le 18 janvier 2018.
Par jugement en date du 30 novembre 2018, le tribunal d'instance de Perpignan a :
- condamné la SASU à payer à Madame Y, la somme de 1980 ' outre intérêts au taux légal à compter du 27 août 2014,
- débouté Madame Y de sa demande au titre de la résistance abusive,
- condamné la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 300 ' par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance, qui incluent les frais de l'expertise réalisée le 18 janvier 2018 par le CTTN IREN, en exécution du jugement du 29 janvier 2016,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration en date du 18 janvier 2019 la SASU a interjeté appel de la décision.
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Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 avril 2019, elle demande de :
' Réformer le jugement dont appel
Vu l'article 1789 du Code Civil,
Vu les conclusions du rapport d'expertise judiciaire,
Dire et juger que l'expert judiciaire met en évidence que le nettoyage à sec confié à la STE STPH CLEANER a été fait dans les règles de l'art,
Dire et juger que les conclusions du rapport d'expertise mettent en évidence que la détérioration du vêtement, propriété de Mme Y provient d'une usure antérieure et d'un vice interne de la chose.
En conséquence,
Dire et juger que la SASU STPH CLEANER fait la preuve de son absence de faute dans la survenance du dommage ;
Dire et juger que les conditions de l'engagement de la responsabilité de la SASU STPH CLEANER ne sont pas remplies au cas d'espèce ;
Débouter Madame Y de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions,
Subsidiairement, et dans l'hypothèse extraordinaire où le Tribunal considérerait que la responsabilité de la SASU STPH CLEANER peut être engagée au cas d'espèce,
Dire et juger que Madame Y ne fait pas la preuve de la valeur à hauteur de 1 980.00 ' du vêtement endommagé, ce d'autant plus que le rapport d'expertise met en évidence le caractère ancien et usé du vêtement ;
Débouter Madame Y de sa demande de remboursement d'une somme de 1 980 ' au titre de la valeur des vêtements endommagés,
Cantonner les demandes d'indemnité de Mme Y à une somme de 100 ' ;
Débouter Madame Y de sa demande de condamnation pour résistance abusive.
Débouter Madame Y de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
ET EN TOUTE HYPOTHESE,
Condamner Madame Y à payer à la STE STPH CLEANER la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner Madame Y aux entiers dépens d'instance incluant le coût de l'expertise judiciaire.'
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Aux termes de ses dernières conclusions en date du 16 mai 2019 Madame Y demande de:
' Vu les dispositions de l'article 1789 du code civil,
Vu les dispositions de l'article 1147 du code civil,
Vu le rapport d'expertise,
DEBOUTER la Société STPH CLEANER de ses demandes, fins et conclusions.
CONFIRMER le jugement dont appel.
CONSTATER que la SASU STPH CLEANER ne rapporte pas la preuve de son absence de faute.
DIRE ET JUGER que la responsabilité de la SASU STPH CLEANER dans la détérioration des vêtements doit être retenue.
CONDAMNER la SASU STPH CLEANER à réparer l'entier préjudice subi par la demanderesse.
LA CONDAMNER au paiement de la somme de 1.980 ' en remboursement du vêtement de marque « B A », et ce avec intérêts au taux légal à compter du 27 août 2014 :
CONDAMNER la SASU STPH CLEANER au paiement de la somme de 2.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du Code de Procédure Civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 20 mai 2021,
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MOTIFS
Sur la responsabilité de la SASU :
Pour faire droit à la demande d'indemnisation de Mme Y, le premier juge a considéré que la SASU « ne peut invoquer de clause exonératoire, totalement irrésistible, dés lors que l'étiquette du vêtement mentionnait que le nettoyage à sec était autorisé mais avec restrictions. Le professionnel pouvait donc prendre les précautions ou renseignements en rapport, ce dont il ne justifie pas. »
La SASU soutient que le premier juge, en visant comme seule cause d'exonération de la responsabilité, l'évènement de force majeure, « une cause exonératoire totalement irrésistible », a fait une erreur dans l'application du régime de responsabilité pesant sur elle. En effet, elle dit ne pas avoir cherché à démontrer un évènement de force majeure pour s'exonérer de sa responsabilité, mais a simplement fait la preuve qu'elle n'avait commis aucune faute dans le nettoyage appliqué au vêtement confié. Selon elle, l'activité de pressing ou de teinturerie, qui relève de la catégorie juridique des contrats de louage d'ouvrage et d'industrie ou contrats, est soumise à un régime particulier de responsabilité issu de l'article 1789 du Code civil, qui prévoit que : « Dans le cas où l'ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l'ouvrier n'est tenu que de sa faute ». Ainsi, toutes les fois que la chose vient à périr ou être endommagée pour une cause non fautive, la responsabilité du teinturier ne peut être engagée. C'est notamment le cas lorsque la chose confiée vient à périr en raison d'un cas fortuit, d'un vice interne de la chose ou d'un fait extérieur quelconque. Au vu d'une jurisprudence de la Cour de cassation qui a considéré qu'un « teinturier, locateur d'ouvrage, peut se libérer de sa responsabilité dans la détérioration d'un vêtement à lui confié pour nettoyage en prouvant qu'il n'a commis aucune faute » (Civ. 1re , 20 déc. 1993, Bull. civ. I, n o 376 ; RTD civ. 1994611, obs. Jourdain), sa responsabilité ne saurait être engagée. La détermination de l'origine de la perte subie par le vêtement confié est donc déterminante de l'application ou non des dispositions de l'article 1789 du Code civil. En l'espèce, l'ouvrage commandé par Madame Y consistait dans le nettoyage d'un ensemble de veste et gilet d'une composition selon étiquetage de 60% polyamide nylon ' 25 % polyuréthane ' 15 % élasthanne. Or, selon la jurisprudence, « la responsabilité du teinturier ne pouvait être engagée dans le cas d'espèce que si le traitement avait été effectué sans observation des règles de l'art » (Cass., civ.1, 7 mars 1978, n° 76-15.509). L'expertise a démontré que le nettoyage à sec s'est fait dans les règles de l'art. Elle s'est donc strictement conformée à ses obligations et à l'étiquetage présent sur le vêtement et n'a commis aucune faute, l'usure constatée sur les vêtements provenant d'un vice interne de la chose.
Mne Y rétorque que le pressing, en sa qualité de professionnel, devait savoir que l'élasthanne, fibre dont est composé le vêtement ne peut aller au sèche linge, qu'il est constant qu'elle avait déposé un ensemble à l'état neuf et que lorsque le pressing a accepté de prendre en charge les vêtements pour les nettoyer il n'a été fait aucune réserve et notamment sur le ticket de dépôt. Aux termes d'une jurisprudence constante, il appartient au teinturier de rapporter la preuve de l'absence de faute. Il pèse sur lui une obligation de résultat et une présomption de faute, en sa qualité de professionnel, qui ne peut être renversée que par la preuve de l'absence de faute.
La faute du professionnel peut résulter du fait qu'il n'a pas attiré l'attention du client sur les risques que comporte l'opération de nettoyage. Elle émet des réserves sur la déontologie de l'expert, qui n'a pas indiqué quels moyens, quelles méthodes ont été utilisées pour l'expertise et n'a pas respecté le principe du contradictoire mais constate qu'il en ressort en tout état de cause que la SASU, informée de la fragilité particulière des vêtements et du fait que le nettoyage à sec ne pouvait être pratiqué si ce n'est avec des restrictions, n'a pris aucune précaution ni recueilli aucune information et s'est contenté de procéder à un nettoyage à sec banal. Ce faisant la faute de la SASU STPH CLEANER est caractérisée.
La cour constate, au vu du rapport d'expertise, que :
- les vêtements en cause sont fabriqués avec des mélanges de tissu gris chiné en laine avec des parties en matière textile noir, enduites en surface. Toutes les pièces enduites sont endommagées sur toute leur surface ainsi que les rentrées de couture.
- les dommages se traduisent ainsi : l'enduction à la surface du textile est craquelée, s'est effritée et la couche brillante a été éliminée en grande partie.
- l'étiquetage des vêtements autorise le nettoyage à sec.
- les essais ont démontré que l'enduit supporte mal un nettoyage à sec.
- l'expert conclut que : « Les dommages relevés sur les pièces enduites de cet ensemble sont dus au manque de résistance de l'enduction à un nettoyage à sec. Ils sont liés à la fabrication et peuvent être liés à l'usure de l'enduit à l'usage. Les vêtements ont été nettoyés à sec. L'étude n'a pas relevé d'erreur d'entretien ».
Les vêtements confiés à la SASU comportaient bien une étiquette de composition du tissu ainsi que des indications sur les précautions de nettoyage à prendre. Il est par ailleurs établi que la SASU n'a émis aucune réserve sur le ticket de dépôt des vêtements en cause. Aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, le teinturier est responsable de l'état dans lequel il rend l'article qui lui a été confié. Sa responsabilité ne peut être engagée qu'en cas de faute, qui se déduit de la comparaison faite entre l'état du vêtement lors du dépôt et de son état lors de la restitution au client. Toute détérioration survenue entre ces deux moments est imputable au teinturier sauf à ce qu'il démontre qu'il n'a commis aucune faute ou qu'il avait émis des réserves lors de la remise du vêtement. En l'espèce, si aucune faute n'a été relevée par l'expert dans l'exécution du travail de nettoyage, la SASU ne démontre pas qu'elle a attiré l'attention de Mme Y sur les risques de l'opération de nettoyage. Sa responsabilité est donc engagée et la décision querellée sera confirmée.
Sur l'indemnisation du préjudice :
En allouant à Mme Y la somme correspondant au prix d'achat des vêtements endommagés, le premier juge a considéré que cette somme correspondait au prix de remplacement de l'article détruit.
La SASU estime que Mme Y n'apporte pas la preuve de la valeur des vêtements endommagés, dés lors qu'il est établi qu'elle les a achetés d'occasion. De surcroît, elle rappelle que le montant des indemnités est plafonné, ainsi qu'il est spécifié dans les documents présents dans ses locaux et demande en conséquence de ramener le montant de l'indemnité allouée à la somme de 100 '.
Mme Y considère que dés lors que la responsabilité de la SASU dans la détérioration des vêtements est engagée, la SASU doit être au paiement de la somme de 1 980 ' en remboursement du vêtement endommagé avec intérêts à compter de la date de délivrance de l'assignation en justice.
S'agissant d'une demande d'indemnisation et non du règlement amiable d'un litige, les juridictions qui se doivent de replacer la victime d'un dommage dans la situation qui était la sienne avant le sinistre sans en subir un appauvrissement ou en tirer un enrichissement, ne sont pas tenues par les indications affichées par un professionnel dans ses locaux sur le plafonnement des indemnités susceptibles d'être allouées en cas de dommage. Il importe donc peu que Mme Y ait acheté les vêtements détériorés neufs ou d'occasion dés lors qu'elle démontre que leur prix d'achat a été de 1 980 euros. La décision du premier juge qui, à juste titre, a jugé que la somme de 1 980 euros était le prix de remplacement des articles détruits, sera confirmée.
Sur les demandes accessoires :
Succombant à l'action, la SASU sera condamnée à payer à Mme Y la somme de 1 500 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
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PAR CES MOTIFS
LA COUR statuant, contradictoirement, par arrêt mis à disposition
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SASU STPH CLEANER à payer à Mme Z X épouse Y la somme de MILLE CINQ CENTS euros (1 500 ') sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE la SASU STPH CLEANER aux entiers dépens d'appel.