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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 25 septembre 2024, n° 23/13796

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Cathédrale d’Images (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gérard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Magnan, Me Faupin, Me Badie, Me Simon

CA Aix-en-Provence n° 23/13796

24 septembre 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

Le capital social de la SARL Cathédrale d'images, qui a pour activité les spectacles audiovisuels et a exploité le site des carrières de [Localité 13] jusqu'en 2008, était détenu, aux termes des statuts mis à jour au 31 octobre 2019, par :

- [M] [S] épouse [W] 668 parts,

- [K] [B] [P], fils d'[M] [S], 987 parts,

- [A] [B] [P] [W], fils d'[M] [F] 250 parts,

- Mme [O] 60 parts,

- [T] [X] 5 parts,

- [E] [I] 2 parts

- M. [H] 1 part.

Mme [M] [S] en était la gérante et M. [Z] [W] co-gérant non associé aux termes d'une assemblée générale du 31 octobre 2019. Mme [M] [S] a démissionné de ses fonctions de gérante lors de l'assemblée générale du 3 septembre 2021.

Mme [M] [S] est décédée le [Date décès 8] 2022.

Par courrier du 23 janvier 2023, M. [K] [B] [P] a demandé à M. [Z] [W], gérant, de convoquer une assemblée générale avec pour ordre du jour la révocation du gérant.

L'assemblée générale n'ayant pas été convoquée, M. [K] [B] [P] a obtenu par ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Tarascon du 5 juin 2023, la désignation de la SELARL Saint Rapt [R] avec mission de convoquer une assemblée générale avec pour ordre du jour la révocation du gérant. La mission était limitée à deux mois.

M. [Z] [W] et M. [A] [B] [P] ont saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Tarascon en rétractation de cette ordonnance et voir désigner un administrateur provisoire pour gérer et administrer la société et notamment poursuivre les procédures engagées et répondre à l'appel d'offres de la mairie des [Localité 11].

Par ordonnance du 3 novembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Tarascon a :

- déclaré M. [Z] [W], M. [A] [B] [P]-[W] et la société Cathédrale d'images (SARL) mal fondés en leur exception d'incompétence ;

- constaté la fin de la mission de la SELARL de Saint-Rapt & [R], désignée en qualité de mandataire avec pour mission de convoquer une assemblée générale des associés de la société Cathédrale d'images (SARL) par ordonnance rendue le 5 juin 2023 par Mme [L] [U], présidente du tribunal de céans, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la demande en rétractation de ladite décision ;

- débouté les demandes formées à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire par M. [Z] [W] et M. [A] [B] [P]-[W] aux fins de désignation d'un administrateur provisoire et d'un mandataire spécial de la société Cathédrale d'images (SARL) ;

- débouté M. [Z] [W] et M. [A] [B] [P]-[W] de leur exception de nullité de l'assignation délivrée à l'initiative de M. [K] [B] [P] ;

- déclaré M. [K] [B] [P] bien fondé en sa demande aux fins de désignation de tel mandataire qu'il appartiendra avec pour mission de convoquer une assemblée générale des associés de la société Cathédrale d'images (SARL) laquelle aura pour ordre du jour la révocation de son gérant ;

- désigné à cette fin la SELARL de Saint-Rapt & [R], par Maître [D] [R] [Adresse 2] et fixé la durée de sa mission à 6 mois ;

- fixé le montant de la provision à valoir sur les frais et émoluments de la SELARL de Saint-Rapt & [R] à la somme de 750 euros HT, soit la somme de 900 euros TTC, laquelle sera versée par M. [K] [B] [P] ;

- dit qu'il appartiendra à la SELARL de Saint-Rapt & [R] de saisir par voie de requête Mme la présidente du Tribunal de céans afin de fixation de sa rémunération définitive ;

- dit n'y avoir lieu, pour des raisons d'équité, de faire droit aux demandes des parties formées au titre des frais irrépétibles ;

- débouté les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires ;

- laissé les dépens. à la charge solidairement de M. [Z] [W] et de M. [A] [B] [P]-[W].

M. [Z] [W] et M. [A] [B] [P]-[W] ont interjeté appel par déclaration du 8 novembre 2023.

Une assemblée générale extraordinaire a été convoquée par le mandataire le 26 janvier 2024 laquelle a rejeté la demande de révocation du gérant.

M. [K] [B] [P] a saisi, à jour fixe le président du tribunal de commerce de Tarascon pour voir annuler cette assemblée générale, cette demande a été rejetée par jugement du 26 avril 2024 qui a renvoyé les parties à mieux se pourvoir en raison de la clause d'arbitrage figurant dans les statuts.

Par conclusions notifiées et déposées le 7 juin 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [Z] [W], M. [A] [B] [P]-[W], M. [T] [X] et M. [E] [I] demandent

à la cour de :

- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :

déclaré les concluants mal fondés en leur exception d'incompétence

déclaré M. [K] [B] [P] bien fondé en sa demande aux fins de désignation de tel mandataire qu'il appartiendra avec pour mission de convoquer une assemblée générale des associés de la société Cathédrale d'images laquelle aura pour ordre du jour la révocation de son gérant,

désigné à cette fin la SELARL de Saint Rapt & [R], par Maître [D] [R],

dit qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des concluants au titre des frais irrépétibles,

laissé les dépens à la charge des concluants,

en conséquence, statuant à nouveau,

in limine litis,

- se déclarer incompétent pour connaitre des demandes de M. [K] [B] [P] visant à réformer l'ordonnance entreprise et à désigner un nouveau mandataire judiciaire aux fins de nouvelle convocation d'assemblée générale,

- déclarer M. [K] [B] [P] irrecevable en sa demande visant à réformer l'ordonnance entreprise et à désigner un nouveau mandataire judiciaire aux fins de nouvelle convocation d'assemblée générale, au fond :

- débouter M. [K] [B] [P] de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [K] [B] [P] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de M. [W] en 1ère instance,

y ajoutant,

- condamne M. [K] [B] [P] au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de M. [W] en cause d'appel,

- le condamner aux dépens.

Ils soutiennent à titre principal l'incompétence du tribunal de commerce de Tarascon en raison de l'existence d'une clause compromissoire figurant dans les statuts, qu'elle vise les litiges ayant trait aux affaires sociales ou à l'exécution des décisions statutaires ce qui inclut notamment la désignation d'un mandataire aux fins de convoquer une assemblée générale, que la demande de désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée générale n'est pas d'ordre public fondée sur l'article L. 223-27 du code de commerce contrairement à ce que soutient l'intimé et à ce qu'a décidé le premier juge.

Si l'article 1449 du code civil permet au juge d'ordonner une mesure provisoire ou conservatoire en présence d'une clause d'arbitrage, les conditions ne sont nullement réunies en l'espèce et il n'existe aucune urgence.

Ils soulèvent également l'irrecevabilité de la demande de l'intimée tendant à voir désigner un mandataire différent de Me [R] en ce qu'il s'agit nécessairement d'un appel incident qui n'a pas été formé dans le délai de l'article 905-2 du code de procédure civile ni dans les conclusions initiales en violation des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile. Ils ajoutent que cette demande est tout aussi irrecevable pour défaut d'intérêt à agir de l'intimé.

Subsidiairement sur le fond, ils font valoir que M. [K] [B] [P] s'est désisté de sa demande de révocation du gérant lors de la réunion qui s'est tenue entre les parties et leurs conseils et notaires le 30 mars 2023 pour régler la succession de Mme [M] [S] et qu'il n'a formulé aucune demande en ce sens lors de l'assemblée générale du 8 août 2023, ce qui n'autorisait pas le juge des référés à suppléer sa carence.

Enfin, ils soutiennent que la demande de révocation n'est pas conforme à l'intérêt social mais au seul intérêt de l'intimé.

Par conclusions notifiées et déposées le 5 juin 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [K] [B] [P] demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue le 3 novembre 2023, sauf en ce qu'elle désigne en qualité de mandataire la SELARL de Saint Rapt [R], représentée par Me [D] [R] ayant pour mission de convoquer une assemblée générale des associés de la SARL Cathédrale d'images, laquelle aura pour objet la révocation de son gérant,

- réformer l'ordonnance rendue le 3 novembre 2023 en ce qu'elle a désigné la SELARL de Saint Rapt [R], représentée par Me [D] [R] ayant pour mission de convoquer une assemblée générale des associés de la SARL Cathédrale d'images, laquelle aura pour objet la révocation de son gérant,

Statuant à nouveau,

- désigner tout autre mandataire qu'il lui plaira pour procéder à la convocation d'une assemblée générale des associés de la SARL Cathédrale d'images laquelle aura pour objet la révocation de son gérant,

- condamner M. [Z] [W] et M. [A] [B] [P] à payer à M. [K] [B] [P] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [Z] [W] et M. [A] [B] [P] aux entiers dépens.

Il soutient que le premier juge était parfaitement compétent pour connaitre de sa demande, même en présence de la clause compromissoire, dès lors que comme il l'a exactement énoncé, celle-ci est manifestement inapplicable en l'espèce puisque sa demande de désignation d'un mandataire est l'expression d'un droit légalement consacré par des dispositions d'ordre public.

Sur le fond, il rappelle ses demandes amiables de convocation d'une assemblée générale en vue de révoquer le gérant qui n'ont pas abouti et que les conditions d'application de l'article L. 223-27 alinéa 4 du code de commerce sont réunies en l'espèce. Faisant état d'un accord entre les parties sur ce point, il sollicite la désignation d'un mandataire différent compte tenu des irrégularités de la tenue de l'assemblée générale convoquée par Me [R].

La SARL Cathédrale d'images et M. [J] [O] n'ont pas comparu.

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article 1448 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. La juridiction de l'Etat ne peut relever d'office son incompétence.

Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite.

En application de l'article 1449 du même code, l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire. Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage.

1. Sur l'inapplicabilité de la clause d'arbitrage figurant aux statuts :

Il n'est pas discuté que les statuts de la SARL Cathédrale d'images comportent un article 28 ainsi libellé : toutes contestations qui pourraient s'élever au cours de l'existence de la société ou après sa dissolution pendant le cours des opérations de liquidation, soit entre les associés eux-mêmes, relativement aux affaires sociales ou à l'exécution des dispositions statutaires, sont soumises à la procédure d'arbitrage.

M. [K] [B] [P] soutient que cette clause est manifestement inapplicable en raison du caractère d'ordre public des dispositions de l'article L. 223-27 du code de commerce.

Les intimés répliquent que la mention relative au caractère d'ordre public ne concerne que deux alinéas du texte et non celui relatif à la demande en justice de la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée et de fixer son ordre du jour.

En effet, la mention relative à l'ordre public ne concerne que deux alinéas de l'article L. 223-27 du code de commerce, soit ceux relatifs à la possibilité pour un ou plusieurs associés la moitié des parts sociales ou détenant, s'ils représentent au moins un dixième des associés, le dixième des parts sociales de demander la réunion d'une assemblée générale et à la possibilité pour un ou plusieurs associés détenant le vingtième des parts sociales de faire inscrire une résolution à l'ordre du jour, de sorte que l'alinéa 7 relatif à l'ordre public ne concerne pas l'alinéa 8, suivant, seul mis en oeuvre par M. [K] [B] [P].

Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient l'intimé, si le juge n'a pas le pouvoir d'apprécier l'opportunité de la mesure prévue à l'alinéa 8 de l'article L. 223-27 du code de commerce, il a le devoir d'en apprécier la conformité à l'intérêt social ce qui ne correspond pas à une disposition impérative d'ordre public par laquelle le juge se trouverait lié.

Il en résulte que c'est à tort que le premier juge a considéré que la clause d'arbitrage était inapplicable en raison du caractère d'ordre public de l'alinéa 8 de l'article L. 223-27 du code de commerce, étant observé qu'il n'est pas discuté que le tribunal arbitral n'a pas encore été saisi.

2. Sur l'incompétence du juge des référés du tribunal de commerce de Tarascon en raison de la clause d'arbitrage :

L'article 1449 susvisé ne permet l'intervention du juge des référés en présence d'une clause d'arbitrage qu'en cas d'urgence pour ordonner une mesure d'instruction ou des mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage.

Tel n'est pas le cas en l'espèce où la mesure sollicitée par M. [K] [B] [P] ne s'analyse en aucune de ces mesures et où le caractère d'urgence fait tout autant défaut.

L'ordonnance déférée est infirmée en toutes ses dispositions.

Cette infirmation rend sans objet l'examen des appels incidents formés par M. [K] [B] [P].

3. Sur les demandes accessoires :

M. [K] [B] [P], qui succombe est condamné aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Tarascon du 3 novembre 2023,

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à référé en présence d'une clause d'arbitrage non manifestement nulle ou inapplicable,

Condamne M. [K] [B] [P] aux dépens de première instance et d'appel,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [K] [B] [P] à payer à M. [Z] [W] la somme totale de 5 000 euros.