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Décisions

CA Colmar, 3e ch. A, 29 janvier 2024, n° 22/03471

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Kra (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martino

Conseillers :

Mme Fabreguettes, Mme Deshayes

Avocats :

Me Bischoff - De Oliveira, Me Wagner, Me Hohmatter

TJ Strasbourg, du 4 août 2022

4 août 2022

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Suite à une panne intervenue le 5 novembre 2021 nécessitant le remplacement du turbocompresseur équipant son véhicule Citroën Xsara Picasso, Monsieur [G]

[K] a confié les réparations à la Sarl Kra, qui avait remorqué ce véhicule.

La Sarl Kra a émis une facture pour un montant de 1 627,39 € que Monsieur [K] a refusé de régler au motif que les parties étaient convenues oralement que l'exécution de la prestation se ferait au prix de 700 €.

Se prévalant d'un droit de rétention, le garagiste n'a pas restitué le véhicule à son propriétaire.

Par requête du 20 décembre 2021, Monsieur [K] a saisi le tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins d'obtenir la restitution de son véhicule, de ses accessoires, clés et cartes grises, et des objets se trouvant à l'intérieur, sous astreinte, ainsi que la réparation de son préjudice de jouissance et d'agrément.

La Sarl Kra a reconventionnellement sollicité le règlement de sa facture.

Par jugement réputé contradictoire en date du 1er avril 2022, qui sera confirmé par arrêt de la cour d'appel de ce siège, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

-ordonné à la Sarl Kra de restituer le véhicule Citroën Xsara Picasso immatriculé [Immatriculation 3] à Monsieur [G] [K] avec les clés, le certificat d'immatriculation, les objets présents dans le véhicule, coffre compris, à première présentation de Monsieur [G] [K] au garage après signification de la décision par huissier de justice,

-autorisé Monsieur [G] [K] à s'adjoindre un huissier de justice pour effectuer ladite reprise, le cas échéant et dit qu'en cas de refus de restitution constatée par le dit huissier une astreinte de 300 € par jour de retard courra immédiatement,

-dit que si le concours de l'huissier est requis par Monsieur [K] pour la restitution du véhicule, les frais seront supportés finalement par la Sarl Kra,

-réservé toutes autres demandes de Monsieur [G] [K],

-dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du 17 mai 2022 pour qu'il soit statué sur les autres demandes et sur l'éventuelle liquidation de l'astreinte prononcée,

-enjoint la Sarl Kra d'avoir à comparaître à ladite audience et d'y présenter toutes pièces justificatives relatives à la réparation objet du litige,

-rappelé le caractère exécutoire de la décision.

Cette décision a été signifiée à la Sarl Kra par acte délivré le 21 avril 2022.

Par jugement en date du 4 août 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

-rappelé à la Sarl Kra qu'en vertu du jugement du 1er avril 2022, elle a l'obligation de restituer le véhicule appartenant à Monsieur [G] [K] à ce dernier ainsi que les accessoires,

-prononcé la liquidation de l'astreinte résultant du jugement du 1er avril 2022 à compter du 28 avril 2022 jusqu'au 6 juin 2022 inclus à raison de 50 € par jour de retard,

-condamné en conséquence la Sarl Kra à payer à Monsieur [G] [K] la somme de 2 000 €,

-condamné la Sarl Kra à payer à Monsieur [G] [K] la somme de 1 000 € à titre de dommages intérêts,

-condamné la Sarl Kra à payer à Monsieur [G] [K] la somme de 153,20 € en remboursement des frais d' huissier requis pour la restitution du véhicule,

-condamné Monsieur [G] [K] à payer à la Sarl Kra la somme de 700 € en application du contrat conclu par les parties le 10 novembre 2021,

-condamné la Sarl Kra à supporter les entiers dépens,

-condamné la Sarl Kra à payer à Monsieur [G] [K] la somme de 600 € au titre des frais irrépétibles,

-débouté la Sarl Kra de sa demande au titre des frais irrépétibles,

-joint à la présente instance la requête en rectification d'erreur matérielle enregistrée sous le numéro 11'22'5285 de Monsieur [G] [K],

-dit n'y avoir lieu à rectification d'erreur matérielle et rejeté la requête de Monsieur [G] [K],

-rappelé que la décision bénéficie de l'exécution provisoire en toutes ses dispositions.

La Sarl Kra a interjeté appel à l'encontre de cette décision suivant déclaration en date du 12 septembre 2022 et par dernières écritures notifiées le 16 octobre 2023, elle conclut à la réformation de la décision déférée et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

-débouter Monsieur [K] de ses demandes, irrecevables et mal fondées,

-débouter Monsieur [K] de l'ensemble de ses demandes,

-condamner Monsieur [G] [K] à payer à la Sarl Kra une somme de 1 627,39 € toutes taxes comprises au titre des réparations réalisées ; sommes portant intérêts au taux d'intérêt légal à compter du jugement de première instance,

À titre subsidiaire

-condamner Monsieur [G] [K] à lui payer la somme de 1 627,39 euros au titre de la gestion d'affaires, avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du jugement de première instance,

À titre infiniment subsidiaire

-condamner Monsieur [G] [K] à lui payer la somme de 1627,37 euros au titre de l'enrichissement sans cause avec intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance

En tout état de cause

-condamner Monsieur [G] [K] à lui payer la somme de 2 496 € toutes taxes comprises au titre des frais de gardiennage,

-condamner Monsieur [G] [K] à lui payer la somme de 2 000 € à titre de réparation de la désorganisation provoquée,

-réserver à la Sarl Kra le droit de conclure plus avant sur ce préjudice,

-débouter Monsieur [G] [K] de l'ensemble de ses demandes,

-condamner Monsieur [G] [K] aux dépens de première instance et d'appel et à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au fond, elle revendique le bénéfice du droit de rétention prévu à l'article 2286 du code civil et précise que le titulaire d'une créance certaine et exigible peut retenir le bien de son débiteur même si elle n'est pas encore liquide ; auquel cas il appartient au juge qui statue sur la légitimité du droit de rétention de la liquider en en fixant le montant.

Elle fait essentiellement valoir que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 n'oblige pas le garagiste à fournir un devis chiffré, ce dernier n'étant astreint à en fournir que sur demande expresse de son client ; que selon l'article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de services, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation ; que Monsieur [K] lui a clairement donné l'ordre d'engager les travaux sans être en possession d'un devis qu'il n'a jamais réclamé ; que le client, qui ne soutient pas que le prix réclamé serait abusif, connaissait très bien le garage du fait de son activité passée et connaissait également les tarifs, qui étaient affichés, et plus généralement les tarifs des garagistes ; que le montant de 700 € que Monsieur [K] reconnaît devoir ne couvre pas même le prix des pièces.

À titre subsidiaire, elle fonde sa demande sur la théorie de la gestion d'affaires définie aux articles 1301 et suivants du code civil, à titre infiniment subsidiaire sur l'enrichissement sans cause.

Par ailleurs, elle prétend avoir rempli son obligation de conseil et souligne la déloyauté de Monsieur [K], qui n'a jamais tenté une démarche amiable avant d'engager la procédure, a refusé toute conciliation et a tenté d'exécuter la première décision alors que le conseil du garagiste avait annoncé faire le nécessaire.

Par dernières écritures notifiées le 16 octobre 2023, Monsieur[K] conclut à la confirmation de la décision entreprise, au débouté des demandes présentées par la Sarl Kra et demande à la cour, ajoutant au jugement déféré, de :

-prononcer la liquidation de l'astreinte résultant du jugement du 1er avril 2022 à l'encontre de la Sarl Kra, à compter du 28 avril 2022 jusqu'au 25 juin 2022 inclus à raison de 50 € par jour de retard,

En conséquence :

-condamner la Sarl Kra à lui payer la somme de 2 700 €,

-condamner la Sarl Kra aux entiers frais et dépens,

-condamner la Sarl Kra à payer à Monsieur [G] [K] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Au soutien, l'intimé, qui précise que le véhicule a finalement été restitué en date du 21 juin 2022, soutient essentiellement que le garagiste ne lui a pas communiqué de devis alors qu'il en avait demandé un, qu'il lui a téléphoniquement donné l'indication que le prix des réparations s'élèverait à 700 €, ce à quoi il avait donné son accord ; que la Sarl Kra a abusé de son droit de rétention pour le contraindre à payer un prix supérieur à celui qui avait été convenu ; que l'appelant a manqué à son obligation contractuelle d'information prévue à l'article L 111-1 du code de la consommation ainsi qu'à son obligation de conseil concernant la disproportion entre le coût des travaux et la valeur du véhicule.

Elle conteste que soient réunies les conditions d'une gestion d'affaires non plus que celles d'un enrichissement injustifié.

L'ordonnance de clôture est en date du 17 octobre 2023.

MOTIFS

Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l' article 455 du code de procédure civile ;

Vu les pièces régulièrement communiquées ;

Sur le droit de rétention

En vertu des articles 1948 et 2286 du code civil, le garagiste bénéficie d'un droit de rétention en cas de non-paiement de sa créance.

Il est de règle que le garagiste doit mettre en garde son client sur l'utilité de certaines réparations au regard de la valeur vénale du véhicule et que la charge de la preuve de l'exécution de son obligation d'information lui incombe.

En l'espèce, Monsieur [G] [K] a donné son accord pour l'exécution des travaux après une conversation téléphonique au cours de laquelle la Sarl Kra lui aurait délivré une information sur le prix de ces travaux, les parties étant contraires sur le point de savoir quel montant a alors été indiqué.

Il ne ressort en réalité d'aucun élément du dossier que l'information délivrée ait porté sur la somme qui sera finalement réclamée, soit plus de 1 600 € et il ne ressort d'aucun élément que Monsieur [G] [K], qui n'est pas un professionnel de la mécanique, aurait pu par lui-même avoir conscience du montant du coût des travaux.

Il résulte en revanche des éléments justificatifs produits que le véhicule litigieux, soit une Citroën Xsara Picasso, avait été immatriculé pour la première fois le 4 novembre 2005 et avait donc seize ans au moment de la panne.

Monsieur [G] [K] soutient sans être contredit et il en justifie par ailleurs par la production de divers documents que la valeur vénale de son véhicule au jour de la panne avoisinait le montant du coût des réparations, tel que réclamé par la Sarl Kra.

De ce fait, le garagiste ne pouvait pas engager les travaux sans informer clairement son cocontractant sur l'utilité de la réparation eu égard à la valeur vénale du véhicule, ce que la Sarl Kra, qui ne s'explique pas sur ce sujet, n'a manifestement pas fait.

Dans la mesure où le garagiste n'est pas en situation de prouver avoir délivré cette information, déterminante du consentement de son client, il n'était pas fondé à se prévaloir de son droit de rétention pour refuser de restituer le véhicule à son propriétaire.

C'est ainsi que la présente cour a été amenée à confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 1er avril 2022 en ce qu'il a ordonné à la Sarl Kra de restituer à son propriétaire le véhicule sur lequel elle a, à tort, exercé son droit de rétention et ce, sous astreinte dans les conditions fixées au dispositif de cette décision.

Sur la liquidation de l'astreinte

Le premier juge a très exactement rappelé les dispositions légales régissant la liquidation de l'astreinte et la cour se réfère expressément de ce chef aux énonciations du jugement déféré.

La cour étant en mesure de liquider l'astreinte pour toute la période courue entre la signification du jugement du 1er avril 2022 et la date d'exécution de l'obligation de faire imposée à la Sarl Kra par cette décision, soit le 21 juin 2022, il convient, infirmant la décision déférée de liquider l'astreinte courue à la somme de 50 euros par jour de retard, proportionnée à l'enjeu du litige, et de condamner en conséquence la Sarl Kra à payer à Monsieur [G] [K] la somme de 2 700 € à ce titre.

Sur la demande en paiement de ses travaux formée par la Sarl Kra

Aux termes de l'article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation. En cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande tendant à obtenir des dommages intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat.

En l'espèce, il est réclamé paiement de la somme totale de 1 627,39 € toutes taxes comprises correspondant essentiellement au prix d'une vidange (11,20 € ht), de la fourniture d'huile moteur (33,75 € ht), de la fourniture d'un turbo (480 € ht) et d'une crépine (45,01 € ht) ainsi qu'un joint radiateur (15 € ht) d'un nettoyant moteur (30 € ht), d'un nettoyage du filtre à particules (300 € ht) et d'une main-d'oeuvre d'une durée de huit heures (8 x 55 € = 440 € ht).

Monsieur [K] ne conteste pas le montant du coût des travaux en soi mais conteste en avoir été informé par le garagiste qui lui aurait indiqué un coût d'environ 700 €.

Or, il n'est nullement établi que la Sarl Kra se soit engagée à réaliser les travaux pour cette somme, l'attestation établie par la compagne de Monsieur [K] ne pouvant être retenue à elle seule pour faire preuve, en raison des liens d'intérêt évidents la liant à l'intimé.

Le manquement par la Sarl Kra à son obligation de conseil, voire d'information, ne peut donner lieu qu'à l'octroi de dommages intérêts, qui ne sont pas réclamés.

Il ne saurait faire obstacle au paiement de travaux dont il est justifié qu'ils ont été commandés et exécutés et dont le coût n'apparaît pas déraisonnable en soi.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de la Sarl Kra et, infirmant la décision déférée, de condamner Monsieur [K] au paiement de la somme de 1 627,39 € avec les intérêts au taux légal à compter du jour du jugement déféré.

Sur les frais de gardiennage

La Sarl Kra n'est pas fondée à solliciter des frais de gardiennage alors que l'occupation par le véhicule de son espace professionnel résulte non pas de la volonté du propriétaire de ce véhicule, qui n'a eu de cesse de le réclamer, que de la mise en oeuvre illégitime par le garagiste de son droit de rétention.

La décision déférée devra donc être confirmée en ce qu'elle a rejeté ce chef de demande.

Sur la demande au titre du préjudice de désorganisation

Le même raisonnement s'impose quant à la demande formée par la Sarl Kra en paiement de dommages intérêts au titre d'un préjudice prétendu de désorganisation et cette demande, nouvelle en appel, sera ainsi rejetée.

Sur les chefs de condamnation de la Sarl Kra au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice de jouissance et au paiement de la somme de 153,20 € en remboursement des frais d'huissier requis pour la restitution du véhicule

Ces postes de décision ne sont pas expressément critiqués même à titre subsidiaire si bien que la décision déférée sera confirmée de ces chefs.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le litige ayant trouvé sa source dans le manquement par le professionnel à ses obligations informatives et de conseil et à l'usage illégitime de son droit de rétention, il y aura lieu de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de ce qui a été jugé à hauteur d'appel, il y aura lieu de dire qu'il sera fait masse des dépens et qu'ils seront supportés pour moitié pour chacune des parties.

L'équité justifie de dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur [W] [K] à payer à la Sarl Kra la somme de 700 € au titre du coût des réparations de son véhicule et en ce qu'il a condamné la Sarl Kra à payer à Monsieur [W] [K] la somme de 2 000 € au titre de la liquidation de l'astreinte,

Et statuant à nouveau des chefs infirmés,

CONDAMNE Monsieur [W] [K] à payer à la Sarl Kra la somme de 1 627,39 € toutes taxes comprises au titre des réparations de son véhicule, avec intérêts au taux légal à compter du jugement déféré,

CONDAMNE la Sarl Kra à payer à Monsieur [W] [K] la somme de 2 700 € au titre de la liquidation de l'astreinte ayant couru du 28 avril 2022 au jour de la restitution du véhicule,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

Et y ajoutant,

DEBOUTE la Sarl Kra de sa demande en paiement de dommages intérêts en réparation d'un préjudice de désorganisation,

DIT en équité n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties,

FAIT masse des dépens et DIT qu'ils seront supportés pour moitié pour chacune des parties.