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Décisions

CJUE, 9e ch., 4 octobre 2024, n° C-124/23 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

E. Breuninger GmbH & Co.

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Spineanu Matei

Juges :

M. Bonichot (rapporteur), M. Rodin

Avocat général :

M. Szpunar

Avocat :

Me Velte

CJUE n° C-124/23 P

3 octobre 2024

LA COUR (neuvième chambre),

1 Par son pourvoi, E. Breuninger GmbH & Co. demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2022, E. Breuninger GmbH & Co./Commission (T 260/21, ci-après « l’arrêt attaqué », EU:T:2022:833), par lequel celui-ci a rejeté le recours en annulation qu’elle avait formé contre la décision C(2020) 8318 final de la Commission, du 20 novembre 2020, relative à l’aide d’État SA.59289 (2020/N) – Allemagne COVID-19 – Soutien en faveur des coûts fixes non couverts (JO 2022, C 124, p. 1), telle que modifiée par la décision C(2021) 1066 final de la Commission, du 12 février 2021, relative à l’aide d’État SA.61744 (2021/N) – Notification collective de modification portant adaptation des régimes d’aides autorisés en vertu de l’encadrement temporaire, notamment à la suite de la cinquième modification de l’encadrement temporaire (JO 2021, C 77, p 18) (ci-après la « décision litigieuse »).

 Les antécédents du litige et la procédure devant le Tribunal

2 Les antécédents du litige ont été présentés aux points 2 à 14 de l’arrêt attaqué. Ils peuvent être résumés comme suit.

3 La requérante est la société opérationnelle du groupe E. Breuninger, qui est actif, notamment, dans le secteur de l’habillement ainsi que de la distribution de vêtements, de parfums, de produits cosmétiques, de produits de soin corporel, de meubles, d’articles ménagers et de décoration.

4 Le 19 mars 2020, la Commission européenne a adopté une communication intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1, ci-après l’« encadrement temporaire »), qui a été modifiée une première fois le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), une deuxième fois le 8 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3), une troisième fois le 29 juin 2020 (JO 2020, C 218, p. 3) et une quatrième fois le 13 octobre 2020 (JO 2020, C 340 I, p. 1).

5 Les points 17 à 19 de la section 2 de l’encadrement temporaire, intitulée « Applicabilité de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE] », sont libellés de la manière suivante :

« 17. En vertu de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE], la Commission peut déclarer une aide compatible avec le marché intérieur si cette aide est destinée “à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre”. Dans ce contexte, les juridictions de l’Union ont établi que la perturbation doit affecter l’ensemble ou une partie importante de l’économie de l’État membre concerné, et pas seulement celle d’une de ses régions ou parties de territoire. Cette solution est d’ailleurs conforme à la nécessité d’interpréter strictement une disposition dérogatoire telle que l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE] [...] Cette interprétation a été appliquée de façon systématique par la Commission dans sa pratique décisionnelle [...]

18. Étant donné que la flambée de COVID-19 touche l’ensemble des États membres et que les mesures de confinement prises par ceux-ci ont un impact sur les entreprises, la Commission considère que des aides d’État se justifient et peuvent être déclarées compatibles avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE] pendant une période limitée, afin de remédier au manque de liquidité auquel sont confrontées les entreprises, et de faire en sorte que les perturbations causées par la flambée de COVID-19 ne compromettent pas leur viabilité, en particulier dans le cas des [petites et moyennes entreprises (PME)].

19. La Commission énonce dans la présente communication les conditions de compatibilité qu’elle appliquera en principe aux aides octroyées par les États membres sur la base de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE]. Les États membres sont donc tenus de démontrer que les mesures d’aide d’État notifiées à la Commission au titre de la présente communication sont nécessaires, appropriées et proportionnées pour remédier à une perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné et que toutes les conditions énoncées dans la présente communication sont pleinement respectées. »

6 La communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire précise, à son point 11 :

« [E]n raison de la pandémie de COVID-19, de nombreuses entreprises font face de manière temporaire à une demande plus faible qui ne leur permet pas de couvrir une partie de leurs coûts fixes. Dans de nombreux cas, la demande devrait reprendre au cours des mois à venir, tandis qu’il ne sera peut-être pas efficient pour ces entreprises de réduire la voilure si cela entraîne des coûts de restructuration importants. Soutenir ces entreprises en contribuant à une partie de leurs coûts fixes à titre temporaire peut être une manière efficiente d’assurer la continuité, permettant ainsi d’éviter la détérioration de leurs fonds propres, de maintenir leur activité commerciale et de leur offrir un tremplin solide pour se relancer. »

7 Cette communication a introduit dans l’encadrement temporaire une section 3.12, intitulée « Aides sous forme de soutien aux coûts fixes non couverts », contenant les points 86 et 87, libellés de la manière suivante :

« 86. Les États membres peuvent envisager de contribuer aux coûts fixes non couverts des entreprises pour lesquelles la pandémie de COVID-19 a entraîné la suspension ou la réduction de leur activité commerciale.

87. Si ces mesures constituent des aides, la Commission considérera qu’elles sont compatibles avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE], pour autant que les conditions suivantes soient remplies :

a) les aides sont octroyées au plus tard le 30 juin 2021 et couvrent les coûts fixes non couverts encourus au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 30 juin 2021, y compris les coûts encourus pendant une partie de cette période (ci-après dénommée “période éligible”) ;

b) les aides sont octroyées sur la base d’un régime soutenant les entreprises qui ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % au cours de la période éligible par rapport à la même période en 2019 ;

c) les coûts fixes non couverts sont les coûts fixes encourus par les entreprises au cours de la période éligible qui ne sont pas couverts par la contribution aux bénéfices (c’est-à-dire les recettes moins les coûts variables) au cours de la même période et qui ne sont pas couverts par d’autres sources, telles que les assurances, les mesures d’aide temporaires couvertes par la présente communication ou des aides provenant d’autres sources. L’intensité de l’aide n’excède pas 70 % des coûts fixes non couverts, sauf pour les micro- et petites entreprises (au sens de l’annexe I du règlement général d’exemption par catégorie), pour lesquelles l’intensité de l’aide n’excède pas 90 % des coûts fixes non couverts. Aux fins du présent point, les pertes enregistrées par les entreprises dans leurs comptes de résultat au cours de la période éligible sont considérées comme des coûts fixes non couverts. Les aides relevant de cette mesure peuvent être octroyées sur la base des pertes prévisionnelles, tandis que le montant final des aides est déterminé après la réalisation des pertes sur la base de comptes vérifiés ou après la présentation, par l’État membre, d’éléments justificatifs appropriés à la Commission (concernant par exemple les caractéristiques ou la taille d’un certain type d’entreprises) sur la base de bilans fiscaux[ ; t]out paiement dépassant le montant final de l’aide est récupéré ;

d) en tout état de cause, le total de l’aide n’excède pas 3 millions d’[euros] par entreprise. Les aides peuvent être octroyées sous la forme de subventions directes, de garanties et de prêts, à condition que la valeur nominale totale de ces mesures reste inférieure au plafond global de 3 millions d’[euros] par entreprise ; tous les chiffres utilisés sont des montants bruts, c’est-à-dire avant impôts ou autres prélèvements ;

e) les aides octroyées au titre de cette mesure ne sont pas cumulées avec d’autres aides pour les mêmes coûts admissibles ;

f) l’aide ne peut pas être octroyée à des entreprises qui étaient déjà en difficulté [au sens du règlement général d’exemption par catégorie] au 31 décembre 2019. Par dérogation à ce qui précède, une aide peut être octroyée à des micro- ou petites entreprises (au sens de l’annexe I du règlement général d’exemption par catégorie) qui étaient déjà en difficulté au 31 décembre 2019, dès lors que celles-ci ne font pas l’objet d’une procédure collective d’insolvabilité en vertu du droit national qui leur est applicable et n’ont pas bénéficié d’une aide au sauvetage ou d’une aide à la restructuration. »

8 Le 17 novembre 2020, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, un régime d’aides d’État visant à accorder un soutien aux coûts fixes non couverts dans le contexte de la pandémie de COVID-19 sur son territoire.

9 Le 20 novembre 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 8318 final. Dans cette décision, premièrement, la Commission a décrit les caractéristiques essentielles du régime d’aides d’État notifié, dont il ressort, notamment, que des mesures individuelles d’aides ne peuvent être accordées qu’aux entreprises qui ont subi une perte de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % (considérant 17). Deuxièmement, elle a souligné que ce régime d’aides relevait de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où il procurait un avantage sélectif à ses bénéficiaires et, de ce fait, entraînait une distorsion de concurrence (considérants 31 à 33). Troisièmement, elle a retenu que ledit régime d’aides était compatible avec le marché intérieur en application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE en se référant aux critères fixés au point 87 de l’encadrement temporaire (considérants 35 à 41). Elle n’a, par suite, pas soulevé d’objections à l’égard dudit régime d’aides. Le régime d’aides autorisé par la décision C(2020) 8318 final concernait des aides dont le montant était plafonné à 3 millions d’euros par entreprise (considérant 20).

10 Le 28 janvier 2021, la Commission a apporté une cinquième modification à l’encadrement temporaire (JO 2021, C 34, p. 6), par laquelle elle a, notamment, modifié le point 87, sous d), de celui ci en augmentant le plafond de l’aide à 10 millions d’euros par entreprise. Elle a également modifié le point 87, sous a), de l’encadrement temporaire en étendant la période initialement comprise entre le 1er mars 2020 et le 30 juin 2021 jusqu’au 31 décembre 2021.

11 Le 2 février 2021, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission une modification à son régime d’aides d’État, consistant en un relèvement du plafond des aides à 10 millions d’euros et en sa prolongation jusqu’au 31 décembre 2021.

12 Par la décision C(2021) 1066 final, la Commission a approuvé différentes modifications apportées par la République fédérale d’Allemagne à des régimes d’aides d’État notifiés, dont celui autorisé par la décision C(2020) 8318 final (ci-après le « régime d’aides litigieux »).

13 Dans la décision C(2021) 1066 final, la Commission a, notamment, d’une part, repris l’analyse figurant dans ses décisions antérieures, afin de souligner l’existence d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et leur compatibilité avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (considérants 15 et 17), et, d’autre part, considéré que l’extension de la durée du régime d’aides notifié et approuvé au titre de l’encadrement temporaire ainsi que le relèvement de son plafond étaient compatibles avec l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (considérant 18).

14 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours formé par E. Breuninger contre la décision litigieuse. Il a, en particulier, estimé que le régime d’aides d’État en cause relevait de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et que la Commission n’avait pas méconnu les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose sur le fondement de cet article en édictant le critère d’éligibilité tenant à l’existence d’une baisse de 30 % du chiffre d’affaires appréciée au niveau de l’entreprise, ce critère étant adapté, nécessaire et proportionné à l’objectif d’assurer la viabilité et la continuité des entreprises au cours de la pandémie de COVID-19.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

15 Par son pourvoi, E. Breuninger demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de régler l’affaire au titre de la procédure devant le Tribunal, d’annuler la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément à l’arrêt de la Cour, et

– de condamner la Commission aux dépens afférents à la procédure devant le Tribunal et devant la Cour.

16 La Commission et la République fédérale d’Allemagne demandent à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

17 À l’appui de son pourvoi, E. Breuninger soulève trois moyens. Par son premier moyen, elle soutient que l’arrêt attaqué méconnaît le droit primaire, en particulier l’article 107, paragraphes 1 et 3, TFUE. Par son deuxième moyen, elle reproche au Tribunal d’avoir méconnu l’encadrement temporaire. Enfin, par son troisième moyen, elle conteste les motifs par lesquels le Tribunal a examiné la proportionnalité du régime d’aides litigieux.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

18 La requérante soutient que le Tribunal a entaché son arrêt d’erreurs de droit au regard de l’article 107, paragraphes 1 et 3, TFUE.

19 En premier lieu, elle reproche au Tribunal de n’avoir examiné la question de savoir si une approche tenant compte de la situation globale de l’entreprise, plutôt qu’une approche par secteur d’activité, était conforme à l’article 107, paragraphe 1, TFUE qu’au stade de l’examen de la proportionnalité du régime d’aides litigieux, et non pour déterminer si les éléments constitutifs mentionnés à cette disposition étaient réunis. À cet égard, la requérante soutient que l’approche suivie dans l’arrêt attaqué est contraire à celle suivie dans l’arrêt du 21 décembre 2022, E. Breuninger/Commission (T 525/21, EU:T:2022:835), dans laquelle le Tribunal aurait raisonné par secteur d’activité et établi une distinction entre le commerce de détail et le commerce en ligne.

20 En deuxième lieu, la requérante soutient que le Tribunal a entaché l’arrêt attaqué d’un défaut de motivation et d’une erreur de droit en se contentant de se référer au large pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, sans s’assurer qu’elle en avait bien respecté les limites. Or, la Commission n’aurait pas examiné les effets du régime d’aides litigieux sur la concurrence et se serait rendue coupable de détournement de pouvoir, ce que le Tribunal aurait omis de sanctionner.

21 La requérante reproche en outre au Tribunal d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’une insuffisance de motivation, d’une erreur de droit et d’une erreur d’appréciation, faute d’avoir relevé que le critère d’éligibilité sur lequel est fondé le régime d’aides litigieux créait une inégalité de traitement entre entreprises affectées par la pandémie de COVID-19.

22 En troisième et dernier lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en estimant que la viabilité d’une entreprise pouvait être appréciée en tenant compte de sa situation dans d’autres secteurs d’activité que ceux concernés par les circonstances exceptionnelles ayant justifié la mise en place du régime d’aides litigieux. Selon elle, le Tribunal aurait à tout le moins dû tenir compte de la profitabilité de l’entreprise ou du niveau de ses fonds propres.

23 La Commission et la République fédérale d’Allemagne estiment que le premier moyen doit être écarté comme étant irrecevable en tant qu’il est tiré de la méconnaissance de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, au motif que le non-respect de cette disposition n’avait pas été invoqué devant le Tribunal. Elles estiment que ce moyen doit, pour le reste, être écarté comme étant non fondé à l’exception, selon la Commission, de l’argumentation tirée de ce qu’aurait dû être retenu un critère d’éligibilité fondé sur la dotation en recettes ou en capital des entreprises, qui serait également irrecevable au motif qu’elle serait nouvelle.

 Appréciation de la Cour

24 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 27 et jurisprudence citée).

25 C’est à l’égard de mesures présentant de telles caractéristiques et déployant de tels effets, en ce qu’elles sont susceptibles de fausser le jeu de la concurrence et de porter atteinte aux échanges entre les États membres, que l’article 107, paragraphe 1, TFUE énonce le principe d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 28).

26 L’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE prévoit toutefois certaines dérogations au principe d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, évoqué au point 25 du présent arrêt, telles que celle énoncée à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, concernant les aides destinées « à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre ». Sont ainsi compatibles ou susceptibles d’être déclarées compatibles avec le marché intérieur des aides d’État octroyées aux fins et dans les conditions prévues par ces dispositions dérogatoires, nonobstant le fait qu’elles présentent les caractéristiques et déploient les effets énoncés au point 25 du présent arrêt (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 30).

27 La requérante reproche, en premier lieu, au Tribunal d’avoir méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, cet article imposant en substance, selon elle, de retenir un critère d’éligibilité par secteur de production ou d’activité, et non un critère d’éligibilité fondé sur l’évolution du chiffre d’affaires global de l’entreprise.

28 À cet égard, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi est limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens et des arguments qui ont été débattus devant lui. Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal reviendrait en effet à l’autoriser à saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui soumis au Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Euranimi/Commission, C 95/23 P, EU:C:2024:177, point 53 et jurisprudence citée).

29 En l’occurrence, comme le relèvent la Commission et la République fédérale d’Allemagne, il ressort du dossier transmis à la Cour que l’argumentation de la requérante tirée de la méconnaissance de l’article 107, paragraphe 1, TFUE a été soulevée pour la première fois dans le cadre du présent pourvoi. Elle doit, par suite, être écartée comme étant irrecevable.

30 En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation tirée de ce que le Tribunal aurait méconnu l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, il convient de rappeler, comme indiqué au point 25 de l’arrêt attaqué, que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour la mise en œuvre de cette disposition, dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C 654/17 P, EU:C:2019:634, point 80 ainsi que jurisprudence citée), de sorte que le contrôle juridictionnel doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’à celle de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C 333/07, EU:C:2008:764, point 78 et jurisprudence citée).

31 La requérante estime, premièrement, que l’arrêt attaqué est entaché d’une insuffisance de motivation et d’une erreur de droit en ce que le Tribunal n’a pas vérifié si la Commission avait respecté les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, ce qui, selon la requérante, impliquait notamment de s’assurer que cette institution avait pris en compte les effets du régime d’aides litigieux sur la concurrence.

32 À cet égard, il convient de rappeler que, en l’absence de référence, à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, à la démonstration d’une absence d’altération des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun et, donc, à la nécessité d’effectuer une mise en balance des effets bénéfiques et des effets négatifs de l’aide, cette disposition ne saurait être interprétée, à la différence de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, comme requérant que la Commission procède à une telle mise en balance afin d’examiner la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 85).

33 Cette conclusion s’explique par la nature particulière des aides visées à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, qui poursuivent des objectifs de caractère exceptionnel et d’un poids particulier consistant soit à promouvoir la réalisation d’un objectif important d’intérêt européen, soit à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre. Les mesures d’aide qui concourent à l’un de ces objectifs, sous réserve qu’elles soient nécessaires et proportionnées, peuvent donc être considérées comme assurant un juste équilibre entre leurs effets bénéfiques et leurs effets négatifs sur le marché intérieur et comme répondant, par conséquent, à l’intérêt commun de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 86).

34 Dès lors que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE reflète la mise en balance des effets des aides d’État visées par cette disposition à laquelle les auteurs du traité ont procédé, la Commission n’est pas tenue d’opérer une nouvelle mise en balance de ces effets lorsqu’elle examine la compatibilité d’une aide dont l’octroi est envisagé sur le fondement de cette disposition (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 87).

35 Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’était pas tenue de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques du régime d’aides litigieux avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et le maintien d’une concurrence non faussée.

36 En l’occurrence, il ressort du point 72 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la Commission était tenue, pour la mise en œuvre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques du régime d’aides litigieux avec ses effets négatifs sur le maintien d’une concurrence non faussée, estimant que, en toute hypothèse, le critère d’éligibilité basé sur le chiffre d’affaires de l’entreprise n’était pas à l’origine d’effets restrictifs de concurrence revêtant un caractère manifestement disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi par le régime d’aides litigieux, consistant à assurer la viabilité des entreprises affectées par la pandémie de COVID 19.

37 Il s’ensuit qu’il ne saurait, en tout état de cause, être reproché au Tribunal d’avoir insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit en ne s’assurant pas que la Commission avait examiné les effets restrictifs du régime d’aides litigieux sur la concurrence et, ce faisant, qu’elle avait respecté les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Il résulte également de ce qui précède que l’argumentation de la requérante selon laquelle le Tribunal aurait omis de sanctionner le prétendu détournement de pouvoir commis par la Commission en n’examinant pas les effets du régime d’aides litigieux sur la concurrence doit être écartée.

38 Deuxièmement, la requérante reproche au Tribunal d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’un défaut de motivation, d’une erreur de droit et d’une erreur d’appréciation faute d’avoir relevé que le critère d’éligibilité sur lequel est fondé le régime d’aides litigieux créait une inégalité de traitement entre entreprises affectées par la pandémie de COVID-19. Elle fait valoir que le choix d’un critère d’éligibilité fondé sur l’évolution du chiffre d’affaires global de l’entreprise favorise les entreprises dont l’activité relève uniquement des secteurs affectés par la pandémie, au détriment de celles dont l’activité relève également d’autres secteurs, ces dernières étant obligées de recourir à des financements croisés entre leurs différentes activités.

39 Comme l’a rappelé le Tribunal au point 45 de l’arrêt attaqué, le principe d’égalité de traitement requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 66).

40 S’agissant d’une décision fondée sur l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, le Tribunal a considéré, au point 47 de l’arrêt attaqué, que l’argumentation de la requérante tirée de la méconnaissance du principe d’égalité de traitement se confondait avec ses griefs tirés d’une violation du principe de proportionnalité, dans ses différentes composantes, par le critère d’éligibilité sur lequel est fondé le régime d’aides litigieux.

41 Le Tribunal a également rappelé, au point 48 de l’arrêt attaqué, que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE constitue une dérogation au principe général d’incompatibilité avec le marché intérieur des aides d’État énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il a jugé que cette disposition permet donc de considérer des aides d’État comme étant compatibles avec le marché intérieur, ce qui implique, par définition, l’octroi d’un avantage sélectif à certaines entreprises, susceptible d’être qualifié de discriminatoire (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C 20/15 P et C 21/15 P, EU:C:2016:981, points 54 et 55).

42 Le Tribunal a ensuite vérifié si cette différence de traitement était justifiée au regard de l’article 107, paragraphe 1, sous b), TFUE, en examinant notamment si le critère d’éligibilité en cause était approprié au regard de l’objectif poursuivi, consistant, en substance, comme il l’a rappelé au point 53 de l’arrêt attaqué, à remédier au manque de liquidité auquel étaient confrontées les entreprises en raison de la pandémie de COVID-19 et à faire en sorte que les perturbations causées par celle-ci ne compromettent pas leur continuité et leur viabilité. À cet égard, le Tribunal a notamment jugé, au point 59 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait, sans méconnaître les limites de son pouvoir d’appréciation, estimer qu’il y avait lieu d’assurer la viabilité des entreprises dont une partie substantielle de l’activité avait été affectée par la pandémie de COVID-19 plutôt que de toute activité affectée par cette pandémie, indépendamment de la situation globale de l’entreprise concernée.

43 En statuant ainsi, le Tribunal, qui a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas méconnu l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse ou commis d’erreur d’appréciation, le choix d’un critère fondé sur l’évolution du chiffre d’affaires global des entreprises sur une période donnée apparaissant cohérent avec la volonté d’assurer la viabilité et la continuité de ces entreprises durant la pandémie de COVID-19 en ce qu’il permet de tenir compte de l’incidence de la crise sanitaire sur le niveau d’activité global de ces dernières.

44 À cet égard, ainsi qu’il ressort, notamment, du point 41 de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que les entreprises dont l’activité a été seulement partiellement affectée par la pandémie de COVID-19, à l’instar de celles exerçant à la fois une activité de commerce de détail et une activité de commerce en ligne, de même que les entreprises n’ayant pas été affectées par des mesures de fermeture ne sont pas exclues, par principe, du bénéfice de l’aide litigieuse, cette dernière étant seulement subordonnée au constat d’une baisse de chiffre d’affaires de l’entreprise d’au moins 30 % sur une période de référence donnée.

45 En troisième lieu, s’agissant de l’argumentation par laquelle la requérante reproche au Tribunal de n’avoir pas jugé qu’un critère d’éligibilité fondé sur la profitabilité ou le niveau de fonds propres des entreprises aurait été plus adapté, il convient de relever que cette argumentation est nouvelle et, par suite, irrecevable. Ainsi qu’il ressort des points 61 à 70 de l’arrêt attaqué, la requérante s’est en effet contentée, devant le Tribunal, de faire valoir que la Commission aurait dû retenir un critère d’éligibilité alternatif fondé sur l’évolution du chiffre d’affaires correspondant aux seules activités affectées par la pandémie.

46 Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen doit être écarté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

47 Par son deuxième moyen, tiré de la méconnaissance, par le Tribunal, de la communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire, la requérante soutient, en premier lieu, que l’arrêt attaqué, en particulier aux points 59 et 72 de ce dernier, est entaché d’une erreur d’appréciation, d’une contradiction de motifs et d’une dénaturation en ce que le Tribunal y a jugé que l’objectif poursuivi par les aides visées par l’encadrement temporaire était d’assurer la viabilité des entreprises, alors que cet objectif consistait en réalité à garantir le maintien de l’activité commerciale des entreprises affectées par la pandémie et, de manière générale, à compenser les mesures de fermeture prises dans certains secteurs d’activité.

48 En second lieu, la requérante fait valoir que l’encadrement temporaire n’impliquait pas de prendre en compte la situation globale de chaque entreprise, mais imposait au contraire une approche par secteur de production ou d’activité, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 38 et 41 de l’arrêt attaqué. En effet, le point 87, sous b), de l’encadrement temporaire ne préciserait pas si la baisse de 30 % du chiffre d’affaires qui constitue le critère d’éligibilité en cause doit être appréciée au niveau de l’entreprise ou de chaque secteur d’activité.

49 La Commission et la République fédérale d’Allemagne soutiennent que le deuxième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

50 S’agissant de l’aide aux coûts fixes non couverts, le point 11 de la communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire fait état de la volonté de la Commission de soutenir les entreprises faisant face à une demande plus faible en raison de la pandémie de COVID-19, en contribuant à couvrir une partie de leurs coûts fixes en vue d’assurer leur continuité, en évitant la détérioration de leurs fonds propres, de maintenir leur activité commerciale et de leur offrir un tremplin solide pour se relancer.

51 Le point 86 de l’encadrement temporaire, introduit dans ce dernier par cette communication, énonce que les États membres peuvent envisager de contribuer aux coûts fixes non couverts des entreprises pour lesquelles la pandémie a entraîné la suspension ou la réduction de leur activité commerciale.

52 En vertu du point 87 de l’encadrement temporaire, également issu de cette communication, lorsque ces mesures constituent des aides, la Commission les considère comme étant compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, à condition, notamment, que soit remplie la condition prévue au point 87, sous b), de l’encadrement temporaire tenant à ce que les aides octroyées soit destinées aux « entreprises qui ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % au cours de la période éligible, par rapport à la même période en 2019 ».

53 Ces points 86 et 87 doivent être lus à la lumière de l’encadrement temporaire dans son ensemble, et en particulier de son point 18, dont il ressort que, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, la Commission a estimé que pouvaient être regardées comme étant compatibles avec le marché intérieur, pendant une période limitée, les aides destinées « à remédier au manque de liquidité auquel sont confrontées les entreprises, et de faire en sorte que les perturbations causées par la flambée de COVID-19 ne compromettent pas leur viabilité, en particulier dans le cas des PME ».

54 Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante en premier lieu, le Tribunal n’a pas commis d’erreur d’appréciation ou entaché l’arrêt attaqué de dénaturation en jugeant, aux points 59 et 72 de cet arrêt, que le régime d’aides litigieux poursuivait l’objectif d’assurer la viabilité des entreprises affectées par la pandémie de COVID-19.

55 En statuant ainsi, après avoir rappelé, au point 5 de l’arrêt attaqué, les termes du point 11 de la communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire, le Tribunal n’a pas non plus entaché son arrêt de contradictions de motifs. À cet égard, il suffit de relever que l’institution d’une mesure d’aide ciblée sur les entreprises dont le chiffre d’affaires global a connu une baisse significative du fait de la pandémie de COVID-19 sur une période de référence donnée, en vue d’assurer leur viabilité, n’est pas incompatible avec l’orientation plus générale consistant à assurer le maintien de l’activité commerciale des entreprises affectées par la pandémie.

56 En second lieu, il convient de constater, comme l’a jugé le Tribunal aux points 38 et 41 de l’arrêt attaqué, que le critère d’éligibilité en cause, fondé sur l’évolution du chiffre d’affaires global de l’entreprise sur une période donnée, trouve son origine dans le point 87, sous b), de l’encadrement temporaire, qui se réfère aux « entreprises qui ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % au cours de la période éligible par rapport à la même période en 2019 », et que ce critère découle également de son point 87, sous c), qui exclut de la définition des coûts fixes non couverts, objet de l’aide litigieuse, les coûts couverts par la contribution aux bénéfices ou par d’autres sources, ce qui suppose, contrairement à ce que soutient la requérante, que l’éligibilité à l’aide soit évaluée en tenant compte de la situation globale de l’entreprise.

57 Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

58 Par son troisième moyen, la requérante conteste, au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de l’article 5, paragraphe 4, TUE, les motifs par lesquels le Tribunal a apprécié la proportionnalité du critère d’éligibilité en cause.

59 En premier lieu, en ce qui concerne le caractère approprié de ce critère par rapport à l’objectif poursuivi, la requérante rappelle que, selon elle, cet objectif consiste non pas à assurer la viabilité des entreprises touchées par la pandémie de COVID-19, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, mais à maintenir l’activité dans les secteurs directement affectés par cette dernière, de sorte que, selon elle, seule pouvait être regardée comme appropriée une aide ciblée sur les secteurs de production ou d’activité concernés. Le critère d’éligibilité en cause, fondé sur l’évolution du chiffre d’affaires global de l’entreprise par rapport à une période de référence donnée, serait à la fois manifestement inapproprié par rapport à l’objectif poursuivi et inadapté s’agissant des entreprises « multicanaux », exerçant à la fois une activité de commerce physique de détail et une activité de commerce en ligne.

60 En deuxième lieu, en ce qui concerne la nécessité dudit critère, la requérante reproche au Tribunal d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de droit en déduisant du large pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission que cette dernière n’était pas tenue d’examiner la pertinence d’aides ciblées sur les secteurs d’activité directement affectés par la mesure, alors que l’article 5, paragraphe 4, TUE imposait à cette dernière de rechercher si l’objectif poursuivi ne pouvait être atteint en retenant des critères d’éligibilité qui fausseraient moins la concurrence. La requérante soutient également que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit, d’une insuffisance de motivation et d’une contradiction de motifs en ce que, compte tenu des décisions prises par la Commission au sujet d’autres régimes d’aides d’État dans le cadre de la pandémie de COVID-19, le Tribunal aurait dû examiner si une approche par secteur de production ou d’activité n’était pas plus pertinente. L’arrêt attaqué serait aussi entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal n’aurait pas pris en compte les effets du régime d’aides litigieux sur la concurrence entre secteurs de production similaires. Enfin, l’affirmation figurant au point 73 de l’arrêt attaqué, rappelant que les entreprises éligibles à l’aide doivent également prendre en charge une partie des effets de la pandémie en raison du plafonnement de cette aide à 70 % des coûts fixes non couverts, serait entachée d’une insuffisance de motivation, d’une contradiction de motifs et d’une erreur de motivation en ce qu’elle ne tiendrait pas compte de ce que l’aide en cause était inexistante pour les entreprises « multicanaux » telles que la requérante.

61 En troisième et dernier lieu, en ce qui concerne le caractère adéquat du régime d’aides litigieux au regard de l’objectif poursuivi, c’est-à-dire l’appréciation de sa proportionnalité stricto sensu, la requérante soutient que le Tribunal a entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de droit et d’une dénaturation en jugeant que le régime d’aides litigieux ne restreignait pas la concurrence de manière disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, dont elle rappelle qu’il consistait, selon elle, à maintenir l’activité dans les secteurs touchés par la pandémie. Elle soutient que le Tribunal a également méconnu son droit d’être entendu et entaché l’arrêt attaqué d’une dénaturation et d’une erreur d’appréciation en ce qu’il n’aurait pris en compte ni son argumentation tirée du désavantage concurrentiel qu’elle aurait subi sur le front du commerce en ligne et sur celui du commerce physique de détail, ni le fait qu’elle serait l’une des rares entreprises du marché à avoir subi un tel désavantage. Enfin, la requérante conteste la pertinence de l’incidence du régime d’aides litigieux sur le budget de la République fédérale d’Allemagne pour évaluer la proportionnalité de la mesure. La requérante estime que la prise en compte par le Tribunal de cette incidence comme seul critère significatif ne saurait remplacer l’examen, prescrit par l’article 5, paragraphe 4, TUE, du caractère approprié, nécessaire et adéquat des aides concernées ni, en particulier, la mise en balance requise dans le cadre du contrôle de proportionnalité.

62 La Commission et la République fédérale d’Allemagne soutiennent que le troisième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

63 En premier lieu, il convient de constater que l’argumentation de la requérante dirigée contre les motifs figurant aux points 50 à 60 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a jugé que le critère d’éligibilité en cause était approprié par rapport à l’objectif poursuivi, repose sur la prémisse selon laquelle cet objectif consisterait non pas à assurer la viabilité des entreprises affectées par la pandémie de COVID-19, mais à maintenir l’activité dans les secteurs directement concernés par cette dernière. Cette prémisse devant être écartée pour les motifs figurant aux points 50 à 54 du présent arrêt, cette argumentation ne saurait prospérer.

64 En deuxième lieu, s’agissant de l’examen du caractère nécessaire du critère d’éligibilité en cause, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, le Tribunal n’a pas déduit du large pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission pour la mise en œuvre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE que cette dernière n’était pas tenue d’examiner la pertinence d’aides ciblées sur les secteurs d’activité directement affectés par la pandémie. Il a simplement jugé, aux points 66 à 68 de l’arrêt attaqué, sans commettre d’erreur de droit ou d’erreur d’appréciation, que, compte tenu de ce large pouvoir d’appréciation, ce n’est que dans l’éventualité où le critère alternatif mis en avant par la requérante démontrerait de manière manifeste l’absence de nécessité du critère d’éligibilité en cause, ce qui n’était en l’espèce pas le cas, qu’il pourrait être fait droit au grief de la requérante.

65 Le Tribunal n’a pas non plus commis d’erreur de droit ni entaché son arrêt d’insuffisance de motivation ou de contradiction de motifs en relevant, aux points 69 et 70 de cet arrêt, que la circonstance qu’un critère d’éligibilité différent ait été retenu par la Commission s’agissant de régimes d’aides relevant de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, relatif aux aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou d’autres évènements extraordinaires, n’impliquait pas que la Commission était tenue de retenir un critère équivalent dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont elle dispose sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

66 Par ailleurs, comme il a été indiqué aux points 32 à 35 du présent arrêt, la Commission n’était pas tenue de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques du régime d’aides litigieux avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et le maintien d’une concurrence non faussée, de sorte qu’il ne saurait être reproché au Tribunal de n’avoir pas pris en compte, au stade de l’examen de la nécessité du critère d’éligibilité en cause, les effets du régime d’aides litigieux sur la concurrence entre secteurs de production similaires.

67 Enfin, le Tribunal n’a pas entaché l’arrêt attaqué d’une insuffisance de motivation, d’une contradiction de motifs ou d’une erreur de motivation en rappelant, au point 73 de cet arrêt, que les entreprises bénéficiant pleinement du régime d’aides litigieux devaient également supporter une partie des pertes occasionnées par la pandémie, le point 87, sous c), de l’encadrement temporaire limitant l’aide à 70 % des coûts fixes non couverts, ce montant pouvant être porté à 90 % pour les micro- et petites entreprises. En particulier, un tel rappel ne peut être interprété comme excluant que la situation d’entreprises « multicanaux » telles que la requérante ait pu se trouver détériorée du fait de la pandémie.

68 En troisième lieu, l’argumentation de la requérante dirigée contre les motifs par lesquels le Tribunal a examiné la proportionnalité stricto sensu du critère d’éligibilité du régime d’aides litigieux repose, là encore, sur la prémisse erronée, pour les motifs énoncés aux points 50 à 54 du présent arrêt, selon laquelle l’objectif poursuivi par la mesure n’était pas d’assurer la viabilité des entreprises affectées par la pandémie de COVID-19, mais, plus largement, de maintenir l’activité dans les secteurs directement affectés par cette dernière. Par suite, cette argumentation ne saurait prospérer.

69 Par ailleurs, outre le fait que le Tribunal n’a pas omis de répondre à l’argumentation de la requérante tirée du désavantage concurrentiel qu’elle aurait subi du fait du régime d’aides litigieux, comme en témoignent les points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, il n’y avait, en tout état de cause, pas lieu, pour les motifs indiqués aux points 32 à 35 du présent arrêt, de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques et des effets négatifs de l’aide sur les échanges, s’agissant d’une mesure prise sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

70 Le Tribunal n’a pas non plus commis d’erreur de droit en prenant en compte l’ampleur des conséquences budgétaires, pour la République fédérale d’Allemagne, de la mise en œuvre d’une aide fondée sur le critère alternatif envisagé par la requérante, au sujet duquel il a relevé, au point 67 de l’arrêt attaqué, qu’il aboutirait à octroyer des ressources publiques à toutes les entreprises dont l’activité a été affectée par la pandémie, indépendamment de leur situation financière globale. À cet égard, il convient en particulier de préciser que, contrairement à ce que soutient la requérante, ces motifs, que le Tribunal a rattachés à l’examen de la nécessité du critère d’éligibilité en cause et non à celui de sa proportionnalité stricto sensu, ne reflètent que l’un des éléments parmi d’autres pris en compte par le Tribunal pour apprécier le respect de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

71 Enfin, il ne saurait être reproché au Tribunal de n’avoir pas examiné la proportionnalité du critère d’éligibilité en cause sur le fondement de l’article 5, paragraphe 4, TUE, un tel examen se confondant, en tout état de cause, avec le contrôle de proportionnalité exercé par ce dernier sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

72 Il résulte de tout ce qui précède que le troisième moyen doit être écarté et, partant, que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

73 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

74 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

75 La Commission et la République fédérale d’Allemagne ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et par la République fédérale d’Allemagne.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) E. Breuninger GmbH & Co. supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et la République fédérale d’Allemagne.