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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 27 septembre 2024, n° 21/14635

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Corak (Sasu)

Défendeur :

Invue Security Products BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Ohana, Me d'Alverny

T. com. Meaux, du 22 juin 2021, n° 20190…

22 juin 2021

1. La société Invue Bv, établie aux Pays-Bas et filiale du groupe international Invue, est spécialisée dans la fabrication, la production et la commercialisation de solutions de présentation et de sécurité pour la vente, mettant en valeur et protégeant les dernières innovations de grandes marques.

2. Détenant en France un fonds de commerce pour la distribution de ses produits, la société Invue a convenu le 30 octobre 2012 avec la société Corak un contrat de cession de son fonds commerce comprenant les produits de sa marque ('ligne de sécurité des produits d'affichage y compris PODS Invue, une ligne de fixation de produits sécurisée, un système YBUY affichage numérique et un Cabinet Lock'). Cette cession a été convenue au prix de un euro et l'entrée en jouissance du fonds a été fixée au 31 octobre 2012.

3. Les parties ont convenu dans le même temps un contrat de distribution par lequel à l'article 3, la société Invue concédait pour la durée de deux ans (article 10) le droit, non exclusif, pour la société Corak de vendre les produits de la marque sur la France métropolitaine désignés en annexe A du contrat ('les lignes de sécurité des produits d'affichage, y compris les PODS INVUE ; (ii) les lignes de fixation de produits sécurisées ; (iii) les systèmes YBUY affichage numérique').

4. Le contrat stipulait ainsi à l'article 7 d'une clause de non-concurrence :

'Le Distributeur s'engage à ne commercialiser aucun produit concurrent des produits listés en Annexe.'

5. Il prévoyait d'autre part, la faculté pour la société Coreak de vendre d'autres produits stipulée à l'article 3 :

'Le Distributeur reconnaît que INVUE peut nommer d'autres distributeurs et agents commerciaux pour la commercialisation (a) des Produits listés en Annexe A sur le Territoire, (b) d'autres produits que ceux listés en Annexe A sur le Territoire et (c) INVUE peut vendre elle-même les Produits listés en Annexe A aux clients sur le Territoire'.

6. La clause de non exclusivité était énoncée à l'article 8 dans les termes suivant :

'InVue accorde par la présente au Distributeur le droit non exclusif sur le Territoire d'utiliser les Marques dans la promotion, la publicité et la vente des Produits de l'Annexe A conformément aux termes et pour la durée de cet accord. Toutefois, cette utilisation bénéficiera à InVue et aucun droit sur une marque commerciale ne sera conféré au distributeur du fait de cette utilisation.'

7. Le contrat stipulait en outre l'engagement de payer les factures de la société Invue suivant des conditions tarifaires et de paiement précisées à l'article 7 (a) (3) stipulant en particulier un taux d'intérêt de 1,5% par mois passé le délai de 30 jours.

8. Enfin au termes de l'article 17, le contrat stipulait être soumis au droit de l'Etat de l'Ohio (Etats-Unis d'Amérique).

* *

9. A l'expiration du terme du contrat de distribution le 30 octobre 2014, les parties sont entrées en négociation pour son renouvellement et bien qu'elles n'aient pas signé de nouveau contrat, leur relation commerciale s'est poursuivie.

10. Après que la société Invue a consenti à la société Corak en juillet 2018 (pièce 28) des délais de paiement sur la fourniture de ses produits facturés 675.624,02 euros, la société Corak n'a acquitté que la somme de 50.000 euros elle lui a dénoncé, par lettre du 7 septembre 2018, d'une part, la résiliation du contrat pour non-paiement de factures pour la somme de 631.380,33 euros, et d'autre part, la violation de l'obligation de non-concurrence stipulée à l'article 7 du contrat distribution en raison de la vente de produits concurrents à ceux de l'annexe A du contrat.

11. Aux termes de courriels en réponse des 29 novembre et 31 juillet 2018 (pièces 14 et 15 corak), la société Corak a dénoncé à la société Invue la rupture brutale et injustifiée des relations commerciales, la spoliation de sa clientèle par la société Invue et son nouveau distributeur, l'utilisation d'informations confidentielles sur la tarification des produits consenti à la société Corak, la vente de produits concurrents à ceux de la société Invue par le nouveau distributeur délié de cette interdiction ainsi que le dénigrement par la société Invue des clients de la société Corak. Puis

12. Ayant vainement mis en demeure la société Corak, le 13 décembre 2018, de régler le solde des factures impayées, la société Invue l'a assignée le 26 février 2019 devant le tribunal de commerce de Meaux pour réclamer sa condamnation au paiement de la somme de 650.454,78 euros au titre des factures et pénalités ainsi qu'au paiement de dommages et intérêts de 142.680 euros au titre de la violation de la clause de non-concurrence et 10.000 euros en réparation de son préjudice moral.

13. La société Corak a d'une part, réclamé la condamnation de la société Invue à lui rembourser la somme de 146.801,65 euros représentant des intérêts indus. Elle s'est d'autre part opposée aux demandes en reprochant à la société Invue ses fautes dans les retards de livraison de ses produits, dans la fourniture de produits à l'obsolescence programmée, empêchant la société Corak d'écouler son stock, et en lui imputant des pratiques déloyales de dénigrement et de détournements de sa clientèle. Enfin, la société Corak a reproché à la société Invue la rupture brutale de leur relation commerciale établie. Elle a ainsi demandé la condamnation de la société Invue à lui payer les dommages et intérêts de 500.000 euros au titre des actes de concurrence déloyale, 1.777.545 euros sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ainsi que deux sommes de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral. Enfin, la société Corak a demandé d'ordonner à la société Invue la reprise de son stock de marchandises à sa valeur marchande de 126.960 euros et d'ordonner la publication du jugement à intervenir.

14. Par jugement du 22 juin 2021, le tribunal de commerce de Meaux a :

- reçu la société Invue en ses demandes, les a dites en partie bien fondées,

- reçu la société Invue en son exception d'incompétence matérielle du tribunal de commerce de Meaux au profit du tribunal de commerce de Paris, au fond l'a dite bien fondée,

- dit irrecevables les demandes pécuniaires de la société Corak formées sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce et la demande de publication de la décision,

- renvoyé la société Corak à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce de Paris concernant ces demandes,

- reçu la société Corak en ses autres demandes et au fond les a dites mal fondées,

- condamné la société Corak à payer à la société Invue les sommes de :

486.681,54 euros au titre du montant en principal des factures non contestées, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2018, date de la mise en demeure,

41.415,09 euros au titre des intérêts de retard calculés sur des factures antérieures aux factures litigieuses, et dont le montant en principal a été réglé,

102.491,39 euros au titre des intérêts de retard dû au titre des factures litigieuses impayées,

16.066,76 euros au titre des intérêts de retard calculés sur les factures d'intérêts demeurées impayées, autorisé en droit de l'Ohio,

3.800 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement,

- condamné la société Corak à payer à la société Invue la somme de 142.680 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la société Corak à payer à la société Invue la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision sans caution,

- condamné la société Corak en tous les dépens.

* *

15. Par ailleurs, selon un jugement du 6 septembre 2021, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire contre la société Corak et désigné la société Garnier Guillouet en qualité de mandataire judiciaire ainsi que la société Ajilink-Labis-[Y] en qualité d'administrateur judiciaire. Puis le 16 mai 2022, la juridiction commerciale a arrêté un plan de redressement pour la durée de 10 ans et nommé la société Ajilink-Labis-[Y] et M. [U] [Y] en qualité commissaire à l'exécution du plan.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS EN APPEL :

16. Vu l'appel du jugement du 22 juin 2021 par la société Corak enregistré le 27 juillet 2021 ;

17. Vu l'arrêt de la cour avant dire droit du 2 juin 2023 par lequel il est :

- ordonné la réouverture des débats,

- révoqué l'ordonnance de clôture,

- invité les parties à produire de manière contradictoire une traduction du contrat de distribution litigieux réalisée par un traducteur assermenté,

- invité la société Invue à répondre aux conclusions de la société Corak (page 21) invoquant l'application du règlement CE n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II),

- invité la société Corak à développer sa démonstration en précisant notamment, pour l'espèce, les conditions dans lesquelles l'application du règlement Rome I ou Rome II est applicable au litige, et ses conséquences,

- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état du 16 novembre 2024;

* *

18. Vu les dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 10 novembre 2023 pour la société Corak, la société Ajilink Labis [Y], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de Corak et la société Garnier Guillouet, en qualité de mandataire judiciaire de Corak par lesquels elles demandent, en application des dispositions de droit de l'Etat de l'Ohio (USA), des dispositions du règlement Rome II, des articles 1215, 1240 et 1231-1 du code civil et L. 442-6, alinéa 5, du code de commerce :

- réformer le jugement,

- dire qu'il n'y a pas eu de reconduction tacite du contrat de distribution du 30 octobre 2012,

- dire que la société Corak n'a pas manqué à son obligation de non-concurrence,

- dire que la société Invue a engagé sa responsabilité du fait des retards de livraison et de l'obsolescence programmée de ses produits, empêchant la société Corak d'écouler son stock,

- dire que la Société Invue s'est livrée à une pratique déloyale en dénigrant la société Corak auprès de ses clients,

- dire que la société Invue a utilisé des données économiques relatives à la société Corak pour détourner la clientèle de cette dernière,

- débouter la société Invue de sa demande au titre des dommages et intérêts pour violation de la clause de non concurrence,

- débouter la société Invue de sa demande au titre du solde des intérêts réclamés,

- débouter la société Invue de sa demande au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamner la société Invue à payer la somme de 500.000 euros, au titre des dommages et intérêts du fait du dénigrement et du détournement abusif de clientèle,

- condamner la société Invue à rembourser la somme de 146.801,65 euros, au titre des intérêts indûment perçus,

- condamner la société Invue à payer la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral, par suite des pratiques déloyales visant à détourner la clientèle,

- condamner la société Invue à procéder à la reprise du stock de marchandises Invue détenu par la société Corak dans son intégralité et à sa valeur marchande,

- condamner la société Invue à payer la somme de 126.960 euros au titre du stock repris,

- ordonner la publication de la présente décision dans la presse spécialisée en commerce de détail en réparation du dénigrement organisé par la Société Invue,

en tout état de cause,

- condamner la société Invue à la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et la condamner aux entiers dépens ;

19. Vu les dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 11 septembre 2023 pour la société Invue Security Products BV par lesquelles elles demandent à la cour, en application des articles 564 du code de procédure civile, les dispositions de droit de l'Eta de l'Ohio, et les articles 1103 et 1104 du code civil :

- constater que les termes et conditions du contrat ont continué de régir les relations entre les parties jusqu'à la résiliation de leurs relations le 17 septembre 2018,

- constater que le montant total des factures non contestées demeurées impayées par la société Corak s'élève à la somme 486.681,54 euros en principal,

- constater que le non-respect par la société Corak de l'échéancier de paiement convenu rend l'ensemble des sommes dues au titre des factures litigieuses immédiatement exigibles,

- constater que la demande de reprise de stock n'est pas justifiée,

- constater que la demande d'indemnisation à hauteur de 10.000 euros est irrecevable car nouvelle en cause d'appel et en tout état de cause infondée dans son principe et dans son quantum,

- constater que le contrat prévoit des pénalités contractuelles de retard au taux annuel de 18 %, dont l'application n'a jamais été contestée par la société Corak avant la présente instance, laquelle a au contraire dument payé une partie des factures de pénalités qui lui ont été adressées sans aucune réserve,

- constater que la société Corak a manqué à son obligation de non-concurrence et que cette violation de la clause de non-concurrence a causé un préjudice à Invue,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Corak à verser le montant en principal des factures litigieuses et des intérêts de retard contractuels et 'condamner Invue' (sic la cour comprend la société Corak) à payer la somme totale de 867.670,38 euros, correspondant au montant dû en principal, aux intérêts de retards arrêtés au 6 septembre 2021 et aux frais de recouvrement, et fixer cette créance au passif de la société Corak,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Corak à verser la somme de 142.680 euros à titre de dommages intérêts, en réparation du préjudice subi par suite de la violation de la clause de non-concurrence et fixer cette créance au passif de la société Corak,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Invue de sa demande d'indemnisation du préjudice moral subi par suite de la violation de la clause de non-concurrence,

- condamner la société Corak à verser la somme de 10.000 euros et fixer cette créance au passif de la société Corak,

- débouter la la société Corak de l'intégralité de ses demandes,

en tout état de cause,

- condamner la société Corak à verser la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et la condamner aux entiers dépens et fixer la créance au passif de la société Corak.

SUR CE, LA COUR,

I. Sur la violation de la clause de non-concurrence par la société Corak

- d'après la loi applicable

20. Aux termes de leurs écritures, les parties s'opposent d'abord sur la loi applicable pour l'appréciation des conditions de reconduction tacite du contrat de distribution et du maintien de la clause d'exclusivité dont les premiers juges ont reconnu le bien fondé en application de l'article 1215 du code civil régissant depuis le 1er octobre 2016 les conditions de renouvellement des contrats à durée déterminée, lequel dispose que :

Lorsqu'à l'expiration du terme d'un contrat conclu à durée déterminée, les contractants continuent d'en exécuter les obligations, il y a tacite reconduction. Celle-ci produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat.

21. La société Invue soutient que la tacite reconduction du contrat doit être appréciée suivant la loi de l'Etat de l'Ohio dont l'application est prévue par le contrat du 30 octobre 2012 et suivant les prescriptions du règlement (CE) No 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ('Rome I') disposant, d'une part à son article 3, paragraphe 1, sur 'la liberté de choix' disposant que :

Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.

22. D'autre part suivant la prescription de son article 10, paragraphe 1, relatif au 'Consentement et validité au fond' selon lequel :

L'existence et la validité du contrat ou d'une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu du présent règlement si le contrat ou la disposition étaient valables.

23. Néanmoins, le paragraphe 2 de cet article 10 dispose que :

Toutefois, pour établir qu'elle n'a pas consenti, une partie peut se référer à la loi du pays dans lequel elle a sa résidence habituelle s'il résulte des circonstances qu'il ne serait pas raisonnable de déterminer l'effet du comportement de cette partie d'après la loi prévue au paragraphe 1.

24. Alors que la société Corak oppose le fait qu'elle s'est abstenue à deux reprises de signer un nouveau contrat de distribution que lui avait soumis la société Invue en 2014 et le 18 décembre 2017, que la société Invue a violé sa propre obligation de non concurrence pour la distribution de ses produits, tout en objectant encore que la société Invue n'a pas consenti d'obligation réciproque avec l'exclusivité à laquelle la société Corak était tenue, il se déduit de ces comportements et de ces griefs dans la poursuite de la relation commerciale après l'expiration du contrat qu'il n'est pas raisonnable de déterminer le comportement des parties d'après la loi de l'Etat de l'Ohio.

25. Et tandis qu'aux termes de ses conclusions, la société Invue acquiesce subsidiairement à l'application du droit national, il convient de rechercher les conditions dans lesquelles le contrat de distribution à pu être tacitement reconduit entre les parties, non d'après l'article 1215 précité qui est entré en vigueur après le contrat passé le 30 octobre 2012 à la lumière duquel doit être appréciée la nature des obligations en litige, mais d'après la jurisprudence antérieure au 1er octobre 2016 qui subordonne la preuve la poursuite des contrats à durée déterminée à la démonstration de la commune intention non équivoque des cocontractants de renouveler le contrat.

- d'après les conditions de la poursuite des relations de distribution après le terme du contrat de distribution du 30 octobre 2012

26. Pour contester être tenue au respect de la clause de non-concurrence stipulée à l'article 7 du contrat de distribution du 30 octobre 2012 précité au point 4 ci-dessus, la société Corak soutient, en premier lieu, que cette clause n'a pu être tacitement reconduite entre les parties, alors que le contrat stipulait à son article 10, selon la traduction assermentée requise par la cour, que :

'A moins qu'il n'y ait été mis fin selon les termes ci-dessous, le présent contrat aura une durée de deux (2) ans à partir de ce jour et sera ensuite reconduit par accord écrit mutuellement accepté par les deux parties.'

27. La société Corak relève encore qu'elle s'est abstenue à deux reprises de signer un nouveau contrat de distribution que lui avait soumis la société Invue en 2014 et le 18 décembre 2017, et prétend enfin que la société Invue ne pouvait exiger la poursuite du respect d'une exclusivité dans la vente de ses produits, alors qu'elle n'a elle-même pas consenti d'obligation réciproque à la clause de non concurrence.

28. En deuxième lieu, la société Corak oppose à la société Invue ses propres violations à son obligation d'exclusivité de distribution qu'elle prétend déduire de ses pièces numéros 21 à 27 qui rapportent notamment des relations nouées entre la société Inov Shop, distributeur concurrent en France, et la société chinoise Hangzhou Langhong Technologie fournisseur de produits établi en Chine.

29. Enfin, la société Corak conteste le préjudice qui serait résulté de la violation de la clause, alors que les produits bas de gamme qu'elle a revendus n'entraient pas en concurrence avec ceux haut de gamme fournis par la société Invue.

30. Au demeurant, ni la stipulation de l'article 10 précité, ni le silence de la société Corak aux offres de signature des projets de contrats ne permettent de déduire la preuve de sa renonciation à poursuivre celui-ci.

31. D'autre part, il est constant qu'après le 30 octobre 2014 jusqu'au 31 août 2018 lorsque la société Invue a dénoncé la distribution de produits concurrents aux siens, la société Corak a poursuivi ses commandes de fourniture des mêmes produits de la liste A du contrat sous les mêmes conditions tarifaires, de garanties, de facturation et d'application des pénalités, les parties s'étant accordées par courriel du 18 juin 2016 sur une réduction des prix de 5 % sur les produits ainsi que sur un nouveau taux annuel des intérêts de retard progressif de 4 % pour les retards de moins de 30 jours,12 % pour les retards entre 31 et 60 jours et 18 % pour les retards de plus de 60 jours, intérêts que la société Corak a payé à compter du 30 juin 2016, la preuve est établie de la volonté non équivoque des parties de poursuivre leur relation commerciale dans des conditions identiques à celles stipulées au contrat, et en particulier dans leurs obligations réciproques de distribution exclusive en France des produits de la liste A.

32. Par ailleurs, il ne peut se déduire de la liste des produits que la société Inov Shop, distributeur concurrent en France, a commandés le 17 juillet 2018 à la société chinoise Hangzhou Langhong Technologie, la preuve d'un manquement de la société Invue, établie aux Pays-Bas, à son obligation de police de la concurrence en France par des sociétés tierces sur d'autres produits que les siens moins d'un mois, avant qu'elle ne découvre et ne dénonce le 31 août 2018 l'étendue des commandes que la société Corak a passées avec le même fournisseur chinois ainsi que cette dernière l'a reconnu dans son courriel du 18 octobre 2018 indiquant à la société Invue :

'A la fin de l'année 2017, nous avons décidé de proposer des produits low costs pour améliorer les ventes avec les clients.

Notre objectif était de défier SAAA (*) pour certains détaillants qui ont différents types de magasins : grands magasins : INVUE, petits magasins : solutions low cost. Le résultat a été positif et nous avons récupéré des parts de marché.

A la suite de cette opération, 80% des ventes ont été conclues avec INVUE et 20% avec d'autres'.

33. Alors enfin l'état des seules affirmations de la société Corak, il ne peut se déduire la preuve que les produits d'origine chinoise ne sont pas substituables à ceux de la liste A pour la distribution desquels elle était tenue à ne pas en concurrencer la revente, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le manquement de la société Corak à son obligation de non concurrence.

- sur la réparation du préjudice

34. Pour contester la somme de 142.680 euros de dommages et intérêts pour la réparation de la violation de la clause de non concurrence que le jugement a retenu d'après l'application de la perte de marge (47,5 %) rapportée à la baisse des commandes de décembre 2017 à août 2018 (340.498 euros), la société Corak soutient que la vente de produits concurrents depuis plusieurs années, et significative à compter de janvier 2018, n'est pas de nature a établir la preuve du préjudice de la société Invue.

35. Et pour déduire que la société Invue est seule à l'origine de la perte de son chiffre d'affaires, la société Corak met aux débats deux tableaux (pièces 38 et 38 bis) de données comptables établissant qu'entre les périodes du 1er janvier au 15 septembre 2017, et du 1er janvier au 15 septembre 2018, ses commandes de produits à la société Invue n'ont baissées que de 7 %, ceci, alors que sur la période du 1er janvier au 15 septembre 2018, la société Invue n'a fourni que 30% des commandes.

36. Toutefois, cette extraction de données comptables ne correspond pas à la période des commandes passées en violation de la clause de non concurrence et tandis que la société Corak ne produit pas de données sur la valeur de la revente des produits concurrents sur la période du préjudice opposée par la société Invue, la cour confirmera le calcul du préjudice proposé par la société Invue et adopté par les premiers juges.

37. Par ailleurs, la société Invue n'établit pas la preuve d'un préjudice moral distinct de celui réparé par l'équivalente de la perte de marge confirmée par la cour, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté le surplus cette demande de ce chef.

II. Sur le bien fondé des factures du fournisseur et l'application des pénalités

38. Pour entendre infirmer le jugement qui l'a condamnée à payer à la société Invue le prix des produits livrés ainsi que les pénalités de retard et conclure au bien fondé, par compensation, de sa demande de restitution du stock des produits à leur valeur marchande qu'elle a estimée à 126.960 euros, la société Corak oppose les fautes par lesquelles la société Invue lui a, en premier lieu, imposé la détention d'un stock de 2000 produits dans un courriel du 23 mai 2016 et dont l'écoulement était coûteux en raison de leur obsolescence programmée à 12 mois.

39. Cependant, la seule désignation de trois produits en cause dans trois courriels en mars 2016 ainsi que les doléances en juin 2017 de la société Orange cliente que la société Corak produit ne permettent pas d'étayer la preuve que les conditions de stockage, dont la gestion ressortissait à la seule initiative de la société Corak, était fautive, et dont par ailleurs aucun volume n'était chiffré dans le contrat de distribution.

40. En deuxième lieu, la société Corak reproche à la société Invue son ingérence dans la gestion de ses ventes lorsqu'elle lui a réclamé le 11 septembre 2015 des informations sur ses prix de vente et soutient encore lui avoir imposé un taux de marge de 28 % maximum.

41. Néanmoins, la première information n'est par elle-même pas prohibée dans les relations de distribution et tandis que la seconde n'est étayée d'aucun justificatif, le moyen sera aussi écarté et la demande de la société Corak en restitution du stock pour la valeur de 126.960 euros rejetée.

42.En troisième lieu, la société Corak fait grief à la société Invue ses retards dans la livraison des produits, mettant aux débats une demande de la société Invue du 29 mai 2013 de fournir des commandes complètes, une liste de demandes de commandes non livrées du 28 août 2018 au 17 avril 2019 pour 2.497 euros et les doléances de sson client Darty pour des fournitures de produits le 10 juillet 2017 et me 9 novembre 2018.

43. Toutefois, ces doléances ponctuelles et anecdotiques dans les volumes ou les montants de produits sur près de six ans de relation commerciale ne sont pas davantage de nature à caractériser une faute du fournisseur.

* *

44. Enfin, pour contester la société Invue dans le montant de sa créance qu'elle a actualisée à la somme de 867.670,38 euros, correspondant au montant dû en principal et intérêts de retards arrêtés au 6 septembre 2021, et réclamer le remboursement de la somme de 146.801,65 euros de pénalités, la société Corak conteste d'abord devoir ces pénalités dont elle soutient qu'elles ne sont pas applicables en raison de l'expiration du contrat du 30 octobre 2012 et qu'en toute hypothèse, elle ne les a pas approuvées et a accepté de les payer seulement en raison des menaces de de la société Invue de ne plus livrer.

45. Au demeurant suivant les motifs aux points 20 à 25 ci-dessus par lesqueles la cour retient que le contrat est tacitement reconduit entre les parties, et tandis que les pénalités sont indissociables dans une relation de distribution des accords des parties sur les prix et l'obligation de non concurrence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'exigibilité de ces pénalités.

46. En suite, la société Corak affirme qu'elle ne tient pas compte des saisies attributions qui ont été pratiquées.

47. Sous le bénéfice de cette seule observation, la cour fixera la créance de la société Invue au passif de la société Corak sous la réserve des justificatifs des paiements intervenus depuis le jugement déféré.

III. Sur les comportements déloyaux du fournisseur

48. La société Corak entend voir infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation de la société Invue à payer la somme de 500.000 euros de dommages et intérêts résultant des faits de dénigrement auprès de sa clientèle et du détournement abusif de sa clientèle.

49. Cependant, à l'exception de considérations sur la perte de marchés qu'elle détenait avec les clients Darty et Fnac et qu'elle prétend imputer à la société Invue dans des termes généraux dont la cour ne peut pas contrôler la portée, la société Corak se limite, pour étayer son grief de dénigrement à mettre dans les débats deux courriels de M. [B], rattaché à la société Groupe Sedadi client de la société Corak, le premier, daté du 1er novembre 2018 dans lequel il indique que :

'Suite à nos échanges, j'ai eu la société INVUE au téléphone qui nous explique que c'est votre direction qui n'a pas respecté le contrat entre vos sociétés'.

50. Le second, du 28 octobre 2021, dans lequel le même M. [B] indique

'On a eu un meeting avec inovshop ce matin au sujet des caméras de comptage. Évidemment, ils ont essayé de nous lancer sur Invue pour la sécurisation en nous expliquant que, je cite, 'Corak ils sont en train de fermer, ils vous refilent leurs fins de stock. Rassure-moi, tout va bien ''

51. Néanmoins, ces indications n'identifient pas précisément le contexte public dans lequel ces propos auraient été tenus, et tandis au surplus que les propos ne sont en eux-mêmes pas non plus précis, leur nature dénigrante n'est pas caractérisée et le jugement sera confirmé en ce qui ne les ont pas retenus au détriment de la société Invue.

52. Enfin, la société Corak reproche à la société Invue le détournement de ses données économiques et de sa clientèle en violation de l'article 2.1 de l'acte de cession de fonds de commerce du 30 octobre 2012 concernant les éléments incorporels cédés stipulant que :

'La clientèle et l'achalandage attachés au Fond de Commerce, avec le droit de se dire successeur de InVue à l'égard des clients ou prospects attachés au Fond de Commerce cédé sur le territoire français.'

53. Elle se prévaut ainsi du courriel par lequel la société Invue lui a réclamé, le 27 novembre 2017, la communication d'informations sur les clients français.

54. Cependant, ainsi que le rappelle la société Invue, les actes de cession du fonds de commerce sont indissociables des obligations convenues concomitamment entre les parties au contrat de distribution et stipulant à son article 8, tel que cité au point 6 ci-dessus, que la société Corak était distributeur non exclusif en France des produits listés à l'annexe A du contrat, de sorte que pour l'ensemble de ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Corak de sa demande de dommages et intérêts.

IV. Sur la publication de la décision, les dépens et les frais irrépétibles

55. La société Corak succombant à l'action y compris en cause d'appel, la demande de publication de la décision sera écartée à l'instar de la décision des premiers juges.

56. Pour le même motif, le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis à la charge de la société Corak les dépens et l'indemnité de 5.000 euros prise en application de l'article 700 du code de procédure civile. Statuant de ces chefs en cause d'appel, la cour mettra au passif de la société Corak les dépens de l'appel ainsi qu'une indemnité de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf en ce qu'il ordonne la condamnation de la société Corak au paiement ;

Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant en cause Y ajoutant,

FIXE la créance de la société Invue Bv au passif de la société Corak aux sommes suivantes :

- 867.670,38 euros au titre des factures et intérêts de retard outre l'indemnité forfaitaire de recouvrement, sous réserve de justificatifs de paiement intervenus depuis le 22 juin 2021,

- 142.680 euros à titre de dommages et intérêts,

- 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les dépens de première instance et d'appel ;

DÉBOUTE la société Corak du surplus de ses demandes.