CA Versailles, ch. civ. 1-4 construction, 30 septembre 2024, n° 23/04795
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kingspan Light Air (SASU)
Défendeur :
Axa France Iard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Trouiller
Conseillers :
Mme Romi, Mme Moulin-Zys
Avocats :
Me Teriitehau, Me Chamard-Sablier, Me Debray, Me Rodas
FAITS ET PROCÉDURE
La Société Kluster a, en qualité de maître d'ouvrage, fait procéder à la construction d'un ensemble immobilier comprenant un parking et un bâtiment, dédié à l'école [5] (91).
Les travaux de construction de ce bâtiment ont été confiés à la société Bouygues bâtiment Île- de-France qui a sous-traité la fourniture et la pose des verrières à la société Mtechbuild.
Dans le cadre de ces travaux, les ouvrants avec vérins ont été fournis par la société Colt France à laquelle ont par ailleurs été sous-traités « le déchargement du camion sur le site, le contrôle de la marchandise réceptionnée et les moyens de manutention et matériels d'élévation du personnel ».
La déclaration d'ouverture de chantier est datée du 2 novembre 2015, et les travaux ont été réceptionnés le 1er juin 2017.
Le 12 novembre 2018, une déclaration de sinistre a été notifiée à la société Allianz Iard, assureur dommages-ouvrage, portant sur le désordre suivant : « les vérins des ouvrants de désenfumage présentent des fuites d'huile, compromettant le bon fonctionnement des ouvrants et présentant un risque pour la sécurité des personnes ».
Le cabinet Equad construction, diligenté par la société Allianz Iard a établi un rapport d'expertise amiable préliminaire le 4 janvier 2019.
La société Allianz Iard a, dans le cadre de la convention « CRAC », notifié le 21 avril 2020 son recours à la société AXA France Iard, en sa qualité d'assureur de la société Mtechbuild, pour obtenir paiement de la somme de 121 829 euros.
La société AXA France Iard a procédé, le 28 juillet 2020, au virement de la somme de 110 806,22 euros entre les mains de la société Allianz Iard.
Par courrier du 23 août 2020, la société AXA France Iard a sollicité le remboursement de la somme de 121 829 euros par la société Colt France sur le fondement de la garantie des vices cachés prévue par l'article 1641 du code civil.
Le même jour, par courrier recommandé, la société AXA France Iard a mis en demeure la société Colt France de régler cette somme.
Par acte d'huissier du 15 septembre 2021, la société AXA France Iard a assigné la société Colt France devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 110 806,22 euros en raison de la subrogation intervenue.
La radiation de la société Colt France a été prononcée le 5 janvier 2022 par suite de la transmission universelle de son patrimoine à la société Kingspan light air avec effet au 1er janvier 2022.
Par une ordonnance contradictoire du 19 mai 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Pontoise a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Kingspan light air
- réservé les demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile,
- renvoyé à l'audience de mise en état du 21 septembre 2023 avec injonction de conclure au fond pour la société Kingspan light air.
Le juge a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Kingspan light air pour forclusion de l'action en retenant que la société AXA France Iard ne pouvait agir en garantie contre le fabricant en exerçant son action récursoire avant d'avoir indemnisé la société Allianz Iard et ne pouvait donc pas être considérée comme inactive. Le juge a ainsi retenu que l'action engagée par la société AXA France Iard à l'encontre de la société Colt France par l'assignation du 15 septembre 2021 était intervenue dans le délai de deux ans prescrit par l'article 1648 du code civil.
Par déclaration du 11 juillet 2023, la société Kingspan light air a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 1er mars 2024, la société Kingspan light air demande à la cour de réformer l'ordonnance et de :
- débouter la société AXA France Iard de sa demande incidente visant à voir infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a considéré que son action était une action en garantie des vices cachés,
- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a reconnu que : « le présent litige portant sur une défaillance des vérins, objet de la vente, l'action en vices cachés ouverte à la société AXA France Iard et soumise aux dispositions de l'article 1648 du code civil exclut donc l'application de la responsabilité de droit commun et la prescription applicable à une telle action »,
- la confirmer en ce qu'elle a reconnu que l'action engagée par la société AXA France Iard pouvait uniquement être exercée sur le fondement de la garantie des vices cachés,
- prononcer l'irrecevabilité des demandes formées par la société AXA France Iard à l'encontre de la société Colt France, aux droits de laquelle elle se trouve désormais, du fait de la prescription de son action,
- débouter en conséquence la société AXA France Iard de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être directement recouvrés par Me Chamard-Sablier, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Elle soutient que le régime juridique applicable pour un défaut du matériel est le contrat de vente et que le régime juridique applicable aux dommages est celui de la garantie des vices cachés dont la prescription est biennale et non la responsabilité contractuelle des prestations de service.
Elle soutient également que l'action a été engagée plus deux ans après la découverte du vice et qu'elle est donc irrecevable en application de l'article 1648 du code civil.
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 19 janvier 2024, la société AXA France Iard demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a décidé que le contrat liant la société Kingspan light air à la société Mtechbuild était un contrat de vente et non pas un contrat d'entreprise dont la vente de matériel n'était que l'un des volets,
- de déclarer que la prescription de 5 ans édictée par l'article 2224 du code civil est applicable à son action diligentée sur le fondement, à titre principal, de l'article 1231-1 du code civil et de déclarer cette action recevable car non prescrite,
- en tout état de cause, de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré l'action de la concluante non prescrite et écarté la fin de non-recevoir invoquée par la société Kingspan light air, laquelle sera déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- de déclarer recevable son action récursoire, le point de départ de son action récursoire étant constitué par le paiement de la concluante, ainsi que l'a jugé l'ordonnance, ou à défaut et en tout état de cause par le recours qui lui a été présenté par l'assureur dommages-ouvrage le 21 avril 2020, et subsidiairement par le dépôt du rapport définitif de l'expert dommages-ouvrage en date du 24 décembre 2019, l'action diligentée à son encontre suivant exploit du 15 septembre 2021 n'étant pas prescrite,
- de déclarer en tout état de cause non prescrite son action s'il est fait application de la garantie des vices cachés, le délai butoir de cette action (20 ans) relevant des dispositions de l'article 2232 du code civil,
- de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré non prescrite son action et débouter la société Kingspan light air de l'ensemble de ses demandes,
- de la condamner à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens, dont distraction au profit de Me Debray, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient que le fournisseur ayant fait un calcul des besoins de son client c'est bien un contrat de sous-traitance et non de vente.
Elle ajoute que si l'action en garantie des vices cachés était retenue, le délai de l'action récursoire a commencé à courir à compter du paiement qu'elle a effectué comme l'a retenu le juge de la mise en état ou tout du moins, à compter de la demande en paiement de l'assureur dommages-ouvrage.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'affaire a été appelée à l'audience du 3 juin 2024 et mise en délibéré au 30 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le régime juridique applicable à l'action engagée par la société AXA France Iard
La société AXA France Iard soutient qu'elle exerce, à titre principal, son action sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun et que le délai de prescription biennal de l'article 1648 du code civil ne lui est donc pas applicable. A titre subsidiaire, elle entend exercer son action sur le fondement de la garantie des vices cachés.
En effet, selon elle, son action est fondée sur le contrat de sous-traitance conclu entre les sociétés Mtechbuild et Colt France, aux droits de laquelle vient la société Kingspan light air, et non sur un contrat de vente.
La société Kingspan light air fait valoir qu'elle est recherchée en sa qualité de fournisseur des vérins litigieux et que la nature des dommages implique que seul l'article 1648 du code civil est applicable.
Il ressort de leurs relations contractuelles, à la lecture des pièces versées aux dossiers, que la société Mtechbuild a accepté un devis de la société Colt France daté du 13 juin 2016 portant sur la fourniture de châssis de désenfumage et de ventilation de type Firelight 3, la fourniture et la pose de l'asservissement électrique.
Il est indiqué de façon manuscrite sur le devis « contrat de sous-traitance à venir ».
Par suite, un contrat de sous-traitance a été signé le 3 octobre 2016 entre les mêmes parties pour « le déchargement du camion sur le site, le contrôle de la marchandise réceptionnée et les moyens de manutention et matériels d'élévation du personnel ».
Comme l'a relevé le juge de la mise en état, il n'y a cependant aucune indivisibilité entre les obligations mises à la charge des parties dans ces deux contrats.
En outre, comme le souligne la société Kingspan light air, le fait que le matériel fourni par la société Colt France corresponde aux besoins exprimés par la société Mtechbuild n'est pas de nature à caractériser une relation de sous-traitance, le fournisseur étant tenu à une obligation de renseignement et de conseil consistant à s'assurer de l'adaptation technique du produit aux besoins de son donneur d'ordres.
Selon l'expert du cabinet Equad construction, sur lequel se fonde la compagnie Axa France Iard et dont les conclusions ne sont pas contestées par la société Kingspan light air, ce sont les vérins vendus qui sont défaillants. Ce ne sont donc pas pour les prestations qui ont fait l'objet du contrat de sous-traitance du 3 octobre 2016 que la société Colt France a été mise en cause mais bien en sa qualité de fournisseur des vérins litigieux.
Ainsi, seule l'action en garantie des vices cachés -exclusive de la responsabilité contractuelle- est ouverte à la AXA France Iard, ce sont donc les dispositions de l'article 1648 qui s'appliquent.
L'ordonnance est confirmée sur ce point.
Sur la recevabilité de l'action de la société AXA France Iard
En application de l'article 1648 du code civil, l'action de l'acquéreur en garantie des vices cachés doit être intentée contre le vendeur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, ce délai ne peut courir, dans le cas d'une action récursoire, à l'encontre d'un entrepreneur qu'à compter de la date à laquelle une assignation a été délivrée contre lui.
Il est dorénavant admis que le délai imposé par cet article est un délai de prescription, et non de forclusion comme l'a retenu le juge de la mise en état, susceptible de suspension en application de l'article 2239 du même code.
Dans les contrats de vente conclus entre commerçants (ou entre commerçants et non-commerçants), cette prescription était celle résultant de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, qui prévoyait une prescription de dix ans. Dans les contrats de vente civile, cette prescription était celle prévue à l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, d'une durée de trente ans.
Cependant, la loi du 17 juin 2008, qui a réduit à cinq ans le délai de prescription extinctive de droit commun des actions personnelles ou mobilières désormais prévu à l'article 2224 du code civil, a fixé le point de départ de ce délai au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Elle a de même réduit à cinq ans le délai de prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce afin de l'harmoniser avec celui de l'article 2224 du code civil, mais sans en préciser le point de départ.
Elle a également introduit à l'article 2232, alinéa premier, du code civil une disposition nouvelle selon laquelle le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
Ce délai constitue le délai butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées.
Par ailleurs, le point de départ du délai de prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut que résulter du droit commun de l'article 2224 du code civil.
Il s'ensuit que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l'article 1648 , alinéa premier, du code civil, à savoir la découverte du vice.
Dès lors, les délais de prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l'action en garantie des vices cachés.
Il en résulte que l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l'article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice, ou, en matière d'action récursoire ou de recours subrogatoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
En l'espèce, la AXA France Iard, en sa qualité d'assureur de la société Mtechbuild, qui entend exercer son action subrogatoire, ne pouvait agir en garantie contre le fabricant avant d'avoir été elle-même appelée à indemniser la société Allianz Iard, assureur dommages-ouvrage pour le désordre suivant « les vérins des ouvrants de désenfumage présentent des fuites d'huile, compromettant le bon fonctionnement des ouvrants et présentant un risque pour la sécurité des personnes ».
C'est à compter de la demande d'indemnisation de la société Allianz Iard que le délai de prescription a commencé à courir, soit le 21 avril 2020, et non à partir du paiement par la société AXA France Iard, comme l'a retenu le juge de la mise en état, ce qui ne fait pas dépendre le point de départ de la prescription de la volonté de la demanderesse, comme le soutient la société Kingspan light air.
Or, par acte d'huissier délivré le 15 septembre 2021, la société AXA France Iard a assigné la société Colt France, aux droits de laquelle vient la société Kingspan light air, devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins de solliciter sa condamnation à lui payer la somme de 110 806,22 euros en raison de la subrogation intervenue dans les droits de la société Allianz Iard.
Son action est bien intervenue dans le délai de deux ans imposé par l'article 1648 du code civil, elle est recevable.
Il convient donc de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Kingspan light air.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société Kingspan light air, qui succombe, doit être condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société Kingspan light air à payer à la société AXA France Iard une indemnité de 2 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance déférée en totalité ;
Y ajoutant,
Condamne la société Kingspan light air à payer les entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Kingspan light air à payer à la société AXA France Iard une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Fabienne TROUILLER, Présidente et par Madame Jeannette BELROSE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.