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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 1 octobre 2024, n° 22/01570

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 22/01570

1 octobre 2024

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 1er OCTOBRE 2024

N° RG 22/01570 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MUC7

S.A. SOCIETE GENERALE

c/

Monsieur [W] [I]

Nature de la décision : MIXTE

Réouverture des débats

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 mars 2022 (R.G. 2020F00935) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 30 mars 2022

APPELANTE :

S.A. SOCIETE GENERALE, venant aux droits de la BANQUE COURTOIS, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

Représentée par Maître Lou Andréa VIENNOT de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [W] [I], né le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 6] (59), de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]

Représentée par Maître Delphine THIERY, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 juillet 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat du 17 septembre 2010, la SARL Aquit Bio Teste SOC Europe Bio Epuration (ci-après désignée société Aquit Bio) a emprunté auprès de la SA Banque Courtois la somme de 128.000 euros pour financer un besoin de trésorerie.

M. [I], gérant de la société, s'est porté caution personnelle et solidaire dans la limite de la somme de 166.400 euros incluant principal, intérêts et commissions.

Selon contrat du 24 octobre 2011, destiné au financement des agréments et de petites installations, la société a emprunté une somme de 120.000 euros auprès de la Banque Courtois pour une durée de 72 mois et M. [I] s'est porté caution personnelle et solidaire dans la limite de 78.000 euros et dans la limite de 50% des sommes restant dues au titre de l'encours garanti.

Le 31 août 2012, la Banque Courtois a régularisé un avenant à la convention de compte courant afin de consentir à la société une facilité de caisse d'un montant de 100.000 euros.

M. [I] et son épouse Mme [L] [H] se sont portés cautions personnelles et solidaires dans la limite de la somme de 130.000 euros incluant principal, intérêts et commissions.

Par jugement du 7 mai 2014, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société Aquit Bio Teste Soc Europe Bio Epuration.

Le 18 juin 2014, la Banque Courtois a déclaré sa créance au passif de la société.

Le 29 octobre 2014, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire.

Le 5 mai 2017, la banque Courtois a mis en demeure M. [I] de lui régler, en sa qualité de caution, les sommes suivantes :

- 86.665,41 euros au titre du découvert en compte courant,

- 53.959,33 euros au titre du prêt de 128.000 euros,

- 101.862,07 euros au titre du prêt de 120.000 euros.

Le 27 juillet 2017, la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif.

Le 29 août 2019, la Banque Courtois a vainement renouvelé sa mise en demeure à l'égard de M. [I].

Par acte du 16 septembre 2020, la banque Courtois a assigné en paiement M.[I] en sa qualité de caution.

Mme [H] a été pour sa part assignée devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, en qualité de caution de la facilité de trésorerie sur compte courant.

Par jugement contradictoire du 18 mars 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit :

Déclare forclose l'action de la Banque Courtois,

Déclare irrecevables les demandes de la Banque Courtois,

Condamne la Banque Courtois à verser à M. [W] [I] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Banque Courtois aux dépens.

Par déclaration au greffe du 30 mars 2022, la SA Banque Courtois a relevé appel du jugement.

Par ordonnance contradictoire d'incident du 3 mai 2024, le conseiller de la mise en état a reconnu la qualité à agir de la Société Générale à l'encontre de M. [I], comme venant aux droits de la Banque Courtois et a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [I].

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 17 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois demande à la cour :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 mars 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux ;

Puis, statuant à nouveau :

Vu les dispositions des articles 1103, 2298 et 1343-2 du code civil,

Vu les pièces visées,

Vu ce qui précède,

In limine litis :

- de déclarer recevable l'action en paiement de la Banque Courtois ;

- de déclarer régulières les mises en demeure produites par la Banque Courtois ;

- de déclarer valide l'acte introductif d'instance ;

- de débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes ;

A titre principal,

- d'infirmer le jugement rendu le 18 mars 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux dans toutes ses dispositions ;

- de condamner M. [I] en sa qualite de caution solidaire, au paiement de :

la somme principale de 90.930,73 euros au titre du solde débiteur du compte courant, majorée des intérêts au taux légal restant à courir a compter du 29 juillet 2020 et jusqu'à parfait paiement ;

la somme principale de 31.955,12 euros au titre du prêt de 128.000,00 euros, majorée des intérêts au taux contractuel de 3,41%, majoré de 3 points, à compter du 1er février 2023 et jusqu'à parfait paiement ;

la somme principale de 78.000,00 euros au titre du prêt de 120.000,00 euros ;

- de débouter M. [I] de l'ensemble de ses prétentions ;

- de condamner M. [I] au paiement de la somme de 3.000,00 euros à la Banque Courtois, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- d'ordonner la capitalisation annuelle des intérêts ;

- d'ordonner l'execution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution (sic);

- de condamner M. [I] aux entiers dépens de la procédure toutes taxes comprises.

A titre subsidiaire,

- de constater que la Banque Courtois n'a commis aucune faute ni manque à son obligation de mise en garde ;

- de débouter M. [I] de l'ensemble de ses prétentions.

A titre infiniment subsidiaire,

- de constater que la Banque Courtois n'a commis aucun dol ni manque à son obligation d'information prevue par l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ;

- de débouter M. [I] de l'ensemble de ses prétentions.

En tout état de cause,

- de condamner M. [I] au paiement de la somme de 3 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans caution (sic);

- de condamner M. [I] aux entiers dépens de la procédure toutes taxes comprises.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 21 juin 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [W] [I] demande à la cour de :

Vu les anciens articles L.341-2 et suivants du code de consommation,

Vu l'ancien article 2292 du code civil,

Vu l'ancien article L341-4 du code de la consommation,

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu l'article L650-1 du code de commerce,

Vu l'article L313-22 du code de la consommation,

Vu l'article 2293, alinéa 2 du code civil,

Vu le jugement du 18 mars 2022,

Ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries

Déclarer mal fondée la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois en son appel

Déclarer M. [W] [I] recevable et bien fondé en son appel incident ;

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il :

Déclare forclose l'action de la Banque Courtois SA.

Déclare irrecevables les demandes de la Banque Courtois SA.

Condamne la Banque Courtois SA à verser à M. [W] [I] la somme de 1500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la Banque Courtois SA aux entiers dépens.

In limine litis

Juger forclose l'action en paiement de la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois et donc irrecevable en ses demandes l'en débouter

Juger, en son appel incident, prescrite l'action en paiement de la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois et donc irrecevable en ses demandes l'en débouter

Sur le fond :

Juger irrégulières les mises en demeure adressées à M. [I] par la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois et les écarter des débats.

Juger l'annulation des actes de cautionnement en cas d'annulation ou de disproportion de l'un ou l'autre des cautionnements consentis par M. [I] ou Mme [H].

En conséquence :

Ordonner la nullité de l'acte introductif d'instance de la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois

Débouter la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

A titre principal :

Juger l'inopposabilité et la nullité des actes de cautionnement à l'égard de M. [I] en raison du non respect du formalisme et du caractère disproportionnés de ces derniers

Juger que pour la demande de condamnation à hauteur de 101.862,07 euros au titre du prêt de 120.000,00 euros, l'acte de caution est limité à 78.000,00 euros

Débouter la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

A titre subsidiaire et surabondant :

Juger au surplus que la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois a commis une faute et manquement à son obligation de mise en garde à l'égard de M. [I] eu égard à la disproportion de son engagement de caution.

Juger la responsabilité de la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois

Condamner la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois en paiement de dommages et intérêts en réparation des préjudices très importants subis par M. [I], lesquels s'analysent au montant des garanties soit à la somme de 242.486,81 euros

Ordonner la compensation entre le préjudice subi par M. [W] [I] lequel correspond au solde dû par la société S.A.R.L. Aquit Bio-Teste et la demande présentée par la société requérante et annuler la garantie prise par celle-ci

Débouter la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

A titre infiniment subsidiaire et surabondant :

Ordonner la nullité pour dol des cautionnements consentis à M. [I]

Prononcer la déchéance des intérêts résultant de l'inobservation de l'information annuelle de la caution sur l'étendue de ses engagements de l'article précité

Débouter la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

En toutes hypothèses condamner la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois à payer à M. [W] [I] la somme de 4000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIS DE LA DECISION:

1- Compte tenu de l'accord des parties, il convient d'ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture du 18 juin 2024 et de prononcer la clôture de l'instruction à la date de l'audience, le 2 juillet 2024, avant les plaidoiries.

Sur la recevabilité de l'action:

2- L'appelante fait valoir qu'elle n'a fourni aucun bien ou service à M. [I], en sa qualité de caution solidaire, de sorte que ce dernier ne peut se prévaloir de la qualité de consommateur, et ne peut donc invoquer à son égard le bénéfice de l'article L.218-2 du code de la consommation; d'autant plus que les prêts contractés par la société Aquit Bio (objets du cautionnement) avaient un caractère professionnel, et que les cautionnements présentaient un caractère commercial, car souscrits par un dirigeant ayant intérêt à la réalisation de l'opération.

Elle ajoute que conformément à l'article L.110-4 du code de la consommation, l'assignation a bien été délivrée dans le délai de prescription de 5 ans à compter de la déchéance du terme, de sorte que son action est recevable.

3- Faisant sienne l'argumentation du premier juge, M. [I] réplique que l'action de la banque est bien forclose, comme engagée en 2020, soit postérieurement aux délais prévus aux actes de cautionnement à durée déterminée qu'il a souscrits, et qui précisaient le terme de ses engagements de caution.

A titre subsidiaire, il soutient que l'action de la banque à son encontre est prescrite, comme formée plus de deux ans à compter des premiers impayés, en se fondant sur les articles L.137-2 du code de la consommation, devenu article L.218-2 du code de la consommation, et 2313 du code civil.

Plus subsidiairement, il indique que le délai de prescription de l'article L.110-4 du code de commerce lui est également acquis, puisqu'un délai de plus de 5 ans s'est écoulé depuis le premier impayé de juin 2012.

Sur ce:

4- Les cautionnements souscrits par M. [I] le 11 septembre 2010 et le 30 septembre 2011 sont d'une durée supérieure de deux années à celle des concours financiers dont ils garantissaient le remboursement, à savoir, respectivement, le prêt de 128 000 euros d'une durée de 5 ans, et le prêt professionnel de 120 000 euros d'une durée de 6 ans.

Le dernier cautionnement, du 31 aout 2012, d'un montant de 130 000 euros, a été conclu pour une durée de 7 ans.

5- Pour autant, M. [I] ne peut utilement se fonder sur ces précisions, qui concernent uniquement la durée de ses engagements en qualité de caution.

6- En effet, aucun de ces contrats de cautionnement ne contient de clause d'aménagement du délai de prescription, par laquelle les parties auraient, de manière expresse, entendu limiter dans le temps l'exercice du droit de poursuite du créancier, par la fixation d'un terme au-delà duquel aucune poursuite ne pourrait plus être engagée contre la caution.

Aucun délai de forclusion n'a donc pu courir en l'espèce.

7- Selon les dispositions de l'article L.218-2 du code de la consommation, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

8- La prescription biennale de l'article L. 218-2 du Code de la consommation procède donc de la qualité de consommateur, mais son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution , qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions de l'article 2313 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l' ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (en ce sens, Cour de cassation, 1ère chambre civile, 20 avril 2022 n° 20-22.866).

9- En l'espèce, il convient de relever que les trois concours financiers pour lesquels M. [I] s'est engagé en qualité de caution solidaire ont été consentis à la SARL Aquit Bio Teste SOC Europe Bio Epuration, personne morale commerçante par nature, pour les besoins de son activité professionnelle, et celle-ci qui ne pouvait en aucun cas être considérée comme un consommateur.

Les dispositions de l'article L.218-2 du code de commerce ne peuvent donc être utilement invoquées par M. [I].

10- Seules sont applicables en l'espèces les dispositions de l'article L.110-4 du code de commerce, selon lequel les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

11- Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12- Le cautionnement étant un contrat accessoire, la prescription de l'obligation qui en découle ne commence à courir que du jour où l'obligation principale est exigible.

13- Il est non moins constant qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d'échéance successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.

M. [I] n'est donc pas fondé à soutenir que le délai de prescription de 5 ans aurait commencé à courir à compter de la première échéance impayée non régularisée (juin 2012).

14- Le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire a provoqué la déchéance du terme, en application de l'article 8 du prêt de 128 000 euros, de l'article 10 du prêt de 120 000 euros.

15- La banque a procédé à sa déclaration de créance par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 juin 2014, distribuée le 19 juin 2014, entre les mains du mandataire désigné (Maître [C] [K]), en visant les échéances non réglées des deux prêts depuis octobre 2013, les capitaux restant dûs à cette date, et le solde débiteur du compte.

16- En application des articles 2241 et 2242 du code civil, cette déclaration de créance, qui a la nature d'une demande en justice, a interrompu la prescription à l'égard de la caution pour les sommes ainsi réclamées, et cet effet s'est prolongé jusqu'à la clôture de la procédure collective.

17- Dès lors que l'action en paiement a été formée par acte introductif d'instance du 16 septembre 2020, soit moins de 5 ans après la date du jugement de clôture de la lliquidation judiciaire (le 27 juillet 2017), la prescription n'est pas acquise; et la demande en paiement est recevable.

Sur le moyen tiré de la nullité de l'assignation introductive d'instance:

18- Au dispositif de ses dernière écritures, M. [I] a maintenu sa demande tendant à voir ordonner la nullité de l'acte introductif d'instance de la société Banque Courtois, aux droits de laquelle se toruve désormais la Société Générale.

19- Toutefois, il ne présente devant la cour aucun moyen au soutien de cette demande, et reconnait en pages 13 et 14 que son acte de cautionnement en date du 31 aout 2012, relatif au solde débiteur du compte courant, est désormais produit en pièce n°7 par la banque.

Cette demande ne peut donc qu'être rejetée.

Sur la régularité des mises en demeure:

20- M. [I] soutient que les trois mises en demeure adressées par la banque sont irrégulières, quant aux destinataires, aux dates d'envoi et de réception, de sorte qu'elles doivent être écartées des débats.

21- Toutefois, la banque justifie par sa pièce 9 que la mise en demeure adressée à M. [I] par lettre recommandée datée du 5 mai 2017, portant la référence CTX 50 Aquitaine Bio Teste, a bien été expédiée le 10 mai 2017, à l'adresse de la caution ([Adresse 5]), mais a donné lieu à un renvoi à l'expéditeur par les services de la Poste, avec la mention Pli avisé et non réclamé (avec la même mention CTX Aquitaine Bio Teste).

22- En toutes hypothèses, il ne résulte nullement des stipulations des actes de cautionnement que la validité ou la recevabilité de l'action en paiement contre M. [I] était subordonnée à la réception effective, par ce dernier, d'une mise en demeure par lettre recommandée adressée par la banque, dès lors que cet envoi n'avait aucun effet sur la déchéance du terme des deux prêts, déjà acquise au bénéfice de la banque.

La contestation ainsi soulevée par M. [I] est inopérante.

Sur la validité des actes de cautionnements:

23- M. [I] conclut à la nullité des actes de cautionnement solidaires souscrits par ses soins dès lors qu'ils ne comportent pas les mention manuscrites prévues par les article L.341-2 et L.341-3 du code de la consommation (ancien), devenus article L.331-2 et L.331-3 du code de la consommation.

24- Il doit être rappelé à cet égard que, selon l'article L.341-3 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date des engagements de caution de M. [I], lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : "En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X...".

25- En premier lieu, il est incontestable que le cautionnement souscrit le 11 septembre 2010 par M. [I] ne comporte pas la mention précitée, propre aux engagements de caution solidaire.

26- Toutefois, dès lors que, par ailleurs, l'engagement de la caution pour un montant de 166 400 euros a été souscrit dans le respect des dispositions de l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, la sanction de l'inobservation de la mention imposée par l'article L. 341-3 du même code ne peut conduire qu'à l'impossibilité pour la banque de se prévaloir de la solidarité.

27- Ainsi que le fait valoir la banque, l'omission constatée ne peut conduire au prononcé de la nullité totale du cautionnement, et l'engagement souscrit par M. [I] demeure valable en tant que cautionnement simple. Dans la mesure où l'action en justice a été engagée contre la caution après le jugement prononçant la clôture de la liquidation judiciaire de l'emprunteur, qui consacre son impossibilité de rembourser le montant de la créance déclarée dans le cadre de la procédure collective, le droit d'agir de la banque contre M. [I] ne se trouve pas affecté par l'omission précitée.

28- Par ailleurs, M. [I] conteste la validité de son engagement au titre du second acte de cautionnement, en garantie du prêt de 120 000 euros, dès lors que les mentions exigées par les articles L.341-2 et L.341-3 sont jointes en un seule mention manuscrite, sans distinction.

29- Ce grief doit cependant être écarté, comme inopérant, dès lors que les mentions prévues par les articles L.341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ont bien été reproduites de manière manuscrite par M. [I], avant sa signature comme caution.

30- Ainsi que le fait valoir la banque à bon droit, ni l'omission d'un point, ni la substitution d'une virgule à un point entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité, ni l'apposition d'une minuscule au lieu d'une majuscule au début de la seconde de ces formules, n'affectent la portée des mentions manuscrites conformes pour le surplus aux dispositions légales.

Aucune nullité n'est donc encourue au titre du second cautionnement.

31- C'est également en vain que M. [I] entend soutenir la nullité de son acte de cautionnement du 31 aout 2012, au motif qu'il existerait une contrariété interne dans l'acte, en ce qui concerne la durée de son engagement.

32- En effet, ainsi que le fait observer à juste titre la société Banque Courtois, le cautionnement a bien été souscrit par M. [I] pour une durée de 7 ans à compter de la signature de l'acte, comme stipulé en page 3/5 et en page 4/5 dans la mention manuscrites.

Il n'existe aucune contrariété avec la page 1, qui mentionne seulement que le concours à objet spécifique (Facilité de trésorerie commerciale- FTC) est à durée indéterminée.

33- Aucun des cautionnement n'encourt donc la nullité.

Sur la demande tendant à voir constater le caractère manifestement disproportionné de ses engagements de caution:

34- Au visa de l'article L.341-4 du code de la consommation, M. [I] soutient que la banque a manqué à son obligation de justifier qu'elle s'est renseignée sur sa situation financière, en lui demandant de justifier de ses revenus et de son patrimoine, ce qui justifierait l'annulation des cautionnements des 11 septembre 2010 et 30 septembre 2011.

Elle ajoute qu'en toutes hypothèses, ses trois engagements en qualité de caution étaient manifestement disproportionnés au regard de ses biens et de ses revenus.

35- La banque réplique qu'elle n'était pas tenue de justifier d'une vérification de la situation financière de la caution, qu'aucune nullité n'est encourue de ce chef; et qu'en toutes hypothèses, M. [I] échoue à rapporter la preuve, dont il avait la charge, du caractère manifestement disproportionné des engagements qu'il a souscrits en qualité de caution.

Sur ce:

36- Selon les dispositions de l'article L.341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la date de conclusion des contrats de cautionnements, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

37- Il appartient à la caution, qui l'invoque, de démontrer l'existence de la disproportion manifeste de son engagement, au moment de la conclusion de celui-ci

38- Le texte précité n'impose pas à la banque, à peine d'irrecevabilité de sa demande en paiement, de nullité ou d'inopposabilité de l'engagement souscrit par la caution, d'obtenir de cette dernière la rédaction préalable d'une fiche de renseignements, ni même de vérifier sa situation financière.

Il est indifférent, en terme de charge de la preuve, qu'il existe ou non une fiche de renseignements.

39- Il en résulte seulement que si la caution n'a déclaré aucun élément sur sa situation patrimoniale à la banque lors de son engagement, notamment parce que cette dernière ne lui a rien demandé, la caution est libre de démontrer, devant le juge, quelle était sa situation financière réelle lors de son engagement (en ce sens, notamment, Cour de cassation, chambre commerciale, 13 septembre 2017, pourvoi n 15-20.294).

40- Le premier cautionnement, en date du 11 septembre 2010, a été consenti pour une somme de 166 400 euros.

Le second cautionnement, du 30 septembre 2011, porte sur une somme de 78000 euros.

41- Force est de constater que M. [I] ne produit au débat aucun justificatif de sa situation financière à la date du 11 septembre 2010, ou du 30 septembre 2011, en ce qui concerne ses biens et revenus.

42- Il ressort seulement des productions que M. [W] [I] était alors célibataire (divorcé selon jugement du 1er décembre 1997) et gérant de la SARL Aquitaine Bio Test société européenne de bio-épuration au capital de 7622.45 euros, qui avait réalisé un chiffre d'affaires de 2 861 977 euros en 2010 et de 3 634 937 euros en 2011 (avec pour ces années un bénéfice respectif de 97 273 euros et 65453 euros). Il ne peut en être tiré aucun renseignement sur le montant de la rémunération de M. [I] au cours de cette année 2010 et 2011, en l'absence de communication de son avis d'imposition personnel pour ces deux années.

La fiche de renseignement complétée par M. [I] le 31 aout 2012, ne peut démontrer le montant de ses revenus en septembre 2010 ou 2011.

Les développements concernant la situation patrimoniale de Mme [H] (en pages 25 et 26 des conclusions de l'intimé) sont inopérants et sans incidence sur l'examen des revenus et biens de M. [I] en 2010 et 2011 (leur mariage n'étant intervenu que le [Date mariage 1] 2012).

La seule circonstance que la société dont M. [F] était gérant ait fait l'objet d'une procédure de conciliation, ouverte par ordonnance du 20 décembre 2013 jusqu'au 19 janvier 2014, puis de mandat ad hoc, est également inopérante.

43- Il convient donc de constater que M. [I] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombait, du caractère manifestement disproportionné de ces deux engagements de caution, au regard de ses biens et revenus, au 11 septembre 2010 et au 30 septembre 2011.

44- Le 31 aout 2012, M. [I] s'est engagé comme caution pour un montant supplémentaire de 130 000 euros.

45- Dans la fiche de renseignement complétée par ses soins le 31 aout 2012, certifiée exacte et remise à la banque, M. [I] a indiqué percevoir alors 128000 euros par an en qualité de gérant de la société Aquit Bio.

Il a déclaré qu'il devait régler, au titre de ses charges annuelles, 13284 euros par an au titre d'un leasing Mercedes Finance, 4922 + 10619 = 15541 euros par an au titre de deux prêts personnels consentis par la BNP, soit un total de charges financières de 28 825 euros.

Le montant de ses revenus annuels, nets de charges financières, ressortait donc en 2012 à 99 175 euros.

Il n'a pas déclaré détenir de biens immobiliers, ni d'autres valeurs.

Il n'a pas davantage mentionné le montant de ses précédents engagements en qualité de caution, toutefois la fiche d'information contenait sur ce point une anomalie manifeste qui ne pouvait échapper à l'attention de la Banque Courtois dès lors qu'elle était bénéficiaire de ces deux actes et qu'elle ne pouvait donc en ignorer la teneur ni le montant.

46- En l'absence de biens immobiliers, ou valeurs mobilières, il existait à la date du 31 aout 2012 une disproportion manifeste entre le montant de l'engagement de M. [I], portant le total de ses engagements comme caution à 374400 euros, et celui de ses revenus annuels nets de charges financières (le montant de ses engagements représentant 3.77 fois les revenus annuels nets).

47- Par ailleurs, il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion, aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

La capacité de la caution à faire face à son engagement au moment où elle est appelée s'apprécie non pas au regard du seul engagement dont l'exécution est demandée, mais en considération de son endetterment global, et au regard de l'ensemble des éléments d'actif et de passif composant son patrimoine à cette date.

48- Or, en l'espèce, la Société Générale venant aux droits de la Banque Courtois n'allègue nullement que M. [I] était, à la date de l'assignation (soit le 16 septembre 2020) en mesure de payer la somme de 90.930,73 euros au titre du solde débiteur du compte courant, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2020.

Elle n'a pas contesté, au demeurant, que M. [I] n'avait perçu, durant l'année 2019 précédent l'assignation, qu'une somme de 26372 euros (le revenu annuel imposable de son foyer s'établissant à 39549 euros), ce qui le place dans l'incapacité de faire face à son obligation, en considération de son endettement global.

49- La banque ne peut donc se prévaloir de ce cautionnement et doit en conséquence être déboutée de la demande en paiement au titre du solde débiteur du compte courant.

Sur la demande de dommages-intérêts formée à l'encontre de la banque:

50- M. [I] soutient que la banque a engagé sa responsabilité, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, et également sur le fondement de l'article L.650-1 du code de commerce, en raison d'un soutien abusif de la société Aquit Bio, puisqu'à la date de souscription des financements, elle ne pouvait ignorer la situation irrémédiablement compromise de la société, qui avait déjà bénéficié d'un plan de redressement par continuation en 2002, ce qui aurait dû attirer son attention et l'amener à douter de la bonne santé financière de la société emprunteuse, celle-ci ayant au demeurant été ensuite placée en redressement judiciaire le 31 décembre 2013, puis en liquidation judiciaire le 29 octobre 2014.

51- La Société Générale conteste tout comportement frauduleux et toute responsabilité au titre d'un soutien abusif, et souligne que la société Aquit Bio était en bonne santé financière lors que les concours lui ont été consentis.

Sur ce:

52- Il convient de relever, en premier lieu, que M. [I] ne peut utilement rechercher la responsabilité de la banque, pour soutien abusif de la société Aquit Bio, sur un double fondement légal, à savoir d'abord l'article 1240 du code civil (en pages 28 à 31 de ses conclusions), puis au visa de l'article L.650-1 du code de commerce.

53- Dès lors que la société Aquit Bio a fait l'objet d'un jugement de redressement judiciaire, puis de liquidation judiciaire, la responsabilité de la banque à raison des concours financiers consentis ne peut être recherchée que sur le fondement de l'article L.650-1 du code de commerce, selon lequel 'lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées.

54- Il est en outre constant que si l'une de ces situations se trouve démontrée, la responsabilité de la banque ne peut être établie que si les concours consentis sont eux-mêmes fautifs (en ce sens, notamment, Cour de cassation, chambre commerciale, 27 mars 2012, pourvoi n° 10-20.077).

55- En l'espèce, M. [I] invoque un comportement frauduleux de la banque, lié à l'octroi de concours bancaires,et de la facilité de de trésorerie en aout 2012, dès lors que la situation financière de la société était gravement obérée,

56- Il ressort des comptes annuels versés au débat que la société Aquit Bio avait enregistré les résultats suivants :

année 2010

année 2011

année 2012

montant net du chiffre d'affaires

2 861 976 euros

3 634 937 euros

2 582 377 euros

résultat

97 273 euros

65453 euros

- 172 781 euros

57- Il ne résulte ni de ces données comptables, ni des autres pièces produites, que la société Aquit Bio se trouvait dans une situation irrémédiablement compromise lorsque la banque lui a accordé un prêt de 128000 euros le 17 septembre 2010, et un prêt de 120 000 euros le 24 octobre 2011 (alors que l'exercice en cours révélait une forte progression de chiffre d'affaires).

La seule circonstance que la société avait été bénéficiaire d'un plan de redressement par continuation en 2002 (dont il n'est pas justifié qu'il ait connu des difficultés particulières d'exécution) ne constituait nullement un signal d'alerte suffisant, au regard des donnés comptables précitées. Il n'est d'ailleurs pas justifié que le prêt de 128000 euros avait pour objet de solder le plan de redressement ouvert en 2002. Le contrat mentionne seulement qu'il s'agit du financement d'un besoin de trésorerie, et le plan de redressement de 2012 n'est pas communiqué.

Il n'est pas établi que la banque ait eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, lors de l'octroi des concours financiers, que la société Aquit Bio allait subir une baisse rapide de son chiffre d'affaires, en raison de retards pris par l'administration pour confirmer les agréments des stations d'épuration individuelles qu'elle commercialisait.

Il doit être au demeurant observé que les échances des prêts consentis en 2010 et 2011 ont pu être entièrement réglées jusqu'en septembre 2013, ainsi que cela ressort de la déclaration de créances.

58- En l'absence de production de relevés bancaires, M. [I] n'a pas davantage justifié que le compte courant de la société, sur lequel avait été consentie une facilité de trésorerie commerciale de 100 000 euros le 31 aout 2012, ait présenté précédemment un fonctionnement tel qu'il révélait une situation irrémédiablement compromise.

Au demeurant, le jugement d'ouverture du redressement judiciaire n'est intervenu que le 7 mai 2014, avec une date de cessation des paiements fixée au 23 avril 2014.

59- Il en résulte que les concours financiers n'étaient pas fautifs, de sorte que la responsabilité de la banque ne peut être engagée pour soutien abusif sur le fondement de l'article L.650-1 du code de commerce.

Sur le manquement allégué à l'obligation de mise en garde:

60- M. [I] soutient que la banque a manqué à son devoir de mise en garde et aurait dû avertir le dirigeant du risque d'endettement né de l'octroi des prêts.

61- La banque conteste toute faute et toute responsabilité à ce titre.

Sur ce:

62- Selon les dispositions de l'article 1147 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

63- Il est constant que le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard d'une caution non avertie d'un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et des risques de l'endettement résultant de l'octroi des prêts garantis.

64- Ainsi que précédemment indiqué, il n'est pas établi que les cautionnements des deux prêts, pour lesquel une condamnation est prononcée contre M. [I], aient présenté un caractère manifestement disproportionné à ses revenus et ses biens, de sorte que le risque d'endettement né de l'octroi des prêts garantis n'est pas établi à son égard.

65- En outre, la preuve n'est pas rapportée du caractère excessif des prêts et concours financiers accordés à la société Aquit Bio, ni d'un risque avéré de défaillance à bref délai pour cette société, et en outre, M. [I], gérant depuis le 23 mars 2004 de la société Aquit Bio, et qui avait une expérience affirmée dans la gestion comme dans l'appréciation des capacités et des besoins de financements de cette société, dont il avait suivi l'exécution du plan de continuation, ne peut en aucun cas être considéré comme une caution non avertie.

66- Il n'est pas justifié que la banque aurait eu, sur la situation financière de la société, des éléments d'information qui n'auraient pas été en possession du gérant (également caution), et que ce dernier était en droit d'ignorer.

La demande de dommages-intérêts formée à ce titre doit donc être rejetée.

Sur l'application des dispositions de l'article 2314 du code civil:

67- M. [I] soutient que la banque aurait dû alléger le poids de sa dette en prenant d'autres garanties que des cautions (et notamment un nantissement sur fonds de commerce) de sorte qu'il devrait être déchargé de son obligation.

68- Il doit être rappelé que selon les dispositions de l'article 2314 du code civil, lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s'opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu'elle subit.

Toute clause contraire est réputée non écrite.

69- La caution n'est libérée, lorsque la subrogation aux droits, privilèges et hypothèques du créancier ne peut plus s'opérer en sa faveur, que si ces garanties existaient antérieurement au contrat de cautionnement, ou que si le créancier s'était engagé à les prendre.

70- L'argumentation soutenue par M. [I] est inopérante, comme contraire aux stipulations des contrats de prêts.

Le premier prêt de 128 000 euros comporte une autre garantie, à savoir le nantissement d'un contrat d'assurance vie Antarius souscrit par Mme [E] pour un montant de 52000 euros, et par la contre-garantie Siagi à concurrence de 50 % du montant du prêt.

Il ne ressort nullement des pièces produites que M. [I] se soit engagé en qualité de caution, pour ce premier prêt, en considération de l'inscription à venir du nantissement du fonds de commerce exploité par la société Aquit Bio. Il n'est justifié d'aucun échange entre les parties sur ce point, avant la souscription des cautionnements.

Le second prêt de 120 000 euros est également garanti par le nantissement du fonds de commerce (en 1er rang) de la société Aquit Bio.

Au surplus, la sanction attachée à un éventuel manquement aux dispositions de l'article 2314 du code civil est une décharge de la caution dans la mesure du préjudice subi, et non, comme sollicité uniquement, une condamnation à dommages-intérêts à hauteur du montant total des garanties (soit 242 486.81 euros).

71- Il convient dès lors de rejeter la demande de dommages-intérêts formée de ce chef.

Sur la demande subsidiaire tendant à la nullité de cautionnements:

72- M. [I] entend voir prononcer la nullité, pour cause de dol, des engagements de caution consentie au titre des emprunts de 120'000 euros et 128'000 euros, au motif qu'est apposée à tort que sa responsabilité ne pourrait être recherchée qu'en cas de défaillance du co-garant Oséo et du Siagi; que l'établissement de crédit a manqué à son devoir d'information pré-contractuelle en omettant d'attirer son attention sur l'objet et le fonctionnement de ces garanties, ce qui caractériserait par ailleurs l'existence d'une réticence dolosive ayant surpris son consentement.

73- La banque répond sur ce point que l'information relative à OSEO et Siagi figuraient de manière explicite dans les actes matérialisant ces garanties, sur lesquelles M. [I] a apposé son paraphe et sa signature, de sorte qu'aucun manquement ne peut lui être reproché à son obligation d'information, et que M. [I] ne peut utilement soutenir qu'il ignorait que ces garanties ne lui bénéficiaient pas directement.

Sur ce:

74- Selon les dispositions de l'article 1109 du code civil sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

75- Selon les dispositions de l'article 1116 du code civil, sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas et doit être prouvé.

76- Il incombait donc à M. [I] de rapporter la preuve de l'existence des éléments suivants:

- une réticence dolosive, qui s'entend du silence qui aurait été conservé par une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter,

- l'auteur de la réticence doit avoir agi intentionnellement pour tromper le cocontractant,

- la victime du dol doit avoir commis une erreur déterminante de son consentement.

77- En l'espèce, les conditions générales d'intervention de la société SIAGI (société de caution mutuelle) sont parfaitement décrites dans le document annexé au contrat de prêt de 128 000 euros; il est notamment spécifié à l'article 7 que sa garantie ne dispense pas la caution de l'exécution de son engagement dont elle aura à supporter la charge intégrale et définitive sauf à ces recours contre le débiteur principal et d'éventuels co-fidéjusseurs, et qu'elle ne peut en particulier prétendre exercer un quelconque recours à l'encontre de la SIAGI. M. [I] a apposé son paraphe sur ces conditions générales, en qualité de représentant légal de la société Aquit Bio.

De même, les conditions de mise en oeuvre de la garantie OSEO sont décrites clairement dans le document annexé au contrat de prêt de 120 000 euros, et ont également été portées à la connaissance de M. [I], qui les a paraphées.

78- Par ailleurs, les actes de cautionnement comportent la mention selon laquelle, du fait de l'engagement souscrit, la banque n'a pas à exercer des poursuites contre les autres personnes qui se sont portées caution du cautionné, la banque pouvant demander à la caution le paiement de la totalité de ce que lui doit le cautionné.

Il est en outre spécifié (paragraphe III) que la caution ne fait pas de la situation du cautionné ni de l'existence et du maintien d'autres cautions la condition déterminante de son cautionnement.

79- Dans ces conditions, M. [I] échoue à rapporter la preuve qu'il a donné son consentement à ces deux actes de cautionnement par suite d'une erreur qu'il aurait commise relative aux conditions de la garantie Siagi (ou Oseo) et qui aurait été provoquée de manière délibérée par l'établissement de crédit, afin de le tromper sur les caractéristiques de son engagement.

80- Il convient en conséquence de rejeter la demande tendant à voir prononcer la nullité des deux actes de cautionnement pour cause de dol.

Sur la demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts:

81- Au visa des articles L. 313 -22 du code monétaire et financier et L. 341 -6 du code de la consommation, M. [I] fait grief à la banque d'avoir manqué à son obligation de lui adresser chaque année (au plus tard le 31 mars) le montant du principal et des intérêts, commissions et frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement.

82- La banque réplique que les relevés du compte de la société Aquit Bio-Teste font bien apparaître les frais d'information de la caution, admis comme preuve de l'envoi des courriers dès lors que cela fait l'objet d'une stipulation contractuelle exprès.

Sur ce:

83- Selon les dispositions de l'article L.313-22 du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable au litige, les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

84- En leur article VIII (Obligation d'information par la banque), les deux contrats de cautionnements des 11 septembre 2010 et 30 septembre 2011 stipulent que 'la caution et la banque conviennent que la production du listage informatique récapitulant les destinataires de l'information, édité simultanément avec les lettres d'information, constitue la preuve de l'envoi de la lettre adressée par courrier simple'.

85- il en résulte que la simple production, par la banque (pièce 14) des relevés bancaires du compte courant de la société Aquit Bio, faisant apparaître l'imputation de frais d'envoi de l'information annuelle de la caution ne constitue pas la preuve suffisante du respect des dispositions d'ordre public précitées.

Il n'est nullement démontré que des lettres d'information répondant aux exigences légales aient été effectivement adressées chaque année à la caution.

86- Il convient donc de prononcer la déchéance du droit aux intérêts contractuels, et avant dire droit sur les demandes en paiement de la Société Génétale, d'enjoindre à celle-ci de produire un décompte rectifié de ses créances, comme précisé ci-après au dispositif.

Sur les demandes accessoires:

87- Il convient de réserver les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture et fixe la clôture de l'instruction à la date de l'audience, le 2 juillet 2024, avant les plaidoiries,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 18 mars 2022,

Statuant à nouveau,

Rejette les fins de non-recevoir soulevées par M. [W] [I] au titre de la forclusion et de la prescription,

Déclare recevables les demandes de la Société Générale venant aux droits de la banque Courtois,

Déclare régulières les mises en demeure adressées à M. [I], et dit n'y avoir lieu de les écarter des débats,

Rejette la demande de M. [W] [I], tendant à voir prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance,

Rejette la demande de M. [W] [I], tendant à voir prononcer la nullité des actes de cautionnement,

Rejette la demande de M. [W] [I], tendant à voir prononcer l'inopposabilité des actes de cautionnement souscrits au titre du prêt de 128'000 euros et au titre du prêt de 120'000 euros,

Dit que l'engagement de M. [W] [I] en qualité de caution, en garantie de la convention de compte courant de la société Aquit Bio (avenant du 31 aout 2012), était manfestement disproportionné à ses revenus et à ses biens,

Rejette la demande de la Société Générale venant aux droits de la banque Courtois en paiement de la somme de 90'930,73 euros au titre du solde débiteur du compte courant, avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2020,

Rejette la demande de M. [W] [I] tendant à voir prononcer la nullité pour cause de dol de ses engagements de caution,

Rejette les demandes de M. [W] [I], en paiement de dommages-intérêts, à l'encontre de la Société Générale, venant aux droits de la Banque Courtois,

Prononce la déchéance du droit aux intérêts de la Société Générale venant aux droits de la banque Courtois, au titre des contrats de cautionnement des prêts de 120'000 et 128'000 euros,

Ordonne la réouverture des débats,

Enjoint à la Société Générale venant aux droits de la banque Courtois de communiquer un relevé actualisé de ses créances au titre des contrats de cautionnement des prêts de 120'000 euros et 128'000 euros, en expurgeant de ce décompte tout intérêt contractuel, et en affectant l'ensemble des versements effectués par la société emprunteuse au capital restant dû de chacun de ces prêts,

Ordonne le renvoi de l'affaire devant le conseiller de la mise en état,

Réserve les demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président