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Décisions

CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 25 septembre 2024, n° 23/00267

BASTIA

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kristal (SARL)

Défendeur :

Alex 2a (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gilland

Vice-président :

M. Brunet

Conseiller :

M. Desgens

Avocats :

Me Leonelli, Me Recchi

TJ Ajaccio, du 9 mars 2023, n° 21/651

9 mars 2023

EXPOSÉ DES FAITS

Par acte du 28 juin 2021, la S.A.R.L. Alex 2 A a assigné la S.A.R.L. Kristal par-devant le tribunal judiciaire d'Ajaccio aux fins, notamment, qu'il soit dit que le congé du 24 decembre 2020 n'est pas justifié et doit produire les mêmes effets qu'un congé avec refus de renouvellement comportant l'obligation de payer une indemnité d'éviction.

Par jugement du 9 mars 2023, le tribunal judiciaire d'Ajaccio a :

Débouté la SARL KRISTAL de sa demande de fixation d'une indemnité d'éviction à défaut de justifie d'une exploitation effective de 3 ans au jour de l'échéance du contrat de bail,

Ordonné à la SARL KRISTAL de débarrasser les lieux du [Adresse 4] sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter du 30ème jours suivant la signification du jugement à intervenir sous assistance de la force publique si nécessaire,

Fixé une indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2021 d'un montant de 2 000 € jusqu'à parfaite libération des lieux,

Rejeté les demandes d'indemnisation fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamné la SARL KRISTAL aux dépens,

Écarté l'exécution provisoire.

Par déclaration du 5 avril 2023, la S.A.R.L. Kristal a interjeté appel du jugement prononcé par le tribunal judiciaire d'Ajaccio en ce qu'il a :

Débouté la SARL KRISTAL de sa demande de fixation d'une indemnité d'éviction à défaut de justifie d'une exploitation effective de 3 ans au jour de l'échéance du contrat de bail,

Ordonné à la SARL KRISTAL de débarrasser les lieux du [Adresse 4] sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter du 30ème jours suivant la signification du jugement à intervenir sous assistance de la force publique si nécessaire,

Fixé une indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2021 d'un montant de 2 000 € jusqu'à parfaite libération des lieux,

Rejeté les demandes d'indemnisation fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamné la SARL KRISTAL aux dépens.

Par conclusions déposées au greffe le 29 novembre 2023, la S.A.R.L. Alex 2 A a demandé à la cour de :

«Vu l'article L 145-8 du code de commerce,

Vu le jugement définitif ayant autorité de chose jugée en date du 12 avril 2021 du tribunal judiciaire d'Ajaccio ayant consacré la validité du congé et l'occupation sans droit ni titre depuis le 01.02021 par la société KRISTAL et le rejet de la demande relative aux travaux,

Rejeter comme prescrite et irrecevable le dol comme vice du consentement qui ne concerne que la société France loisirs, partenaire contractuel de la société KRISTAL,

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Ajaccio en ce qu'il a débouté la société KRISTAL de sa demande de fixation d'une indemnité d'éviction à défaut de justifier d'une exploitation effective de 3 ans au jour de l'échéance du contrat de bail soit le 30.06.2021,

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Ajaccio en ce qu'il a ordonné l'expulsion de la société KRISTAL des lieux savoir Ajaccio [Adresse 4] sous astreinte,

Faire droit à l'appel incident de la société ALEX 2A sur le montant de l'indemnité d'occupation et le montant de l'astreinte,

Statuant à nouveau sur ce chef de jugement

Ordonner à la société KRISTAL de débarrasser les lieux du [Adresse 4] sous astreinte de 500 euros/jours de retard dans les 48 heures suivant la signification du jugement sous assistance de la force publique si nécessaire.

Fixer une indemnité d'occupation à compter du 01.07.2021 d'un montant de 5 000 euros/mois à parfaite libération des lieux (mémoire).

Condamner la société KRISTAL à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC et les entiers dépens».

Par conclusions déposées au greffe le 30 janvier 2024, la S.A.R.L. Kristal a demandé à la cour de :

«Vu les articles L145~8, L145-14, L145-17 du Code de Commerce,

Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Réformer le jugement dont appel,

En conséquence,

Juger que le congé délivré par la bailleresse le 24 Décembre 2020 pour le 30 Juin 2021, sans indemnité d'éviction pour défaut d'exp1oitation effective au cours des trois années qui ont précédé la date d'exp1oítation du bail n'est pas justifié,

Juger que ledit congé injustifié doit produire les mêmes effets qu'un congé avec refus de renouvellement comportant l'obligation de payer une indemnité d'éviction et ouvre droit

au profit de la SARL KRISTAL au paiement d'une indemnité d'éviction,

Condamner la S.A.R.L. ALEX 2 A au versement à la SARL KRISTAL d'une indemnité d'éviction,

Préalablement à la fixation de ladite indemnité désigner un expert avec mission, conformément aux dispositions légales en la matière de donner tous éléments à la Cour

permettant de fixer le montant de l'indemnité.

Fixer le montant de la provision à consigner pour les frais d'expertise,

Condamner la bailleresse au montant de cette provision,

Juger que l'indemnité d'occupation due à partir du 1er Juillet 2021 sera égale au montant du loyer précédemment versé, soit la somme de 1.500 euros mensuelle,

Juger que les sommes réglées au bailleur depuis le 1er Juillet 2021 sont de nature à compenser l'indemnité d'occupation ainsi fixée,

Débouter la SARL ALEX 2 A de toutes ses demandes,

La condamner à payer à la SARL KR1STAL la somme de 10.006 euros en application des dispositions de l'artic1e 700 du Code de Procédure Civile,

SOUS TOUTES RÉSERVES».

Par ordonnance du 3 avril 2024, la procédure a été clôturée et fixée à plaider au 17 mai 2024 devant un conseiller rapporteur.

Par ordonnance du 13 mai 2024, l'ordonnance du 3 avril 2024 a été annulée et la procédure a été une nouvelle fois clôturée et fixée à plaider à l'audience collégiale du 6 juin 2024.

Le 6 juin 2024, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024.

La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait, en application de l'article 455 du code de procédure civile, expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions notifiées par les parties.

SUR CE

Pour statuer comme il l'a fait le premier juge a considéré que l'appelante ne rapportait pas la preuve d'une exploitation effective de son fonds entre le 30 juin et le 9 juillet 2018, le local loué étant fermé incontestablement le 18 septembre 2018 et a fixé une indemnité d'occupation mensuelle de 2 000 euros jusqu'à la libération des lieux.

* Sur l'indemnité d'éviction

L'article L 145-8 du code de commerce dispose que « Le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans les lieux. Le fonds transformé, le cas échéant, dans les conditions prévues à la section 8 du présent chapitre, doit, sauf motifs légitimes, avoir fait l'objet d'une exploitation effective au cours des trois années qui ont précédé la date d'expiration du bail ou de sa prolongation telle qu'elle est prévue à l'article L. 145-9, cette dernière date étant soit la date pour laquelle le congé a été donné, soit, si une demande de renouvellement a été faite, le premier jour du trimestre civil qui suit cette demande » et l'article L 145-17 du même code de préciser, notamment, que « Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité : 1° S'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant...».

L'appelante fait valoir que le contrat de bail commercial a été signé le 30 juin 2018, qu'elle n'a pu exploiter son fonds immédiatement en raison de travaux à réaliser pour mettre le local aux normes et pour l'ouvrir à la clientèle et que sa bailleresse ne peut lui opposer un défaut d'exploitation sur une période de trois années avant le fin du contrat de bail alors qu'elle est à l'origine de cette situation ayant fourni un local non conforme à la réglementation applicable aux commerces ouverts au public. L'intimée s'oppose à cette version des relations entre les parties mettant en doute la date réelle de signature de la cession de bail et faisant valoir qu'au 18 septembre 2018 les locaux loués n'étaient toujours pas exploités.

Il est certain que pour bénéficier d'une indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement d'un contrat de bail, il est nécessaire de justifier de la réalité d'une exploitation dans les trois années précédentes et à défaut de pouvoir en justifier pour des raisons valables ne dépendant pas de la volonté du locataire.

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le contrat de cession entre les deux locataires de l'intimée à savoir l'appelante et la S.A.S. France loisirs aurait été signé les 29 et 30 juin 2018, selon le contrat produit au débat -pièce n°1 de l'appelante-, alors qu'il était initialement programmé pour le 6 juillet 2018 -pièce n°14 de l'appelante- selon le courriel daté du 29 juin 2018 à 12 heures 17, soit étonnamment le jour même de la signature du contrat de cession par la S.A.S. France loisirs signature annoncée dans ce message pour le 6 juillet 2018 avec la remise des clefs !

Malgré cette étrangeté, la cour ne peut de relever que le contrat produit est bien daté des 29 et 30 juin 2018 et qu'un état des lieux est programmé pour le 5 juillet 2018.

Il n'est nullement contesté que, du 30 juin au 18 septembre 2018 minimum, il n'y a eu aucune activité dans les locaux objets du présent litige, l'appelante se justifiant par un non-conformité desdits locaux aux normes légales pour l'accueil du public et, pour appuyer, ce positionnement, en pièce n°5 de son bordereau, elle produit un avis technique, établi le 9 juillet 2018, par la S.A.S. Socotec construction, qui se conclut en ces termes « Nous confirmons que la coque du local existant présente des désordres ou des problématiques réglementaires incompatibles avec des locaux recevant du public de 5ème catégorie.. », sa mission étant « de donner un avis sur la compatibilité de la coque du local commercial existant en vue de son aménagement en magasin de vente sous les angles de la solidité, la sécurité et l'accessibilité aux personnes handicapées » -page 3 du rapport.

Cependant, ce n'est que, par courrier du 7 mars 2019, que l'appelante a demandé la réalisation des travaux de mise en conformité -pièce n°10 de l'appelante-, relativement à l'accès aux handicapés, au réseau électrique et à la pose de nouvelles ouvertures et châssis, alors qu'il est rapporté que l'activité commerciale a commencé, malgré l'absence de réalisation desdits travaux, a minima à partir du 15 novembre 2018 selon le procès-verbal de constat établi ce jour-là par Me [F] [P], huissier de justice à [Localité 2], le procès-verbal de constat établi le 18 septembre 2018 par Me [V] [J], huissière de justice associée à [Localité 2], rapportant la réalité d'un local fermé poussiéreux et inexploité -pièce n°13 de l'intimée- sans, qu'entre ces deux dates, la preuve de la moindre réalisation de travaux soit rapportée ; en effet, si dans le jugement querellé de première instance il est bien mentionné trois factures d'artisan s'échelonnant entre le mois d'août et le 19 septembre 2018, celles-ci ne sont pas produites en appel, empêchant leur examen par la cour et leur correspondance avec les travaux préconisés, d'autant plus que l'analyse des comptes annuels de la S.A.R.L. Kristal -pièce n°7- ne permet pas d'identifier le report au passif de cette société desdits travaux.

En conséquence, il est indéniable qu'avant le 5 juillet 2018, date de la remise des clefs du local, la S.A.R.L. Kristal ne pouvait avoir aucune activité dans les locaux litigieux, que cette situation a perduré au moins jusqu'au 18 septembre 2018 et que l'explication selon laquelle des travaux d'accessibilité à la clientèle étaient nécessaires avant toute exploitation ne tient pas, la demande pour la réalisation desdits travaux ayant été présentée le 7 mars 2019 pour un diagnostic posé le 9 juillet 2018, et ce, alors que les locaux étaient exploités dans le cadre d'une activité commerciale de vente de chaussures depuis le 15 novembre 2018, sans la preuve de la réalisation du moindre aménagement antérieur.

En conséquence, sans nécessité de retenir une date d'opposabilité du contrat de cession à la bailleresse ou d'analyser de la part de celle-ci la réalité d'une intention dolosive, il n'est pas rapporté par l'appelante la réalité d'une exploitation de son fonds de chaussures, la présence de quelques boîtes de chaussures et d'une enseigne, en page n°5, sur une photographie du rapport de diagnostic, ne permettant pas de qualifier la réalité d'une exploitation ouvrant le droit à une indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement du contrat de bail, l'activité rapportée n'ayant débuté au mieux le 15 novembre 2018, soit moins de trois ans avant le congé donné et le non-renouvellement du contrat liant les parties à la suite de la cession intervenue.

L'appelante fait état d'un dol dans sa relation avec l'intimée, illustrant, selon elle, la volonté de cette dernière de tout faire pour retarder son entrée dans les lieux et ainsi l'empêcher d'avoir trois années complètes d'activité pour prétendre à un renouvellement du contrat de bail.

Cette position, si elle est réelle, n'a que peu d'effets par rapport au fond de la présente procédure, l'appelante ayant été informée, selon un courrier non daté, mais apparemment postérieur au 2 juillet 2018, produit au débat -pièce n°15 de l'appelante- que le renouvellement du contrat de bail à son issue serait sans doute refusé par l'intimée et le non-renouvellement n'ayant pas été contesté judiciairement et validé indirectement par un jugement du 14 avril 2022, aujourd'hui définitif.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

* Sur l'indemnité d'occupation

L'appelante conteste le montant arrêté à 2 000 euros, sans explication selon elle, de l'indemnité d'occupation due ; l'intimée demande que cette indemnité soit portée à la somme mensuelle de 5 000 euros et que l'astreinte de 100 euros fixée par jour de retard jusqu'à la libération des lieux soit portée à 500 euros, sans toutefois solliciter l'infirmation ou la réformation du jugement querellé.

En ce qui concerne l'appel incident de la S.A.R.L. Alex 2 A, il convient, sans rouvrir le débat, de rappeler les dispositions de l'article 542 du code de procédure civile à savoir que « L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel » et précisées par l'article 954 du même code qui indique que « Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées ».

Il en résulte que la cour n'est pas saisie de demande incidente de la part de la S.A.R.L. Alex 2 A.

Pour le montant de l'indemnité d'occupation, il n'existe aucun élément objectif dans le débat permettant de la fixer à la somme mensuelle de 2 000 euros alors que la loyer habituel contractuellement arrêté est de 1 500 euros.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande présentée en infirmant sur ce point le jugement querellé et en fixant le montant de l'indemnité d'occupation à la somme mensuelle de 1 500 euros.

* Sur les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

S'il est équitable de laisser à la charge de l'appelante les frais irrépétibles qu'elle a engagés, il n'en va pas de même pour l'intimée ; en conséquence, s'il convient de débouter la S.A.R.L. Kristal de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient, à ce titre, d'allouer à la S.A.R.L. Alex 2 A la somme de 10 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

- CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celle fixant le montant de l'indemnité d'occupation due à la somme mensuelle de 2 000 euros,

Statuant à nouveau,

- FIXE l'indemnité d'occupation due à compter du 1er juillet 2021 par la S.A.R.L. Kristal à la S.A.R.L. Alex 2 A à la somme mensuelle de 1 500 euros,

- CONDAMNE la S.A.R.L. Kristal au paiement des entiers dépens,

- DÉBOUTE la S.A.R.L. Kristal de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires,

- CONDAMNE la S.A.R.L. Kristal à payer la somme de 10 000 euros à la S.A.R.L. Alex 2 A au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.