CA Versailles, ch. com. 3-1, 26 septembre 2024, n° 24/00140
VERSAILLES
Ordonnance
Autre
PARTIES
Demandeur :
La Péniche (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
Mme Meurant
Suivant acte sous seing privé en date du 16 novembre 1998, Mme [T] [W] épouse [O] a donné à bail commercial en renouvellement à M. [S] [A], pour une durée de neuf années à compter rétroactivement du 1er avril 1996, des Iocaux sis [Adresse 3] à [Localité 5] (78).
Par acte authentique du 14 novembre 2003, M. [A] a cédé son fonds de commerce à la société La Péniche.
Par acte notarié de donation-partage des 17 février et 13 mars 2009, Mme [T] [W] désormais veuve [O] a donné à ses filles, Mme [Z] [O] épouse [P] et Mme [F] [O], la nue-propriété du local commercial en cause, Mme [T] [O] s'en réservant l'usufruit.
Par acte extra-judiciaire du 28 décembre 2018, Mme [T] [O] et ses deux filles, Mme [F] [O] et Mme [Z] [O] épouse [P] ont fait signifier à Ia société La Péniche un congé à effet au 30 juin 2019, portant offre de renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2019 moyennant la fixation d'un nouveau loyer d'un montant de 65.000 € annuel HT et HC.
Les consorts [O] ont, par acte d'huissier du 6 novembre 2019, fait assigner la société La Péniche devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles afin de voir fixer le loyer du bail renouvelé.
Aux termes d'un jugement mixte rendu Ie 12 mars 2020, Ie juge a, entre autres :
- constaté Ie renouvellement du bail au 1er juillet 2019 entre Ia société Ia Péniche d'une part et Mmes [T] [O], [Z] [O] épouse [P] et [F] [O] d'autre part, portant sur les Iocaux situés [Adresse 3] à [Localité 5] (78) ;
- dit que Ie loyer du bail renouvelé n'est pas soumis à Ia règle du plafonnement de I'article L.145-34 alinéa 1° du code de commerce et doit être fixé par référence à Ia valeur locative ;
- ordonné une expertise avant dire-droit confiée à M. [B] avec pour mission de donner son avis sur Ia valeur locative du loyer en renouvellement à Ia date du 1er juillet 2019 ;
- fixé Ie montant annuel du loyer provisionnel au montant annuel du loyer contractuel tel que résultant du bail expiré pour Ia durée de I'instance.
Par acte d'huissier du 17 janvier 2020, la société La Péniche a fait assigner Mmes [T] [O], [F] [O] et [Z] [O] épouse [P] devant Ie tribunal judiciaire de Versailles afin d'obtenir, à titre principal, I'annulation de la clause d'indexation figurant au bail et Ia condamnation des défenderesses au remboursement du trop-perçu de loyers.
Par jugement du 6 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la fin de non-recevoir tirée de Ia prescription soulevée par Mmes [O];
- dit que Ia clause d'indexation, stipulée au bail liant Ies parties, est réputée non écrite dans son intégralité ;
- condamné Mmes [O] à payer à la société Ia Péniche Ia somme de 73.510,16 € au titre des trop-perçus de loyers entre le 1er avril 2016 et Ie 30 septembre 2019 résultant du caractère non écrit de Ia clause d'indexation ;
- débouté la société la Péniche du surplus de ses demandes ;
- condamné Mmes [O] à payer à la société la Péniche la somme de 4.000 € au titre de ses frais irrépétibles ;
- condamné Mmes [O] aux entiers dépens de l'instance, avec droit de recouvrement au profit de Me Zeitoun, conformément aux dispositions de I'article 699 du code de procédure civile ;
- rappelé que la décision est de droit exécutoire.
Par déclaration du 21 février 2022, Mmes [T] [O], [Z] [O] épouse [P] et [F] [O] ont interjeté appel du jugement.
Par jugement du 7 novembre 2022, le juge des tutelles du tribunal de proximité de Rambouillet a placé Mme [T] [W] veuve [O] sous tutelle et désigné Mme [Z] [O] épouse [P] et Mme [F] [O] en qualité de co-tutrices.
Par arrêt du 5 octobre 2023, la cour d'appel a :
- déclare irrecevable l'action en répétition de l'indu exercée par la société La Péniche contre Mme [Z] [O] épouse [P] et Mme [F] [O], en leur qualité de nues-propriétaires ;
- rejeté les moyens d'irrecevabilité soulevés par la société La Péniche ;
- infirmé le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions relatives aux intérêts, aux dépens et à l'article 700 du Code de procédure civile ;
statuant à nouveau des chefs infirmés ;
- déclaré la clause d'indexation non écrite en ce qu'elle stipule que " l'indexation ne saurait avoir pour effet de ramener le loyer en dessous du loyer de base " ;
- condamné Mme [T] [W] veuve [O], représentée par ses co-tutrices Mme [Z] [O] épouse [P] et Mme [F] [O], à payer à la société La Péniche la somme de 58.456,48 € au titre du trop-perçu de loyers entre le 1er avril 2016 et le 30 septembre 2023 ;
- rappelé que le jugement est confirmé en ce qu'il a dit que les intérêts courront sur cette somme au taux légal à compter du 17 janvier 2020 ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses dépens ;
- débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 11 janvier 2024, la société La Péniche a interjeté appel du jugement rendu par le juge des loyers le 12 mars 2020.
Par dernières conclusions d'incident remises au greffe et notifiées par rpva le 20 juin 2024, les consorts [O] demandent au conseiller de la mise en état de déclarer l'appel de la société La Péniche irrecevable et de la condamner au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Les consorts [O] font valoir que l'appel interjeté par la société La Péniche est irrecevable, dès lors qu'elle a acquiescé au jugement déféré. Elles expliquent cette décision a constaté que la locataire ne discutait pas que le loyer devait être fixé à la valeur locative et a ordonné, afin de déterminer le prix du bail renouvelé, une mesure d'expertise à laquelle la société La Péniche a participé pendant près de 4 ans sans émettre la moindre réserve, acquiesçant ainsi au jugement. En réponse à l'argumentation adverse selon laquelle l'exécution d'un jugement assorti de l'exécution provisoire ne peut valoir acquiescement, Mmes [O] soulignent que l'acquiescement doit uniquement être certain et résulter d'actes ou de faits démontrant avec évidence et sans équivoque l'intention de la partie à laquelle on l'oppose. Elles relèvent que la locataire n'a jamais soutenu que le renouvellement du bail devait être soumis à la règle du plafonnement, ni que le prix du loyer avait été fixé conventionnellement et par avance à la somme de 36.000 euros HT et HC par l'avenant du 14 novembre 2003, puisque dans son mémoire du 20 novembre 2019, reprenant les conclusions de son expert M. [X], elle a demandé à titre principal que le prix du loyer soit évalué à la somme de 38.176 euros et subsidiairement, a sollicité une mesure d'expertise, acceptant même de participer à la prise en charge de la moitié des frais. Les demanderesses à l'incident soulignent que l'exécution provisoire a été ordonnée par le juge des loyers dans le cadre du jugement entrepris en raison de l'accord des parties quant à la fixation du montant du loyer du bail renouvelé à la valeur locative. Les consorts [O] affirment que Mme [C], gérante de la société La Péniche, ne pouvait ignorer l'existence de l'avenant du 14 novembre 2003 puisqu'il a été conclu avec son ex-mari, M. [U] et qu'il y est expressément fait référence dans la copie exécutoire de l'acte de cession du fonds de commerce. Elles estiment que la société La Péniche ne dispose d'aucun motif sérieux lui permettant de remettre en cause la disposition du jugement fixant le loyer renouvelé à la valeur locative, dès lors que l'arrêt rendu ultérieurement par la cour d'appel de Versailles porte uniquement sur la nullité de la clause d'indexation et qu'il n'a donc pas autorité de chose jugée à l'égard de la fixation du prix du loyer renouvelé sur la base de l'avenant du 14 novembre 2003 à la date d'effet du 1er juillet 2019.
Par dernières conclusions d'incident remises au greffe et notifiées par rpva le 18 juin 2024, la société La Péniche demande au conseiller de la mise en état de débouter les consorts [O] de leur incident, de déclarer son appel recevable et de condamner solidairement les consorts [O] au paiement de la somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, dont distraction.
La société La Péniche répond qu'en application de l'article 410 du code de procédure civile, l'acquiescement implicite n'est possible que si une partie a exécuté sans réserve un jugement non exécutoire, alors qu'en l'espèce, le jugement déféré est assorti de l'exécution provisoire. Elle estime que pour ce seul motif, les consorts [O] doivent être déboutés de leur incident. A titre surabondant, elle explique que le dossier a évolué postérieurement au jugement entrepris, dès lors que Mmes [O] , à la suite d'une sommation de communiquer et d'un incident soulevé dans le cadre de la procédure relative à la nullité de la clause d'indexation, ont produit une grande partie des quittances et un exemplaire signé de l'avenant du 14 novembre 2003 dont elle ne disposait pas. Elle ajoute que contrairement à ce que soutiennent les demanderesses à l'incident, dès ses conclusions notifiées le 23 janvier 2021 dans le cadre de la procédure relative à la nullité de la clause d'indexation, elle a conclu que le renouvellement du bail était intervenu le 1er juillet 2019 et que le montant du loyer avait été fixé par les parties à la somme de 36.000 euros HT et HC, ce qu'elle a également indiqué à l'expert [B] pas un dire du 1er juillet 2021. La société La Péniche indique enfin que par arrêt du 5 octobre 2023, la cour d'appel a dit que le loyer de 36.000 euros convenu dans l'avenant du 14 novembre 2003 était dû à compter du 1er juillet 2019.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 27 juin 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, le conseiller de la mise en état renvoie expressément aux écritures des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'appel
L'article 408 du code de procédure civile dispose que : « L'acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action.
Il n'est admis que pour les droits dont la partie a la libre disposition ».
Par ailleurs, l'article 409 du même code énonce que : « L'acquiescement au jugement emporte soumission aux chefs de celui-ci et renonciation aux voies de recours sauf si, postérieurement, une autre partie forme régulièrement un recours.
Il est toujours admis, sauf disposition contraire ».
Enfin, l'article 410 prévoit que : « L'acquiescement peut être exprès ou implicite.
L'exécution sans réserve d'un jugement non exécutoire vaut acquiescement, hors les cas où celui-ci n'est pas permis ».
Si l'acquiescement peut être explicite ou tacite, il doit toujours être certain, c'est-à-dire résulter d'actes démontrant avec évidence et sans équivoque l'intention de la partie à laquelle on l'oppose d'accepter l'entière décision intervenue.
L'acquiescement implicite ne peut résulter que d'actes incompatibles avec la volonté d'exercer un recours.
Or, la participation sans réserve à une mesure d'instruction ordonnée par un jugement mixte ne peut, à elle seule, valoir acquiescement implicite au jugement principal.
Par ailleurs, la présomption d'acquiescement instituée par l'article 410 alinéa 2, ne s'applique pas lorsque le jugement est exécutoire.
En l'espèce, la décision déférée est un jugement mixte ayant constaté le renouvellement du bail liant les parties au 1er juillet 2019, dit que le loyer, non soumis à la règle du plafonnement, sera fixé à la valeur locative et ordonné une expertise afin de la déterminer.
Au surplus, le jugement entrepris est assorti de l'exécution provisoire et n'a jamais été signifié par les consorts [O] à la société la Péniche.
Dans ces conditions, la seule participation, même pendant plusieurs années et sans réserve, de cette dernière à l'expertise ordonnée par une décision assortie de l'exécution provisoire ne peut valoir acquiescement de sa part au jugement, de sorte que la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel doit être rejetée.
A titre surabondant, il sera relevé que contrairement à ce que prétendent les consorts [O], la société La Péniche avait demandé au juge des loyers « à titre subsidiaire, si le tribunal estime valable l'avenant du 14 novembre 2003 » de fixer le loyer « à la somme de 36.000 euros HT et HC » et par un dire du 1er juillet 2021, le conseil de la société La Péniche s'est prévalu devant l'expert [B] de l'avenant du 14 novembre 2003 pour faire valoir que le montant du loyer du bail renouvelé le 1er juillet 2019 était de 36.000 euros. Il ne peut donc être soutenu que la preneuse à bail n'a jamais revendiqué l'application du loyer conventionnellement fixé par l'avenant à compter du 1er juillet 2019, ni que la société la Péniche a participé sans réserve à la mesure d'expertise destinée à fixer le loyer renouvelé en fonction de la valeur locative de l'immeuble.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les consorts [O] qui succombent, supporteront in solidum les dépens de l'incident dont distraction et seront condamnées in solidum à payer à la société La Péniche la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière dans le cadre de l'incident.
PAR CES MOTIFS
Le conseiller de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe et susceptible de déféré,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société La Péniche à l'encontre du jugement rendu le 12 mars 2020 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles ;
Condamne in solidum Mme [T] [W] veuve [O], Mme [Z] [O] épouse [P] et Mme [F] [O], ces deux dernières agissant en leur nom et en qualité de tutrices de Mme [T] [W] veuve [O], aux dépens de l'incident, dont distraction au profit de Me Bucquet-Roussel ;
Condamne in solidum Mme [T] [W] veuve [O], Mme [Z] [O] épouse [P] et Mme [F] [O], ces deux dernières agissant en leur nom et en qualité de tutrices de Mme [T] [W] veuve [O], à payer à la société La Péniche la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.