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Cass. com., 2 octobre 2024, n° 23-16.325

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Demandeur :

U fils (SNC)

Défendeur :

Bar du XIV juillet (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Schmidt

Avocat général :

M. de Monteynard

Avocats :

Me Yves et Blaise Capron, Me Cabinet Rousseau et Tapie

Cass. com. n° 23-16.325

1 octobre 2024

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 15 mars 2023), les 10 octobre et 12 décembre 2018, la société Bar du XIV juillet, exploitant un fonds de commerce de bar, tabac et jeux, a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. [T] étant désigné liquidateur.

2. M. [U] a adressé au liquidateur une offre de reprise du fonds de commerce de la société débitrice, à l'exception du droit au bail commercial, au prix de 52 000 euros, et lui a versé la somme de 25 000 euros à titre de dépôt de garantie.

3. Par une ordonnance du 13 février 2019, le juge-commissaire a autorisé au profit de M. [U], avec faculté de substitution, la cession des éléments du fonds de de commerce de la débitrice, à l'exception du droit au bail commercial, au prix de 52 000 euros payable comptant au plus tard le jour de la signature de l'acte de cession, et dit que le transfert des droits de propriété s'opèrera à la notification de l'ordonnance à l'acquéreur.

4. Le 25 février 2019, le liquidateur a résilié le bail commercial puis, les 4 juin et 11 juillet 2019, a mis en demeure M. [U] de récupérer les matériels et le stock pour libérer les locaux.

5. Le 26 décembre 2019, le liquidateur et la société [U] fils, substituant M. [U], ont signé l'acte de cession du fonds de commerce, sous la condition suspensive de l'obtention par le cessionnaire, au plus tard le 30 juin 2020, de l'agrément de la direction générale des douanes et droits indirects, d'une part, de celui de la société Française des jeux, d'autre part. L'acte précise que le cessionnaire souhaitant dans un second temps transférer l'activité dans un nouveau local, l'agrément de la direction générale des douanes et droits indirects ne concerne pas le transfert de l'activité en lui-même. Le même jour, le solde du prix de vente a été remis au notaire.

6. Le 9 octobre 2020, M. [U] a indiqué au notaire que le transfert de l'activité avait été refusé et qu'il renonçait, pour ce motif, à la vente.

7. Le liquidateur a assigné M. [U] et la société [U] fils aux fins de voir constater la réalisation des conditions suspensives, les voir condamner à réparer le préjudice causé à la procédure collective par leur refus d'exécuter la vente et, à ce titre, lui payer les sommes de 52 000 euros représentant la valeur du fonds de commerce perdu par suite de la résiliation du bail commercial, 17 232 euros représentant les indemnités d'occupation payées au bailleur depuis la résiliation du bail jusqu'à la libération des locaux et 1 200 euros représentant les frais de déménagement.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. M. [U] et la société [U] fils font grief à l'arrêt de les condamner à payer la somme de 17 232 euros représentant les indemnités d'occupation et celle de 1 200 euros au titre des frais de déménagement alors :

« 1° / que si la vente de gré à gré d'un élément de l'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l'ordonnance du juge-commissaire qui l'autorise, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée, la vente n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à la décision du juge-commissaire ; qu'il en résulte que le transfert de propriété d'un élément de l'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire ne se produit qu'à la date de la conclusion de la convention de cession conclue entre le liquidateur judiciaire du débiteur et le cessionnaire ou, si cette convention fixe le transfert de propriété à une date différente, qu'à cette date, peu important que l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la cession ait fixé le transfert de propriété à une date différente ; qu'en énonçant, par conséquent, pour constater l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. [L] [U] et de la société [U] fils et pour condamner ces derniers à payer à M. [O] [T], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Bar du XIV juillet, la somme de 17 232 euros au titre de l'indemnité d'occupation et la somme de 1 200 euros au titre des frais de déménagement, que l'ordonnance du juge-commissaire en date du 13 février 2019 avait dit que le transfert des droits de propriété cédés et qu'elle autorisait s'opérait dès la notification de celle-ci à l'acquéreur, que cette décision avait été signifiée les 14 février et 1er mars 2019, qu'un certificat de non-appel avait été délivré le 24 avril 2019, que le défaut de libération des lieux où le fonds de commerce de la société Bar du XIV juillet avait été exploité était imputable à M. [L] [U] qui, mis en demeure, n'avait pas libéré les lieux des éléments corporels du fonds, dont il était propriétaire, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée par M. [L] [U] et par la société [U] fils, après avoir relevé que l'acte de cession des éléments du fonds de commerce de la société Bar du XIV juillet avait été conclu le 26 décembre 2019, si cet acte de cession ne reportait pas le transfert de propriété des éléments de fonds de commerce à la date de signature par le cessionnaire du traité de gérance de débit de tabacs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 642-19 du code de commerce ;

2°/ à titre subsidiaire, que si la vente de gré à gré d'un élément de l'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l'ordonnance du juge-commissaire qui l'autorise, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée, la vente n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à la décision du juge-commissaire ; que l'obligation, soumise à une condition suspensive, ne devient, sauf stipulation contraire, pure et simple qu'à compter de l'accomplissement de la condition suspensive ; qu'il en résulte que le transfert de propriété d'un élément de l'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire ne peut être fixé, lorsque la convention de cession conclue entre le liquidateur judiciaire du débiteur et le cessionnaire comporte une condition suspensive, sans prévoir la rétroactivité de son accomplissement, à une date antérieure à la date de réalisation de cette condition suspensive, peu important que l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la cession ait fixé le transfert de propriété à une date différente ; qu'en énonçant, par conséquent, pour constater l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. [L] [U] et de la société [U] fils et pour condamner ces derniers à payer à M. [O] [T], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Bar du XIV juillet, la somme de 17 232 euros au titre de l'indemnité d'occupation, que l'ordonnance du juge-commissaire en date du 13 février 2019 avait dit que le transfert des droits de propriété cédés et qu'elle autorisait s'opérait dès la notification de celle-ci à l'acquéreur, que cette décision avait été signifiée les 14 février et 1er mars 2019, qu'un certificat de non-appel avait été délivré le 24 avril 2019, que le défaut de libération des lieux où le fonds de commerce de la société Bar du XIV juillet avait été exploité était imputable à M. [L] [U] qui, mis en demeure, n'avait pas libéré les lieux des éléments corporels du fonds, dont il était propriétaire, et que la charge de l'indemnité d'occupation des lieux qui avaient été loués par la société Bar du XIV juillet, due pour la période du 25 février 2019 au 25 février 2021, reposait sur M. [L] [U] et sur la société [U] fils, quand elle relevait que l'acte de cession des éléments du fonds de commerce de la société Bar du XIV juillet conclu le 26 décembre 2019 comportait une double condition suspensive, fixait la date de réalisation de cette double condition suspensive au 30 juin 2020 et stipulait que la réalisation de ladite condition suspensive ne ferait pas rétroagir la cession à la date de la conclusion de l'acte de cession, et quand cette même double condition suspensive n'avait été réputée accomplie que par le jugement entrepris en date du 23 mars 2022 qu'elle confirmait, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 642-19 du code de commerce et de l'article 1304-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Lorsque le juge-commissaire, exerçant les pouvoirs qu'il tient de l'article L.642-19 du code de commerce, autorise la vente de gré à gré des biens meubles du débiteur, il en détermine le prix et les conditions, conformément à l'offre d'acquisition qu'il retient, auxquels ne peut déroger l'acte de cession signé ultérieurement par le liquidateur et le cessionnaire.

10. Ayant constaté que le juge-commissaire, dans l'ordonnance autorisant la cession au profit de M. [U] des éléments du fonds de commerce de la société débitrice au prix de 52 000 euros, avait fixé le transfert du droit de propriété sur ces éléments à la date de la notification de l'ordonnance à M. [U], qui était intervenue les 14 février et 1er mars 2019, et que cette ordonnance n'avait pas fait l'objet de recours, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la première branche sur un éventuel report de la date de transfert de propriété dans l'acte de cession, en a exactement déduit, dès lors que M. [U] ne prétendait ni n'établissait que son offre avait été assortie de condition suspensive, que ce dernier était devenu propriétaire des actifs ainsi cédés à la date de la notification de l'ordonnance et qu'il lui appartenait d'en prendre possession.

11. Le moyen n'est pas fondé.

Mais, sur ce moyen, pris en sa troisième branche

12. M. [U] et la société [U] fils font grief à l'arrêt de les condamner à payer la somme de 17 232 euros représentant l'indemnité d'occupation et celle de 1 200 euros au titre des frais de déménagement alors « que l'auteur d'une faute contractuelle est exonéré, au moins en partie, de sa responsabilité lorsque la victime a commis une faute qui a concouru à la réalisation de son dommage ; que, dès lors, en constatant l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. [L] [U] et de la société [U] fils et en condamnant ces derniers à payer à M. [O] [T], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Bar du XIV juillet, la somme de 17 232 euros au titre de l'indemnité d'occupation des lieux qui avaient été loués par la société Bar du XIV juillet, due pour la période du 25 février 2019 au 25 février 2021, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée par M. [L] [U] et par la société [U] fils, si M. [O] [T], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Bar du XIV juillet, n'avait pas fautivement tardé à libérer les lieux qui avaient été loués par la société Bar du XIV juillet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1231-1 du code civil. »

Vu l'article 1231-1 du code civil ;

13. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

14. Pour condamner M. [U] et la société [U] fils à payer une somme représentant l'indemnité d'occupation mise à la charge de la procédure collective du 25 février 2019 au 25 février 2021, l'arrêt retient que le défaut de libération des lieux est imputable à M. [U], qui, mis en demeure, n'a pas libéré les lieux des éléments corporels du fonds dont il est propriétaire.

15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le liquidateur n'avait pas tardé à libérer les lieux après avoir résilié le bail commercial et ainsi contribué par sa faute, fût-ce partiellement, à la réalisation du dommage dont il demandait réparation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et, sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties
Vu l'article L.642-19 du code commerce :

16. Selon ce texte, lorsque le juge-commissaire autorise la vente de gré à gré des biens meubles du débiteur, il en détermine le prix et les conditions.

17. Pour condamner M. [U] et la société [U] fils à payer au liquidateur la somme de 52 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que le refus, sans motif légitime, de M. [U] d'exécuter la convention du 26 décembre 2019 constitue une faute l'obligeant à réparer le préjudice subi par la liquidation judiciaire lequel consiste en la perte du fonds de commerce privant le liquidateur de la possibilité de le revendre.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle retenait que, conformément à l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la cession des éléments du fonds de commerce, à l'exception du droit au bail, M. [U] en était devenu propriétaire à la date de la notification de cette ordonnance, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Pau ;

Condamne M. [T], en qualité de liquidateur de la société Bar du XIV juillet, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.