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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 1 octobre 2024, n° 22/00097

CHAMBÉRY

Autre

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Stesan (SAS)

Défendeur :

Brivo (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Bollonjeon, Me Merienne et associés, Me Ballaloud et associés

CA Chambéry n° 22/00097

30 septembre 2024

Faits et procédure

La Sci Brivo est propriétaire à Thyez (74300) de locaux commerciaux d'une superficie de 2 420 m² situés dans une copropriété horizontale.

Suivant acte sous seing privé du 20 février 1991 reconduit ensuite, le 1er mars 2000 et le 4 juin 2009, le bien a été donné à bail commercial à la société Stesan ITM à l'enseigne Bricomarché et ce jusqu'au congé donné le 12 avril 2017 pour le 31 décembre 2017.

Estimant que les locaux ne lui avaient pas été restitués en bon état de réparations locatives, la Sci Brivo a sollicité en référé une mesure d'expertise, ordonnée le 8 novembre 2018 et confiée à M. [Y].

L'expert a déposé son rapport le 5 février 2020, et a estimé que l'état des locaux était dû à un défaut d'entretien et a chiffré le coût des travaux de remise en état à 223 787,36 euros TTC outre la remise en état de poteaux de bois à hauteur de 1 100 euros TTC.

Le 7 avril 2021, la Sci Brivo a assigné la société Stesan ITM devant le tribunal judiciaire de Bonneville et par jugement réputé contradictoire du 29 novembre 2021, ce tribunal a condamné la société Stesan, au titre de la remise en état des lieux, à payer à la Sci Brivo :

- la somme de 186 489,47 euros HT visée au rapport d'expertise,

- la somme de 917 euros HT au titre de la remise en état des poteaux du sas d'entrée,

- la somme de 7 870 euros au titre de la démolition de l'abri,

- ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens comprenant les frais d'expertise, avec rappel du fait que la décision bénéficiait de l'exécution provisoire de droit.

Au visa principalement des motifs suivants :

L'état des lieux traduit que la locataire a manqué à ses obligations contractuelles concernant l'obligation de procéder aux réparations locatives alors que les dégradations étaient au demeurant liées à son fait ;

Pour le remplacement du sol du vestiaire, la reprise des peintures de la jardinerie et le remplacement de la porte de chaufferie, il s'agit de postes non visés au rapport de l'expert et pour lesquels il n'existe pas de constatation spécifique dans le constat d'huissier.

Par déclaration au greffe du 18 janvier 2022, la société Stesan ITM a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions puis le 15 mars 2022, a fait assigner la Sci Brivo en référé devant la première présidente de la cour d'appel de Chambéry afin de voir arrêter l'exécution provisoire de la décision en application de l'article 514-3 du code de procédure civile et à titre subsidiaire d'être autorisée à consigner le montant des condamnations.

Par un arrêt du 16 juin 2022, la première présidente de la cour d'appel de Chambéry a :

- Rejeté la demande principale ;

- Autorisé la société Stesan ITM à consigner à la Caisse des dépôts et consignations le montant des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du 29 novembre 2021 du tribunal judiciaire de Bonneville rendu dans une instance 21/00379 ;

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit que la société Stesan ITM conservera à sa charge les dépens du présent référé.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 12 mars 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Stesan ITM sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

- Prononcer la nullité du rapport d'expertise de M. [Y] ;

- Fixer la créance de la SCI Brivo à la somme de 19 341,26 euros ;

- Fixer sa créance à la somme de 70 944 euros ;

- Condamner la SCI Brivo après compensation à lui payer la somme de 51 602,74 euros ;

- Condamner la SCI Brivo à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SCI Brivo aux entiers dépens avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Me Bollonjeon, avocat.

Au soutien de ses prétentions, la société Stesan ITM fait valoir :

' que le rapport d'expertise de M. [Y] s'est fondé sur une pièce n°37 qui ne lui a pas été préalablement communiquée par la partie adverse, et que M. [Y] n'a pas répondu à sa mission, entérinant un chiffrage de réparations de la toiture de 44 588,82 euros sans examen préalable et sans disposer de tous les devis correspondant aux désordres, outre une absence de réponse au dire du 30 janvier 2020 ;

' qu'il appartient au bailleur de démontrer l'existence d'un préjudice lié à l'absence d'entretien et de défaut d'exécution des réparations locatives par le locataire, et que ce préjudice s'évalue au jour où le juge statue ;

' qu'en l'espèce, les locaux sont reloués depuis avril et juin 2018, que certaines factures sont au nom des nouveaux locataires, et que la loi Pinel est applicable, excluant les réparations de l'article 606 du code civil des obligations pouvant reposer sur le locataire commercial.

Par dernières écritures du 15 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Brivo sollicite de la cour de :

- Débouter la société Stesan ITM de son appel ;

- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- Condamner la société Stesan ITM à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens.

A l'appui de son argumentation, la société Brivo énonce :

' que la pièce 37, qui n'est qu'un récapitulatif des devis de réparations, a été communiquée lors de la réunion expertale du 5 février 2019, qu'il n'y a en tout état de cause pas de grief ;

' que l'expert a bien constaté les désordres lors de deux réunions sur place, et que l'expert a répondu en page 10 au dire du 30 septembre 2020 ;

' que la relocation des lieux est indifférente et que le bailleur n'a pas à démontrer la réalisation effective des travaux par des factures pour obtenir indemnisation des dégradations locatives ;

' qu'en tout état de cause, la relocation a pu être effectuée, après quelques mois, mais avec une perte de loyer de 7 000 euros HT par an ;

' que la rédaction d'un avenant le 7 octobre 2014, portant sur des surfaces complémentaires, n'a pas pu faire entrer l'ensemble des locaux loués précédemment dans le régime de la loi Pinel, de sorte que les grosses réparations de l'article 606 du code civil relevaient bien de la responsabilité du locataire.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 18 mars 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 14 mai 2024.

MOTIFS ET DECISION

I- Sur la nullité du rapport d'expertise

L'article 175 du code de procédure civile dispose 'La nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure.'

La société Stesan ITM ne conteste pas dans ses conclusions avoir reçu 37 pièces de la part de la société Brivo lors de la réunion expertale du 5 février 2019, mais estime que l'absence de communication de la pièce 37 à sonvocat lui cause un grief.

Or, il résulte des élément du dossier que la pièce 37 est un simple récapitulatif des divers devis de réparations, et n'apporte en conséquent aucun élément nouveau autre que le résultat de l'addition des différentes sommes chiffrées dans les devis. Il n'existe en conséquence aucun grief pouvant être soulevé par la société Stesan ITM, laquelle a en outre, reçu communication de l'intégralité des pièces remises à l'expert, rendant inapplicable la sanction de nullité pour violation d'une formalité substantielle prononcée dans un arrêt 1ère Civ. 30 avril 2014, pourvoi n°13-13.579.

Dans son dire du 30 janvier 2020, Me Merienne, avocat de la société Stesan contestait le chiffrage de réparations sur le bâtiment occupé par 'maxitoys', qui ne lui a jamais été loué, et la prise en compte de désordres portant sur les poteaux de l'auvent de Bazarland, la porte de la réserve, les coupures dans le sol, qui n'étaient pas visées dans le constat d'huissier du 26 décembre 2017 et n'entraient pas dans la mission.

L'ordonnance de référé du 8 novembre 2018 a imparti à M. [Y] la mission de 'se rendre sur les lieux, sur la commune de [Localité 5], lieudit '[Localité 2]', les visiter en présence des parties et leurs conseils et les décrire, examiner les désordres allégués, les dégradations, les décrire, et préciser leur cause et leur origine', de sorte qu'il n'existait pas de limite spécifique portant sur les désordres à examiner, ceux-ci devant toutefois porter sur le bien loué par la société Stesan ITM à la société Brivo.

Il résulte enfin du rapport de M. [Y] que celui-ci a répondu aux éléments soulevés le 30 janvier 2020 par Me [V] avant la conclusion 'point n°1 : concernant le bâtiment Maxi Toys (...), point n°2 : concernant les désordres non évoqués sur le constat d'huissier (...) Point n°3 : concernant les discussions sur les devis, etc, (...) J'ai organisé une dernière réunion technique en accord avec tout le monde, durant laquelle nous avons pris tout le temps nécessaire pour voir les devis selon tableau ci-joint dans mon pré-rapport.'

La société Stesan ITM ne démontrant pas de manquement de M. [Y] dans les réponses à sa mission, il y a lieu de rejeter sa demande de prononcé de la nullité du rapport d'expertise judiciaire du 5 février 2020, étant précisé qu'un tel élément n'est en tout état de cause qu'un avis technique d'un professionnel, qui peut être discuté par les parties et ne s'impose nullement au juge.

II- Sur les réparations locatives

Aux termes de l'article 1134 ancien du code civil, applicable au bail commercial renouvelé en dernier lieu le 4 juin 2009, à compter rétroactivement du 1er janvier 2009 'les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites'. Il résulte des articles 1730 et 1731 du code civil que le locataire doit répondre des dégradations locatives affectant le bien loué, excepté ce qui a été dégradé par vétusté ou par force majeure.

En l'espèce, aucun état des lieux d'entrée n'a été effectué, conformément à l'accord des parties, le preneur ayant accepté, aux termes du contrat de bail, de prendre les locaux dans l'état dans lequel ils se trouvaient au jour de son entrée en jouissance. Il est constant en outre que l'immeuble a été exploité de manière continue depuis 1991, date à laquelle il est soutenu que le bien était dans un état neuf. L'appelante aura en définitive exploité les lieux pendant vingt-sept ans, peu importe sur ce point que les gérants de la société Brivo, M.et Mme [G], aient été associés ou dirigeants de la société Stesan ITM avant cession de leurs parts sociales.

Par ailleurs, comme l'ont relevé les premiers juges et l'a constaté l'expert judiciaire, le contrat de bail mettait à la charge du preneur une obligation d'entretien renforcée par rapport aux seules prescriptions légales, et ce en contrepartie de la fixation d'un loyer qui était relativement modique par rapport à la surface du bien, locaux d'environ 2 420 m2 avec 3 716 m² de jouissance privative des parties communes, auquel a été rajouté en 2014 un auvent bâti de 150 m² et un couvert chauffé de 500 m². A ce titre, le locataire devait notamment procéder aux grosses réparations définies par l'article 606 du code civil. Si ces stipulations contractuelles ne peuvent dispenser le bailleur de son obligation générale de délivrance, elles relèvent de la liberté contractuelle offerte aux parties et n'apparaissent contraires à aucune disposition légale ou réglementaire d'ordre public antérieure à la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 dite Pinel, les articles R145-35 à R145-37 du code de commerce portant sur la répartition des charges n'étant applicables qu'aux baux conclus et renouvelés à compter du 5 novembre 2014 (3e Civ., 17 juin 2021, pourvoi n°20-12.844).

Aucun état des lieux de sortie n'ayant été réalisé de manière contradictoire, l'état des locaux après le départ de la société Stesan ITM doit être déterminé sur la base des conclusions expertales de M. [Y] et du constat d'huissier de Mme [B], clerc assermenté, réalisé le 26 décembre 2017. L'expert a relevé, au terme de son rapport, l'existence de dégradations importantes, imputables au locataire, les désordres étant 'majoritairement dus à un manque de rigueur dans l'attention à porter au quotidien dans le soin dans l'usage du bâtiment. La vétusté du bâtiment n'est pas en cause.' Il évalue les frais de remise en état qui doivent être supportés à ce titre par la société Stesan ITM à hauteur d'une somme totale de 223 787,36 euros TTC.

Sur la base de ces conclusions expertales, la société Brivo a sollicité en première instance la paiement d'une somme totale de 263 130,13 euros TTC au titre des dégradations locatives, qui a été accueillie par le tribunal à hauteur de 195 276,47 euros HT.

Cependant, comme le fait observer en cause d'appel la société Stesan ITM, il appartient à la société Brivo, qui agit en responsabilité contractuelle, de rapporter la preuve d'un manquement de sa locataire à ses obligations, mais également de l'existence d'un préjudice réel et certain qui lui aurait été causé par cette faute.

S'il est de jurisprudence constante que le bailleur n'est pas tenu de justifier de la réalisation des travaux de remise en état du bien loué pour obtenir la prise en charge par son locataire des dégradations locatives qui lui incombent, il lui appartient cependant de démontrer qu'il subit réellement un préjudice en lien avec ces dégradations. Des dommages-intérêts ne peuvent en effet être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle (3ème Civ, 3 décembre 2003, pourvoi n° 02-18.033, Bulletin civil 2003, III, n° 221).

Or, en l'espèce, il est apparu, en cause d'appel, que la société Brivo a pu relouer le bien litigieux en avril et juin 2018, en deux lots distincts, soit quelques mois seulement après le départ de la société Stesan.

La société Brivo prétend que les dégradations locatives imputables à son ancienne locataire ont eu un impact sur les nouveaux loyers obtenus de ces nouveaux locataires. Force est cependant de constater qu'elle n'apporte aucun élément - extérieur à ses allégations - susceptible de le démontrer et ne verse aux débats aucun des contrats de baux conclus en 2018.

Il lui appartient pourtant, pour justifier d'un préjudice, de rapporter la preuve de ce que les dégradations locatives imputables à la société Stesan ont conduit les nouveaux locataires à proposer un loyer inférieur, ce dont il est permis de douter alors que les contrats de bail ne sont pas versés aux débats.

Il résulte toutefois des pièces versées aux débats que la société Brivo a pris en charge des travaux pour un montant total de 49 523,66 euros HT, en excluant les factures qui sont au nom des nouveaux locataires (facture EMC74) ou d'un tiers (facture Canopé) et celles dont les travaux ne sont pas en rapport avec les constatations de l'huissier (facture Kauder dont l'objet est indéterminable, facture [F] du 25 avril 2019 prévoyant la réfection des enrobés, mais aussi du terrassement, de l'installation de regards, et factures de la société Plantaz du 31 mars 2019 font état de la réfection des réseaux d'eau potable et d'eau usées sans rapport avec aucun des éléments repris dans le rapport d'expertise ou le constat d'huissier valant état des lieux).

La société Stesan ITM évoque en dernier lieu, sans être contredite sur ce point, que la société Brivo détient une somme de 70 944,00 euros à titre de dépôt de garantie. Après compensation avec celui-ci, la société Stesan est créancière de 21 420,34 euros correspondant au reliquat du dépôt de garantie.

Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé en sa totalité.

III- Sur les demandes accessoires

La société Stesan obtient gain de cause en appel, en ayant toutefois omis de comparaître en première instance. En dépit de son succès, et au regard du fait qu'elle restait débitrice de réparations locatives, celle-ci sera condamnée à prendre en charge les dépens de l'instance d'appel. Il n'apparaît enfin pas inéquitable de rejeter les demandes réciproques au titre de l'article 700 du code de procédure civile que formulent les parties et de laisser à chacune d'elle les frais irrépétibles non compris dans les dépens qu'elle a engagés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Rejette la demande d'annulation de l'expertise judiciaire du 5 février 2020 de M. [N] [Y],

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a dit que la société Stesan ITM a manqué à son obligation de restituer les lieux en bon état de réparations locatives, et a condamné la société Stesan ITM aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Fixe la créance de réparations locatives de la société Brivo à l'encontre de la société Stesan ITM à 49 523,66 euros,

Constate que la société Brivo a perçu de la société Stesan ITM un dépôt de garantie de 70 944,00 euros,

Condamne, après compensation, la société Brivo à payer à la société Stesan ITM la somme de 21 420,34 euros,

Y ajoutant,

Condamne la société Stesan ITM aux dépens de l'instance d'appel,

Rejette les demandes formulées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par les parties.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 01 octobre 2024

à

la SELARL BOLLONJEON

la SARL BALLALOUD ET ASSOCIES

Copie exécutoire délivrée le 01 octobre 2024

à

la SELARL BOLLONJEON

la SARL BALLALOUD ET ASSOCIES