CA Versailles, ch. civ. 1-3, 26 septembre 2024, n° 22/02973
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Buffalo Grill (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perret
Conseillers :
Mme Girault, M. Maumont
Avocats :
Me Dontot, Me Dupuis, Me Gaviano
FAITS ET PROCEDURE :
De février 2017 à septembre 2018, M. [L] [T] [Y] a été en pourparlers avec la société Buffalo Grill en vue de se voir confier l'ouverture d'une franchise sous cette enseigne dans le Var.
Prétendant à la rupture abusive des pourparlers, M. [L] [T] a fait assigner en réparation, par acte d'huissier du 24 décembre 2018, la société Buffalo Grill devant le tribunal judiciaire de Nanterre.
Par jugement du 7 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- dit que la responsabilité de la société Buffalo Grill est engagée,
- condamné la société Buffalo Grill à verser M. [L] [T] une somme de 20 000 euros de dommages et intérêts,
- condamné la société Buffalo Grill à verser à M. [L] [T] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provision.
Estimant qu'il n'avait pas été assez indemnisé par cette décision, M. [L] [T] a interjeté appel de la décision par acte du 26 avril 2022, et cette affaire a été enrôlée sous le numéro 22/2884.
Considérant qu'elle n'avait commis aucune faute et qu'il n'existe pas de préjudice indemnisable, la société Buffalo Grill a, par acte du 28 avril 2022, également interjeté appel de la décision. L'appel a été enrôlé sous le numéro 22/2973.
Par ordonnance du 1er juin 2023, les deux affaires ont été jointes sous le numéro unique 22/2973.
Par dernières écritures d'appel incident du 30 avril 2024, la société Buffalo Grill prie la cour de :
- la recevoir en son appel,
- annuler le jugement du 7 octobre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre pour défaut de motivation,
Subsidiairement,
- infirmer le jugement du 7 octobre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'il a :
* dit que la responsabilité de la société Buffalo Grill est engagée,
* condamné la société Buffalo Grill à verser à M. [L] [T] une somme de 20 000 euros de dommages et intérêts,
* condamné la société Buffalo Grill à verser à M. [L] [T] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société Buffalo Grill aux dépens,
Statuant à nouveau,
- déclarer irrecevables les demandes de condamnations formulées par M. [L] [T] au titre de "pertes financières directes" et "pertes financières indirectes" formulées pour la première fois en cause d'appel,
- débouter M. [L] [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [L] [T] à payer à la société Buffalo Grill la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [L] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Me Dontot, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 2 avril 2024, M. [L] [T] prie la cour de :
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel interjeté,
- voir rejeter l'appel de la société Buffalo Grill,
- juger qu'aucun appel incident n'a été introduit, la demande d'article 700 tel que présentée n'en étant pas un,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre en date du 7 octobre 2021 en ce qu'il a jugé que la responsabilité de la société Buffalo Grill était engagée,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Buffalo Grill à ne verser à M. [L] [T] qu'une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Buffalo Grill à ne verser à M. [L] [T] que la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Buffalo Grill à régler à M. [L] [T] les sommes suivantes :
* pertes financières directes ....................................................................34 000 euros,
* pertes financières indirectes ................................................................ 33 345 euros,
* préjudice moral .................................................................................. 100 000 euros,
Soit un total de ....................................................................................... 167 345 euros,
- condamner la société Buffalo Grill à payer une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.
EXPOSE DES MOTIFS
A titre liminaire, il est rappelé qu'en vertu de l'article 768 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
D'autre part les demandes tenant à voir " constaté " ou " dire et juger " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 de ce même code.
S'agissant de la demande de M. [L] [T] de voir " juger qu'aucun appel incident n'a été introduit, la demande d'article 700 tel que présentée n'en étant pas un " elle n'est pas motivée dans les motifs de ses conclusions. Il sera néanmoins relevé que dans le cadre de la procédure d'appel enregistrée sous le numéro RG 22/02884 Buffalo Grill a communiqué des conclusions d'intimé avec appel incident le 19 octobre 2022, en réponse aux conclusions d'appelant de Monsieur [L] [T] datées du 26 juillet 2022. La société Buffalo Grill sollicitait à titre principal l'annulation du jugement du 7 octobre 2021 pour défaut de motivation et à titre subsidiaire, sa réformation. Contrairement à ce que soutient M. [L] [T], la société Buffalo Grill n'a donc pas formé une simple demande au titre de d'article 700 du code de procédure civile.
En outre, cette procédure a été jointe avec la procédure initiée par M. [L] [T] et les conclusions récapitulatives datant du 30 avril 2024 de la société Buffalo Grill reprennent l'appel incident avec l'ensemble des demandes reprises dans l'exposé du litige.
Dès lors, M. [L] [T] est débouté de sa demande.
Sur la demande de nullité du jugement
La société Buffalo Grill soutient que le jugement doit être annulé pour défaut de motivation résultant d'une contrariété de motifs. Elle estime que le tribunal s'est contredit en attribuant une somme au titre de ses préjudices matériel et moral, alors même qu'il affirme que M. [T] ne produit aucun justificatif de frais et ne précise pas la nature des préjudices qu'il prétend avoir subis.
M. [L] [T] fait valoir que le tribunal a retenu de manière claire l'indemnisation de son préjudice matériel, mais non de la rupture abusive des pourparlers qu'il chiffrait à 500 000 euros, telle que l'assignation l'énonçait.
Sur ce,
En vertu de l'article 455 du code de procédure civile, " Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
Il énonce la décision sous forme de dispositif ".
L'article 458 du code de procédure civile prévoit que ce qui est prescrit par l'article 455 (alinéa 1) doit être observé à peine de nullité.
La contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs (Civ 3ème, 3 octobre 1991, n°90-12.088 P).
Le tribunal a retenu que : " Monsieur [L] [T] ne verse aux débats aucun document de nature à chiffrer son préjudice alors qu'il demande la somme de 500.000 € ; il ne produit aucun justificatif de frais et ne précise pas plus la nature des préjudices qu'il prétend avoir subis.
Il lui sera alloué au titre de ses préjudices matériels (déplacements, stages, temps de négociations, temps de travail pour les études de marchés...) et moral une une (sic) somme de 20.000 € de dommages et intérêts. "
En l'espèce, à la demande formulée devant les premiers juges (500.000 euros de dommages et intérêts au profit de Monsieur [L] [T]) le tribunal a répondu qu'une faute indemnisable dans la rupture abusive des pourparlers contractuels justifiait l'octroi de dommages et intérêts. Le tribunal relève qu'aucune pièce ne vient étayer la somme sollicitée de 500 000 euros et évalue forfaitairement les préjudices en conséquence, n'ayant manifestement pas pu se fonder sur une argumentation détaillée et chiffrée des préjudices. En revanche, les éléments retenus par les juges sont énumérés de sorte qu'il y a lieu de considérer qu'il n'existe pas de défaut de motivation à la décision ni de contrariété à reconnaître un préjudice demandé mais qui n'est pas développé par la partie demanderesse. Il s'agit plutôt, dans l'analyse qu'en fait tribunal, d'une appréciation forfaitaire de préjudices non chiffrés, au regard de l'importance de la demande. La demande de nullité du jugement qui suppose un vice grave qui n'est pas motivé par la société Buffalo Grill et non un grief porté sur le bien-fondé de la décision n'est pas justifié en l'espèce.
Sur la responsabilité
Au soutien de sa demande d'infirmation, la société Buffalo Grill expose qu'elle n'a commis aucune faute ni abus dans la rupture des pourparlers avec M. [L] [T]. Elle fait valoir que les négociations ont été suspendues pendant plus d'un an avec ce dernier en raison d'une part de l'absence d'avancées des discussions s'agissant de la conclusion d'une promesse de bail avec la société Mercialys, et en raison d'autre part, de ce que le stage d'immersion de M. [L] [T] a eu lieu seulement en septembre 2018. En deuxième lieu elle considère que M. [L] [T] n'a fourni aucun travail au cours de ces pourparlers, que ce dernier est étranger au développement du projet et à l'obtention du bail commercial à [Localité 7] et que les projets d'implantations ont été réalisés par son salarié, M. [V] [J]. La société Buffalo en conclut que les négociations ont duré véritablement 4 mois, entre l'obtention du bail en juillet 2018 et l'examen de la robustesse de la candidature de M. [L] [T] au cours, notamment via un stage d'immersion en septembre 2018.
Par ailleurs, elle soutient que les motifs du jugement retenant sa mauvaise foi sont insuffisants et qu'au contraire, elle a mené de bonne foi les pourparlers. Elle affirme qu'aucune contrainte n'a pesé sur M. [L] [T] lorsqu'il a signé la clause dans le contrat de stagiaire, de non engagement automatique à la conclusion d'un contrat de franchise à l'issue du stage d'immersion.
Enfin, elle soutient que la candidature de M. [L] [T] a été écartée au regard des doutes et du manque de confiance quant à sa capacité à manager des équipes et allègue que la mise en vente du fonds de commerce de [Localité 7] ne permet pas de remettre en cause le manque de compétences de M. [L] [T].
Pour critiquer la motivation du jugement qui s'appuie sur l'attestation de M. [J], la société Buffalo Grill rappelle que ce dernier est un ancien employé animé d'une intention de revanche à l'égard de son ex-employeur, et que son attestation est dénuée de toute objectivité. Elle relève que ce dernier n'avait aucun pouvoir de décision, que l'implication de M. [L] [T] dans le montage du dossier de franchise était " subsidiaire, voire négligeable ", et qu'il ne pouvait légitimement croire qu'il avait été sélectionné avant la sécurisation de l'emplacement auprès du bailleur.
En réponse, M. [L] [T] soutient que les pourparlers ont débuté dès février 2017, et ont duré jusqu'en novembre 2018 et qu'il a
- échangé avec l'ensemble des collaborateurs de l'enseigne, à savoir Messieurs [P] [B] (sic), [U] [I], [U] [J] (sic)
- effectué différents études pour différents sites : [Localité 13], [Localité 7], [Localité 8]
- eu plusieurs rendez-vous au siège social de l'entreprise à [Localité 10]
- fait plusieurs stages d'immersion
- été tenu informé du projet de manière détaillée
- reçu une réponse de validation du projet (sms du 25.07.2018)
Il fait valoir qu'il lui a été demandé de redéposer un dossier en juin 2018 suite à un changement de direction chez Buffalo Grill, que ses compétences en management ne faisaient pas de doute au regard de ses expériences antérieures, qu'il avait été présenté comme candidat local connu à la société bailleresse des locaux de [Localité 7], avant d'être orienté sur un projet à [Localité 13] puis à [Localité 8]. Il expose ensuite avoir fait appel à un cabinet d'expertise comptable pour effectuer un " provisionnel ", avoir reçu différents messages de M. [I], chargé du développement Sud-est de Buffalo Grill, l'informant des étapes puis avoir été reçu à [Localité 10] pour la mise en place de son projet d'implantation le 23 juillet 2018 ne comprenant pas ensuite pourquoi il était évincé. Il s'appuie sur le témoignage de M. [J] qui indique qu'il a travaillé deux ans sur le projet et que sa candidature avait été validée par l'ancienne direction avant d'être remise en question.
Se fondant sur l'article 6 alinéa 3 du code européen des contrats, il estime que la rupture des pourparlers était abusive car sans motif justifié de sorte que la société Buffalo Grill a agi de mauvaise foi.
Sur ce,
L'article 1104 du code civil dispose que " Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public. "
Aux termes de l'article 1112 du même code précise que " L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu ".
En l'espèce, M. [V] [J], chargé de développement franchise chez Buffalo Grill jusqu'à son départ de l'entreprise en janvier 2019 atteste avoir travaillé avec M. [L] [T] durant deux ans pour créer un restaurant Buffalo Grill dans le secteur du bassin de [Localité 12] et que la Direction de cette chaîne avait validé la candidature de ce dernier.
Même si cette attestation d'un ancien salarié est contestée par la société Buffalo Grill, et qu'elle mentionne une déception quant aux orientations stratégiques prises ayant eu un impact sur les dossiers qu'il suivait, elle s'appuie sur une réalité attestée par différents éléments et particulièrement des échanges entre M. [L] [T] et plusieurs salariés de la société Buffalo Grill.
Il résulte en effet des échanges de mails entre eux que M. [L] [T] était informé par M. [J] des lieux de prospection pour l'implantation d'un restaurant de la chaîne et identifié comme candidat, mis en avant dans le cadre des échanges avec au moins un bailleur, la société Mercialys.
Ainsi, par mail du 30 juin 2017, des éléments d'un projet à [Localité 13] sont communiqués avec un rendez-vous sur place le 5 juillet outre l'information d'une visite avec un aménageur le 19 juillet incluant M. [M], directeur de développement et M. [P] [C], chargé prospection. (Pièce 3 de M. [L] [T]). M. [J] précisait par ailleurs à ses collègues qu'il était " important pour le candidat de connaitre [leur] avis sur l'emplacement pour avancer " et que, s'agissant d'une zone neuve, " M. [L] a du mal à se projeter " (Pièce 10 de M. [L] [T]).
Lui était également communiqué le 28 juillet 2017, le plan de masse sur " la cellule de [Localité 7] ", puis le 1er août 2017 " le dossier chiffré de [Localité 7] ", dont le document de présentation mis en forme manifestement selon la charte graphique de Buffalo Grill, et qui mentionne le nom de " [L] ", juste avant un rendez-vous avec M. [A], responsable de l'accompagnement franchise et [N] [X], responsable de développement franchise pour le nord chez Buffalo Grill (Pièces 4 et 5 de M. [L] [T]).
De même, était transféré à M. [L] [T] un mail du 24 novembre 2017 de [V] [M], Directeur de développement de la chaîne, portant sur la négociation avec le bailleur des locaux à [Localité 7]. Ce mail mentionne que leur " candidat est justement un local indépendant connu sur le bassin pour les activités de restauration qu'il a pu gérer avant de se lancer dans l'aventure Buffalo Grill ". (Pièce 8 de M. [L] [T]) .
Un autre dossier d'implantation à [Localité 8] a été communiqué à M. [L] [T] par mail du 6 mars 2018, sur lequel ce dernier se déclare " très intéressé " et indique qu' " il serait intéressant de visiter le site pour approbation finale " et propose de profiter de la venue de " [U] " pour visiter avec lui. (Pièce 11 de M. [L] [T])
Une immersion en octobre 2017 était projetée comme le démontre l'échange de SMS entre M. [L] [T] et M. [A] (Pièce 7 de M. [L] [T]), témoignant de ce que M. [L] [T] avait déjà passé l'étape de validation du dossier de candidature écrit.
Si l'ensemble des courriels produits démontrent que M. [J] a préparé des documents pour une implantation dans le sud de la France, il en ressort également que M. [L] était à la fois identifié comme candidat pour assurer l'ouverture d'une franchise par d'autres cadres de Buffalo Grill avec qui il communique par SMS et téléphone, mais aussi qu'il était associé au travail de M. [J] et en pourparlers constants, pour des visites et des échanges, comme il résulte du mail du 21 juin 2018 de M. [J] transmettant l'ensemble du dossier de l'implantation à [Localité 7] (comprenant notamment l'étude de marché, le book avec le plan de financement et les détails de l'aménagements et des équipements envisagés), en vue d'une étude provisionnelle d'un expert-comptable (Pièce 14 de M. [L] [T]).
Au regard de la demande de M. [L] [T] de trouver pour lui une implantation (Pièce 6 de Buffalo Grill) et du dossier de candidature demandant des garanties financières au candidat et la capacité à mobiliser un apport (Pièce 3 de la société Buffalo Grill), il apparaissait en effet inhérent à l'opération d'ouverture d'une franchise d'associer le candidat dans le projet d'une implantation. Il est constant que si la candidature n'avait pas reçu une approbation, le processus d'accompagnement n'aurait pas démarré ni aucun acte consistant à l'associer à une quelconque démarche de recherche d'implantation, réalisé.
Au regard de ces éléments et des agissements de M. [J] représentant la société Buffalo Grill dans ses rapports avec M. [L] [T], il est patent que la candidature de M. [L] [T] avait été retenue par la société Buffalo Grill, contrairement à ce qu'elle soutient, même si des stages d'immersion pouvaient venir compléter, conforter ou infirmer la validation finale du candidat par l'entreprise. Ainsi le SMS du 25 juillet 2018 de M. [J] à M. [L] [T] " Salut [Y], c'est validé pour toi c'est bon. Mais ils veulent te faire une immersion de 7 jours dans un restaurant. C'est emmerdant. Mais sur le fonds ils sont ok pour continuer avec toi " est sans équivoque sur la validation d'une étape de processus de recrutement et de reconnaissance d'un travail conjoint déjà mené puisqu'il s'agit de " continuer " (Pièce 16 de M. [L] [T]).
Malgré deux immersions non contestées par la société Buffalo Grill en septembre 2017 à [Localité 5] et en octobre 2017 à [Localité 6], une nouvelle immersion de plusieurs jours était en effet décidée dans le restaurant de [Localité 9] (Pièces 10-11 et 12 de la société Buffalo Grill), après laquelle la candidature de M. [L] [T] était écartée, pour des motifs tenant à ses capacités managériales qui n'ont pas convaincu à l'issue de cette immersion. Or cette compétence à piloter une équipe d'une vingtaine de personnes avait été particulièrement mise en avant par le directeur général de Buffalo Grill qui a pris ses fonctions en janvier 2018 quand il exposait sa nouvelle stratégie de développement de sa société (Pièce 2 de la société Buffalo Grill). Cette compétence était celle " à conforter " mentionnée par M. [L] [T] lui-même dans son dossier de candidature.
Si les études de différents sites évoquées par M. [L] [T] ne sont pas produites aux débats et contestées par la société Buffalo Grill, il n'en demeure pas moins qu'il est constant qu'il a été associé aux visites des lieux pressentis d'implantation et associé à la démarche de création d'une franchise par Buffalo Grill, en la personne de M. [J], et en lien avec d'autres cadres de l'entreprise en charge du développement des franchises. L'investissement pour l'étude provisionnelle présentée aux cadres de l'entreprise n'aurait pu être concrétisé et l'étude présentée, sans la participation active de M. [J] et les échanges durant tout le processus. Contrairement à ce qu'allègue la société Buffalo Grill, le fait que cette étude n'ait pas été faite par M. [L] [T], qui n'exerce manifestement pas le métier de comptable, mais par un cabinet d'expertise comptable, ne signifie pas l'absence de tout travail de ce dernier sur ce dossier ni l'absence de tout investissement quel qu'il soit.
Que le changement de direction et de stratégie de l'entreprise ait conduit à un nouvel examen de sa candidature est indépendant des opérations qui se tenaient en parallèle, qui pouvaient légitimement lui laisser penser que non seulement sa candidature avait été retenue mais qu'en outre elle était validée. A cet égard, il est à noter qu'aucune des parties ne produit ni un échange officiel de validation de la candidature, alors que des échanges très concrets sur des implantations se sont déroulés durant plus d'un an après le dépôt en février 2017 de celle-ci, ni non plus un échange informant M. [T] que sa candidature n'a pas été retenue. En effet la société Buffalo Grill ne fait que répondre à un courrier de M. [L] [T] demandant quand il pourra signer le contrat de franchise, par un courrier regrettant qu'il ait interprété comme " un élément de pourparlers " la validation d'une étape du processus de sélection d'une candidature (Pièce 15 de la société Buffalo Grill). S'il n'est pas contesté que M. [L] [T] a été informé le 19 octobre 2018, puisqu'il en fait mention dans un courrier (Pièce 8 de la société Buffalo Grill), aucun élément de la grille de critères très précis mentionnée par celle-ci ne permet de considérer que le traitement de la candidature de M. [L] [T] a suivi un processus de validation compréhensible et lisible pour ce dernier, lui permettant d'anticiper les étapes et projeter que sa candidature n'était pas encore validée.
Enfin, le contrat de stagiaire en immersion au sein du restaurant de [Localité 9] en septembre 2018 mentionne : " le Stagiaire est informé que la réalisation du stage d'observation Buffalo Grill n'implique en aucun cas, pour l'une ou l'autre des parties, l'obligation de s'engager par la conclusion ultérieure d'un contrat de franchise, qui ne reste ainsi qu'une éventualité.
Chaque partie restera ainsi libre, à tout moment, d'accepter ou de refuser de conclure un contrat de franchise Buffalo Grill, sans avoir à motiver sa décision, et ce, sans indemnité au profit de l'autre partie. (')
Si à l'issue du stage d'observation, le processus de candidature n'est pas poursuivi par le Stagiaire et/ou le Franchiseur, et/ou si ce processus n'aboutit pas à la signature d'un contrat de franchise Buffalo Grill, pour quelle que raison que ce soit, les relations entre les parties prendront fin de plein droit, sans autre formalité ni indemnité de part et d'autre ".
Cette clause, si elle est claire, vient contredire le SMS envoyé le 25 juillet 2018 par M. [J], de sorte que M. [L] [T] a pu légitimement considérer qu'elle remettait en question l'accompagnement reçu depuis février 2017 de sa candidature par la société Buffalo Grill.
Il en résulte que la société Buffalo Grill a entretenu un flou sur la candidature et le projet de M. [L] [T] durant plus d'un an jusqu'à cet écrit, peu important le caractère significatif des productions de celui-ci dans les différents projets d'implantation. Au regard des rapports entretenus durant cette période, [L] [T] pouvait en effet légitimement croire que M. [J] n'agissait pas sans que sa candidature aité ét validé par la société Buffalo Grill.
Indépendamment de la décision intuitu personae de recrutement de M. [L] [T] en qualité de franchisé qui relève du choix de la société Buffalo Grill dans lequel la cour ne saurait donner une quelconque appréciation, la mauvaise foi de ladite société est rapportée dans le traitement du processus de validation de la candidature de M. [L] [T], à qui il a été demandé une implication par des immersions et dans les projets d'implantation afin de voir aboutir son dossier durant plus d'une année et demie avant que le processus ne s'arrête sans que ne lui soit expliqué cette cessation malgré les liens constants qui avaient existé durant cette période. En effet, aucun élément n'est rapporté prouvant que la société Buffalo Grill avait informé M. [L] [T] de l'insuffisance de ses capacités de management.
Dès lors, par ces motifs ajoutés à ceux du tribunal, la cour confirme le jugement qui a considéré que la société Buffalo Grill avait fait durer les pourparlers avec M. [L] [T] de manière excessive, même si cette durée était due pour partie à la recherche de baux commerciaux, et a rompu de manière abusive les pourparlers contractuels, engageant sa responsabilité.
Sur l'indemnisation de M. [L] [T]
M. [L] [T] expose que son préjudice est constitué de pertes financières directes et indirectes et d'un préjudice moral. Il fait valoir qu'il avait bloqué des liquidités à hauteur de 300 000 euros pendant 3 ans pour la période nécessaire à la mise en 'uvre du projet Buffalo Grill et que la perte de ce placement consiste en l'intérêt au taux légal non perçu durant cette période, qu'il chiffre à 33 345 euros. Il demande le remboursement des sommes exposées durant les pourparlers et chiffre à 840 heures le temps passé à travailler sur le dossier. Il fait valoir également que la perte d'exploitation du restaurant qu'il aurait pu ouvrir s'élève à 74 819 euros sur 3 années, soit 224 457 euros, selon les chiffres fournis selon l'analyse du chiffre d'affaires provisionnel effectuée par le cabinet d'expertise comptable missionné dans le cadre des pourparlers. Considérant que cette dernière somme ne peut être allouée au regard de l'article 1112 du code civil, il demande que le préjudice moral soit porté à la somme de 100 000 euros.
La société Buffalo Grill soutient que la demande de dommages et intérêts portant sur l'indemnisation d'un préjudice moral et de pertes financières indirectes est nouvelle devant la cour d'appel et en conséquence irrecevable. Elle s'oppose à cette demande soutenant que l'article 1112 alinéa 2 du code civil n'autorise la réparation que des seuls frais exposés vainement en raison des circonstances de la rupture et non de la rupture elle-même. Elle fait valoir que faute de lien de causalité, l'indemnisation sollicitée des pertes financières directes et indirectes ne trouvent pas leur origine dans les circonstances fautives entourant la rupture des pourparlers.
Sur ce
L'article 563 du code de procédure civile ne permet aux parties en cause d'appel d'invoquer des moyens nouveaux, de produire de nouvelles pièces ou de proposer de nouvelles preuves qu'à l'effet de justifier des prétentions que ces parties avaient préalablement soumises au premier juge.
Par ailleurs, il résulte de l'article 565 que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent et de l'article 566 du code de procédure civile que les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions, sauf à ce que celles-ci soient l'accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises au premier juge.
En l'espèce, la demande de dommages et intérêts a été formulée devant le tribunal à hauteur de 500 000 euros. Le tribunal a alloué la somme de 20 000 euros " au titre de ses préjudices matériels (déplacements, stages, temps de négociations, temps de travail pour les études de marchés...) et moral ".
Les demandes ne sont donc pas nouvelles et sont donc recevables. Elles tendent aux mêmes fins que celles présentées en première instance car elles visent à indemniser les préjudices tirés d'un même fait générateur et sont en outre le complément de la demande déclaration de responsabilité de la société Buffalo Grill dans la rupture des pourparlers.
Par ailleurs, l'article 1112 alinéa 2 du code civil dispose que " En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. "
La faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers n'est pas la cause du préjudice consistant dans la perte de chance de réaliser des gains espérés à la conclusion du contrat. (Com. 26 nov 2003 n°00-10.243).
Au regard des dispositions de cet article, M. [L] [T] ne peut réclamer l'indemnisation la perte d'exploitation du restaurant qu'il aurait pu ouvrir.
Seuls sont indemnisables les préjudices qui découlent de la faute dans la rupture et non de la rupture elle-même. Ainsi, lorsque le candidat à la franchise a été laissé dans la croyance que le contrat allait se conclure alors que le franchiseur savait que cela ne serait pas le cas, les frais exposés peuvent être considérés comme découlant de la faute de la société et non de l'exercice du droit de ne pas conclure. L'indemnisation ne saurait en revanche inclure l'ensemble des frais exposés durant la phase de discussion, notamment ceux qui seraient restés à la charge de chacune des parties quelle que soit l'issue de la discussion.
En l'espèce, la preuve de cette intention de ne pas conclure à l'origine de son préjudice a été rapportée en l'espèce par M. [L] [T] qui a démontré, comme vu supra, la mauvaise foi de la société Buffalo Grill, ce qui fait remonter les frais à rembourser à la période de première candidature de M. [L] [T] (février 2017).
Le tribunal a retenu que la perte patrimoniale consistait dans les frais engagés en raison du déroulement de la négociation alors que la société n'avait pas l'intention de mener à terme celle-ci.
En effet, la société Buffalo Grill affirme qu'elle ne pouvait donner suite à la candidature de M. [L] [T] sans avoir préalablement obtenu une acceptation du bailleur pour le site de [Localité 7]. Or, le processus de sélection du franchisé a été redémarré par l'exigence du dépôt d'une nouvelle candidature en juin 2018 alors que durant toute l'année 2017, M. [L] [T] a été associé par la société Buffalo Grill aux avancements du projet d'ouverture de franchise dans le sud à [Localité 7] ou ailleurs, notamment avec des visites de sites. L'ensemble de ces frais, comprenant les frais d'expertise comptable, doit être indemnisé dès lors que la nouvelle candidature a mis fin à la première sans volonté d'y répondre pour la société Buffalo Grill.
Alors même que la candidature de M. [L] [T] était annoncée comme validée dans le SMS de M. [J], les échanges mails en interne à la société démontrent des doutes sérieux concernant la capacité à manager de M. [L] [T] et la nécessité d'une nouvelle immersion dans un restaurant (pièce 10 de la société Buffalo Grill). Aucun élément rapporté par la société Buffalo Grill ne laissait comprendre à celui-ci qu'il s'agissait du processus de sélection avant la signature d'un contrat de stage. Seule la clause citée plus haut dudit contrat permettait de comprendre qu'il n'y avait pas d'engagement à conclure ensuite un contrat de franchise. Or cette clause apparaît lors de la 3ème immersion, sous couvert de respecter un processus de validation de candidature qui n'est pas communiqué ni à M. [L] [T] au moment de ce revirement, ni à la présente cour pour lui permettre d'apprécier la bonne foi de Buffalo Grill. En conséquence, cette clause, non présentée à l'intéressé durant 18 mois, ne saurait être considérée comme un simple rappel des conditions de pourparlers contractuels, et doit s'apprécier en l'espèce au contraire comme une intention de se libérer de tout engagement, que les circonstances permettent de considérer comme une décision déjà prise à l'égard de M. [L] [T]. Dès lors les frais exposés lors de la semaine d'immersion à [Localité 9], seront également indemnisés.
L'ensemble de ces frais nécessairement engagés durant les pourparlers sera indemnisé à hauteur de la somme de 8 800 euros.
S'agissant des heures de travail alléguées par M. [L] [T], à l'exception des déplacements et de la réalisation d'études de marché déjà indemnisés de manière forfaitaire puisqu'aucune facture n'est communiquée elles ne peuvent être indemnisées faute d'éléments correspondant au contenu de ces heures et en l'absence de productions personnelles produites aux débats.
S'agissant de l'immobilisation de la somme de 300 000 euros, M. [L] [T] demande l'indemnisation de la perte des intérêts légaux qui auraient dû être perçus : il ne justifie pas que cette somme n'a pas été placée pour demeurer accessible, alors que M. [L] [T] est une personne particulièrement avertie quant à certains produits de placement, au regard de son parcours professionnel. Il n'est pas non plus justifié que des frais auraient été engagés s'agissant du placement de cette somme en raison du déroulement de la négociation. Ainsi, la preuve d'une perte d'intérêts légaux n'est pas rapportée et la demande est rejetée à ce titre.
M. [L] [T] a incontestablement subi un préjudice moral au regard de l'investissement qu'il a mis dans ce projet en changeant de perspective professionnelle, et de la déception de ne pas être retenu après le processus évoqué plus haut de plus 18 mois, comme l'a relevé à juste titre le tribunal. Celui-ci sera indemnisé à hauteur de 20 000 euros.
Sur les autres demandes
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.
La société Buffalo Grill succombant, elle est condamnée à verser à M. [L] [T] la somme de 3 500 euros au titre de ses frais irrépétibles engagés,
Elle est également condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par décision contradictoire mise à disposition,
DEBOUTE M. [L] [T] de sa demande d'irrecevabilité de l'appel de la société Buffalo Grill
DEBOUTE la société Buffalo Grill de sa demande de nullité du jugement du 7 octobre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre,
CONFIRME le jugement dans ses dispositions soumises à la cour sauf en qu'il a condamné la société Buffalo Grill à verser M. [L] [T] une somme de 20 000 euros de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau,
CONDAMNE la société Buffalo Grill à verser M. [L] [T] une somme de :
- 8 800 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice matériel
- 20 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Buffalo Grill aux dépens de la procédure d'appel,
CONDAMNE la société Buffalo Grill à verser M. [L] [T] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.