Décisions
CA Nouméa, ch. com., 26 septembre 2024, n° 23/00017
NOUMÉA
Arrêt
Autre
N° de minute : 2024/70
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 26 septembre 2024
Chambre commerciale
N° RG 23/00017 - N° Portalis DBWF-V-B7H-TWY
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 février 2023 par le tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG n° 21/769)
Saisine de la cour : 8 mars 2023
APPELANT
M. [L] [J]
né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 4],
demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me Nicolas RANSON de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
S.E.L.A.R.L. [O] [X], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL LUMA,
siège social : [Adresse 1]
AUTRE INTERVENANT
MINISTERE PUBLIC
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 juillet 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH.
26/09/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire - Me [X], Me RANSON
Expéditions - MP ; Copie CA ; Copie TMC
Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
M. [L] [J] a constitué une société à responsabilité limitée dénommée constructions de tous travaux Luma, ayant pour objet la réalisation de tous travaux publics ou privés, de toutes constructions, de tous travaux d'équipement, de second 'uvre et principalement la pose de revêtements sols et murs, toutes opérations de négoce de matériaux et matériels. Cette société a été immatriculée le 25 juin 2001 et M. [J], détenteur de l'intégralité du capital social, a été désigné en qualité de gérant.
Par jugement du 1er juillet 2019, le tribunal mixte de commerce de Nouméa, sur déclaration de cessation des paiements de la Sarl Luma, a ouvert une procédure de redressement judiciaire, fixé la date provisoire de cessations des paiements au 31 janvier 2018, désigné la Selarl [X] en qualité de mandataire judiciaire et la Scp CBF prise en la personne de Me [G] en qualité d'administrateur judiciaire.
Par jugement du 18 novembre 2019, le tribunal de céans a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Luma sur conversion de la procédure de redressement.
Par requête réceptionnée par le greffe le 17 mai 2021, la Selarl [X], ès qualités, a recherché la responsabilité de M. [J] et a sollicité le prononcé de sanctions personnelles lui reprochant un certain nombre de fautes ayant contribué à l'aggravation du passif social.
Par jugement dont appel en date du 28 février 2023, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a :
- condamné M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la Sarl Luma à hauteur de la somme actualisée de 37 096 994 francs pacifique à parfaire ;
- prononcé une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de M. [J], pour une durée de quinze années, laquelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ayant une activité économique ;
- débouté M. [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle Calédonie ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;
- dit que le jugement devrait faire l'objet de la publicité prévue à l'article 220 de la délibération 352 du 18 janvier 2008 ;
- condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance.
PROCÉDURE D'APPEL
M. [J] a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe de la cour le 8 mars 2023.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2023 auxquelles il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, M. [J] demande à la cour de :
- dire et juger que M. [J] est recevable et bien fondé en ses moyens, fins et conclusions,
- infirmer le jugement du tribunal mixte de commerce de Nouméa du 28 février 2023 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- juger que M. [J] n'a commis aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société Luma,
- débouter la selarl [O] [X], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
subsidiairement,
- minorer la contribution financière de M. [J] au passif de la liquidation, et autoriser ce dernier de s'en acquitter en vingt-quatre mensualités,
- condamner la selarl [X], ès qualités de liquidateur de la société Luma au paiement de la somme de 330 000 francs pacifique au titre de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie,
- condamner la selarl [X] ès qualités de liquidateur de la société Luma aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Sarl Zaouche - Ranson sur offre de droit.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 28 juillet 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la selarl [O] [X], ès qualités, demande à la cour de :
- confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions, et par conséquent,
- condamner M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la société Luma, soit la somme de 36 945 944 francs pacifique,
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [J] une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer, ou contrôler directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole, et toute personne morale ayant une activité économique pour une durée de quinze ans,
- débouter M. [J] en sa qualité d'ancien gérant de la société Luma de toutes ses demandes
- condamner M. [J] aux frais de la procédure et aux entiers dépens.
Le procureur général sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.
La clôture de l'instruction est intervenue le 19 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 mai 2024 par le magistrat en charge de la mise en état. A cette audience, elle a été renvoyée à l'audience du 11 juillet 2024, à la demande de M. [J].
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour est saisie du seul appel de M. [J] qui conteste la décision du tribunal mixte de commerce l'ayant condamné à combler l'insuffisance d'actif de la société Luma dont il était le gérant et prononcé à son encontre une interdiction de gérer pendant une durée de quinze ans.
Ia. Sur la responsabilité de M. [N]
A titre liminaire, il convient de rappeler les opérations de vérification du passif, maintenant achevées, font ressortir, à l'issue de la vente des actifs mobiliers, un solde négatif de 36 945 944 francs pacifiques, constituant une insuffisance caractérisée et certaine.
Le tribunal mixte de commerce a retenu à l'encontre de M. [J] deux fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de sa société à savoir, le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq jours, d'une part, et la poursuite abusive d'une activité déficitaire d'autre part. Le tribunal a retenu que M. [J] n'était plus recevable à critiquer la date du 31 janvier 2018, comme étant celle de la cessation des paiements, retenue par la juridiction consulaire dans son jugement du 1er juillet 2019 aujourd'hui définitif.
M. [J] explique en premier lieu le contexte dans lequel la société Luma, spécialisée dans les travaux de terrassement et d'assainissement, qui est restée très rentable pendant près de dix-huit ans (avec plus de trente salariés), s'est trouvée brutalement confrontée à de graves difficultés économiques, tenant pour l'essentiel à la perte du marché public de l'assainissement de la ville de [Localité 4] en mai 2017, marché qu'elle détenait depuis 2015. Reprenant les arguments déjà soutenus devant les premiers juges, il fait valoir qu'il n'a pas judiciairement recherché la responsabilité de la ville de [Localité 4] dans la rupture de ce marché, pour ménager ses interlocuteurs et conserver quelque espoir d'obtenir des marchés futurs, mais que la mesure des difficultés est apparue plus nettement à la fin du premier trimestre 2019, lorsque la société n'a pas été en mesure, fin avril 2019, d'honorer les factures de ses fournisseurs.
M. [J] rappelle les conditions légales définies par l'article L 651-2 du code de commerce, qui gouvernent la mise en 'uvre de la responsabilité du dirigeant d'une personne morale liquidée et les principaux axes dégagés par la jurisprudence. Il soutient n'avoir commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité.
Il revient à la cour de réexaminer l'ensemble des fautes de gestion alléguées par le mandataire liquidateur au regard des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce qui énonce que « lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ».
* Sur le retard dans la déclaration de cessation de paiement et la poursuite abusive de l'exploitation
Le tribunal, après avoir rappelé que M. [J] ne pouvait plus remettre en cause la date de la cessation de paiement que le jugement d'ouverture de la procédure collective du 1er juillet 2019 avait fait remonter au 31 janvier 2018, a retenu qu'en s'abstenant de toute déclaration de paiement auprès du tribunal de commerce, dans les quarante-cinq jours suivants, soit avant le 15 mars 2018, le débiteur s'était soustrait à l'obligation mise à sa charge par l'article L 631-4 du Code de commerce, commettant ainsi une faute de gestion justifiant la condamnation du dirigeant au paiement de l'insuffisance d'actif.
M. [J] prétend qu'en réalité la société Luma n'était pas en cessation de paiement tout au long du premier semestre de l'année 2018, et que la date fixée par le tribunal au 31 janvier 2018 est bien antérieure aux premières difficultés de l'entreprise, qu'il situe au mois de mai 2018 avec la perte des marchés publics de la ville de Nouméa. Il affirme en apporter la preuve en faisant valoir que la quasi-totalité des dettes résultant de factures ou d'échéances impayées datent de la fin du premier trimestre 2018 et du second trimestre 2019 (y compris la dette résultant la procédure engagée par un salarié en matière d'accident de travail).
Le mandataire liquidateur réplique que le débiteur ne peut plus remettre en cause la date fixée par la juridiction consulaire, ce, d'autant que cette date a été arrêtée au regard des informations qu'il avait lui-même portées auprès du tribunal. Elle souligne par ailleurs que le passif de la société s'est accumulé de façon exponentielle durant la période suspecte mais qu'il était déjà très important en 2018.
La cour rappelle que l'omission de déclaration de la cessation de paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans le jugement de report de sorte que M. [J] ne peut plus utilement prétendre la modifier ou la contester, celle-ci résultant d'une décision judiciaire aujourd'hui définitive.
En tout état de cause, il ressort des liasses fiscales 2016/2017 que l'entreprise souffrait déjà de grosses difficultés financières puisque le montant des disponibilités (17 548 989 francs pacifique) était déjà bien inférieur au montant de ses dettes fiscales et sociales (47 565 060 francs pacifique), étant observé que cette tendance s'est aggravée au cours de l'exercice suivant (2017/2018), au cours duquel la trésorerie a encore fondu pour atteindre 5 359 368 francs pacifique tandis que les dettes fiscales et sociales ont atteint 52 032 778 francs pacifique et celle des fournisseurs plus de 12 000 000 francs pacifique. Il en découle que la viabilité de l'entreprise était déjà fortement compromise en fin d'année 2017, avec un actif disponible bien inférieur au passif exigible. Cette situation aurait dû conduire son dirigeant à déposer le bilan dès le début d'année 2018, étant observé qu'il n'apporte aucune preuve des délais de paiement ou des moratoires qu'il prétend avoir obtenus de la Cafat, qui minorerait le montant du passif exigible. En effet, s'il produit divers courriers électroniques ou papiers témoignant effectivement des échanges avec la Cafat, portant sur des cotisations impayées depuis l'année 2013 (ayant atteint la somme de 19 976 176 francs pacifique au deuxième trimestre 2016), aucun de ces documents n'établit que ces pourparlers avaient abouti à un accord de l'organisme social, ni à plus forte raison, de l'exécution d'un tel accord.
Dans ces conditions, il est incontestable que le retard pris dans l'accomplissement de cette démarche est bien constitutif d'une faute de gestion ayant contribué à aggraver l'endettement et à réduire d'autant les perspectives de redressement de sa société.
La cour observe encore que M. [J] sollicitait, en fin d'année 2016, la Cafat pour obtenir des délais de paiement en concluant dans les termes suivants : « sans votre soutien, nous ne pourrons plus assurer le maintien de notre société sur le marché BTP calédonien ». Pour autant, il ressort de l'étude des liasses fiscales destinées à la direction des services fiscaux qu'entre l'exercice 2017 et 2018, celui-ci, bien que parfaitement conscient de la fragilité financière de l'entreprise, a quasiment vidé son compte courant associé - passé sur cette période de 10 754 964 francs pacifique à 1 280 956 francs pacifique. Le moyen de défense repris par le débiteur devant la cour, consistant à affirmer que « nombre d'opérations effectuées sur le compte courant d'associé correspondaient en fait à des écritures d'ajustements relatives à des opérations sur l'exercice 2018 » repose exclusivement sur l'attestation délivrée par le cabinet d'expertise comptable le 25 février 2022. Or, outre le fait que ce témoignage ne donne aucune précision quant à la nature et au montant des opérations visées, celles-ci sont en tout état de cause limitées à 3 461 352 francs pacifiques, alors que le retrait sur cette période s'est élevé à la somme totale de 9 474 008 francs pacifiques. La cour retient que ce prélèvement, effectué par M. [J] dans le courant de l'année 2018 alors que la société Luma était déjà déficitaire et en état de cessation de paiement, constitue une faute qui a contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actif au moins dans cette proportion de 9 500 000 francs pacifique.
* Sur le grief tiré de la passivité fautive dans le contexte de la résiliation brutale du marché de l'assainissement
En revanche, la cour, comme le tribunal, n'entend pas retenir comme fautif le fait pour M. [J] de ne pas avoir agi à l'encontre de la ville de Nouméa pour protester des conditions dans lesquelles la commune avait mis fin aux relations d'affaires les unissant, dans la mesure où le débiteur a indirectement subi les décisions prises par ses anciens partenaires au vu d'une conjoncture économique très tendue. La cour considère en effet, que le désengagement de la ville de [Localité 4] s'inscrit essentiellement dans le contexte d'une dégradation générale de l'économie locale contre laquelle la société Luma ne pouvait rien.
* Sur le grief tiré de la dissimulation d'un actif appartenant à la société Luma
Le liquidateur prétendait devant les premiers juges, qui ne l'ont pas retenu, que M. [J] aurait dissimulé une partie des actifs de la société Luma, en taisant la participation de cette dernière au capital de la société Thauhiro Nicolas Transport. M. [J] réplique qu'il n'y a aucune dissimulation puisque ces informations figuraient sur les documents sociaux communiqués au liquidateur judiciaire.
La cour comme le tribunal écarte également ce grief, qui n'est pas constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de M. [J]. En effet, d'une part, l'intention de dissimuler une partie de l'actif de la société Luma, en taisant les droits détenus par cette dernière dans la société TNT n'est nullement établie, dès lors que cette information figurait de manière explicite au bilan 2018 communiqué aux organes de la procédure.
Par ailleurs, même si cette réticence était avérée, elle ne saurait asseoir la responsabilité du dirigeant sur le fondement de l'article L 651-2 du code de commerce, dès lors qu'il ne s'agirait pas d'une faute de gestion commise antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, mais d'une absence de coopération volontaire avec les organes de la procédure.
* Sur les griefs tirés de l'absence de comptabilité en 2019 et d'une comptabilité manifestement incomplète pour 2017
Le mandataire liquidateur soutient que M. [J] ne lui a pas fourni les annexes du bilan 2017, ni le bilan 2019 et qu'il ne pouvait pas utilement s'en défendre en soutenant avoir remis ces documents à l'administrateur alors qu'il n'appartient pas au mandataire liquidateur de les réclamer auprès de l'expert-comptable ou de l'administrateur mais au dirigeant de répondre à la demande du mandataire liquidateur, avec lequel il se doit de collaborer.
La cour observe cependant, s'agissant des annexes du bilan 2017 et 2018, que celles-ci, et spécialement les liasses fiscales, ont bien été remises à la selarl [X] pendant l'instance d'appel, de sorte que la preuve est ainsi rapportée de la tenue d'une comptabilité complète en 2017 et 2018, avant l'ouverture de la procédure collective.
S'agissant de la comptabilité afférente à l'année 2019, M. [J] verse aux débats les documents comptables préparatoires au bilan et au compte de résultat pour toute la période du 1er janvier au 31 décembre 2019, ce document reprenant également les états comptables de l'année 2018 de sorte qu'aucune faute de gestion ne peut être retenue de ce chef à l'encontre du débiteur.
* Sur le moyen tiré de l'absence de coopération avec les organes de la procédure
Le mandataire reproche à M. [J] de ne pas avoir collaboré avec les organes de la procédure en invoquant notamment le défaut de communication des annexes du bilan 2017 et d'une situation comptable pour l'année 2019 mais encore le fait qu'il n'ait pas répondu à ses demandes d'informations au sujet de la procédure en cours devant la Cour de cassation à l'encontre de la société Jean Lefebvre Pacifique, ou encore au sujet du compte client, rappelant que ces courriers lui avaient été adressés à l'adresse postale de la société Luma, sans succès puisque cette adresse postale avait été résiliée.
Cependant, la cour rappelle que ce moyen, tiré de l'absence de collaboration avec les organes de la procédure, qui vise par définition un comportement postérieur à l'ouverture de la procédure collective, est inopérant pour engager la responsabilité du dirigeant au titre du comblement de l'insuffisance d'actif.
Ainsi, en définitive, la cour considère que M. [J] a bien commis une faute gestion en s'abstenant de procéder à la déclaration de cessation de paiement dans le délai légal alors qu'il n'ignorait pas l'incapacité dans laquelle se trouvait l'entreprise de répondre à son passif exigible à l'aide de son actif disponible, situation qu'il a par ailleurs aggravée en retirant pendant la période suspecte et avant l'ouverture de la procédure, courant 2018, la quasi-totalité de ses avoirs de son compte courant d'associé, occasionnant ainsi une sortie de trésorerie supplémentaire de 9 500 000 francs pacifiques, en compensation de laquelle il convient en conséquence de le condamner.
Ib. Sur la demande de délais de paiement
M. [J] demande à titre subsidiaire à la cour, dans l'hypothèse avérée où elle retient sa responsabilité en le condamnant au paiement pour combler l'insuffisance d'actif, de lui octroyer des délais de paiement sur vingt-quatre mois.
La selarl [X] conclut au débouté de M. [J] en toutes ses prétentions.
L'article 1244-1 du code civil énonce que 'compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années reporter ou échelonner le paiement des sommes dues'.
M. [J] fait valoir que ses seules ressources proviennent de sa rémunération de gérance en qualité d'unique associé et gérant de l'armurerie 'Gun Shop' mais ne donne aucune précision sur le montant de ses rémunérations, ni ne verse aucune pièce susceptible d'éclairer la juridiction sur sa capacité réelle de remboursement.
Il sera en conséquence débouté de ce chef.
II. Sur les sanctions personnelles
Le tribunal a prononcé à l'encontre de M. [J] une interdiction de gérer ou contrôler de manière directe ou indirecte toute entreprise, pendant une durée de quinze ans.
M. [J] estime que l'interdiction de gérer prononcée par le tribunal mixte de commerce aurait pour effet, de le priver de toutes ses ressources, tirées de sa rémunération en qualité d'unique associé et de gérant de son fonds de commerce, exploitant l'armurerie 'Gun Shop'. Il fait valoir que cette sanction serait par conséquent un obstacle à l'exécution de toute condamnation au paiement, ajoutant qu'il ne trouvera aucun emploi salarié, compte tenu de son âge (59 ans) et de l'état catastrophique de l'économie locale, en partie détruite par les événements du printemps 2024.
La cour considère qu'il n'y a pas lieu d'interdire à M. [J] de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou artisanale ou encore toute exploitation agricole ou toute personne morale dans la mesure où cette sanction, prévue par l'article L 653-8 du code de commerce, reste facultative et serait au cas d'espèce excessivement sévère par rapport aux manquements effectivement constatés et aux conséquences qui en résulteraient pour M. [J].
III. Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le tribunal avait débouté M. [J] de la demande formée de ce chef.
M. [N] réitère devant la cour sa demande tendant à la condamnation de la selarl [X] ès qualités de liquidateur de la société Luma au paiement de la somme de 330000 francs pacifiques.
Compte tenu de la nature du litige et de l'issue de la procédure, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de M. [J] l'intégralité des frais irrépétibles qu'il a dû exposer. Le jugement l'ayant débouté de ce chef, sera en conséquence confirmé.
IV Sur les dépens
M. [J] qui succombe majoritairement sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Nouméa en ce qu'il a condamné M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la sarl Luma à hauteur de la somme actualisée de 37 096 994 francs pacifiques, et en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [J] une interdiction de gérer pour une durée de quinze années ;
Et statuant à nouveau,
Condamne M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la sarl Luma à hauteur de la somme de 9 500 000 francs pacifique et le condamne à régler cette somme au mandataire liquidateur, ès qualités ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une sanction personnelle à l'encontre de M. [J] ;
Déboute M. [J] de sa demande en délais de paiement ;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, Le président.
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 26 septembre 2024
Chambre commerciale
N° RG 23/00017 - N° Portalis DBWF-V-B7H-TWY
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 février 2023 par le tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG n° 21/769)
Saisine de la cour : 8 mars 2023
APPELANT
M. [L] [J]
né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 4],
demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me Nicolas RANSON de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
S.E.L.A.R.L. [O] [X], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL LUMA,
siège social : [Adresse 1]
AUTRE INTERVENANT
MINISTERE PUBLIC
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 juillet 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH.
26/09/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire - Me [X], Me RANSON
Expéditions - MP ; Copie CA ; Copie TMC
Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
M. [L] [J] a constitué une société à responsabilité limitée dénommée constructions de tous travaux Luma, ayant pour objet la réalisation de tous travaux publics ou privés, de toutes constructions, de tous travaux d'équipement, de second 'uvre et principalement la pose de revêtements sols et murs, toutes opérations de négoce de matériaux et matériels. Cette société a été immatriculée le 25 juin 2001 et M. [J], détenteur de l'intégralité du capital social, a été désigné en qualité de gérant.
Par jugement du 1er juillet 2019, le tribunal mixte de commerce de Nouméa, sur déclaration de cessation des paiements de la Sarl Luma, a ouvert une procédure de redressement judiciaire, fixé la date provisoire de cessations des paiements au 31 janvier 2018, désigné la Selarl [X] en qualité de mandataire judiciaire et la Scp CBF prise en la personne de Me [G] en qualité d'administrateur judiciaire.
Par jugement du 18 novembre 2019, le tribunal de céans a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Luma sur conversion de la procédure de redressement.
Par requête réceptionnée par le greffe le 17 mai 2021, la Selarl [X], ès qualités, a recherché la responsabilité de M. [J] et a sollicité le prononcé de sanctions personnelles lui reprochant un certain nombre de fautes ayant contribué à l'aggravation du passif social.
Par jugement dont appel en date du 28 février 2023, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a :
- condamné M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la Sarl Luma à hauteur de la somme actualisée de 37 096 994 francs pacifique à parfaire ;
- prononcé une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de M. [J], pour une durée de quinze années, laquelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ayant une activité économique ;
- débouté M. [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle Calédonie ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision ;
- dit que le jugement devrait faire l'objet de la publicité prévue à l'article 220 de la délibération 352 du 18 janvier 2008 ;
- condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance.
PROCÉDURE D'APPEL
M. [J] a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe de la cour le 8 mars 2023.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2023 auxquelles il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, M. [J] demande à la cour de :
- dire et juger que M. [J] est recevable et bien fondé en ses moyens, fins et conclusions,
- infirmer le jugement du tribunal mixte de commerce de Nouméa du 28 février 2023 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- juger que M. [J] n'a commis aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société Luma,
- débouter la selarl [O] [X], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
subsidiairement,
- minorer la contribution financière de M. [J] au passif de la liquidation, et autoriser ce dernier de s'en acquitter en vingt-quatre mensualités,
- condamner la selarl [X], ès qualités de liquidateur de la société Luma au paiement de la somme de 330 000 francs pacifique au titre de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie,
- condamner la selarl [X] ès qualités de liquidateur de la société Luma aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Sarl Zaouche - Ranson sur offre de droit.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 28 juillet 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la selarl [O] [X], ès qualités, demande à la cour de :
- confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions, et par conséquent,
- condamner M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la société Luma, soit la somme de 36 945 944 francs pacifique,
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [J] une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer, ou contrôler directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole, et toute personne morale ayant une activité économique pour une durée de quinze ans,
- débouter M. [J] en sa qualité d'ancien gérant de la société Luma de toutes ses demandes
- condamner M. [J] aux frais de la procédure et aux entiers dépens.
Le procureur général sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.
La clôture de l'instruction est intervenue le 19 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 mai 2024 par le magistrat en charge de la mise en état. A cette audience, elle a été renvoyée à l'audience du 11 juillet 2024, à la demande de M. [J].
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour est saisie du seul appel de M. [J] qui conteste la décision du tribunal mixte de commerce l'ayant condamné à combler l'insuffisance d'actif de la société Luma dont il était le gérant et prononcé à son encontre une interdiction de gérer pendant une durée de quinze ans.
Ia. Sur la responsabilité de M. [N]
A titre liminaire, il convient de rappeler les opérations de vérification du passif, maintenant achevées, font ressortir, à l'issue de la vente des actifs mobiliers, un solde négatif de 36 945 944 francs pacifiques, constituant une insuffisance caractérisée et certaine.
Le tribunal mixte de commerce a retenu à l'encontre de M. [J] deux fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de sa société à savoir, le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq jours, d'une part, et la poursuite abusive d'une activité déficitaire d'autre part. Le tribunal a retenu que M. [J] n'était plus recevable à critiquer la date du 31 janvier 2018, comme étant celle de la cessation des paiements, retenue par la juridiction consulaire dans son jugement du 1er juillet 2019 aujourd'hui définitif.
M. [J] explique en premier lieu le contexte dans lequel la société Luma, spécialisée dans les travaux de terrassement et d'assainissement, qui est restée très rentable pendant près de dix-huit ans (avec plus de trente salariés), s'est trouvée brutalement confrontée à de graves difficultés économiques, tenant pour l'essentiel à la perte du marché public de l'assainissement de la ville de [Localité 4] en mai 2017, marché qu'elle détenait depuis 2015. Reprenant les arguments déjà soutenus devant les premiers juges, il fait valoir qu'il n'a pas judiciairement recherché la responsabilité de la ville de [Localité 4] dans la rupture de ce marché, pour ménager ses interlocuteurs et conserver quelque espoir d'obtenir des marchés futurs, mais que la mesure des difficultés est apparue plus nettement à la fin du premier trimestre 2019, lorsque la société n'a pas été en mesure, fin avril 2019, d'honorer les factures de ses fournisseurs.
M. [J] rappelle les conditions légales définies par l'article L 651-2 du code de commerce, qui gouvernent la mise en 'uvre de la responsabilité du dirigeant d'une personne morale liquidée et les principaux axes dégagés par la jurisprudence. Il soutient n'avoir commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité.
Il revient à la cour de réexaminer l'ensemble des fautes de gestion alléguées par le mandataire liquidateur au regard des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce qui énonce que « lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ».
* Sur le retard dans la déclaration de cessation de paiement et la poursuite abusive de l'exploitation
Le tribunal, après avoir rappelé que M. [J] ne pouvait plus remettre en cause la date de la cessation de paiement que le jugement d'ouverture de la procédure collective du 1er juillet 2019 avait fait remonter au 31 janvier 2018, a retenu qu'en s'abstenant de toute déclaration de paiement auprès du tribunal de commerce, dans les quarante-cinq jours suivants, soit avant le 15 mars 2018, le débiteur s'était soustrait à l'obligation mise à sa charge par l'article L 631-4 du Code de commerce, commettant ainsi une faute de gestion justifiant la condamnation du dirigeant au paiement de l'insuffisance d'actif.
M. [J] prétend qu'en réalité la société Luma n'était pas en cessation de paiement tout au long du premier semestre de l'année 2018, et que la date fixée par le tribunal au 31 janvier 2018 est bien antérieure aux premières difficultés de l'entreprise, qu'il situe au mois de mai 2018 avec la perte des marchés publics de la ville de Nouméa. Il affirme en apporter la preuve en faisant valoir que la quasi-totalité des dettes résultant de factures ou d'échéances impayées datent de la fin du premier trimestre 2018 et du second trimestre 2019 (y compris la dette résultant la procédure engagée par un salarié en matière d'accident de travail).
Le mandataire liquidateur réplique que le débiteur ne peut plus remettre en cause la date fixée par la juridiction consulaire, ce, d'autant que cette date a été arrêtée au regard des informations qu'il avait lui-même portées auprès du tribunal. Elle souligne par ailleurs que le passif de la société s'est accumulé de façon exponentielle durant la période suspecte mais qu'il était déjà très important en 2018.
La cour rappelle que l'omission de déclaration de la cessation de paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans le jugement de report de sorte que M. [J] ne peut plus utilement prétendre la modifier ou la contester, celle-ci résultant d'une décision judiciaire aujourd'hui définitive.
En tout état de cause, il ressort des liasses fiscales 2016/2017 que l'entreprise souffrait déjà de grosses difficultés financières puisque le montant des disponibilités (17 548 989 francs pacifique) était déjà bien inférieur au montant de ses dettes fiscales et sociales (47 565 060 francs pacifique), étant observé que cette tendance s'est aggravée au cours de l'exercice suivant (2017/2018), au cours duquel la trésorerie a encore fondu pour atteindre 5 359 368 francs pacifique tandis que les dettes fiscales et sociales ont atteint 52 032 778 francs pacifique et celle des fournisseurs plus de 12 000 000 francs pacifique. Il en découle que la viabilité de l'entreprise était déjà fortement compromise en fin d'année 2017, avec un actif disponible bien inférieur au passif exigible. Cette situation aurait dû conduire son dirigeant à déposer le bilan dès le début d'année 2018, étant observé qu'il n'apporte aucune preuve des délais de paiement ou des moratoires qu'il prétend avoir obtenus de la Cafat, qui minorerait le montant du passif exigible. En effet, s'il produit divers courriers électroniques ou papiers témoignant effectivement des échanges avec la Cafat, portant sur des cotisations impayées depuis l'année 2013 (ayant atteint la somme de 19 976 176 francs pacifique au deuxième trimestre 2016), aucun de ces documents n'établit que ces pourparlers avaient abouti à un accord de l'organisme social, ni à plus forte raison, de l'exécution d'un tel accord.
Dans ces conditions, il est incontestable que le retard pris dans l'accomplissement de cette démarche est bien constitutif d'une faute de gestion ayant contribué à aggraver l'endettement et à réduire d'autant les perspectives de redressement de sa société.
La cour observe encore que M. [J] sollicitait, en fin d'année 2016, la Cafat pour obtenir des délais de paiement en concluant dans les termes suivants : « sans votre soutien, nous ne pourrons plus assurer le maintien de notre société sur le marché BTP calédonien ». Pour autant, il ressort de l'étude des liasses fiscales destinées à la direction des services fiscaux qu'entre l'exercice 2017 et 2018, celui-ci, bien que parfaitement conscient de la fragilité financière de l'entreprise, a quasiment vidé son compte courant associé - passé sur cette période de 10 754 964 francs pacifique à 1 280 956 francs pacifique. Le moyen de défense repris par le débiteur devant la cour, consistant à affirmer que « nombre d'opérations effectuées sur le compte courant d'associé correspondaient en fait à des écritures d'ajustements relatives à des opérations sur l'exercice 2018 » repose exclusivement sur l'attestation délivrée par le cabinet d'expertise comptable le 25 février 2022. Or, outre le fait que ce témoignage ne donne aucune précision quant à la nature et au montant des opérations visées, celles-ci sont en tout état de cause limitées à 3 461 352 francs pacifiques, alors que le retrait sur cette période s'est élevé à la somme totale de 9 474 008 francs pacifiques. La cour retient que ce prélèvement, effectué par M. [J] dans le courant de l'année 2018 alors que la société Luma était déjà déficitaire et en état de cessation de paiement, constitue une faute qui a contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actif au moins dans cette proportion de 9 500 000 francs pacifique.
* Sur le grief tiré de la passivité fautive dans le contexte de la résiliation brutale du marché de l'assainissement
En revanche, la cour, comme le tribunal, n'entend pas retenir comme fautif le fait pour M. [J] de ne pas avoir agi à l'encontre de la ville de Nouméa pour protester des conditions dans lesquelles la commune avait mis fin aux relations d'affaires les unissant, dans la mesure où le débiteur a indirectement subi les décisions prises par ses anciens partenaires au vu d'une conjoncture économique très tendue. La cour considère en effet, que le désengagement de la ville de [Localité 4] s'inscrit essentiellement dans le contexte d'une dégradation générale de l'économie locale contre laquelle la société Luma ne pouvait rien.
* Sur le grief tiré de la dissimulation d'un actif appartenant à la société Luma
Le liquidateur prétendait devant les premiers juges, qui ne l'ont pas retenu, que M. [J] aurait dissimulé une partie des actifs de la société Luma, en taisant la participation de cette dernière au capital de la société Thauhiro Nicolas Transport. M. [J] réplique qu'il n'y a aucune dissimulation puisque ces informations figuraient sur les documents sociaux communiqués au liquidateur judiciaire.
La cour comme le tribunal écarte également ce grief, qui n'est pas constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de M. [J]. En effet, d'une part, l'intention de dissimuler une partie de l'actif de la société Luma, en taisant les droits détenus par cette dernière dans la société TNT n'est nullement établie, dès lors que cette information figurait de manière explicite au bilan 2018 communiqué aux organes de la procédure.
Par ailleurs, même si cette réticence était avérée, elle ne saurait asseoir la responsabilité du dirigeant sur le fondement de l'article L 651-2 du code de commerce, dès lors qu'il ne s'agirait pas d'une faute de gestion commise antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, mais d'une absence de coopération volontaire avec les organes de la procédure.
* Sur les griefs tirés de l'absence de comptabilité en 2019 et d'une comptabilité manifestement incomplète pour 2017
Le mandataire liquidateur soutient que M. [J] ne lui a pas fourni les annexes du bilan 2017, ni le bilan 2019 et qu'il ne pouvait pas utilement s'en défendre en soutenant avoir remis ces documents à l'administrateur alors qu'il n'appartient pas au mandataire liquidateur de les réclamer auprès de l'expert-comptable ou de l'administrateur mais au dirigeant de répondre à la demande du mandataire liquidateur, avec lequel il se doit de collaborer.
La cour observe cependant, s'agissant des annexes du bilan 2017 et 2018, que celles-ci, et spécialement les liasses fiscales, ont bien été remises à la selarl [X] pendant l'instance d'appel, de sorte que la preuve est ainsi rapportée de la tenue d'une comptabilité complète en 2017 et 2018, avant l'ouverture de la procédure collective.
S'agissant de la comptabilité afférente à l'année 2019, M. [J] verse aux débats les documents comptables préparatoires au bilan et au compte de résultat pour toute la période du 1er janvier au 31 décembre 2019, ce document reprenant également les états comptables de l'année 2018 de sorte qu'aucune faute de gestion ne peut être retenue de ce chef à l'encontre du débiteur.
* Sur le moyen tiré de l'absence de coopération avec les organes de la procédure
Le mandataire reproche à M. [J] de ne pas avoir collaboré avec les organes de la procédure en invoquant notamment le défaut de communication des annexes du bilan 2017 et d'une situation comptable pour l'année 2019 mais encore le fait qu'il n'ait pas répondu à ses demandes d'informations au sujet de la procédure en cours devant la Cour de cassation à l'encontre de la société Jean Lefebvre Pacifique, ou encore au sujet du compte client, rappelant que ces courriers lui avaient été adressés à l'adresse postale de la société Luma, sans succès puisque cette adresse postale avait été résiliée.
Cependant, la cour rappelle que ce moyen, tiré de l'absence de collaboration avec les organes de la procédure, qui vise par définition un comportement postérieur à l'ouverture de la procédure collective, est inopérant pour engager la responsabilité du dirigeant au titre du comblement de l'insuffisance d'actif.
Ainsi, en définitive, la cour considère que M. [J] a bien commis une faute gestion en s'abstenant de procéder à la déclaration de cessation de paiement dans le délai légal alors qu'il n'ignorait pas l'incapacité dans laquelle se trouvait l'entreprise de répondre à son passif exigible à l'aide de son actif disponible, situation qu'il a par ailleurs aggravée en retirant pendant la période suspecte et avant l'ouverture de la procédure, courant 2018, la quasi-totalité de ses avoirs de son compte courant d'associé, occasionnant ainsi une sortie de trésorerie supplémentaire de 9 500 000 francs pacifiques, en compensation de laquelle il convient en conséquence de le condamner.
Ib. Sur la demande de délais de paiement
M. [J] demande à titre subsidiaire à la cour, dans l'hypothèse avérée où elle retient sa responsabilité en le condamnant au paiement pour combler l'insuffisance d'actif, de lui octroyer des délais de paiement sur vingt-quatre mois.
La selarl [X] conclut au débouté de M. [J] en toutes ses prétentions.
L'article 1244-1 du code civil énonce que 'compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années reporter ou échelonner le paiement des sommes dues'.
M. [J] fait valoir que ses seules ressources proviennent de sa rémunération de gérance en qualité d'unique associé et gérant de l'armurerie 'Gun Shop' mais ne donne aucune précision sur le montant de ses rémunérations, ni ne verse aucune pièce susceptible d'éclairer la juridiction sur sa capacité réelle de remboursement.
Il sera en conséquence débouté de ce chef.
II. Sur les sanctions personnelles
Le tribunal a prononcé à l'encontre de M. [J] une interdiction de gérer ou contrôler de manière directe ou indirecte toute entreprise, pendant une durée de quinze ans.
M. [J] estime que l'interdiction de gérer prononcée par le tribunal mixte de commerce aurait pour effet, de le priver de toutes ses ressources, tirées de sa rémunération en qualité d'unique associé et de gérant de son fonds de commerce, exploitant l'armurerie 'Gun Shop'. Il fait valoir que cette sanction serait par conséquent un obstacle à l'exécution de toute condamnation au paiement, ajoutant qu'il ne trouvera aucun emploi salarié, compte tenu de son âge (59 ans) et de l'état catastrophique de l'économie locale, en partie détruite par les événements du printemps 2024.
La cour considère qu'il n'y a pas lieu d'interdire à M. [J] de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise commerciale ou artisanale ou encore toute exploitation agricole ou toute personne morale dans la mesure où cette sanction, prévue par l'article L 653-8 du code de commerce, reste facultative et serait au cas d'espèce excessivement sévère par rapport aux manquements effectivement constatés et aux conséquences qui en résulteraient pour M. [J].
III. Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le tribunal avait débouté M. [J] de la demande formée de ce chef.
M. [N] réitère devant la cour sa demande tendant à la condamnation de la selarl [X] ès qualités de liquidateur de la société Luma au paiement de la somme de 330000 francs pacifiques.
Compte tenu de la nature du litige et de l'issue de la procédure, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de M. [J] l'intégralité des frais irrépétibles qu'il a dû exposer. Le jugement l'ayant débouté de ce chef, sera en conséquence confirmé.
IV Sur les dépens
M. [J] qui succombe majoritairement sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Nouméa en ce qu'il a condamné M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la sarl Luma à hauteur de la somme actualisée de 37 096 994 francs pacifiques, et en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [J] une interdiction de gérer pour une durée de quinze années ;
Et statuant à nouveau,
Condamne M. [J] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la sarl Luma à hauteur de la somme de 9 500 000 francs pacifique et le condamne à régler cette somme au mandataire liquidateur, ès qualités ;
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une sanction personnelle à l'encontre de M. [J] ;
Déboute M. [J] de sa demande en délais de paiement ;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, Le président.