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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 1 octobre 2024, n° 22/20251

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Selarl Axyme (ès qual.), Neogia (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze

Avocats :

Me Vignes, Me Jupile-Boisverd, Me Leyrie, Me Diarra

T. com. Paris, du 22 nov. 2022, n° 20220…

22 novembre 2022

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société par actions simplifiée Neogia a été créée le 1er juillet 2016 et immatriculée le 12 août 2016 pour exercer l'activité de développement et commercialisation d'appareils électroniques ou optiques permettant la collecte, le stockage, le transfert et le traitement de données et informations personnelles et médicales, ses travaux ayant essentiellement porté sur le développement d'un bracelet connecté à destination des seniors, bracelet dénommé 'Motio Healthwear' permettant à son utilisateur de surveiller son état de santé. La société employait 21 salariés.

M. [O] [F] en a été le président de sa création à sa liquidation et M. [Y] [K] en a été le directeur général depuis l'origine et jusqu'à sa démission le 18 décembre 2018.

Sur déclaration de cessation des paiements effectuée le 23 janvier 2019 par M. [F] et par jugement du 6 février 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert le redressement judiciaire de la société Neogia, désigné en qualité d'administrateur judiciaire la Selarl 2M et Associés, en la personne de Me [I] [C], et en qualité de mandataire judiciaire la Selarl Axyme, en la personne de Me [D] [S], et fixé au 17 octobre 2018 la date de cessation des paiements, comme correspondant à la date d'inscription du premier privilège.

Sur requête de l'administrateur judiciaire et par jugement du 27 février 2019, le tribunal de commerce de Paris a mis fin à la période d'observation, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Neogia, mis fin à la mission de l'administrateur judiciaire et désigné la Selarl Axyme, en la personne de Me [S], en qualité de liquidateur judiciaire.

Sur requête du ministère public du 20 janvier 2022 et par jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a prononcé une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [F] d'une durée de 12 ans, lui reprochant :

- la tenue d'une comptabilité irrégulière ou incomplète, seul un projet de comptes sociaux pour l'exercice 2017 étant remis à l'administrateur judiciaire (article L. 653-5 6°du code de commerce),

- l'augmentation frauduleuse du passif, en faisant souscrire des salariés à une augmentation de capital qui n'a jamais eu lieu de sorte que les « investisseurs salariés » sont restés créanciers de la société et non actionnaires à hauteur de la somme totale de 813 575 euros déclarée à la procédure (article L. 653-4 5° du code de commerce),

- l'emploi de moyens ruineux en embauchant des salariés supplémentaires rémunérés par les investissements des salariés investisseurs, (article L. 653-5 2° et 3° du code de commerce),

- le retard dans le dépôt de la déclaration de cessation des paiements, ayant de surcroît généré un passif supplémentaire durant la période suspecte estimé à 632 697,93 euros (article L. 653-8, alinéa 3 du code de commerce).

Par décision du même jour, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la faillite personnelle de M. [K] pour une durée de 7 ans

Pour statuer comme il l'a fait s'agissant de M. [F], le tribunal a retenu que celui-ci avait présidé d'août 2016 à septembre 2019 la société Neogia, qu'il n'avait pas procédé à la déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours, que l'insuffisance d'actif représentait près de 8 ans du dernier chiffre d'affaires connu, que tous les griefs étaient caractérisés, même si, pour prononcer la faillite personnelle, celui tiré de l' abstention volontaire de déclarer l'état de cessation des paiements dans les délais requis a été écarté, que M. [Z] n'avait aucun engagement financier personnel dans l'entreprise et n'avait contribué en aucune manière à l'apurement du passif, qu'il avait fait preuve d'une méconnaissance coupable des obligations qui s'imposent à un chef d'entreprise, que les manquements apparaissaient d'une particulière gravité, compte tenu en particulier des opérations relatives aux opérations de capital non régularisées pour 813.575€ et qu'il était en conséquence opportun et de bonne justice de l'éloigner de la vie des affaires.

Par déclaration du 2 décembre 2022, M. [F] a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 mars 2024,

M. [O] [F] demande à la cour :

- à titre principal, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé sa faillite personnelle pour une durée de 12 ans ;

- statuant à nouveau, de débouter la société Axyme ès qualités de l'ensemble de ses demandes et de débouter le ministère public de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre subsidiaire, de ne pas prononcer de faillite personnelle à son encontre ;

- à titre très subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions la durée de la sanction de faillite personnelle prononcée à son encontre.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 16 juin 2023, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement déféré en son principe mais de l'infirmer quant à la nature et au quantum de la sanction personnelle en prononçant à l'encontre de M. [F] une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de 8 ans.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 31 mai 2023, la Selarl Axyme prise en la personne de Me [D] [S], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Neogia demande à la cour :

- à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

- à titre subsidiaire, de condamner M. [F] à une interdiction de gérer, en tout état de cause ;

- en tout état de cause, de condamner M. [F] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

SUR CE,

M.[F] expose qu'il est un jeune homme de 31 ans spécialisé dans la recherche et le développement informatique, ainsi que dans les intelligences artificielles, qu'il a obtenu en 2011, un bac technologique STI (Sciences et Technologies de l'Industrie) puis en 2014 un Diplôme Universitaire de Technologie « service et réseau de communication » avant d'intégrer l'université [11] en licence 3 d' « Art et technologie de l'image », qu'en janvier 2015, alors qu'il était toujours étudiant et âgé de 22 ans, M. [K], alors âgé de 30 ans et bénéficiant de plusieurs expériences professionnelles dans le monde de l'entreprise, « était venu le chercher » pour lui proposer de rejoindre son projet entrepreneurial qu'il a intégré avec la création des société Fabulasys et Neogia tout en poursuivant son cursus universitaire à l'université de [11] et en validant en janvier 2017 un Master 2 de « Création numérique parcours Arts et Technologies de l'Image Virtuelle », qu'il a été convenu entre les deux associés que M. [F] aurait la charge de la partie technique du projet, n'ayant aucune connaissance entrepreneuriale, tandis que M. [K] s'occuperait de la partie « business », c'est-à-dire du développement commercial et de la gestion administrative, comptable et financière de l'entité qui serait créée, qu'après plusieurs mois de recherches techniques et commerciales sur le projet initial, tous deux se sont aperçus qu'il serait difficile, en l'état, de parvenir à une solution commercialisable mais ont compris qu'il existait une potentialité technique et commerciale de réorienter le projet en se concentrant exclusivement sur l'exploitation de données d'intelligence artificielle, en l'occurrence de données biométriques, afin qu'elles puissent, par la suite, être exploitées dans le secteur médical, que c'est dans ce contexte qu'est née la société Fabulasys, société de 'Tech', puis sa filiale Neogia société de 'data science' répondant aux caractéristiques d'une start-up.

M. [F] soutient que M. [K] s'est occupé seul des modalités pratiques de fonctionnement de la société Neogia et, notamment, de l'ouverture de comptes bancaires au sein de la Bred et de la Société Générale, que les statuts prévoient que le président et le directeur général aient les mêmes pouvoirs, que cependant les deux associés s'étaient répartis les rôles, le sien étant cantonné à la recherche portant sur l'intelligence artificielle et la santé connectée, la prospection de potentiels partenaires et/ou investisseurs dans le domaine de la technologie ou académique, le recrutement alors que M. [K] avait un rôle de direction commerciale, administrative et financière de la société, qu'il a découvert au cours du 3ème trimestre 2018 les lacunes professionnelles de M. [K] et plus précisément que les commissaires aux comptes de la société, compte tenu de la mauvaise tenue des comptes par ce dernier n'étaient pas en mesure de les clôturer et de les certifier, que M. [K] a reconnu sa carence dans sa lettre de démission du 17 décembre 2018.

Sur les griefs

M. [F] prétend que 'les accusations portées à (son) encontre ne permettent pas d'identifier ses fautes puisque les requêtes qui en sont à l'origine sont identiques entre

M. [K] et lui même', que le tribunal, qui l'a sanctionné en reprenant les termes de la requête, s'est abstenu de démontrer qu'en tant que dirigeant de droit il a personnellement commis les fautes qui lui sont reprochées, que les conditions de prononcé de la faillite personnelle ne sont pas caractérisées, que le tribunal a méconnu la réalité de la répartition des tâches entre les deux dirigeants telle qu'exposée ci-dessus, dont il découle que

M. [K] était chargé de l'établissement de la comptabilité et des formalités liées aux augmentations de capital, qu'en tout état de cause, le fait qu'elles n'aient pas été réalisées n'a pas entraîné d'augmentation de passif et qu'aucune intention frauduleuse quant à l'utilisation des fonds ainsi levés n'est caractérisée, que la prétendue présentation de faux relevés de comptes et d'une fausse autorisation de la FDA est inopérante à démontrer que l'embauche de salariés caractérise la souscription d'engagements trop importants, qu'il n'est pas démontré que les embauches de salariés, intervenues antérieurement au 18 octobre 2018, l'aient été sans contrepartie utile et qu'il n'est pas démontré à son encontre qu'il ait sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure collective dans les délais légaux.

Le ministère public rappelle que M. [F] a exercé la fonction de président de la société Neogia et qu'il ne peut se soustraire à l'application de l'article L. 653-4 du code de commerce en prétendant n'avoir été que le prête-nom du dirigeant de fait de la société. Il soutient, comme le liquidateur judiciaire que tous les griefs sont caractérisés.

Aux termes de l'article L. 653-1 2° du code de commerce, lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte les dispositions relatives à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdiction sont applicables aux personnes physiques dirigeants de droit ou de fait de personnes morales.

Sur la tenue d'une comptabilité irrégulière

Il résulte de l'application combinée des articles L. 653-5, 6° et L. 653-8 du code de commerce qu'est sanctionné par la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer le fait d'avoir fait disparaître des documents comptables, de ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation, ou d'avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

A cet égard, l'article L. 123-12 du code de commerce prévoit : « Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.

Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.

Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable ».

L'article L. 232-1 du code de commerce dispose : « A la clôture de chaque exercice le conseil d'administration, le directoire ou les gérants dressent l'inventaire, les comptes annuels conformément aux dispositions de la section 2 du chapitre III du titre II du livre Ier et établissent un rapport de gestion écrit ».

L'article L. 123-14 du code de commerce énonce : « Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise (') ».

En l'espèce, il résulte du bilan économique, social et environnemental établi par l'administrateur judiciaire le 2 janvier 2023 que la société connaissait des retards comptables importants puisque les comptes du premier exercice clos le 31 décembre 2017 et d'une durée de 16 mois et demi n'étaient toujours pas définitivement établis et que le cabinet d'expertise comptable, du fait des impayés subis, refusait d'intervenir.

M. [F] explique lui-même qu'au début du 3ème trimestre 2018, le commissaire aux comptes de la société Neogia, M. [A] [E], l'a alerté sur les difficultés qu'il rencontrait et a demandé un rendez-vous avec lui et M. [K], au cours duquel il les a informés de ce que compte tenu de l'extrême mauvaise tenue des comptes, il ne serait pas en mesure de les clôturer et de les certifier à la fin de l'exercice. M. [F] poursuit en disant qu'il a organisé un nouveau rendez-vous avec M. [K] ainsi qu'avec le comptable de la société pour un 'recadrage', un mois ayant été accordé pour procéder à la régularisation de la situation de la société du point de vue comptable et qu'il a pris l'initiative en octobre 2018 de changer de comptable. Il produit en pièce n°5 le courrier électronique que lui a adressé M. [E] le 26 novembre 2018 et qui est ainsi libellé :

« Bonjour [O],

Je voulais vous faire un retour sur la situation des 2 sociétés, suite à notre appel à [Y] (M. [K]) hier.

A la lecture des comptes de Fabulasys, des incohérences nous ont sauté aux yeux (des factures de ventes sans achats en charges, des honoraires en TTC et qui ne concernent pas uniquement Fabulasys, des incohérences dans les mouvements de trésorerie ').

Actuellement nous ne pouvons pas faire notre travail de CAC puisque les comptes qui nous sont transmis sont, n'ayons pas peur des mots, archifaux ! ( souligné par la cour)

Nous perdons un temps fou en essayant de comprendre ce qui se passe, [Y] ne comprend pas non plus nos demandes, le cabinet comptable est d'un silence assourdissant (bien qu'en copie de chaque mail).

A ce stade, il est impératif que vous réorganisiez complètement le circuit de documents administratifs et comptables, afin d'avoir une procédure qui permette de s'assurer que tous les documents figurent dans la compta, et également que seuls ceux concernant chaque société figure dans la compta de chacune (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui). (')

D'où le recadrage un peu « musclé » d'[Y], pour lui faire comprendre l'ampleur du problème (car il ne semblait pas réellement préoccupé).

Aussi je compte sur votre pouvoir de président des 2 sociétés pour activer tout le monde afin que chacun fasse ton travail avec application et qu'enfin quelques bien tôt 12 mois après la clôture des comptes nous puissions faire le nôtre sereinement et ainsi tenter de respecter les délais accordés par le tribunal (...) ».

Auparavant, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 21 novembre 2018, le commissaire aux comptes avait adressé à M. [F] une lettre dans laquelle il lui indiquait vouloir déclencher une procédure d'alerte en indiquant ceci : « (') Les cotisations URSSAF ne sont pas réglées depuis le mois d'avril 2018. Les cotisations de la caisse de retraite B2V ne sont pas réglées depuis le mois de janvier 2018 . Les comptes de l'exercice 2017 ne sont toujours pas arrêtés à ce jour . La comptabilité 2018 n'est pas à jour.

Compte tenu de la situation je pense que les faits mentionnés ci-dessus sont de nature à compromettre la continuité d'exploitation de votre société (') ».

Il ne peut être dès lors sérieusement contesté que non seulement les comptes annuels de la société n'ont pas été tenus alors qu'il s'agit d'une obligation mais qu'en outre la comptabilité a été tenue de manière manifestement irrégulière ou incomplète.

M. [F], dirigeant de droit de la société, ne peut s'exonérer de sa responsabilité en prétendant que la charge de la comptabilité avait été transférée sur M. [K], dès lors que la comptabilité est de la compétence du dirigeant de droit, ce que lui a rappelé le commissaire aux comptes.

Il y a lieu en outre de préciser qu'aux termes de l'article 15 des statuts de la société Neogia, intitulé « Comptes annuels », il est prévu : « il est tenu une comptabilité régulière des opérations sociales conformément à la loi. A la clôture de chaque exercice, le Président établit l'inventaire, les comptes annuels sociaux (et le cas échéant consolidés) et le rapport de gestion conformément aux lois et usage du commerce. Il les soumet pour approbation à la collectivité des associés ou à l'associé unique dans le délai de 6 mois à compter de la date de clôture de l'exercice ».

Aucune disposition statutaire ne prévoit donc que la gestion comptable serait exclusivement à la charge de M. [K] en sa qualité de directeur général de la société Neogia, bien au contraire, et en tout état de cause, la responsabilité de M. [K] dans la tenue d'une comptabilité irrégulière n'est pas exclusive de celle de M. [F].

Le grief retenu par le tribunal est donc caractérisé et imputable à M. [F].

Sur le détournement d'actif ou l'augmentation frauduleuse du passif

Il résulte de l'application combinée des articles L. 653-4, 5° et L. 653-8 du code de commerce qu'est sanctionné par la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer le fait pour un dirigeant d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

La requête du procureur de la Réplique vise une augmentation frauduleuse du passif, par « les dirigeants », à hauteur de 813 575 euros, montant des déclarations de créances représentant les investissements effectués par des personnes morales et une personne physique pour devenir actionnaires de la société Neogia au vu d'une fausse autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) du 6 mars 2018, attestant d'études cliniques (inexistantes) à New York sous la direction du docteur [N], alors que les sommes versées avaient été virées sur les comptes courants de l'entreprise et utilisées pour payer différentes charges dont les salaires et non pas déposées sur un compte bancaire bloqué chez un notaire ou à la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre des augmentations de capital annoncées et qui n'ont finalement pas été réalisées.

Le tribunal a retenu ce grief sans préciser s'il était relatif à un détournement d'actif ou à l'augmentation frauduleuse du passif. Il a repris les éléments articulés par le ministère public et a ajouté qu'au cours d'une réunion, le 10 décembre 2018, M. [F] avait, pour convaincre les salariés de la bonne santé financière de la société alors que les salaires d'octobre et novembre 2018 n'avaient pas été payés, produit de faux documents bancaires faisant état d'une trésorerie positive à hauteur de 874 000 euros à la Société Générale.

Il ressort des pièces du dossier que M. [F] a communiqué aux salariés de la société Neogia ainsi qu'aux potentiels investisseurs de la société une autorisation, datée du 6 mars 2018, de commercialiser sur le marché américain le bracelet développé par la société Neogia prétendument obtenue de l'autorité américaine la FDA dans laquelle figure l'adresse de la clinique [7], située à [Localité 10] dans laquelle des études cliniques sur le bracelet étaient censées être menées sur le bracelet sous la direction du docteur [R] [N], alors que ce dernier a attesté n'avoir jamais conduit l'étude clinique qui lui est attribuée et précisé que M. [F] lui avait affirmé que le projet de commercialisation du bracelet aux USA avait été abandonné. Il en ressort également que le document censé émaner de la FDA est apocryphe et a été constitué de toutes pièces ce que ne contredit pas M. [F] qui se limite à indiquer que ce fait est inopérant à caractériser l'emploi de moyens ruineux visé dans la requête.

Si le procédé employé apparaît frauduleux et préjudiciable aux salariés concernés, il n'en demeure pas moins que cette opération n'a pas causé de préjudice à la société puisque les fonds ont servi à payer ses charges et dettes et donc ont été utilisés pour éteindre un passif généré par l'activité de la société.

L'augmentation frauduleuse du passif visée par le texte précité n'est pas constituée en l'espèce puisqu'elle suppose, comme le soutient M. [F], que le dirigeant, par ses agissements fautifs fasse supporter à l'entreprise des frais et dettes dont elle n'est pas redevable et donc majore de façon volontaire et artificielle le passif.

La circonstance que M. [F] ait le 10 décembre 2018 produit de faux extraits de comptes bancaires est indifférente dans la mesure où aucun versement d'argent n'est intervenu concomitamment ou postérieurement à cette date.

Le grief n'est donc pas caractérisé et ne sera pas retenu.

Sur l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds et la souscription d'engagements trop importants

En vertu de l'article L.653-5, 2° et 3°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle d'un dirigeant pour « (2°) avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds » et pour « (3°) avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale. »

Le tribunal a retenu que les deux griefs étaient caractérisés puisque :

« - les dirigeants ont embauché tardivement plusieurs salariés sur la base de la certification fictive de la US Food and Drug Administration émise par M. [F],

- ces embauches intervenaient concomitamment à des versements de fonds par des salariés ayant pour projet de rentrer au capital,

- ces salariés investisseurs ont constaté in fine que les fonds versés étaient utilisés pour régler leurs propres salaires ainsi que ceux des salariés non investisseurs,

- face à l'inquiétude des salariés, M. [O] [F] a produit de faux relevés de comptes bancaires de la société pour présenter des situations de trésorerie confortables,

- ces engagements doivent être supportés par la collectivité, via l'AGS, pour une créance significative de 410 768 euros, sans tenir compte des procédures prud'homales pendantes ».

Alors que la réalité des faits articulés dans le jugement déféré et le caractère blâmable des agissements de M. [F] sont indiscutables, les griefs retenus ne sont pas caractérisés.

En effet, tout d'abord, le cas visé par le 2° précité suppose, d'une part, un élément intentionnel précis qui consiste pour le dirigeant à avoir voulu, par ses agissements, retarder ou empêcher la constatation judiciaire de l'état de cessation des paiements de l'entreprise, d'autre part un élément matériel, qui est ici, l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds.

Or même à supposer que l'élément intentionnel soit caractérisé, l'élément matériel fait défaut puisque le procédé utilisé pour se procurer des fonds, en l'espèce avoir fait croire à des salariés et partenaires commerciaux qu'ils allaient entrer au capital de la société, ne constitue pas un moyen ruineux, lequel n'existe qu'en cas de recherche effrénée de crédits et de souscriptions d'engagements sans commune mesure avec les résultats de l'activité.

S'agissant du grief visé par le 3° de l'article précité, il nécessite pour être caractérisé que soit établi le caractère fictif des emplois.

Or en l'espèce, s'il résulte des écritures des parties et des pièces versées aux débats, que

M. [F] a bien procédé à des embauches multiples et à haut niveau de rémunération, et ce avant la date de cessation des paiements, les salariés ignoraient cet état de fait, ayant été trompés sur l'activité de la société. Ils ont été choisis pour leur compétence et non par complaisance et ont eu des missions précises à accomplir.

Ces deux griefs ne sont ainsi pas caractérisés.

Sur la déclaration de la cessation des paiements tardive

Selon l'article L. 653-8 du code de commerce, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, une entreprise ou une personne morale peut être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

En l'espèce, la date de cessation des paiements a été fixée par le jugement d'ouverture de la procédure au 17 octobre 2018 et s'impose à la cour dès lors que l'appelant ne l'a pas contestée dans le délai imparti.

Il est constant que la déclaration de cessation des paiements a été déposée par M. [F] le 23 janvier 2019. Il est ainsi établi et, au demeurant non contesté, que ce dernier n'a pas demandé l'ouverture d'une procédure collective avant le 1er décembre 2018 à minuit, date d'expiration du délai de déclaration ayant couru à compter de la cessation des paiements et ce, sans avoir non plus demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Ainsi, le retard constaté dans la déclaration de cessation des paiements est, non pas de près de 3,5 mois, comme l'indiquent le ministère public et le liquidateur judiciaire mais d'environ 1 mois et 20 jours.

Selon le liquidateur judiciaire, le passif généré pendant la période suspecte peut s'évaluer à la somme de 632 697,93 euros, soit 28 % de l'insuffisance d'actif.

M. [F] argue de sa méconnaissance de l'état de cessation des paiements ainsi que de l'obligation légale de demander l'ouverture de la procédure collective dans le délai de 45 jours.

M. [F], dirigeant de société qui indique lui-même avoir pris attache avec des professionnels de la procédure collective et a procédé à la déclaration de cessation des paiements avec l'aide d'un avocat, ne peut se prévaloir de son ignorance de la loi.

Il doit en outre être considéré comme ayant omis sciemment de procéder à la déclaration de cessation des paiements.

En effet les pièces versées aux débats démontrent que M. [F] avait une connaissance personnelle de l'incapacité dans laquelle se trouvait la société de faire face à son passif exigible avec son actif disponible puisqu'il a pris l'initiative de confectionner une fausse autorisation de l'administration américaine datée du 3 mars 2018 et de convaincre au mois de juillet 2018 des salariés de participer à une augmentation de capital pour obtenir des fonds destinés à payer les charges courantes de la société et qu'il n'a pas hésité courant novembre et début décembre à produire de faux extraits de comptes bancaires pour masquer la situation réelle de la société.

Il doit être rappelé, ainsi que le commissaire aux comptes l'a personnellement rappelé à

M. [F], le 21 novembre 2018, que les cotisations Urssaf n'étaient pas réglées depuis le mois d'avril 2018 et les cotisations retraite depuis le mois de janvier 2018.

C'est donc sciemment qu'il a omis de procéder à la déclaration de cessation des paiements.

Le grief est ainsi caractérisé et la cour le retiendra pour prononcer une mesure d'interdiction de gérer.

Sur la sanction

La juridiction qui prononce une sanction doit motiver sa décision tant sur son principe que sur son quantum, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé.

En l'espèce, la cour observe que les deux griefs retenus à l'encontre de M. [F] révèlent une méconnaissance grave des obligations d'un chef d'entreprise. L'insuffisance d'actif, supérieure à 2,2 millions d'euros est considérable et a été constituée sur une courte période. Outre des carences manifestes dans la gestion d'une société commerciale,

M. [F] a fait preuve d'une conception totalement inadaptée de la gestion d'une jeune société puisqu'il considère comme normal, au nom du développement et de la croissance, de creuser des déficits et donc de laisser des créances impayées et même comme légitime de gruger des partenaires et des salariés. La banalisation de la confection et de l'usage de faux (qui ont été reconnus devant l'administrateur judiciaire) et dont la réalité objective est établie, justifient de tenir M. [F] éloigné du monde des affaires et de la direction de toute entreprise, en dépit de son jeune âge et l'absence de tout antécédent.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'est justifié le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 8 ans, celle-ci étant de nature à éliminer significativement M. [F] de la vie des affaires et apparaissant suffisante et adaptée aux faits comme à la personnalité de M. [F].

Le jugement déféré sera donc infirmé tant sur la mesure que sur sa durée.

M. [Z], qui demeure condamné en cause d'appel sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé en ce qu'il a dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire.

L'équité ne commande pas de condamner M. [F] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement déféré ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Prononce à l'égard de M. [O] [F], né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 9] (73), de nationalité française, demeurant [Adresse 2], Angleterre (Grande-Bretagne), une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ;

Fixe la durée de cette mesure à 8 années ;

Dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et, au besoin, qu'elle se substituera à la sanction prononcée par le tribunal de commerce de Paris le 22 novembre 2022 (faillite personnelle d'une durée de 12 ans) dont la décision est infirmée par le présent arrêt ;

Condamne M. [O] [F] aux dépens de première instance et d'appel ;

Déboute la Selarl Axyme ès qualités de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.