Décisions
CA Colmar, ch. 4 a, 1 octobre 2024, n° 23/03507
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 24/799
Copie exécutoire
aux avocats
Copie à Pôle emploi
Grand Est
le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 01 OCTOBRE 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 23/03507
N° Portalis DBVW-V-B7H-IE6Y
Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2022 par le COUR D'APPEL DE COLMAR
APPELANTE :
UNEDIC DELEGATION AGS-CGEA demanderesse à la tierce opposition
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Patrick TRUNZER, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMES :
Monsieur [M] [P]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Abba Ascher PEREZ, avocat au barreau de STRASBOURG
S.A.S. WEIL-GUYOMARD-LUTZ ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL SUVARI
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
Non représentée
S.A.R.L. SUVARI défendeur à la tierce opposition
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 4]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. ROBIN, Président de chambre
M. PALLIERES, Conseiller (chargé du rapport)
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées,
- signé par M. ROBIN, Président de chambre et Mme BESSEY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, M. [M] [P] a été engagé, en qualité de barman, à compter du 19 décembre 2012, par la société Dere qui exploitait un fonds de commerce de restaurant-débit de boissons sous l'enseigne « brasserie au Tivoli ». La convention collective applicable est celle nationale des hôtels, cafés restaurants.
M. [M] [P] a été placé en arrêt travail pour maladie à compter du 15 avril 2014. Par acte authentique du 16 avril 2014, la société Dere a cédé son fonds de commerce à la société Suvari.
Par requête du 20 mai 2015, M. [M] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg de demandes dirigées contre la société Dere et la société Suvari aux fins de voir requalifier son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de ces deux sociétés, et d'obtenir diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud'hommes, en formation de départage, a :
- dit que le contrat de travail de M. [M] [P] a été transféré à la société Suvari à compter du 16 avril 2014,
- débouté M. [M] [P] de sa demande requalification du contrat de travail en contrat à temps plein,
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Dere et de la société Suvari, avec effet au 1er août 2015,
- condamné solidairement la société Dere et la société Suvari à payer à
M. [M] [P] les sommes suivantes :
* 654,62 euros à titre de rappel de salaires pour l'été 2013,
* 65,46 euros au titre des congés payés y afférents,
* 11 986,99 euros brut à titre d'arriéré de salaires d'août 2014 au 1er août 2015,
* 1 198,70 euros au titre des congés payés y afférents,
* 2 003,04 euros au titre de l'indemnité de préavis,
* 200,30 euros au titre des congés payés y afférents,
* 517,44 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 652,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés,
* 300 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visites médicales,
* 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [M] [P] du surplus de ses demandes,
- condamné solidairement la société Dere et la société Suvari aux frais et dépens.
Par arrêts du 15 mars 2022, et rectificatif du 31 mai 2022, la présente cour d'appel, autrement composée, a :
- confirmé le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Strasbourg, en ce qu'il a :
- dit que le contrat de travail de M. [M] [P] a été transféré à la société Suvari à compter du 16 avril 2014,
- débouté M. [M] [P] de sa demande de requalification du contrat de travail en contrat à temps plein,
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de société Suvari,
- débouté M. [M] [P] de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- condamné la société Suvari aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 1er août 2015 et condamné la société Suvari à payer à M. [M] [P] les sommes suivantes :
* 654,62 euros à titre de rappel de salaires pour l'été 2013,
* 65,46 euros au titre des congés payés y afférents,
* 11 986,99 euros brut à titre d'arriéré de salaires d'août 2014 au 1er août 2015,
* 1 198,70 euros au titre des congés payés y afférents,
* 2 003,04 euros au titre de l'indemnité de préavis,
* 200,30 euros au titre des congés payés y afférents,
* 517,44 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 652,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés,
* 300 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visites médicales ;
statuant à nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,
- fixé la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 21 janvier 2021 ;
- dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société Suvari à payer à M. [M] [P] les sommes suivantes :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021,
* 7 824,34 euros au titre des congés payés y afférents,
* 1 556,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés,
* 2 075,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 207,58 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- rejeté la demande de rappel de salaire depuis l'embauche jusqu'au mois d'août 2014 ;
- rejeté la demande de dommages-intérêts pour défaut d'organisation des visites médicales d'embauche et de reprise ;
- condamné la société Suvari à payer à M. [M] [P] une somme de 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté la demande de la société Suvari au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Suvari aux dépens d'appel ;
- rappelé que le sort des frais d'exécution forcée est fixé par les dispositions de l'article L 111-8 du code de procédure civile d'exécution.
Par déclaration du 3 octobre 2023, l'Ags/Cgea de Nancy a saisi la cour d'appel de céans d'une tierce opposition à l'arrêt ci-dessus.
Par actes de commissaire de justice des 4 octobre 2023, l'Ags/Cgea de [Localité 8] a fait assigner, aux fins de tierce opposition, M. [M] [P], la société Suvari, et la société Weil-Guyomard et Lutz, es qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Suvari.
Par ordonnance du 27 octobre 2023, le président de la chambre sociale de la présente cour a fixé l'affaire à une audience à bref délai, en application de l'article 905 du code de procédure civile.
*
* *
Par écritures transmises par voie électronique le 29 mai 2024, l'Ags/Cgea de [Localité 8] sollicite que la cour :
- lui déclare inopposables les arrêts des 15 mars 2022 et 31 mai 2022 et les rétracte en toutes leurs dispositions,
en conséquence,
- dise et juge qu'elle ne doit pas sa garantie pour l'ensemble des créances telles qu'allouées à M. [M] [P],
- dise et juge qu'à son égard, le contrat de travail de M. [M] [P] a été rompu, de fait, à compter du 1er août 2014, subsidiairement du 1er août 2015, avec toutes les conséquences en résultant,
- limite sa garantie au titre d'avances pour le compte de M. [M] [P] en l'absence de fonds disponibles, à des rappels de salaire et congés payés exigibles au 1er août 2014, subsidiairement au 31 juillet 2015, ainsi qu'à une indemnité compensatrice de préavis de congés payés s'y rapportant telle que fixée par arrêt de la cour d'appel du 15 mars 2022, de même qu'à une indemnité de licenciement tenant compte d'une ancienneté limitée à 16 mois représentant un montant de 376,77 euros,
- dise et juge que sa garantie ne s'exercera qu'à titre subsidiaire,
- arrête le cours des intérêts légaux en application de l'article L 622-28 du code de commerce au jour d'ouverture de la procédure collective de la société Suvari,
- dise et juge que sa garantie n'est acquise que dans les conditions de l'article L 3253-8 du code du travail ainsi que dans les limites, toutes créances avancées, d'un des trois plafonds résultant des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail,
- condamne la partie succombant aux éventuels dépens.
Elle fait valoir qu'elle a un intérêt à ce que plusieurs chefs de décision des arrêts précédents de la cour de céans lui soient déclarés inopposables.
Elle conteste la caducité de la tierce-opposition qu'elle a formée, au motif que l'article 905-1 du code de procédure civile, relatif à la signification de l'assignation aux parties adverses constituées dans le délai de 10 jours à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai, est inapplicable ne s'agissant pas d'une déclaration d'appel.
Elle ajoute qu'elle a produit, par le réseau privé virtuel des avocats, le 3 octobre 2023, l'assignation de tierce-opposition qui vaut conclusions, et que l'avis du greffe, fixant l'affaire à bref délai, a été délivré postérieurement à la constitution d'avocat pour le compte de M. [M] [P], alors qu'elle justifie, par ailleurs, de la dénonciation la tierce-opposition à l'avocat constitué pour M. [P] .
Elle conteste également que la tierce-opposition soit frappée de nullité.
Sur le fond, elle soutient qu'il résulte, tant du jugement du conseil de prud'hommes, que de l'arrêt de la cour, que M. [M] [P] s'était présenté, avec un témoin, le 1er août 2014, sur son lieu de travail, et que son nouvel employeur, la société Suvari, lui avait refusé l'accès au restaurant, ce qui s'analysait comme une rupture du contrat de travail du fait de l'employeur, de telle sorte qu'il ne peut lui être opposées les dispositions relatives à un rappel de salaire pour la période à compter du 1er août 2014, à l'indemnité de licenciement, qui doit être, à son égard, recalculée à la somme de 326,77 euros compte tenu de l'ancienneté du salarié au 1er août 2014, et aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié ne justifiant d'aucun préjudice alors que les dispositions de l'article L 1235-5, ancien du code du travail, sont applicables.
Elle rappelle, pour le surplus, les conditions de sa garantie.
Par écritures transmises par voie électronique le 22 décembre 2023, M. [M] [P] sollicite que la cour :
- à titre principal, prononce la caducité de la tierce-opposition,
- subsidiairement, déclare la tierce-opposition irrecevable et déboute l'Ags de [Localité 8] de sa tierce-opposition et de l'intégralité des demandes de cette dernière,
- très subsidiairement, fixe ses créances au passif de la société Suvari aux montants suivants :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021,
* 7 824,34 euros au titre des congés payés y afférant,
* 1 556,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
* 2 075,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 207,58 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile prononcé par le conseil de prud'hommes de Strasbourg dans son jugement rendu le 21 janvier 2021,
* 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tel que prononcé par l'arrêt de la cour d'appel de céans en date du 15 mars 2022,
* 1 763,09 euros au titre des intérêts légaux arrêtés au 28 octobre 2022, montant à parfaire,
* 2 021,07 euros au titre des frais d'exécution, arrêtés au 28 octobre 2022, montant à parfaire,
le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Strasbourg,
- déclare la décision à intervenir opposable à l'Ags,
- condamne l'Ags de [Localité 8] aux dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [M] [P] soulève la caducité de la tierce-opposition, au motif que les dispositions de l'article 905-1 du code de procédure civile n'ont pas été respectées, et invoque, par ailleurs, la nullité de l'assignation pour défaut de la mention prévue par l'article 905-1 du code de procédure civile.
Il fait valoir que la tierce-opposition ne permet pas de remettre en question le bien fondé et le quantum des créances définitivement établies dans les rapports employeur/salarié, de telle sorte que l'Ags ne saurait contester la date d'effets de la résiliation fixée par la cour.
Subsidiairement, il fait valoir que l'Ags n'apporte pas le moindre élément de preuve, et qu'il s'est toujours tenu à la disposition de la société Suvari, et critique la décision du conseil de prud'hommes.
La société Suvari et la société Weil-Guyomard-Lutz, es qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Suvari en redressement judiciaire, n'ont pas constitué avocat.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
Liminaire
Selon l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Or, le dispositif des écritures de M. [M] [P] ne comporte aucune exception de nullité de l'assignation aux fins de tierce-opposition.
Par ailleurs, dans ses écritures, M. [P] ne soulève aucun moyen au soutien de la fin de non recevoir de l'irrecevabilité de la tierce-opposition.
Sur la caducité
Selon l'article 905-1 du code de procédure civile, lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.
A peine de nullité, l'acte de signification indique à l'intimé que, faute pour lui de constituer avocat dans un délai de quinze jours à compter de celle-ci, il s'expose à ce qu'un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire et que, faute de conclure dans le délai mentionné à l'article 905-2, il s'expose à ce que ses écritures soient déclarées d'office irrecevables.
Selon l'article 587 du code de procédure civile, la tierce opposition formée à titre principal est portée devant la juridiction dont émane le jugement attaqué. La décision peut être rendue par les mêmes magistrats. Lorsque la tierce opposition est dirigée contre un jugement rendu en matière gracieuse, elle est formée, instruite et jugée selon les règles de la procédure contentieuse.
L'article 905-1 du code de procédure civile, qui vise la déclaration d'appel, est inapplicable à la tierce-opposition, laquelle doit être formée par assignation, devant la cour d'appel.
Or, l'Ags/Cgea de Nancy justifie, à la suite de sa déclaration de saisine de la cour d'appel du 3 octobre 2023, de l'assignation de l'ensemble des autres parties, par actes de commissaire de justice, du 4 octobre 2023, et de la production au réseau privé virtuel des avocats desdites assignations.
Il importe peu, dès lors, en suite à la décision du président de la chambre, que l'affaire ait été orientée selon la procédure à bref délai, les parties, défenderesses à la tierce-opposition, ayant eu connaissance de cette dernière antérieurement à l'avis du greffe, en application de l'article 904-1 du code de procédure civile.
En conséquence, l'exception de caducité sera rejetée.
Sur la tierce opposition
Selon l'article 582 du code de procédure civile, la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
Selon l'article 584 du code de procédure civile, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties au jugement attaqué, la tierce opposition n'est recevable que si toutes ces parties sont appelées à l'instance.
Selon l'article 591 du même code, la décision qui fait droit à la tierce opposition ne rétracte ou ne réforme le jugement attaqué que sur les chefs préjudiciables au tiers opposant. Le jugement primitif conserve ses effets entre les parties, même sur les chefs annulés. Toutefois la chose jugée sur tierce opposition l'est à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584.
L'Ags n'ayant pas été partie à l'instance de la cour d'appel de céans RG n°22/1243, et celle relative à la rectification d'une erreur matérielle, ces décisions n'ont pas autorité de la chose jugée à son égard, en sorte qu'elle est en droit de contester l'existence même des créances retenues par la cour.
Or, il résulte des moyens du salarié, développés tant devant les premiers juges, que devant la cour d'appel, dans le cadre du litige l'opposant à son employeur, la société Suvari, reproduits, de nouveau, dans ses dernières écritures, dans le cadre de la présente instance, que :
- M. [M] [P] s'est présenté, le 1er août 2014, à la fin de son arrêt travail, avec un témoin, afin de reprendre ses missions au sein du restaurant, dans lequel il était employé,
- M. [M] [P] s'est heurté à un refus du nouveau gérant du fonds de commerce (la société Suvari) qui lui a indiqué ne pas le connaître et qu'il ne faisait pas partie des salariés.
Or, il est un fait constant que le contrat de travail, de M. [M] [P], avait été transféré de la société Dere à la société Suvari, de telle sorte que cette dernière avait bien la qualité d'employeur de M. [P].
Ainsi, comme soutenu par l'Ags/Cgea, le refus par un employeur opposé à son salarié de reprendre son activité professionnelle, au motif qu'il ne fait pas partie des effectifs, s'analyse comme une rupture unilatérale du contrat de travail, par l'employeur.
En conséquence, le contrat de travail étant rompu au 1er avril 2014, c'est à juste titre que l'Ags/Cgea sollicite la rétractation de l'arrêt du 15 mars 2022 et de l'arrêt rectificatif du 31 mai 2022 des chefs suivants :
- confirme le jugement rendu le 21 janvier 2021 conseil de prud'hommes de Strasbourg en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Suvari,
statuant à nouveau,
- fixe la date d'effets de la résiliation judiciaire du contrat au 21 janvier 2021,
- dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamne la société Suvari à payer à M. [P] les sommes suivantes :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre la somme de 7 824, 34 euros au titre des congés payés afférents,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'Ags ne remet pas en cause, à son encontre, les montants, retenus par la cour d'appel, au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis.
Statuant, à nouveau, dans les rapports avec l'Ags/Cgea, la cour dira que :
- l'Ags ne doit pas sa garantie pour le rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre les congés payés afférents,
- la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 326,77 euros, compte tenu de l'ancienneté de M. [M] [P], au titre de l'indemnité de licenciement,
- la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 1 500 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L 1235-5, ancien alors applicable, du code du travail, M. [M] [P] produisant une attestation de Pôle Emploi du 12 juin 2020, selon laquelle il n'a perçu aucune location depuis le 4 avril 2013.
Le surplus de la demande de rétraction sera rejeté.
En outre, en application de l'article L 3253-20 du code du travail, la garantie de l'Ags ne s'exerce qu'à titre subsidiaire, en l'absence de fonds disponibles, et dans les limites des plafonds résultant des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.
Le cours des intérêts au taux légal est arrêté par le jugement d'ouverture de la procédure collective, en application de l'article L 622-28 du code de commerce.
L'indemnité, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens, ne sont pas garantis par l'Ags.
Sur les demandes très subsidiaires de M. [M] [P]
La tierce opposition n'a pas pour effet, ni pour objet de remettre en cause la décision dans les rapports entre l'employeur et le salarié, de telle sorte que les demandes très subsidiaires, du salarié, aux fins que des créances soient fixées au passif de la société Suvari seront rejetées, nonobstant l'ouverture d'une procédure collective concernant la société Suvari.
Sur les demandes annexes
En application de l'article 696 du code de procédure civile, chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
L'équité commande qu'il n'y ait pas condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
DEBOUTE M. [M] [P] de son exception de caducité de la tierce-opposition ;
RETRACTE, dans les rapports entre l'Ags/Cgea et M. [M] [P], l'arrêt RG n°21/1243 du 15 mars 2022 de la cour d'appel de Colmar et l'arrêt rectificatif RG n°22/1476 du 31 mai 2022 de la même cour en leurs dispositions rectifiées suivantes :
« - confirme le jugement rendu le 21 janvier 2021 conseil de prud'hommes de Strasbourg en ce qu'il a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Suvari,
statuant à nouveau,
- fixé la date d'effets de la résiliation judiciaire du contrat au 21 janvier 2021,
- dit que cette résiliation produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Suvari à payer à M. [P] les sommes suivantes :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre la somme de 7 824, 34 euros au titre des congés payés afférents,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; » ;
Statuant à nouveau, dans les rapports entre M. [M] [P] et l'Ags/Cgea,
DIT que l'Ags ne doit pas sa garantie pour le rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre les congés payés afférents ;
DIT que la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 326, 77 euros (trois cent vingt six euros et soixante dix sept centimes), au titre de l'indemnité de licenciement ;
DIT que la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
RAPPELLE que l'Ags/Cgea de [Localité 8] doit sa garantie à titre subsidiaire en cas d'absence de fonds disponibles, et dans la limite des articles L 3253-8 du code du travail, et de l'un des 3 plafonds résultant des articles L 3253 -17 et D 3253-5 du code du travail ;
RAPPELLE que le cours des intérêts légaux et conventionnels est interrompu à compter du jugement d'ouverture de la procédure collective ;
DEBOUTE M. [M] [P] de sa demande de fixation de créances au passif de la société Suvari, en redressement judiciaire ;
DEBOUTE l'Ags/Cgea de [Localité 8] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [M] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE chaque partie à supporter ses propres dépens de l'instance de tierce-opposition.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024, signé par Monsieur Emmanuel Robin, Président de Chambre et Madame Claire Bessey, Greffier.
Le Greffier, Le Président,
Copie exécutoire
aux avocats
Copie à Pôle emploi
Grand Est
le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 01 OCTOBRE 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 23/03507
N° Portalis DBVW-V-B7H-IE6Y
Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2022 par le COUR D'APPEL DE COLMAR
APPELANTE :
UNEDIC DELEGATION AGS-CGEA demanderesse à la tierce opposition
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Patrick TRUNZER, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMES :
Monsieur [M] [P]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Abba Ascher PEREZ, avocat au barreau de STRASBOURG
S.A.S. WEIL-GUYOMARD-LUTZ ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL SUVARI
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
Non représentée
S.A.R.L. SUVARI défendeur à la tierce opposition
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 4]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. ROBIN, Président de chambre
M. PALLIERES, Conseiller (chargé du rapport)
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées,
- signé par M. ROBIN, Président de chambre et Mme BESSEY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, M. [M] [P] a été engagé, en qualité de barman, à compter du 19 décembre 2012, par la société Dere qui exploitait un fonds de commerce de restaurant-débit de boissons sous l'enseigne « brasserie au Tivoli ». La convention collective applicable est celle nationale des hôtels, cafés restaurants.
M. [M] [P] a été placé en arrêt travail pour maladie à compter du 15 avril 2014. Par acte authentique du 16 avril 2014, la société Dere a cédé son fonds de commerce à la société Suvari.
Par requête du 20 mai 2015, M. [M] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg de demandes dirigées contre la société Dere et la société Suvari aux fins de voir requalifier son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de ces deux sociétés, et d'obtenir diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud'hommes, en formation de départage, a :
- dit que le contrat de travail de M. [M] [P] a été transféré à la société Suvari à compter du 16 avril 2014,
- débouté M. [M] [P] de sa demande requalification du contrat de travail en contrat à temps plein,
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Dere et de la société Suvari, avec effet au 1er août 2015,
- condamné solidairement la société Dere et la société Suvari à payer à
M. [M] [P] les sommes suivantes :
* 654,62 euros à titre de rappel de salaires pour l'été 2013,
* 65,46 euros au titre des congés payés y afférents,
* 11 986,99 euros brut à titre d'arriéré de salaires d'août 2014 au 1er août 2015,
* 1 198,70 euros au titre des congés payés y afférents,
* 2 003,04 euros au titre de l'indemnité de préavis,
* 200,30 euros au titre des congés payés y afférents,
* 517,44 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 652,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés,
* 300 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visites médicales,
* 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [M] [P] du surplus de ses demandes,
- condamné solidairement la société Dere et la société Suvari aux frais et dépens.
Par arrêts du 15 mars 2022, et rectificatif du 31 mai 2022, la présente cour d'appel, autrement composée, a :
- confirmé le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Strasbourg, en ce qu'il a :
- dit que le contrat de travail de M. [M] [P] a été transféré à la société Suvari à compter du 16 avril 2014,
- débouté M. [M] [P] de sa demande de requalification du contrat de travail en contrat à temps plein,
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de société Suvari,
- débouté M. [M] [P] de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- condamné la société Suvari aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 1er août 2015 et condamné la société Suvari à payer à M. [M] [P] les sommes suivantes :
* 654,62 euros à titre de rappel de salaires pour l'été 2013,
* 65,46 euros au titre des congés payés y afférents,
* 11 986,99 euros brut à titre d'arriéré de salaires d'août 2014 au 1er août 2015,
* 1 198,70 euros au titre des congés payés y afférents,
* 2 003,04 euros au titre de l'indemnité de préavis,
* 200,30 euros au titre des congés payés y afférents,
* 517,44 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 652,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés,
* 300 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visites médicales ;
statuant à nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,
- fixé la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 21 janvier 2021 ;
- dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société Suvari à payer à M. [M] [P] les sommes suivantes :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021,
* 7 824,34 euros au titre des congés payés y afférents,
* 1 556,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés,
* 2 075,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 207,58 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- rejeté la demande de rappel de salaire depuis l'embauche jusqu'au mois d'août 2014 ;
- rejeté la demande de dommages-intérêts pour défaut d'organisation des visites médicales d'embauche et de reprise ;
- condamné la société Suvari à payer à M. [M] [P] une somme de 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté la demande de la société Suvari au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Suvari aux dépens d'appel ;
- rappelé que le sort des frais d'exécution forcée est fixé par les dispositions de l'article L 111-8 du code de procédure civile d'exécution.
Par déclaration du 3 octobre 2023, l'Ags/Cgea de Nancy a saisi la cour d'appel de céans d'une tierce opposition à l'arrêt ci-dessus.
Par actes de commissaire de justice des 4 octobre 2023, l'Ags/Cgea de [Localité 8] a fait assigner, aux fins de tierce opposition, M. [M] [P], la société Suvari, et la société Weil-Guyomard et Lutz, es qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Suvari.
Par ordonnance du 27 octobre 2023, le président de la chambre sociale de la présente cour a fixé l'affaire à une audience à bref délai, en application de l'article 905 du code de procédure civile.
*
* *
Par écritures transmises par voie électronique le 29 mai 2024, l'Ags/Cgea de [Localité 8] sollicite que la cour :
- lui déclare inopposables les arrêts des 15 mars 2022 et 31 mai 2022 et les rétracte en toutes leurs dispositions,
en conséquence,
- dise et juge qu'elle ne doit pas sa garantie pour l'ensemble des créances telles qu'allouées à M. [M] [P],
- dise et juge qu'à son égard, le contrat de travail de M. [M] [P] a été rompu, de fait, à compter du 1er août 2014, subsidiairement du 1er août 2015, avec toutes les conséquences en résultant,
- limite sa garantie au titre d'avances pour le compte de M. [M] [P] en l'absence de fonds disponibles, à des rappels de salaire et congés payés exigibles au 1er août 2014, subsidiairement au 31 juillet 2015, ainsi qu'à une indemnité compensatrice de préavis de congés payés s'y rapportant telle que fixée par arrêt de la cour d'appel du 15 mars 2022, de même qu'à une indemnité de licenciement tenant compte d'une ancienneté limitée à 16 mois représentant un montant de 376,77 euros,
- dise et juge que sa garantie ne s'exercera qu'à titre subsidiaire,
- arrête le cours des intérêts légaux en application de l'article L 622-28 du code de commerce au jour d'ouverture de la procédure collective de la société Suvari,
- dise et juge que sa garantie n'est acquise que dans les conditions de l'article L 3253-8 du code du travail ainsi que dans les limites, toutes créances avancées, d'un des trois plafonds résultant des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail,
- condamne la partie succombant aux éventuels dépens.
Elle fait valoir qu'elle a un intérêt à ce que plusieurs chefs de décision des arrêts précédents de la cour de céans lui soient déclarés inopposables.
Elle conteste la caducité de la tierce-opposition qu'elle a formée, au motif que l'article 905-1 du code de procédure civile, relatif à la signification de l'assignation aux parties adverses constituées dans le délai de 10 jours à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai, est inapplicable ne s'agissant pas d'une déclaration d'appel.
Elle ajoute qu'elle a produit, par le réseau privé virtuel des avocats, le 3 octobre 2023, l'assignation de tierce-opposition qui vaut conclusions, et que l'avis du greffe, fixant l'affaire à bref délai, a été délivré postérieurement à la constitution d'avocat pour le compte de M. [M] [P], alors qu'elle justifie, par ailleurs, de la dénonciation la tierce-opposition à l'avocat constitué pour M. [P] .
Elle conteste également que la tierce-opposition soit frappée de nullité.
Sur le fond, elle soutient qu'il résulte, tant du jugement du conseil de prud'hommes, que de l'arrêt de la cour, que M. [M] [P] s'était présenté, avec un témoin, le 1er août 2014, sur son lieu de travail, et que son nouvel employeur, la société Suvari, lui avait refusé l'accès au restaurant, ce qui s'analysait comme une rupture du contrat de travail du fait de l'employeur, de telle sorte qu'il ne peut lui être opposées les dispositions relatives à un rappel de salaire pour la période à compter du 1er août 2014, à l'indemnité de licenciement, qui doit être, à son égard, recalculée à la somme de 326,77 euros compte tenu de l'ancienneté du salarié au 1er août 2014, et aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié ne justifiant d'aucun préjudice alors que les dispositions de l'article L 1235-5, ancien du code du travail, sont applicables.
Elle rappelle, pour le surplus, les conditions de sa garantie.
Par écritures transmises par voie électronique le 22 décembre 2023, M. [M] [P] sollicite que la cour :
- à titre principal, prononce la caducité de la tierce-opposition,
- subsidiairement, déclare la tierce-opposition irrecevable et déboute l'Ags de [Localité 8] de sa tierce-opposition et de l'intégralité des demandes de cette dernière,
- très subsidiairement, fixe ses créances au passif de la société Suvari aux montants suivants :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021,
* 7 824,34 euros au titre des congés payés y afférant,
* 1 556,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
* 2 075,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 207,58 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile prononcé par le conseil de prud'hommes de Strasbourg dans son jugement rendu le 21 janvier 2021,
* 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tel que prononcé par l'arrêt de la cour d'appel de céans en date du 15 mars 2022,
* 1 763,09 euros au titre des intérêts légaux arrêtés au 28 octobre 2022, montant à parfaire,
* 2 021,07 euros au titre des frais d'exécution, arrêtés au 28 octobre 2022, montant à parfaire,
le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Strasbourg,
- déclare la décision à intervenir opposable à l'Ags,
- condamne l'Ags de [Localité 8] aux dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [M] [P] soulève la caducité de la tierce-opposition, au motif que les dispositions de l'article 905-1 du code de procédure civile n'ont pas été respectées, et invoque, par ailleurs, la nullité de l'assignation pour défaut de la mention prévue par l'article 905-1 du code de procédure civile.
Il fait valoir que la tierce-opposition ne permet pas de remettre en question le bien fondé et le quantum des créances définitivement établies dans les rapports employeur/salarié, de telle sorte que l'Ags ne saurait contester la date d'effets de la résiliation fixée par la cour.
Subsidiairement, il fait valoir que l'Ags n'apporte pas le moindre élément de preuve, et qu'il s'est toujours tenu à la disposition de la société Suvari, et critique la décision du conseil de prud'hommes.
La société Suvari et la société Weil-Guyomard-Lutz, es qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Suvari en redressement judiciaire, n'ont pas constitué avocat.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
Liminaire
Selon l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Or, le dispositif des écritures de M. [M] [P] ne comporte aucune exception de nullité de l'assignation aux fins de tierce-opposition.
Par ailleurs, dans ses écritures, M. [P] ne soulève aucun moyen au soutien de la fin de non recevoir de l'irrecevabilité de la tierce-opposition.
Sur la caducité
Selon l'article 905-1 du code de procédure civile, lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.
A peine de nullité, l'acte de signification indique à l'intimé que, faute pour lui de constituer avocat dans un délai de quinze jours à compter de celle-ci, il s'expose à ce qu'un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire et que, faute de conclure dans le délai mentionné à l'article 905-2, il s'expose à ce que ses écritures soient déclarées d'office irrecevables.
Selon l'article 587 du code de procédure civile, la tierce opposition formée à titre principal est portée devant la juridiction dont émane le jugement attaqué. La décision peut être rendue par les mêmes magistrats. Lorsque la tierce opposition est dirigée contre un jugement rendu en matière gracieuse, elle est formée, instruite et jugée selon les règles de la procédure contentieuse.
L'article 905-1 du code de procédure civile, qui vise la déclaration d'appel, est inapplicable à la tierce-opposition, laquelle doit être formée par assignation, devant la cour d'appel.
Or, l'Ags/Cgea de Nancy justifie, à la suite de sa déclaration de saisine de la cour d'appel du 3 octobre 2023, de l'assignation de l'ensemble des autres parties, par actes de commissaire de justice, du 4 octobre 2023, et de la production au réseau privé virtuel des avocats desdites assignations.
Il importe peu, dès lors, en suite à la décision du président de la chambre, que l'affaire ait été orientée selon la procédure à bref délai, les parties, défenderesses à la tierce-opposition, ayant eu connaissance de cette dernière antérieurement à l'avis du greffe, en application de l'article 904-1 du code de procédure civile.
En conséquence, l'exception de caducité sera rejetée.
Sur la tierce opposition
Selon l'article 582 du code de procédure civile, la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
Selon l'article 584 du code de procédure civile, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties au jugement attaqué, la tierce opposition n'est recevable que si toutes ces parties sont appelées à l'instance.
Selon l'article 591 du même code, la décision qui fait droit à la tierce opposition ne rétracte ou ne réforme le jugement attaqué que sur les chefs préjudiciables au tiers opposant. Le jugement primitif conserve ses effets entre les parties, même sur les chefs annulés. Toutefois la chose jugée sur tierce opposition l'est à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584.
L'Ags n'ayant pas été partie à l'instance de la cour d'appel de céans RG n°22/1243, et celle relative à la rectification d'une erreur matérielle, ces décisions n'ont pas autorité de la chose jugée à son égard, en sorte qu'elle est en droit de contester l'existence même des créances retenues par la cour.
Or, il résulte des moyens du salarié, développés tant devant les premiers juges, que devant la cour d'appel, dans le cadre du litige l'opposant à son employeur, la société Suvari, reproduits, de nouveau, dans ses dernières écritures, dans le cadre de la présente instance, que :
- M. [M] [P] s'est présenté, le 1er août 2014, à la fin de son arrêt travail, avec un témoin, afin de reprendre ses missions au sein du restaurant, dans lequel il était employé,
- M. [M] [P] s'est heurté à un refus du nouveau gérant du fonds de commerce (la société Suvari) qui lui a indiqué ne pas le connaître et qu'il ne faisait pas partie des salariés.
Or, il est un fait constant que le contrat de travail, de M. [M] [P], avait été transféré de la société Dere à la société Suvari, de telle sorte que cette dernière avait bien la qualité d'employeur de M. [P].
Ainsi, comme soutenu par l'Ags/Cgea, le refus par un employeur opposé à son salarié de reprendre son activité professionnelle, au motif qu'il ne fait pas partie des effectifs, s'analyse comme une rupture unilatérale du contrat de travail, par l'employeur.
En conséquence, le contrat de travail étant rompu au 1er avril 2014, c'est à juste titre que l'Ags/Cgea sollicite la rétractation de l'arrêt du 15 mars 2022 et de l'arrêt rectificatif du 31 mai 2022 des chefs suivants :
- confirme le jugement rendu le 21 janvier 2021 conseil de prud'hommes de Strasbourg en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Suvari,
statuant à nouveau,
- fixe la date d'effets de la résiliation judiciaire du contrat au 21 janvier 2021,
- dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamne la société Suvari à payer à M. [P] les sommes suivantes :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre la somme de 7 824, 34 euros au titre des congés payés afférents,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'Ags ne remet pas en cause, à son encontre, les montants, retenus par la cour d'appel, au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis.
Statuant, à nouveau, dans les rapports avec l'Ags/Cgea, la cour dira que :
- l'Ags ne doit pas sa garantie pour le rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre les congés payés afférents,
- la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 326,77 euros, compte tenu de l'ancienneté de M. [M] [P], au titre de l'indemnité de licenciement,
- la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 1 500 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L 1235-5, ancien alors applicable, du code du travail, M. [M] [P] produisant une attestation de Pôle Emploi du 12 juin 2020, selon laquelle il n'a perçu aucune location depuis le 4 avril 2013.
Le surplus de la demande de rétraction sera rejeté.
En outre, en application de l'article L 3253-20 du code du travail, la garantie de l'Ags ne s'exerce qu'à titre subsidiaire, en l'absence de fonds disponibles, et dans les limites des plafonds résultant des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.
Le cours des intérêts au taux légal est arrêté par le jugement d'ouverture de la procédure collective, en application de l'article L 622-28 du code de commerce.
L'indemnité, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens, ne sont pas garantis par l'Ags.
Sur les demandes très subsidiaires de M. [M] [P]
La tierce opposition n'a pas pour effet, ni pour objet de remettre en cause la décision dans les rapports entre l'employeur et le salarié, de telle sorte que les demandes très subsidiaires, du salarié, aux fins que des créances soient fixées au passif de la société Suvari seront rejetées, nonobstant l'ouverture d'une procédure collective concernant la société Suvari.
Sur les demandes annexes
En application de l'article 696 du code de procédure civile, chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
L'équité commande qu'il n'y ait pas condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
DEBOUTE M. [M] [P] de son exception de caducité de la tierce-opposition ;
RETRACTE, dans les rapports entre l'Ags/Cgea et M. [M] [P], l'arrêt RG n°21/1243 du 15 mars 2022 de la cour d'appel de Colmar et l'arrêt rectificatif RG n°22/1476 du 31 mai 2022 de la même cour en leurs dispositions rectifiées suivantes :
« - confirme le jugement rendu le 21 janvier 2021 conseil de prud'hommes de Strasbourg en ce qu'il a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Suvari,
statuant à nouveau,
- fixé la date d'effets de la résiliation judiciaire du contrat au 21 janvier 2021,
- dit que cette résiliation produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Suvari à payer à M. [P] les sommes suivantes :
* 78 243,43 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre la somme de 7 824, 34 euros au titre des congés payés afférents,
* 2 140,71 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2 200 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; » ;
Statuant à nouveau, dans les rapports entre M. [M] [P] et l'Ags/Cgea,
DIT que l'Ags ne doit pas sa garantie pour le rappel de salaire pour la période du 1er août 2014 au 21 janvier 2021 outre les congés payés afférents ;
DIT que la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 326, 77 euros (trois cent vingt six euros et soixante dix sept centimes), au titre de l'indemnité de licenciement ;
DIT que la garantie de l'Ags est limitée à la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
RAPPELLE que l'Ags/Cgea de [Localité 8] doit sa garantie à titre subsidiaire en cas d'absence de fonds disponibles, et dans la limite des articles L 3253-8 du code du travail, et de l'un des 3 plafonds résultant des articles L 3253 -17 et D 3253-5 du code du travail ;
RAPPELLE que le cours des intérêts légaux et conventionnels est interrompu à compter du jugement d'ouverture de la procédure collective ;
DEBOUTE M. [M] [P] de sa demande de fixation de créances au passif de la société Suvari, en redressement judiciaire ;
DEBOUTE l'Ags/Cgea de [Localité 8] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [M] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE chaque partie à supporter ses propres dépens de l'instance de tierce-opposition.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024, signé par Monsieur Emmanuel Robin, Président de Chambre et Madame Claire Bessey, Greffier.
Le Greffier, Le Président,