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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 2, 26 septembre 2024, n° 22/03350

DOUAI

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Cordier By Invivo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Courteille

Vice-président :

M. Vitse

Conseiller :

Mme Galliot

Avocats :

Me Laforce, Me Duterme, Me Branco, Me Le Roy, Me Remy

CA Douai n° 22/03350

25 septembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

La société Les Vignerons de la Méditerranée a déposé le 3 avril 2012, la marque verbale ARTIS, enregistrée sous le n° 3910326, pour les produits de classe 32, à savoir « apéritifs sans alcool». Elle a été régulièrement renouvelée depuis.

M. [P] [B] a, le 7 mai 2021, déposé la demande d'enregistrement n°4764629 portant sur la marque verbale ARIETIS pour les produits de classe 33 « Vins ; vins d'appellation d'origine protégée; vins à indication géographique protégée; 'Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) bénéficiant de l'Appellation d'Origine Contrôlée 'Champagne' ou des Indications Géographiques Protégées 'Ratafia Champenois', 'Eau de Vie de Vin de la Marne ou Fine Champenoise', 'Marc Champenois' ; vins bénéficiant de l'Appellation d'Origine Contrôlée 'Coteaux Champenois ».

Le 27 juillet 2021, la société Les Vignerons de la Méditerranée a formé opposition à l'enregistrement de cette marque sur le fondement du risque de confusion avec la marque qu'elle a précédemment déposée.

Par décision OPP21-3475 du 8 juin 2022, M. le Directeur de l'INPI a reconnu l'opposition justifiée et rejeté la demande d'enregistrement.

Par déclaration reçue au greffe le 11 juillet 2022, M. [P] [B] a formé un recours à l'encontre de la décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 5 décembre 2023, M. [P] [B] demande à la cour de le dire et juger recevable et bien fondé en son appel formé à l'encontre de la décision rendue le 8 juin 2022 par M. le Directeur de l'INPI statuant sur opposition en ce qu'il a décidé que l'opposition de la société Les Vignerons de la Méditerranée est reconnue justifiée et la demande d'enregistrement est rejetée.

Il demande à la cour statuant de nouveau, de :

annuler la décision de M. le Directeur de l'INPI en date du 8 juin 2022 en ce qu'il a estimé qu'il existait un risque de confusion entre les signes en présence ;

rejeter l'opposition n° 391032 formée par la société Les Vignerons de la Méditerranée à l'encontre de la demande d'enregistrement n° 4764629 qu'il a formée ;

condamner la société Cordier by Invivo venant aux droits de la société Les Vignerons de la Méditerranée à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Cordier by Invivo venant aux droits de la société Les Vignerons de la Méditerranée aux dépens.

MOYENS DE L'APPELANT

Il conteste la décision dont recours et fait valoir qu'il n'existe aucune similitude entre les deux produits, en effet les produits sont différents et répondent à des habitudes de consommation différentes. Il indique par ailleurs, que la classification a bien pour objectif de déterminer certaines catégories des produits, ainsi ceux de classe 32 et 33 ne sont pas les mêmes. Le champagne fait l'objet d'une réglementation particulière et vérifiée par la DGCCRF. Sa réglementation est faite justement pour éviter tout risque de confusion. Les produits nouveaux désalcoolisés répondent à des demandes particulières et font l'objet d'une cible de consommateur différent.

En outre, sur le risque de confusion, les signes pris dans leur globalité, produisent une impression d'ensemble différente, en sorte qu'il n'est pas caractérisé. Aucune similitude visuelle, phonétique ou intellectuelle ne saurait être retenue.

Sur le plan phonétique : le signe contesté comporte trois syllabes, alors que la marque antérieure n'en comporte que deux ; leur rythme de prononciation est dissemblable ;

Sur le plan visuel : l'une comporte 7 lettres alors que l'autre seulement 5 ;

Sur le plan conceptuel : ARTIS renvoie au terme latin l'art alors que ARIETIS au nom d'étoile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 15 décembre 2023, la société Cordier by Invivo venant aux droits de la société Les Vignerons de la Méditerranée demande à la cour de :

rejeter le recours formé par M. [P] [B] contre la décision du Directeur Général de l'Institut national de la propriété industrielle du 8 juin 2022 ;

dire que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et à M. le Directeur de l'INPI ;

condamner M. [P] [B] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner M. [P] [B] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Loïc Le Roy, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOYENS DE L'INTIME

Elle conclut à la confirmation de la décision et soutient que les marques ayant été enregistrées pour le produit apéritif sans alcool répond aux mêmes habitudes de consommation, notamment par une clientèle adulte. Ces produits sont présentés dans les mêmes rayons, sur les mêmes linéaires ou des linéaires proches. Les arguments développés par M. [P] [B] sont inopérants. En tout état de cause, l'attention du consommateur se concentre sur le nom du produit qu'il consomme et qui se trouve sur l'étiquette et non sur les conditions de fabrication et d'exploitation. Le fait que le Champagne soit une appellation d'origine protégée n'est pas suffisant pour considérer que les produits sont différents. Comme le considère l'INPI, les produits ont de nombreuses caractéristiques communes, ils ont la même fonction, répondent aux mêmes habitudes de consommations, sont consommés à des moments spécifiques de la journée.

En outre, elle soutient que les signes sont similaires créant un risque de confusion.

Sur le plan visuel : la marque antérieure est contenue dans la marque contestée, elles sont de longueur très proche, avec la même séquence d'attaque et séquence de lettre finale ;

Sur le plan phonétique : elles ont les mêmes sonorités d'attaque et finale ;

Sur le plan conceptuel : elle reprend les motifs de la décision dont recours et ajoute qu'il est injustifié et infondé de faire une différenciation entre le consommateur de champagne et le consommateur des produits de la marque antérieure, qui pour l'un s'interrogerait et non l'autre.

Il résulte de l'appréciation globale que le risque de confusion est caractérisé.

M. le Directeur de l'INPI a transmis ses observations le 3 août 2023.

Le ministère public a formulé un avis écrit reçu au greffe le 25 septembre 2023 tendant à la confirmation de la décision au motif qu'il existe un risque de confusion entre les parties.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article L711-1 du code de la propriété intellectuelle :

« La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales.

Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire. »

Aux termes de l'article L711-3 du même code:

« I.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :

1° Une marque antérieure :

(...)

b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure ».

Aux termes de l'article L713-2 du même code :

« Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. »

Il résulte de l'article L. 712-4 du code de la propriétaire intellectuelle que :

« Dans le délai de deux mois suivant la publication de la demande d'enregistrement, une opposition peut être formée auprès du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle à l'encontre d'une demande d'enregistrement en cas d'atteinte à l'un des droits antérieurs suivants ayant effet en France :

1° Une marque antérieure en application du 1° du I de l'article L. 711-3 ;

2° Une marque antérieure jouissant d'une renommée en application du 2° du I de l'article L. 711-3 ;

3° Une dénomination ou une raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

4° Un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

5° Une indication géographique enregistrée mentionnée à l'article L. 722-1 ou une demande d'indication géographique sous réserve de l'homologation de son cahier des charges et de son enregistrement ultérieur ;

6° Le nom, l'image ou la renommée d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ;

7° Le nom d'une entité publique, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public.

Une opposition peut également être formée en cas d'atteinte à une marque protégée dans un État partie à la convention de [Localité 9] pour la protection de la propriété industrielle dans les conditions prévues au III de l'article L. 711-3. »

Un risque de confusion est un risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant d'entreprises liées économiquement. (CJCE, 22 juin 199, C-342/97).

Le risque de confusion doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. (CJCE 11 novembre 1997, C-251/95) Elle doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte des éléments distinctifs et dominants de celles-ci. (CJCE 12 juin 2007, C-334/05)

1) Sur la comparaison des produits :

La marque antérieure a été déposée pour les produits suivants : « apéritifs sans alcool ».

La marque contestée a été déposée pour les produits suivants : « Vins ; vins d'appellation d'origine protégée; vins à indication géographique protégée; 'Boissons alcoolisées (à l'exception des bières) bénéficiant de l'Appellation d'Origine Contrôlée 'Champagne' ou des Indications Géographiques Protégées 'Ratafia Champenois', 'Eau de Vie de Vin de la Marne ou Fine Champenoise', 'Marc Champenois' ; vins bénéficiant de l'Appellation d'Origine Contrôlée 'Coteaux Champenois »

Si les produits en cause ne sont pas identiques en ce que l'un est non alcoolisé et les autres le sont, ils comportent toutefois des similitudes, en effet il s'agit pour les deux cas de boissons, qui comme l'a justement retenu le Directeur de l'INPI, sont susceptibles d'être bues lors de moments festifs, à l'apéritif notamment.

En outre, dans le cadre de leur commercialisation, ces produits sont présentés à la vente dans les mêmes rayons consacrés aux boissons ou des rayons proches rendant plus difficile l'identification des produits par un consommateur moyen.

Par ailleurs, si effectivement la classification de [Localité 8] distingue les produits en classe, l'article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle, n'impose pas uniquement que les produits soient identiques pour créer un risque de confusion, il peut en effet résulter de produits et services similaires. Ce moyen est donc inopérant.

Bien que le Champagne soit un produit à forte identité et issu d'une production particulière et réglementée, il n'en demeure pas moins qu'il reste un produit répondant à des habitudes festives et apéritives, tout comme les apéritifs sans alcool.

2) Sur la comparaison des signes

L'analyse des deux marques fait ressortir des similitudes, à savoir visuelles et phonétiques : elles commencent toutes les deux par la même accroche AR- et se terminent par ' TIS. Si, les lettres ' IE sont ajoutées dans la marque contestée, ajoutant une syllabe, la prononciation des marques restent très proches et n'opèrent pas de distinction notable. Elles restent de taille relativement similaire puisqu'aucun autre élément n'est ajouté, si ce n'est ces deux lettres.

Si M. [B] soutient que conceptuellement les deux marques sont différentes puisque l'une renvoie à l'art en latin et la seconde à une étoile, les produits invoqués étant des produits de grande consommation, le consommateur moyen, au regard des similitudes déjà évoquées, ne percevra pas cette différence subtile. Au surplus, la marque étant verbale aucun autre élément ne permet de détecter cette différence conceptuelle.

La marque ARTIS dispose d'une forte distinctivité dans la mesure où, elle ne renvoie aucunement aux produits déposés, n'est pas descriptive et relève de l'arbitraire de son déposant.

3) Sur le risque de confusion et l'impression d'ensemble

Il résulte de la comparaison des signes et du caractère fortement distinctif de ces derniers qu'un risque de confusion est caractérisé tant par la nature des produits qui relèvent d'un même secteur de consommation que par les impressions phonétique et conceptuelle.

Ainsi que l'a justement relevé le directeur de l'INPI, les produits en cause étant de grande consommation, le consommateur moyen, se référant à l' image imparfaite gardée à l'esprit, pourra faire un rapprochement entre ces deux marques et notamment leur attribuer une origine commerciale commune.

Le recours sera rejeté.

4) Sur les demandes accessoires :

M. [B], succombant, sera condamné aux dépens d'instance, ainsi qu'à une indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile que l'équité commande de fixer à la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour

Rejette le recours

Condamne M. [P] [B] aux entiers dépens ;

Condamne M. [P] [B] à payer à la société Cordier by Invivo la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité procédurale ;

Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et au directeur de l'institut national de la propriété intellectuelle.