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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 10 janvier 2024, n° 19/08463

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Tradi Art Construction (SAS)

Défendeur :

Domaine de la Citanguette (SCCV)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Sentucq

Conseillers :

Mme Thevenin-Scott, Mme Pelier-Tetreau

Avocats :

Me Guien, Me Bortolotti

TGI Melun, du 26 févr. 2019, n° 16/01852

26 février 2019

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par arrêté du 15 mai 2012, la SARL ETPE promotion a obtenu un permis de construire, portant sur l'édification d'un ensemble immobilier de 5 bâtiments à usage d'habitation, composés de 39 logements et de bureaux sur un terrain sis [Adresse 3] à [Localité 6].

Ce programme immobilier a été conçu dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement (VEFA).

Les fonds provenant des acquéreurs des lots étaient donc destinés à financer la construction de l'ouvrage.

Par arrêté du 26 septembre 2012, le permis de construire a fait l'objet d'un transfert au bénéfice de la SCCV Domaine de la Citanguette représentée par son gérant, la SARL ETPE réalisation, elle-même représentée par M. [S].

La SCCV Domaine de la Citanguette est donc intervenue en qualité de promoteur de l'opération.

La maîtrise d'oeuvre de conception du projet a été confiée à la société AAET.

M. [O], architecte DPLG, a été désigné en qualité de maître d'oeuvre d'exécution.

Le promoteur a passé des marchés de travaux par corps d'état séparés.

Les travaux à réaliser ont été répartis en 17 lots énumérés ci-après :

Lot n° 01 : Gros oeuvre/ Échafaudage

Lot n° 02 : Charpente

Lot n° 03 : Couverture

Lot n° 04 : Étanchéité

Lot n° 05 : Menuiserie extérieures

Lot n° 06 : Ravalement

Lot n° 07 : Cloisons plâtres

Lot n° 08 : Électricité / Courant faibles

Lot n° 09 : Plomberie / Chauffage

Lot n° 10 : V.M.C.

Lot n° 11 : Revêtement de sol / Parquet

Lot n° 12 : Menuiserie intérieures

Lot n° 13 : Serrurerie

Lot n° 14 : Revêtement souples / Peintures

Lot n° 15 : Terrassement et V.R.D.

Lot n° 16 : Espaces verts

Lot n° 17 : Porte de garage / Portail entrée

Selon acte d'engagement du 28 février 2013, la SCCV Domaine de la Citanguette a confié le lot « gros oeuvre / échafaudage » à la société Tradi-art construction.

Par acte d'huissier en date du 27 avril 2016, la société Bâtir construction a fait assigner la SCCV Domaine de la Citanguette aux fins de voir celle-ci condamnée à lui verser, à titre principal, la somme de 443 755,96 euros TTC et, à titre subsidiaire, celle de 348 051,59 euros TTC, au titre du solde de son marché de travaux, des travaux supplémentaires exécutés, du compte prorata, de la perte pour frais généraux et des intérêts moratoires dus en raison des situations payées avec retard ou impayées.

Par jugement du 26 février 2019, le tribunal de grande instance de Melun a statué en ces termes :

Rejette la demande de nullité du rapport d'expertise de M. [H] ;

Déclare mal fondée la résiliation, par la SCCV Domaine de la Citanguette, en date du 3 juillet 2014, du marché de travaux passé avec la société Bâtir construction ;

Condamne la SCCV Domaine de la Citanguette à verser à la société Bâtir construction la somme de 205 205,99 euros HT, en ce compris les intérêts moratoires sur les situations impayées, arrêtés à la date de la présente décision ;

Dit que cette somme sera assortie de la TVA en vigueur au jour du jugement, et des intérêts au taux de 2,58 % l'an sur la somme de 68 626,68 euros à compter du 3 juillet 2014 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dès qu'ils seront dus pour une année entière ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la SCCV Domaine de la Citanguette à verser à la société Bâtir construction la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne la SCCV Domaine de la Citanguette aux dépens, qui comprendront les frais d'expertise et dont distraction au profit de Me Guien.

Par déclaration en date du 16 avril 2019, la SAS Tradi-art construction a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour d'appel de Paris la société civile Domaine de la Citanguette.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 1er décembre 2020, la société Tradi-art construction, venant aux droits de la société Bâtir construction, demande à la cour de :

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

Rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise de M. [H] ;

Déclaré mal fondée la résiliation, par la SCCV Domaine de la Citanguette, en date du 3 juillet 2014, du marché de travaux passé avec la société Tradi-art construction, dénommée désormais Bâtir construction ;

Ordonné la capitalisation des intérêts dès qu'ils seront dus pour une année entière ;

Condamné la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société tradi-art construction la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la SCCV Domaine de la Citanguette aux dépens, qui comprendront les frais d'expertise et dont distraction au profit de Me Guien.

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

Condamné la SCCV Domaine de la Citanguette à verser à la société Tradi-art construction la somme de 205 205,99 euros HT en ce compris les intérêts moratoires sur les situations impayées, arrêtés à la date du jugement,

Dit que la somme de 205 205,99 euros HT sera assortie de la TVA en vigueur au jour du jugement, et des intérêts au taux de 2,58 % l'an sur la somme de 68 626,68 euros à compter du 3 juillet 2014 ;

Débouté la société Tradi-art construction de ses demandes plus amples ou contraires ;

Statuant à nouveau,

Sur la demande au titre du solde du marché, incluant les intérêts moratoires sur situations :

Condamner la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction, anciennement Bâtir construction, la somme de 479 826,86 euros TTC (399 855,71 euros HT) au titre du solde du marché, et, subsidiairement, à concurrence du montant estimé par l'expert judiciaire, soit 337 500 euros TTC, avec actualisation des intérêts moratoires sur les situations de travaux restant impayées jusqu'à complet paiement et capitalisation des intérêts par année ;

Très précisément, sur l'actualisation des intérêts moratoires sur situations :

Dire que la créance d'intérêts moratoires due au titre du retard dans le paiement des situations de travaux n° 13 à 17, incluse dans le solde du marché, a été arrêtée à la date du jugement déféré, soit le 26 février 2019 ;

Dire que les situations de travaux n° 13 à 17 restant impayées porteront chacune intérêts moratoires au taux directeur de la BCE majoré de 10 points (soit un taux de 10,15 % pour les Situations n° 13 à 15 et un taux de 10,25 % pour les situations n° 16 et 17) à compter du 27 février 2019, et ce, jusqu'à complet paiement ;

Ordonner la capitalisation des intérêts moratoires sur situations ;

Sur la demande au titre des intérêts moratoires sur le solde du marché :

Condamner que la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction des intérêts moratoires sur la somme de 306 270,57 euros TTC au titre du retard dans le règlement du solde du marché, après neutralisation du montant des situations de travaux et des intérêts moratoires sur situations, au taux de 10,15 % (taux de la BCE du 2ème semestre 2014 [0,15 %] majoré de 10 points) à compter du 3 juillet 2014, date de première mise en demeure, et puis à compter du 15 avril 2015, date de notification du DGD de l'entreprise, et, en tout état de cause, à compter de l'assignation délivrée le 27 avril 2016, et ce, jusqu'à complet règlement ;

Dire que la somme due au titre du solde du marché portera, dans son intégralité, intérêts moratoires au taux de 10,15 % à compter du 3 juillet 2014 et, pour le surplus, à compter du 15 avril 2015, dans l'hypothèse où la cour ne devait pas ordonner l'actualisation des intérêts moratoires sur situations impayées ;

En tout état de cause,

Débouter la SCCV Domaine de la Citanguette de sa demande de nullité du rapport d'expertise et de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et, subsidiairement, réduire à un euro symbolique le montant des pénalités de retard non assujetties à TVA ;

Dire que les règlements intervenus dans le cadre de l'exécution provisoire s'imputeront d'abord sur les intérêts puis sur la dette au principal ;

Condamner la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction une somme de 40 198,47 euros HT sur le fondement de l'indemnité complémentaire de recouvrement prévue par l'article L. 441-6 du code de commerce et, subsidiairement, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la SCCV Domaine de la Citanguette aux dépens d'appel.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 juin 2020, la SCCV Domaine de la Citanguette demande à la cour de :

Avant tout débat sur le fond,

Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire de M. [H] ;

Dire et juger que l'expert judiciaire a manqué gravement à ses obligations d'impartialité et d'objectivité telles que retranscrites aux termes de l'article 237 du code de procédure civile ;

Voir encore constater le manquement de ce dernier au principe du contradictoire eu egard à l'absence de réponses précises apportées aux observations de la concluante ;

Dire et juger que le comportement de l'expert judiciaire est à l'origine d'un grief dont est en mesure de se prévaloir la concluante ;

Et partant,

Voir en conséquence ordonner la nullité du rapport d'expertise judiciaire déposé par M. [H] le 15 janvier 2016 ;

Sur le fond,

Dire et juger la société Tradi-art construction mal fondée en son appel tant principal qu'incident ;

L'en débouter ;

Déclarer la SCCV Domaine de la Citanguette recevable et bien fondée en son appel principal et incident, et y faisant droit :

Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

Déclaré recevable en sa forme la résiliation du marché de travaux passé avec la société Tradi-art construction en date du 3 juillet 2014 ;

Débouté la société Tradi-art construction de ses demandes au titre des travaux supplémentaires (devis n°775, 810 et 724) ;

Débouté la société Tradi-art construction de ses demandes au titre des intérêts moratoires sur les situations payées ;

Mis à la charge de la société Tradi-art construction la somme de 73 532,65 euros au titre des pénalités contractuelles de retard ;

Infirmer le jugement pour le surplus, et statuant de nouveau :

Dire et juger que l'entreprise Tradi-art construction anciennement dénommée Bâtir construction a manqué gravement à ses obligations contractuelles en phase d'exécution du chantier ;

Déclarer en conséquence bien fondé la résiliation de son marché de travaux en date du 3 juillet 2014 ;

Et partant,

Dire et juger encore que la concluante était particulièrement bien fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution quant au règlement de son solde de marché de travaux en raison de l'abandon de chantier de la société Tradi-art construction, du retard de 14 semaines qui lui était imputable à la date de résiliation de son marché et des nombreuses malfaçons et non façons dénoncées par le maître d'oeuvre d'exécution ;

Dire et juger en tant que de besoin que la concluante était tout aussi recevable à faire valoir compensation de son solde de marché de travaux avec le montant des pénalités contractuelles de retard qui lui étaient dus de plein droit en application du code de procédure civile ;

Débouter en conséquence la société Tradi-art construction de l'intégralité de ses demandes telles que dirigées à l'encontre de la SCCV Domaine de la Citanguette ;

Condamner la société Tradi-art construction au paiement d'une indemnité de 80 163 euros HT au titre des pénalités de retard et du compte inter-entreprises ;

La condamner au paiement d'une indemnité de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

La condamner au paiement d'une indemnité de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel y incluant les honoraires d'expertise judiciaire dont distraction effectuée en application de l' article 699 du code de procédure civile.

***

La clôture a été prononcée par ordonnance le 14 février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de nullité du rapport d'expertise

Moyens des parties

La SCCV Domaine de la Cintanguette demande de constater que l'expert a conduit ses opérations en manquant gravement à ses obligations d'impartialité et d'objectivité posées par les articles 237 et 238 du code de procédure civile et qu'il n'a pas respecté le principe du contradictoire. Elle reproche notamment à l'expert de ne pas avoir pris en considération des observations formulées pendant le cours de l'expertise et de s'être fondé sur le postulat erroné d'une désorganisation du chantier résultant d'un démarrage tardif et d'une absence de planning d'exécution rendu contractuel, d'avoir exprimé un avis juridique en qualifiant de fautive la résiliation du marché de travaux et, enfin, d'avoir employé dans l'annexe 9 de son rapport des termes vexatoires et injurieux à son égard contrevenant à l'obligation d'impartialité avec laquelle les opérations d'expertise doivent être menées.

La société Tradi-art construction évoque, en réplique, le rejet par le tribunal de grande instance de Fontainebleau et la cour d'appel de Paris, de la demande de récusation de M. [H] en qualité d'expert dans un dossier similaire engagé devant le même tribunal. Elle relève également que les accusations d'impartialité portées ne sont apparues qu'après quatre réunions d'expertise, la diffusion de deux notes aux parties et l'envoi de trois dires de l'appelante. Elle soutient enfin que les échanges verbaux traduisant la tension entre les parties ne sont pas constitutifs d'un défaut d'impartialité.

Réponse de la cour

Il résulte des annexes du rapport d'expertise une tension personnelle entre l'expert et le conseil de la SCCV Domaine de la Citanguette, à l'égard duquel sont formulées des réflexions inadaptées.

Toutefois, il n'est pas justifié que cette opposition ait entraîné des conséquences quant aux conclusions techniques de l'expert.

Il est en outre relevé que l'expert a répondu point par point, dans l'annexe 9, aux arguments et critiques soulevés par la SCCV Domaine de la Citanguette dans son dire du 28 octobre 2015. Il s'est par ailleurs expliqué sur la teneur de ses observations et conclusions.

Il a en outre précisé que les dires de la SCCV Domaine de la Citanguette ont attiré son attention sur plusieurs manquements de M. [O] au devoir de conseil du maître d'oeuvre. Il n'en résulte par conséquent aucun manquement au respect du principe de la contradiction.

Enfin, il relevait de la mission confiée à M. [H], par ordonnance de référé du 28 novembre 2014, de donner son avis sur les circonstances relatives à la résiliation du marché et l'éventuel caractère de gravité sur le plan technique, allégué par le maître de l'ouvrage, de sorte qu'il n'a pas outrepassé sa mission.

Il est par ailleurs noté que la requête en récusation a été rejetée par le tribunal de grande instance de Fontainebleau par ordonnance du 8 mars 2016, confirmée par un arrêt de la cour d'appel du 11 octobre 2016.

Il se déduit de l'ensemble de ces constatations que les griefs d'impartialité, de défaut de respect du principe de la contradiction et d'émission d'avis juridique, ne sont donc pas fondés et il n'y a pas lieu d'annuler la mesure d'instruction confiée à M. [H].

En tout état de cause et comme l'a rappelé le tribunal, les conclusions du rapport d'expertise ne lient pas la juridiction saisie qui peut tirer toute conséquence juridique des constatations techniques réalisées par l'expert.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la résiliation du marché d'entreprise

Moyens des parties

La société Tradi-art construction énonce que la résiliation unilatérale du marché par le promoteur est irrégulière en la forme au regard des stipulations contractuelles (article 11.1.1 du cahier des prescriptions spéciales), des dispositions légales (article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, relatif à la condition résolutoire) et de la jurisprudence (nécessité de la délivrance préalable d'une mise en demeure restée infructueuse) imposant au maître de l'ouvrage de procéder à la mise en demeure, et non au maître d'oeuvre, adressée à l'entreprise, d'avoir à réaliser les stipulations du marché dans un délai déterminé. Elle expose qu'en revanche, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la résiliation n'était pas fondée sur un motif suffisamment grave qui lui serait imputable. Elle conclut que la la résiliation unilatérale du marché par le promoteur était mal fondée.

La SCCV Domaine de la Cintanguette réplique que la faute qui lui est reprochée tenant en un défaut de préparation de son projet de construction n'existe pas ; que l'expert judiciaire, en lui imputant une impréparation du chantier, a fait une analyse erronée de la situation puisque la désorganisation du chantier est exclusivement due à la société Tradi-art construction, par son absence totale de moyens mis en oeuvre pour la finition du chantier et par son abandon de chantier nuisant à l'intervention des autres corps d'état ; que cette carence résulte notamment des constats de désordres établis par M. [O] en sa qualité de maître d'oeuvre ; que le tribunal s'est limité à relever quelques malfaçons alors que les défauts d'exécution sont nombreux.

Réponse de la cour

L'expert judiciaire, dont la mission comportait un point lui permettant de donner son avis sur les circonstances relatives à la résiliation du marché, expose que la résiliation n'était justifiée ni dans sa forme ni sur le fond.

Aux termes de l'article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 'la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.'

En outre, en l'absence de dispense expresse et non équivoque, la clause résolutoire prévue au contrat ne peut être acquise au créancier sans la délivrance préalable d'une mise en demeure restée infructueuse.

En l'espèce, au titre des 'mesures coercitives', le chapitre 11 du cahier des prescriptions spéciales stipule en son article 11.1 que 'A l'exception des cas prévus à l'article 11.2.2 [concernant la résiliation à la demande de l'entrepreneur], lorsque l'entrepreneur ne se conforme pas aux stipulations du marché ou/et aux ordres de service, le maître de l'ouvrage le met en demeure d'y satisfaire dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit. '

L'article 11.2.1 précise en outre que 'Pour des motifs dont il est seul juge, le maître de l'ouvrage peut, à tout moment, mettre fin à l'exécution de tout ou partie des travaux objet du marché. '

Aux termes de l'article 1 1.2.6, le maître de l'ouvrage peut prononcer la résiliation du marché, sans mise en demeure préalable, en cas de fraude ou lorsque l'entrepreneur n'est plus en mesure d'exécuter les travaux.

Le même article prévoit enfin que 'le maître de l'ouvrage peut prononcer la résiliation du marché, après mise en demeure préalable restée infructueuse, lorsque l'entrepreneur ne se conforme pas aux stipulations du marché ou aux ordres de service. '

La SCCV Domaine de la Citanguette ne saurait soutenir s'être trouvée dans un cas de fraude ou de situation ou l'entrepreneur n'est plus en mesure d'exécuter les travaux, de sorte qu'elle devait se soumettre à l'obligation d'envoi d'une mise en demeure préalable.

Pour justifier avoir satisfait à cette obligation, la SCCV Domaine de la Citanguette produit une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 12 juin 2014 qu'elle a adressée à la société Bâtir construction, relevant le manquement de réalisation de travaux et finitions et de mise en conformité permettant de solder le chantier.

L'expert judiciaire et la société Tradi-art considèrent que cette lettre ne constitue pas l'envoi préalable obligatoire à la résiliation du contrat au motif que la sanction envisagée à l'absence de réaction de l'entreprise était de faire réaliser certains travaux de finition aux frais et risques de celle-ci et non de résilier le contrat.

Or, d'une part, la lettre litigieuse fait mention de 'demandes répétées' de la part du maître d'oeuvre d'exécution et du maître de l'ouvrage de réaliser les travaux de finition et de mise en conformité énumérés dans ce courrier. Il est également relevé, aux termes de cette lettre, 'aucun avancement' ni la présence d'aucun de vos personnels sur le chantier ', ce qui a permis au maître d'oeuvre de constater un 'abandon de chantier '.

D'autre part, le maître d'oeuvre d'exécution annonce la sanction du non-respect de ses obligations par l'entreprise, consistant à 'faire réaliser à vos frais et risques et périls les travaux restant à réaliser ou à parachever'.

La cour observe tout d'abord que, pour considérer que le promoteur avait satisfait à l'exigence de la mise en demeure préalable restée sans effet, les premiers juges ont dénaturé le contrat, en retenant, à tort, que la lettre du maître d'oeuvre d'exécution du 12 juin 2014 constituait, par analyse de la volonté de parties, la mise en demeure requise par l'article 11.1.1 du cahier des prescriptions spéciales, alors que cette clause est claire et précise, de sorte qu'elle appelle une application littérale.

Constatant que cette lettre émane du maître d'oeuvre, et non du maître de l'ouvrage, d'une part, qu'au surplus, M. [O] recommandait à la SCCV de faire réaliser certains travaux de finition aux 'frais et risques' de l'entreprise, mais en aucun cas de résilier le marché, d'autre part, il y a lieu de dire que les prescriptions de l'article 11.1.1 du cahier des prescriptions spéciales n'ont pas été respectées.

C'est donc à tort que le tribunal a estimé que la réalisation de travaux par une entreprise tierce, aux frais du cocontractant, équivalait à la résiliation du marché passé avec celui-ci et que les constatations traduisaient suffisamment la volonté du maître de l'ouvrage de mettre fin au contrat d'entreprise si la situation incriminée perdurait.

Aussi, convient-il de confirmer le jugement en ce que le tribunal a dit que la résiliation avait été prononcée à tort, par ces seuls motifs substitués à ceux des premiers juges qui ont statué sur l'absence de cause légitime.

Enfin, il n'y a pas lieu d'examiner le bien-fondé de la résiliation dès lors que la procédure de résiliation n'a pas été respectée, comme il a été vu supra.

Sur le marché conclu entre les parties

A titre liminaire, il est rappelé que le prix initialement convenu par les parties, à hauteur de 1 470 653 euros HT, ne fait l'objet d'aucune contestation.

En revanche, les parties s'opposent sur les prestations dues par la société Bâtir construction, cette dernière soutenant qu'elle n'était engagée que sur les prestations décrites dans le Devis Quantitatif Estimatif (DQE) signé le 7 janvier 2013 et annexé à l'Acte d'Engagement (AE) tandis que la SCCV Domaine de la Citanguette soutient que l'entreprise s'est engagée à réaliser l'ensemble des prestations contractualisées postérieurement et notamment celles qui étaient prévues au Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP) signé entre le 6 et le 8 mars 2013 et daté du 28 février 2013.

La cour énonce en outre que l'expert a conclu que la plupart des litiges opposant les parties résultent directement des conditions anormales dans lesquelles le marché de travaux de gros-oeuvre a été contractualisé, soulignant que le marché de base a été signé en trois étapes et que les marchés des autres corps d'état ont été également échelonnés, rendant impossibles l'établissement par le Coordinateur d'Ordonnancement et Pilotage, M. [O], d'une planification détaillée cohérente et l'intégration des contraintes des autres entreprises dans l'exécution du gros-oeuvre.

L'expert critique également 1'absence de mission d'assistance à la passation des contrats de travaux (ACT) et de mission de synthèse (SYN).

Il en résulte, selon lui, le décalage temporel dans la désignation des différents lots, personne n'ayant mission de déceler les incohérences entre les études d'exécution des lots pour s'assurer, par exemple, que des demandes de réservations pertinentes ou les contraintes sur le gros-oeuvre étaient communiquées à la société Bâtir construction en temps utile.

Il a enfin relevé l'absence de mission VISA, dont il est résulte que les erreurs, oublis ou malentendus habituellement détectés et corrigés à l'occasion du visa des plans d'exécution n'ont souvent été relevés qu'après exécution.

Sur les comptes entre les parties

* Sur les travaux réalisés au titre du marché de base

Moyens des parties

La société Tradi-art construction chiffre à 63 583,82 euros les moins-values consécutives à la résiliation du marché, tandis que la SCCV Domaine de la Citanguette les évalue à 102 236 euros et l'expert à 74 335,74 euros. Elles développent chacune les moyens au soutien de leurs calculs respectifs.

Réponse de la cour

L'expert a énoncé les bases de son calcul, en faisant, à juste titre, abstraction de la situation de travaux n°17, qualifiée de tardive, présentée par la société Tradiart construction au mois de mai 2015.

Il a en revanche, tout aussi justement, retenu les situations n° 15 et 16, que la SCCV Domaine de la Citanguette, sur la base de la note que M. [X] refusait de prendre en compte, au motif qu'elles avaient été vérifiées à 0 euro, la vérification mentionnée à 0 euro n'équivalant pas à l'absence de travaux.

En outre, en termes d'avancement de ces travaux, le maître d'oeuvre d'exécution avait retenu un taux d'avancement de 92 % à fin mars 2014, auquel l'expert s'est référé pour fixer un taux de 94,9 % à fin mai 2014, qui apparaît cohérent avec les chiffres précédents.

Ainsi, le cumul des travaux réalisés fin mai 2014 peut être chiffré à la somme de 1 396 3l7,26 euros HT, sur la base de la situation de travaux n° 16, laissant subsister un montant non facturé de 74 335,74 euros.

Compte tenu des sommes versées à hauteur de 1 210 908,23 euros, il demeure à la charge de la SCCV Domaine de la Citanguette la somme résiduelle de 185 409,03 euros, au titre du solde du marché de base.

La circonstance selon laquelle la résiliation du marché d'entreprise a été prononcée à tort par la SCCV Domaine de la Citanguette ne permet pas au maître de l'ouvrage de réclamer à la société Tradi-art construction le paiement des travaux confiés à la société BT France postérieurement à cette résiliation, ni aucun des excédents fixés par la SCCV à 196 396 euros, ainsi que l'a d'ailleurs conclu M. [X] et valablement retenu le tribunal.

Par conséquent, la cour confirmera le jugement sur le montant des travaux réalisés au titre du marché de base.

* Sur les travaux supplémentaires

Moyens des parties

La société Tradi-art construction sollicite de voir fixer le coût des travaux supplémentaires, à titre principal, à la somme de 102 880,76 euros HT, en retenant les devis n° 590, 775, 810 et 624 et, à titre subsidiaire, à la somme de 35 403,02 euros HT en retenant le devis n° 590 et la moitié du devis n° 810. Elle soutient que l'ampleur des travaux supplémentaires résulte de ce que la SCCV Domaine de la Citanguette considérait que l'entreprise devait effectuer les travaux prescrits au Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP), tandis que celle-ci se limitait au Devis Quantitatif Estimatif (DQE).

La SCCV Domaine de la Citanguette réplique que les travaux supplémentaires doivent être évalués à la somme de 11 836 euros.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1793 du code civil, en cas de marché à forfait, il ne peut être demandé aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de 1'augmentation de la main d'oeuvre et des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur le plan, s'ils n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire.

- Sur le devis n° 590 : voiles de refend : 11 836,l4 euros :

L'expert judiciaire, tout comme M. [X], a constaté que le maître de l'ouvrage a donné son accord sur le règlement de ce devis.

En application du texte susvisé, il convient de retenir ce devis au titre des travaux supplémentaires, pour un montant de 11 836,14 euros.

- Sur le devis n° 624 : mise à disposition d'un grutier : 450 euros :

La société Tradi-art soutient que cette prestation incombe au maître de l'ouvrage dès lors qu'elle n'est pas prévue dans le DQE de l'entreprise.

Cependant, l'expert judiciaire, tout comme M. [X], a considéré que ce devis relevait de relations interentreprises et non du maître de l'ouvrage et il a rejeté cette demande.

M. [X] ajoute qu'aucune commande n'a été émise à la remise de ce devis et qu'il ne peut donc être imputé à la SCCV Domaine de la Citanguette.

Au regard de ces constatations cohérentes et concordantes, il convient de rejeter la demande formée par la société Tradi-art à ce titre.

- Sur le devis n° 775 : travaux supplémentaires divers : 43 460,46 euros :

La société Tradi-art construction réclame paiement de cette somme au motif qu'il s'agit de travaux réalisés bien que non chiffrés au Devis Quantitatif Estimatif (DQE), soutenant que l'expert ne pouvait, sans se contredire, faire prévaloir le DQE sur le Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP) et ne pas retenir ce type de travaux.

Elle conteste ainsi l'analyse de la SCCV Domaine de la Citanguette qui donne priorité au Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP) sur le DQE et soutient que les travaux figurant audit Cahier sont dus, alors même qu'ils n'ont pas été contractuellement prévus au DQE.

Or, l'expert judiciaire, en ce suivi par M. [X], a souligné que les travaux supplémentaires dont s'agit auraient dû être présentés au maître d'oeuvre d'exécution et au maître de l'ouvrage avant exécution, alors que le devis est daté du 28 janvier 2015, de sorte que le prix de 43 460,86 euros n'a pas été convenu avant leur réalisation.

Le moyen opposé par la société Tradi-art construction selon lequel ce devis aurait été établi en suite d'un préjudice consécutif à une immixtion fautive du promoteur, maître d'ouvrage dans la conduite de l'opération, en application de l'article 1147 du code civil, est inopérant, tous travaux supplémentaires devant être agréés préalablement à leur exécution conformément aux dispositions précitées relatives aux marchés à forfait.

Par conséquent, en l'absence d'un accord du maître de l'ouvrage pour réaliser ces travaux supplémentaires, l'entreprise n'est pas fondée à obtenir paiement de la somme réclamée.

- Sur le devis n° 810 : échafaudages : 47 133,76 euros :

Chacune des deux parties sollicite que cette somme soit mise à la charge totale de l'autre.

L'expert a indiqué que le maintien en place des échafaudages pour les besoins des corps d'état secondaires, pendant trois mois après la fin du gros-oeuvre, est prévu dans le Devis Quantitatif Estimatif (DQE) et que l'entreprise a appelé à plusieurs reprises l'attention du maître de l'ouvrage et du maître d'œuvre d'exécution sur les surcoûts qui résulteraient du retard pris par les autres corps d'état.

L'expert a chiffré ce surcoût en retenant les dates de fin du gros-oeuvre fixées par M. [O] dans ses comptes-rendus de chantier et les montants exposés par la société Tradi-art construction selon devis de location dûment acquittés.

Il en a imputé la charge par moitié à chacune des parties en estimant que chacune devait en supporter une part du fait de l'absence de planification contractuelle détaillée qui interdit d'établir que la prolongation de la location des échafaudages est imputable à 100 % aux autres corps d'état. Il a ajouté qu'aucune des trois parties, en ce compris le maître d'oeuvre d'exécution, n'avait été en mesure d'apporter des éléments probants sur ce sujet.

Pour s'opposer au partage proposé par l'expert, la SCCV Domaine de la Citanguette soutient que le retard dans la réalisation des travaux par l'entreprise générale, d'une durée estimée par M. [O] à près de quatre mois, est à l'origine du maintien des échafaudages, qui résulte ainsi de la carence de l'entreprise à respecter le planning établi par le maître d'oeuvre d'exécution.

M. [X] ajoute que le maintien des échafaudages est dû à l'inertie de l'entreprise de gros-oeuvre pour les déposer, malgré les rappels du maître d'oeuvre.

Or, il résulte des mises en demeure, notamment de celle du 11 mars 2014, adressées par le maître d'oeuvre d'exécution à la société Bâtir construction, qu'il a été enjoint à cette dernière de suspendre la dépose des échafaudages et de restaurer ceux-ci, de sorte qu'il ne saurait être opposé son inertie.

Pour critiquer la solution de partage retenue par l'expert, la société Tradi-art construction rappelle que celui-ci a reconnu - dans 1'annexe 9 de son rapport – avoir établi arbitrairement cette répartition, en l'absence des autres entreprises dans la cause. L'entreprise ajoute que le maintien des échafaudages résulte de la désorganisation du chantier liée au retard pris par le maître de l'ouvrage dans la désignation des corps d'état secondaires et l'absence des missions de 'synthèse' et 'visa' confiées au maître d'oeuvre d'exécution.

Toutefois, si la société Tradi-art construction ne saurait se voir imputer à elle-seule la totalité de la prolongation du délai de location des échafaudages, ceux-ci ayant servi à d'autres corps d'état, force est de constater que l'entreprise n'a pas livré le gros-oeuvre dans les délais contractuels, l'absence de planning détaillé n'étant pas démontrée comme étant l'unique cause.

Ainsi, comme l'a justement retenu le tribunal, elle a participé au surcoût généré par la location des échafaudages et il apparaît équitable de lui en faire supporter la moitié, dans la mesure ou les autres corps d'état ne sont pas appelés dans la cause, empêchant ainsi de faire figurer ce surcoût au titre du compte interentreprises.

Par conséquent, il convient de mettre la somme de 23 566,88 euros à la charge de chacune des deux parties au titre du maintien en place des échafaudages.

Il résulte de ce qui précède que la créance de la société Tradi-art construction au titre des travaux supplémentaires doit être fixée à la somme de 35 403,02 euros HT, la cour confirmant ainsi le jugement sur ce point.

* Sur la perte des frais généraux suite à la résiliation : 8 920,29 euros

Moyens des parties

La société Tradi-art construction soutient qu'en résiliant à tort le marché qui les liait, la SCCV Domaine de la Citanguette l'a privée d'un gain destiné à rémunérer ses frais généraux pour un montant qu'elle fixe à 8 920,29 euros, correspondant au pourcentage de 12 % retenu par l'expert du montant des travaux qui n'ont pu être ni exécutés ni facturés par suite de la résiliation du marché.

La SCCV Domaine de la Citanguette réplique qu'en raison du bien fondé de la résiliation du marché de travaux confié à 1'entreprise Bâtir construction du fait des nombreuses carences qui lui sont imputables, cette indemnité ne repose sur aucun fondement sérieux ; qu'elle constitue un préjudice hypothétique qui n'ouvre pas droit à indemnisation ; et qu'elle ne résulte d'aucune pièce contractuelle qui lui serait opposable.

Réponse de la cour

En subissant, comme il a été examiné supra, une résiliation irrégulière de son marché par le promoteur, l'entrepreneur est en droit de réclamer une indemnisation pour la perte de marge destinée à amortir le coût de ses frais généraux d'entreprise, qui ont été évalués à 12% du montant des travaux qui n'ont pas pu être ni exécutés ni facturés en suite de la résiliation (soit 12% x 74 335,74 euros HT).

Il convient donc de fixer à 8 920,29 euros HT la perte de frais généraux dont la société Tradi-art construction est bien fondée à demander indemnisation.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

* Sur le compte prorata : 36 136,55 euros HT

Le tribunal, eu égard aux dépenses justifiées par la société Tradi-art construction, a retenu le chiffre proposé par l'expert de 36 136,55 euros HT au titre du compte prorata par application combinée des dispositions du Cahier des Prescriptions Spéciales (CPS) et du Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP). La SCCV ne critiquant pas ce chef de condamnation, il n'y a pas lieu de statuer sur ce point dont la cour n'est pas saisie et qui est désormais définitivement tranché.

* Sur les intérêts moratoires pour retard dans le paiement des situations de travaux

Moyens des parties

La société Tradi-art construction soutient, sur le fondement de l'article L. 441-6 du code de commerce, que toute facture périodique émise par un entrepreneur doit être payée dans un délai de 45 jours maximum à compter de sa date d'émission et qu'à défaut, il est dû des intérêts de retard, de plein droit, sans qu'un rappel soit nécessaire, même si la créance est contestée par le débiteur dans le cadre amiable ou judiciaire. Elle ajoute, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 111-3-1 alinéa 2, 3 et 5 du code de la construction et de l'habitation, l'intervention d'un maître d'oeuvre est sans incidence sur le délai légal de paiement, d'autre part, que les intérêts moratoires ne constituent pas une clause pénale et ne sont donc pas réductibles par le juge. Pour fixer à 554 755,17 euros HT le montant des intérêts de retard, la société Tradi-art rappelle que les travaux exécutés ont été impayés, alors que le maître de l'ouvrage n'a pas justifié d'une garantie bancaire et elle applique à ces situations le taux de la BCE majoré de 10 points. Elle critique enfin le jugement en ce qu'il a fixé le taux des intérêts moratoires à 2,58 %, soit au taux minimum par l'article L. 441-6 du code de commerce, après avoir recherché la commune intention des parties, et n'a pas fait application du taux de droit commun prévu par ce texte (taux BCE + 10 points).

La SCCV Domaine de la Citanguette conteste cette analyse de facturation périodique, rappelle les termes du Cahier des Prescriptions Spéciales (CPS) et soutient que les dispositions de l'article L. 111-3-1 du code de la construction et de l'habitation sont applicables à l'espèce, à l'exclusion de l'article L. 441-6 du code de commerce, lequel ne s'applique qu'à défaut de dispositions contraires convenues entre les parties. Elle ajoute que les situations n° 13 et 14 ont bien été payées dans le délai de 45 jours fin de mois et que les situations n° 15, 16 et 17 n'ont pas été payées dès lors qu'elles n'avaient pas été valisées par le maître d'oeuvre d'exécution.

Réponse de la cour

Le tribunal a écarté le taux d'intérêts moratoires prévu par l'article 5.5.6 du CPS, qui est inférieur au minimum requis par l'article L. 441-6 du code de commerce (trois fois le taux légal) et a, plutôt que de faire application du taux de droit commun prévu par ce texte (taux BCE + 10 points), fixé le taux des intérêts moratoires à 2,58 %, soit au taux minimum par l'article L. 441-6 au motif que celui-ci serait conforme à la commune intention des parties.

Or, un taux contractuel non conforme au minimum légal doit être réputé non écrit et il doit dès lors lui être substitué le taux de droit commun supplétif prévu par l' article L. 441-6 du code de commerce (taux directeur de la BCE majoré de 10 points) puisque celui-ci est inférieur au minimum légal.

En effet, l'article L. 441-6 (ancien) du code de commerce est une disposition d'ordre public, résultant de la transposition des directives européennes et qui visent à lutter contre les retards de paiement entre professionnels, ce texte répondant à des considérations d'ordre public impérieuses.

En tout état de cause, il n'y a pas lieu de rechercher la commune intention des parties lors de la conclusion d'un contrat d'adhésion, lequel s'interprète contre son auteur.

En l'espèce, aux termes de l'article 5.5.6 du Cahier des Prescriptions Spéciales, signé par les parties - qui prévaut sur les pièces générales et auquel toute dérogation est réputée non écrite - 'Le paiement est effectué 45 jours fin de mois à compter de la date de signature par le maître de l'ouvrage du décompte mensuel préalablement approuvé et signé par l'entrepreneur et le maître d'oeuvre d'exécution sous réserve de la vérification des mentions de la facture et de l'exécution des travaux conformément aux stipulations contractuelles.'

Il est par ailleurs prévu à l'article 5 du Pacte d'Engagement conclu entre la SCCV Domaine de la Citanguette et la société Bâtir construction que 'le maître de l'ouvrage procédera au règlement dans les conditions définies au CPS. À savoir à 45 jours fin de mois à compter de la date de signature par le maître de l'ouvrage du décompte mensuel préalablement approuvé et signé par l'entrepreneur et le maître d'oeuvre d'exécution [...] '.

En raison de la force obligatoire des contrats, ces dispositions contractuelles prévalent sur les préconisations que l'expert a pu recueillir de manière empirique sur Intemet.

Toutefois, en application des dispositions de l'article L. 111-3-1 du code de la construction et de l'habitation, 'Si le maître de l'ouvrage recourt à un maître d’oeuvre ou à tout autre prestataire dont l'intervention conditionne le règlement des acomptes mensuels, le délai d'intervention du maître d'oeuvre ou du prestataire est inclus dans le délai de paiement de ces acomptes mensuels.'

Par conséquent, la combinaison des dispositions contractuelles dérogatoires et des dispositions légales impératives implique de considérer que le règlement des factures doit avoir lieu dans un délai maximum de 45 jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture, nonobstant le délai de1'intervention du maître d'oeuvre d'exécution.

L'expert a considéré que les situations de travaux mensuelles constituaient une facturation périodique et que les factures devaient être payées dans un délai de 45 jours maximum après leur date d'émission.

En l'absence de détermination, par les cocontractants, de la méthode choisie, le tribunal a valablement calculé les éventuelles pénalités de retard en ajoutant 45 jours à la date d'émission de la facture dont justifie la SCCV Domaine de la Citanguette, la limite de paiement intervenant à la fin du mois au cours duquel expirent ces 45 jours, et non la date d'encaissement effectif.

En application de l'article L. 441-6 du code de commerce, si le taux d'intérêt prévu par les Conditions Générales de Vente correspond généralement au taux directeur semestriel de la Banque Centrale Européenne (BCE) majoré de 10 points, il peut également lui être inférieur, sans toutefois être en-deçà du taux minimal de 2,58 % (à partir du 1er janvier 2019) correspondant à trois fois le taux d'intérêt légal (0,86 %).

L'article 5.5.6 alinéa 2 du Cahier des Prescriptions Spéciales (CPS) prévoit que 'Si les sommes dues à l'entrepreneur au titre de son marché ne sont pas réglées dans le délai contractuel de paiement (45 jours fin de mois), l'entrepreneur a droit à des intérêts de retard à hauteur d'une fois le taux d'intérêt légal '.

Comme l'a relevé le tribunal et ainsi qu'en conviennent les parties, cette disposition est contraire au texte susvisé du code de commerce en ce qu'il prévoit un taux inférieur au minimum légal.

Dès lors, il convient de remplacer le taux contractuel, illégal parce qu'inférieur au taux minimum admis, non pas par ce taux minimum légalement autorisé, soit trois fois le taux légal, à savoir 2,58 % à la date du jugement comme l'a retenu le tribunal, mais par le taux de droit commun supplétif prévu par l'article L. 441-6 du code de commerce (taux directeur de la BCE majoré de 10 points).

Enfin, il est observé que le Cahier des Prescriptions Spéciales (CPS) a été rédigé par le groupe ETPE, spécialisé en promotion immobilière et a été imposé – en cours de chantier - à l'entreprise qui n'a pu en discuter les termes, de sorte qu'il convient de faire application du principe selon lequel les termes d'un contrat d'adhésion s'interprètent contre celui qui l'a rédigé, à savoir le groupe ETPE.

Pour l'ensemble de ces motifs, il conviendra de faire application du taux de droit commun de l'article L. 441-6 du code de commerce, soit le taux de la BCE majoré de 10 points.

Aussi, convient-il d'infirmer le jugement de ce chef et de retenir le montant des intérêts moratoires sur situations impayées n° 13 à 16 arrêté à la date du jugement, soit le 26 février 2019, à la somme globale de 51 113,98 euros en excluant la situation n° 17, conformément aux conclusions expertales.

Par ailleurs, les premiers juges ont omis de préciser que les intérêts moratoires sur situations continuent à courir de plein droit jusqu'au complet règlement de la dette, alors même que, dans le même temps, les sommes correspondant aux situations de travaux impayées ont été neutralisées dans le cadre de leur calcul sur le montant des intérêts moratoires dus au titre du retard dans le paiement du solde du marché, de sorte que l'entreprise a été privée d'une partie des intérêts moratoires qui lui étaient légitimement dues au titre du retard dans le paiement des situations restant impayées n° 13 à 16.

Par conséquent, la cour - statuant à nouveau - précisera que le montant des situations de travaux n° 13 à 16 restant impayées porteront chacune intérêts moratoires au taux directeur de la Banque Centrale Européenne applicable majoré de 10 points (soit un taux de 10,15 % pour les situations n° 13 à 15 et un taux de 10,25 % pour la situation n° 16) à compter du 27 février 2019 et ce jusqu'à complet paiement.

Par ailleurs, il sera précisé que les règlements effectués par le promoteur dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement devront s'imputer d'abord sur le montant des intérêts puis sur le montant de la dette principale, conformément aux dispositions de l'article 1254 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016.

Enfin, la capitalisation des intérêts moratoires sera ordonnée, la créance étant supérieure à un an.

Sur les demandes reconventionnelles

* Sur les pénalités de retard

Moyens des parties

La société Tradi-art construction conteste l'application des pénalités de retard que les premiers juges ont retenue, énonçant qu'il appartient au maître d'ouvrage qui entend appliquer de telles pénalités de rapporter la preuve du retard du chantier et son imputabilité à l'entreprise, ajoutant que l'expert judiciaire n'avait pas été en mesure de déterminer l'origine du retard de chantier en l'absence de connaissance de la date contractuelle de démarrage des travaux et, surtout, en l'absence d'établissement du planning contractuel d'exécution détaillé, dont il impute la responsabilité au seul promoteur. Elle sollicite subsidiairement la réduction des pénalités à un euro symbolique, s'agissant d'une clause pénale.

La SCCV Domaine de la Citanguette sollicite pour sa part la confirmation du jugement de ce chef, tant sur le principe des pénalités de retard que sur la quantum retenu au titre.

Réponse de la cour

Pour écarter l'avis de l'expert judiciaire et condamner l'entreprise, au demeurant victime d'une résiliation irrégulière de son marché, à des pénalités de retard pour un montant de 73 532,65 euros HT (plafonnées à 5% du marché), le tribunal retient, d'une part, les délais mentionnés à l'acte d'engagement permettent d'imputer un retard de chantier à l'entreprise et, d'autre part, l'absence de réserve de cette dernière sur les délais d'exécution de son marché.

L'acte d'engagement conclu entre la SCCV Domaine de la Citanguette et la société Bâtir construction stipule, en page 3, des délais d'exécution concemant le gros-oeuvre et les échafaudages, sans distinguer entre ces deux postes.

Selon 1'expert, le planning de travaux prévisionnel - conforme à l'acte d'engagement et dont il est prévu qu'il sera adapté en fonction des modifications en cours de chantier - présente un niveau de détail ne permettant pas de déterminer l'origine des retards et de calculer les pénalités.

Il note qu'il appartenait à M. [O], maître d'oeuvre d'exécution, de contester cette situation auprès du maître de l'ouvrage, ce dans l'exercice de son devoir de conseil.

Mais, selon le déroulement chronologique de l'opération relevé par l'expert, le gros-oeuvre du bâtiment D (prêt à charpenter) a été achevé le 15 juillet 2013 ou le 16 octobre 2013 - cette mention étant pointée deux fois dans la chronologie à deux dates différentes - et le gros-oeuvre des bâtiments B, C et E a été achevé le 28 août 2013, tandis que l'exécution du gros-oeuvre était fixée contractuellement fin mai 2013 pour les bâtiments D et E, mi-juillet 2013 pour les bâtiments B et C et fin août 2013 pour le bâtiment A.

La cour observe que les dates mentionnées sur l'acte d'engagement sont subordonnées à la coordination avec les corps d'état secondaires devant être désignés dans le cadre de cette opération, l'acte d'engagement énonçant que 'l'exécution des travaux devra se dérouler conformément au planning établi par le maître d'oeuvre'.

Si un planning prévisionnel, reprenant ces dates, a ensuite été régularisé en cours de chantier, la société Tradi-art construction a expressément apposé une réserve sur son bon pour accord en indiquant : 'Nota le planning sera adapté en fonction des modifications en cours de chantier', laquelle réserve expresse a été relevée par l'expert judiciaire dans le cadre de son analyse sur les causes du retard de chantier (Rapport, page 47, §6).

L'entreprise de gros oeuvre ne saurait être engagée, en termes de résultat, sur des délais figurant dans un planning prévisionnel avant de connaître les contraintes liées à l'intégration des ouvrages des corps d'état secondaires, en ce que les ouvrages de gros-oeuvre doivent faire l'objet de réservations pour permettre l'implantation des ouvrages d'étanchéité, d'électricité, de plomberie ou encore de menuiseries extérieures, etc., lesquels ne sont visibles que sur les plans d'exécution de chacun des intervenants.

Par conséquent, ce n'est qu'après la synthèse des plans d'exécution du gros-oeuvre et des plans d'exécution des corps d'état secondaires, que le technicien en charge de l'Ordonnancement et du Pilotage du Chantier (mission OPC) est en mesure de planifier l'enchaînement des différentes tâches dans le cadre d'un plan d'exécution détaillé (méthode dite du chemin critique).

Le présent marché, qui a été conclu par marchés en corps d'états séparés, répond sans ambiguïté de cet enchaînement méthodologique de tâches puisque l'article 3.1.2.1 du CPS attribue une valeur contractuelle uniquement à ce calendrier d'exécution détaillé, qui, selon l'article 8.3.2 dudit CPS, doit être établi par le 'maître d'oeuvre d'exécution sur la base de la méthode du chemin critique après consultation de l'entreprise (ainsi que l'ensemble des entreprises) dans le cadre du calendrier prévisionnel'.

En outre, le planning prévisionnel ne revêt, en lui-même, aucune valeur contractuelle, bien que le pilote OPC doive s'en inspirer pour établir le calendrier contractuel d'exécution détaillé.

Ainsi, le tribunal ne pouvait retenir, sur la base des seules dates indicatives mentionnées sur le planning prévisionnel, une responsabilité de l'entreprise de gros-oeuvre dans le retard constaté à la réception au regard des stipulations du CPS et du déroulement d'une opération en corps d'état séparés, en ce que l'entreprise de gros-oeuvre ne pouvait réaliser ses ouvrages sur la base du planning prévisionnel, sans coordination avec les corps d'état secondaires non encore désignés à cette date.

En outre, l'expert a exposé les raisons pour lesquelles, en l'absence de planning contractuel d'exécution détaillé tous corps d'état, il lui était matériellement impossible de déterminer l'enchaînement des tâches et les causes du retard du chantier.

L'examen du planning prévisionnel confirme les explications de l'expert dès lors qu'il apparaît que la plupart des travaux des autres corps d'état sont programmés presque concomitamment aux travaux de gros-oeuvre. De même, la plupart des corps d'état secondaires ont été désignés à des dates postérieures à celles mentionnées dans le planning prévisionnel, ainsi que le rappelle l'expert dans sa chronologie.

A ce titre, il est observé que ni le maître d'oeuvre d'exécution ni le promoteur n'ont fourni les dates de transmission par les différents corps d'états secondaires de leurs plans d'exécution (plans EXE).

Il s'ensuit que les dates mentionnées dans le planning prévisionnel sont obsolètes, faute de désignation simultanée de l'ensemble des corps d'état (principaux et secondaires). Cette désignation tardive des corps d'état secondaires, imputable au promoteur qui a assumé seul la missions ACT, aggravée par l'absence de passation des missions Synthèse et Visa au maître d'oeuvre OPC, choix également imputable au promoteur, rend impossible la détermination des causes du retard et leur imputabilité à telle ou telle entreprise déterminée, faute de planification des tâches.

Il convient ainsi de considérer qu'un décalage d'exécution d'une tâche par rapport au délai prévisionnel est effectivement sans incidence, si l'entreprise d'un autre corps d'état n'est pas désignée à la date prévue puisque ce décalage n'est pas la cause du retard constaté à la réception, seul le calendrier d'exécution détaillé TCE planifiant l'enchaînement des taches aurait permis d'attribuer à telle ou telle intervenant au chantier un retard de livraison. Ainsi, en ne permettant au maître d'oeuvre OPC d'établir ce calendrier d'exécution détaillé, le promoteur s'est privé d'opposer un retard à l'entreprise de gros-oeuvre et de lui réclamer des pénalités de retard.

Par ailleurs, la cour écartera la note technique de M. [X] établie à la demande de la SCCV Domaine de la Citanguette, qui conclut que 'l'absence de planning détaillé attendu de M. [O] apparaît ainsi sans conséquence sur le retard irréversible accumulé par Bâtir quand elle était encore seule sur le chantier', dès lors qu'elle est contredite par l'expert judiciaire, lequel est un spécialiste reconnu en matière de chantiers réalisés en corps d'état séparés.

Enfin, les premiers juges reprochent également à l'entreprise de ne pas avoir sollicité, formellement, une prolongation du délai d'exécution puis retiennent que les pénalités contractuelles sont encourues du seul fait de la constatation d'un retard faite par le maître d'oeuvre d'exécution en application de l'article 8.1.2 du CPS qui stipule que, 'pour pouvoir bénéficier d'une prolongation ou d'un sursis d'exécution, l'entrepreneur doit signaler, par lettre recommandée avec accusé de réception au maître d'oeuvre d'exécution, les causes faisant obstacle à l'exécution du Marché dans le délai contractuel qui, selon lui, échappent à sa responsabilité. '

Tout d'abord, force est de relever que la société Tradi-art construction a bien exprimé des 'réserves' lors de la signature du planning prévisionnel puis au cours du déroulement du chantier.

Au surplus, si l'article 8.2 du CPS prévoit des pénalités de retard, cette clause qui permet sa mise en oeuvre sans mise en demeure préalable au titulaire du marché ne dispense toutefois pas le promoteur de rapporter la preuve de l'imputabilité du retard à l'entreprise.

Il résulte de ce qui précède que la demande d'application des pénalités de retard doit être rejetée. Le jugement sera ainsi infirmé de ce chef.

* Sur la quote-part des dépenses du compte inter-entreprises

Moyens des parties

La SCCV Domaine de la Citanguette sollicite, à ce titre, paiement d'une somme de 6 630 euros HT, et l'impute à la société Tradi-art construction pour n'avoir pas mené à terme l'exécution des travaux qui lui ont été confiés. Elle ajoute que cette demande est notamment liée au nettoyage du terrain de la commune après dépose des cantonnements qu'il a fait réaliser par une tierce entreprise en ses lieu et place, qui devait rester à la charge de l'entreprise de gros-oeuvre.

La société Tradi-art construction réplique que dès lors que le marché a été résilié de manière fautive par le promoteur, il ne peut réclamer aucune indemnisation résultant de cette résiliation qu'en tout état de cause, rien ne vient établir que la prestation confiée à la société CETP relèverait du marché de l'entreprise dès lors qu'il s'agit d'une prestation de nettoyage incombant à l'ensemble des entreprises et dont le coût aurait dû être imputé sur le compte interentreprises.

Réponse de la cour

Comme l'ont justement relevé les premiers juges, si la SCCV Domaine de la Citanguette justifie de la réalité de cette dépense, elle ne justifie pas de son imputabilité à la société Tradi-art construction , étant au surplus rappelé qu'elle a résilié à tort le marché qui les liait.

De cette constatation, le tribunal en a justement déduit que cette demande devait être rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

* Sur les dommages et intérêts pour préjudices subis du fait des carences de la société Tradi-art construction

La SCCV Domaine de la Citanguette réclame une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices résultant des manquements graves de l'entreprise, quant au retard sur les chantiers, au non-respect des plannings d'exécution contractuels retardant l'intervention des autres corps d'état, à l'absence de mise en conformité des installations de chantier entraînant la suspension des travaux, aux défauts d'exécution etc. Elle soutient que ces manquements sont à l'origine d'un préjudice distinct de la résiliation du marché et ont nécessité l'intervention d'un bureau d'études, moyennant un coût de 24 000 euros TTC, pour chiffrer le coût de la reprise des désordres imputables à la société Tradi-art construction.

Il est de principe qu'un entrepreneur est fondé à opposer l'exception d'inexécution et cesser ainsi l'exécution de ses travaux en cas de retard ou de refus injustifié de paiement des situations par le maître d'ouvrage.

En l'espèce, en cours d'expertise, le promoteur a produit un décompte financier reconnaissant un solde restant dû à l'entreprise au titre des travaux de base de 157 408,77 euros HT, soit 188 260,88 euros TTC, (hors travaux supplémentaires et intérêts moratoires et compte prorata) dont 80 000 euros au titre de la conservation illégale de la retenue de garantie. Ainsi, la SCCV prétend que l'entreprise aurait commis des manquements graves assimilables à une opération de sabotage alors qu'elle conservait sans motif légitime une somme correspondant à plus de 10 % du montant du marché.

Ainsi, s'agissant des mal-façons alléguées, non seulement la preuve n'est pas rapportée de l'existence de désordres résultant des travaux réalisés par la société Tradi-art construction, mais, en outre, le promoteur ne saurait reprocher à l'entreprise de ne pas avoir terminé les travaux de finition alors que plusieurs situations demeuraient impayées, pour plus de 10 % du montant du marché, et que la résiliation de celui-ci a été prononcée à tort.

C'est donc à bon droit que la demande formée à titre de dommages et intérêts de la SCCV Domaine de la Citanguette a été rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le compte final entre les parties et sur les intérêts moratoires sur ce solde

Il convient de statuer sur les intérêts moratoires qui devront être appliqués au solde final, dont le décompte devient itératif en ce que les intérêts moratoires sur situations impayées continuent à courir jusqu'à complet règlement, la société Tradi-art construction sollicitant l'application des intérêts au taux de 10,15 % sur le solde du marché, à savoir sur la somme de 217 255,22 euros TTC à compter du 3 juillet 2014, date de première mise en demeure, et sur le solde à compter du 15 avril 2015, date de notification du Décompte Général Définitif (DGD), outre la capitalisation des intérêts dès qu'ils seront dus pour une année entière.

Aux termes de l'application combinée des articles L. 111-3-1 alinéa 2 du code de la construction et de l'habitation et L. 441-6 du code du commerce, le délai de paiement du solde des marchés privés ne peut excéder le délai de 45 jours fin de mois évoqué supra.

Compte tenu des stipulations contractuelles et des dispositions légales impératives, il a été vu ci-dessus que le taux des intérêts moratoires devait être fixé au taux directeur de la Banque Centrale Européenne applicable majoré de 10 points, étant observé qu'au 1er juillet 2014, le taux directeur de la BCE applicable était de 0,15 %, soit un taux majoré de 10,15 % (et non à 2,58 % comme l'a retenu le tribunal).

En outre, les intérêts moratoires se calculent toujours sur la base du montant TTC dû au titre du solde du marché, et ce jusqu'à complet paiement.

Toutefois, ces intérêts moratoires ont déjà été alloués plus haut sur les situations impayées correspondant à 104 896,82 euros TTC.

Par conséquent, ils ne pourront être accordés, à compter de la mise en demeure du 3 juillet 2014, que sur le surplus du solde du marché, déduction faite des situations impayées et des intérêts moratoires afférents.

Il sera enfin précisé que ces intérêts moratoires porteront eux-mêmes intérêts dès lors qu'il seront dus pour une année entière.

Le jugement sera dès lors infirmé en ce sens.

Sur les frais du procès

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été équitablement faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

En outre, aux termes de l'ancien article L. 441-6 du code de commerce (devenu l'article L. 441-10 depuis l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées), 'Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification. Toutefois, le créancier ne peut invoquer le bénéfice de ces indemnités lorsque l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire interdit le paiement à son échéance de la créance qui lui est due.'

Sur le fondement de ce texte d'ordre public, le créancier est en droit d'obtenir une indemnisation à hauteur de l'ensemble des frais de recouvrement qu'il a payés pour recouvrer sa créance dès lors que le montant est supérieur à l'indemnité forfaitaire de recouvrement (40 euros).

L'indemnité complémentaire de recouvrement a vocation à couvrir le coût de l'ensemble des frais assumés par une partie au litige.

Ils englobent donc notamment les frais d'avocat assumés dans le cadre judiciaire.

Il convient par conséquent de condamner la SCCV Domaine de la Citanguette au paiement, à l'appelante, de la somme de 40 198,47 euros HT - dûment justifiée par les pièces versées aux débats et contradictoirement débattues - sur le fondement de l'indemnité complémentaire de recouvrement prévue par l'ancien article L. 441-6 du code de commerce.

Les frais irrépétibles exposés en cause d'appel étant ainsi indemnisés, aucune indemnité ne sera accordée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il y a donc lieu de rejeter les demandes formées sur ce fondement s'agissant des frais non compris dans les dépens.

Enfin, la SCCV Domaine de la Citanguette, partie succombante, supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel, sauf en ce qu'il a :

Rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise de M. [H] ;

Déclaré mal fondée la résiliation, par la SCCV Domaine de la Citanguette, en date du 3 juillet 2014, du marché de travaux passé avec la société Bâtir construction, aux droits de laquelle vient la société Tradi-art construction ;

Condamné la SCCV Domaine de la Citanguette à verser à la société Bâtir construction, aux droits de laquelle vient la société Tradi-art construction, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Fixe la moins-value pour travaux non exécutés à la somme de 74 335,74 euros HT et condamne la société Tradi-art construction à payer à la SCCV Domaine de la Citanguette la somme de 74 335,74 euros HT à ce titre ;

Condamne la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction la somme de 35 403,02 euros HT au titre des travaux supplémentaires ;

Condamne la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction la somme de 8 920,29 euros HT au titre de la perte sur frais généraux ;

Sur les situations impayées :

Condamne la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction les intérêts moratoires, au taux directeur de la Banque Centrale Européenne applicable majoré de 10 points (soit un taux de 10,15 % pour les situations n° 13 à 15 et un taux de 10,25 % pour la situation n° 16) à compter du 27 février 2019 et ce jusqu'à complet paiement ;

Ordonne la capitalisation des intérêts moratoires ;

Dit que les règlements effectués par la SCCV Domaine de la Citanguette dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement devront s'imputer d'abord sur le montant des intérêts puis sur le montant de la dette principale ;

Rappelle que la SCCV Domaine de la Citanguette a été condamnée par le tribunal à payer à la société Tradi-art construction la somme de 36 136,55 euros HT au titre du compte prorata ;

Sur les intérêts moratoires sur le solde final du marché :

Condamne la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction les intérêts moratoires sur le solde final du marché sur une assiette TTC, après neutralisation du montant des situations de travaux et des intérêts moratoires sur lesdites situations, au taux de 10,15 % (taux de la BCE du 2ème semestre 2014 [0,15 %] majoré de 10 points) à compter du 3 juillet 2014, date de première mise en demeure, de payer la somme de 217 255,22 euros TTC, puis, à compter du 15 avril 2015, date de notification de son Décompte Général Définitif réclamant le paiement d'une somme de 466 842,94 euros TTC, le tout jusqu'à complet paiement ;

Ordonne la capitalisation des intérêts par année ;

Dit que les règlements intervenus dans le cadre de l'exécution provisoire s'imputeront d'abord sur les intérêts puis sur la dette principale conformément à l'article 1254 du code civil ;

Rejette la demande formée par la SCCV Domaine de la Citanguette au titre des pénalités de retard dans l'exécution du chantier par la société Tradi-art construction ;

Condamner la SCCV Domaine de la Citanguette à payer à la société Tradi-art construction la somme de 40 198,47 euros HT sur le fondement de l'indemnité complémentaire de recouvrement prévue par l'ancien article L. 441-6 du code de commerce ;

Condamner la SCCV Domaine de la Citanguette aux dépens d'appel ;

Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.