CA Bordeaux, 2e ch. civ., 16 novembre 2023, n° 20/02650
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Les Terrasses de Saint Genès (SNC)
Défendeur :
AG Menuiserie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boudy
Conseillers :
M. Desalbres, M. Figerou
Avocats :
Me Boche-Annic, Me Orignac-Fedrigo, Me Bonnet-Lambert
FAITS ET PROCÉDURE :
Selon devis accepté du 12 novembre 2015 et acte de soumission du 19 novembre suivant, la Société en Nom Collectif les Terrasses Saint-Genès (la S.N.C. Les Terrasses Saint-Genès) a confié à la Société à Responsabilité Limitée Unipersonnelle AG Menuiserie (la S.a.r.l.u. AG Menuiserie), pour un montant de 53 600 euros HT, la réalisation du lot menuiseries intérieures dans le cadre de la construction d'un ensemble immobilier situé [Adresse 4] à [Localité 5].
Se plaignant de n'avoir pas été intégralement réglée du montant de sa prestation, la S.a.r.l.u. AG Menuiserie a, paracte du 27 mars 2019, saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux d'une action en paiement dirigée contre la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès.
Le maître d'ouvrage a constitué avocat mais n'a pas conclu.
Par jugement du 18 février 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- condamné la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès à payer à la S.a.r.l.u. AG Menuiserie la somme de 29 779,23 euros au titre du solde du marché, avec intérêts au taux de financement de la BCE majoré de dix points à compter du 4 août 2017 et capitalisation par années entières,
- débouté la S.a.r.l.u. AG Menuiserie du surplus de ses demandes,
- condamné la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès à payer à la S.a.r.l.u. AG Menuiserie une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné pour le tout l'exécution provisoire,
- condamné la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès aux dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès a relevé appel de l'intégralité de cettedécision le 23 juillet 2020 sauf en ce qu'elle a débouté la S.a.r.l.u. AG Menuiserie du surplus de ses demandes.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 22 octobre 2020, la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès demande à la cour, sur le fondement des articles 1134, 1219 et 1220 du code civil, de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
y faisant droit,
- réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer à la S.a.r.l.u. AG Menuiserie la somme de 29 779,23 euros au titre du solde du marché avec intérêts au taux de financement de la BCE majoré de dix points à compter du 4 août 2017 et capitalisation par années entières, une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens,
- statuant à nouveau, débouter purement et simplement la S.a.r.l.u. AG Menuiserie de l'intégralité de ses demandes en raison de l'inexécution de ses propres obligations notamment de conformité des menuiseries et serrures installées,
- juger qu'elle était fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution pour ne pas exécuter elle-même une partie de son obligation de règlement en retenant une partie des factures émises,
- condamner la S.A.R.L. AG Menuiserie à lui verser la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle fait notamment valoir que :
- le matériel installé par la société AG Menuiserie n'est pas conforme à celui qu'elle a vendu et facturé. Les serrures posées sur les portes d'entrée des logements sont de moins bonne qualité et bien moins chères que celles qui étaient prévues dans le devis et le contrat, de sorte que la prestation est de qualité inférieure à celle facturée. Les portes des caves et des placards ne sont pas non plus conformes au matériel annoncé.
- ces non-conformités justifient la retenue du règlement des dernières factures, la société AG Menuiserie n'ayant pas convenablement exécuté ses obligations ce qui constitue un manquement suffisamment grave.
- ce que la société AG Menuiserie qualifie de réserves mineures est en réalité un nombre important de prestations et de matériels non conformes aux devis et aux marchés.
- c'est donc à bon droit qu'elle refuse de régler les dernières factures tant que la société AG Menuiserie ne reprend pas les non-conformités.
Suivant ses dernières conclusions notifiées le 03 août 2021, la S.a.r.l.u. AG Menuiserie demande à la cour, sur le fondement desarticles 1134 ancien, 1219 et 1220 du code civil, de :
- déclarer recevable mais mal fondée la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès en son appel,
- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a inclus l'indemnité conventionnelle de recouvrement dans les frais irrépétibles,
en conséquence,
- condamner la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès à lui payer la somme totale de 29 779,23 euros au titre du solde des travaux qu'elle lui a confiés selon marché en date du 19 novembre 2015,
- dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux de financement de la Banque centrale européenne majorée de dix points de pourcentage à compter de l'échéance de chaque facture impayée avec application de la règle de l'anatocisme au titre des intérêts échus depuis plus d'un an,
- condamner la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès à lui payer les sommes de :
- 160 euros à titre d'indemnité conventionnelle pour frais de recouvrement,
- 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait notamment valoir :
- qu'elle a parfaitement exécuté les travaux de menuiserie qui lui ont été confiés par la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès suivant marché du 19 novembre 2015.
- que les situations émises par ses soins sont parfaitement conformes au devis accepté par la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès et au marché conclu.
- que les travaux ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception mentionnant des réserves mineures le 6 septembre 2017.
- qu'il appartient à la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès, qui invoque l'exception d'inexécution, de démontrer qu'elle a manqué à ses obligations contractuelles.
Or elle s'en dispense manifestement puisqu'elle se contente de faire état des réserves mentionnées au procès-verbal de réception et des mises en demeure.
- qu'aucune des pièces versées ne permet de vérifier que les serrures litigieuses ne seraient pas celles prévues au marché et facturées.
- qu'en conséquence, aucun manquement contractuel ne lui est imputable. Quand bien même sa cliente en apporterait cette preuve, il lui incombe en outre d'établir qu'elles revêtent le degré de gravité requis pour lui permettre d'échapper à ses obligations, preuve qu'elle ne rapporte pas.
- que les réserves apparaissent mineures.
- que leur remplacement éventuel représenterait un coût modique au regard du montant du marché initial ou de son solde.
- que la S.N.C. Les Terrasses de Saint-Genès n'a d'ailleurs pas cherché à mobiliser la caution bancaire émise par la banque Crédit Mutuel Arkéa pourtant destinée à garantir le processus de levée des réserves.
- qu'elle n'a pas non plus estimé opportun d'en poursuivre la levée forcée. Ce n'est donc que par voie d'exception, dans le cadre de la présente instance, que le maître d'ouvrage a soulevé une difficulté de ce chef. Or, Il ne l'a jamais interpellée à ce sujet auparavant.
- qu'elle est bien fondée à réclamer, au visa de l'article L.141-6 du code de commerce, le paiement de la somme de 160 euros à titre d'indemnité conventionnelle pour les frais de recouvrement, aucun élément ne justifiant que cette indemnité conventionnelle légale soit confondue avec l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 septembre 2023.
MOTIVATION
Sur la demande en paiement
Au regard de la date de conclusion du contrat entre les deux parties, ce sont les textes du Code civil antérieurs à l'ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016 qui ont vocation à s'appliquer.
La S.N.C. Les Terrasses Saint Genès ne conteste pas que certaines factures émises par la S.a.r.l.u. AG Menuiserie n'ont pas été réglées. Il s'agit :
- de celle n°00003461 valant situation 5 en date du 13 février 2017 d'un montant de 2.468,35 euros TTC ;
- de celle n°00003481 valant situation 6 en date du 14 mars 2017 d'un montant de 1.540,84 euros TTC ;
- de celle n°00003506 valant situation 7 en date du 24 avril 2017 d'un montant de 10.701,66 euros TTC ;
- de celle n°00003562 valant situation 9 en date du 21 juin 2017 d'un montant de 11.861,53 euros TTC.
Les situations émises par la S.a.r.l.u. AG Menuiserie apparaissent conformes à l'article VII du CCAP qui prévoyait un règlement de celles-ci à 45 jours fin de mois.
Sollicitant l'application du principe de l'exception d'inexécution en raison de gaves non-conformités et d'un retard de l'entrepreneur dans l'exécution de sa prestation, la S.N.C. Les Terrasses Saint Genès estime dès lors ne pas être redevable du paiement des situations décrites ci-dessus.
En application de l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016 applicable au présent litige, si la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des parties s'avère défaillante dans le respect de ses engagements, la gravité du comportement de l'un des contractants peut justifier une résiliation unilatérale, aux risques et périls de celui qui en prend l`initiative.
Ainsi, l'exception d'inexécution joue non seulement en cas d'inexécution totale des obligations du débiteur, mais aussi en cas d'inexécution partielle, dès lors que l'inexécution est suffisamment grave pour que la partie adverse puisse suspendre l'exécution de sa propre obligation.
Il doit exister un rapport de proportionnalité entre la sanction prise par une partie et les manquements reprochés à l'autre partie (1ère Civ., 12 mai 2016, n°15-20.834) et que l'obligation inexécutée ne soit pas secondaire par rapport à l'obligation essentielle du contrat dont voudrait se dégager le co-contractant.
Lorsqu'un devis est accepté par le maître de l'ouvrage, c'est à la partie qui conteste la réalisation des travaux prévus dans ce document d'apporter la preuve que ceux-ci n'ont été que partiellement exécutés, sauf si l'entrepreneur a lui-même reconnu qu'il devait reprendre les travaux ou si les travaux avaient fait l'objet de réserves à la réception.
La S.N.C. Les Terrasses Saint Genès verse aux débats un procès-verbal de réception en date du 06 septembre 2017 comportant certaines réserves.
Toutefois, ce document n'a pas été signé par la S.a.r.l.u. AG Menuiserie sans que les parties ne s'expliquent sur les raisons de cette situation.
En l'état, ce procès-verbal ne constitue donc pas un élément suffisant attestant l'existence d'une mauvaise exécution par l'entrepreneur de ses obligations et ce d'autant plus que l'appelante ne démontre pas avoir régulièrement convoqué la S.a.r.l.u. AG Menuiserie pour procéder aux opérations de réception.
De même, les lettres recommandées avec avis de réception des 09 mars et 04 octobre 2017 dans lesquelles tant le maître d'ouvrage que le maître d’oeuvre reprochent à la S.a.r.l.u. AG Menuiserie d'une part un retard dans l'exécution de sa prestation et d'autre part la pose de serrures non conformes aux stipulations contractuelles, sont insuffisantes à démontrer les griefs allégués qui sont d'ailleurs contestés par l'entrepreneur qui a établi son décompte général définitif.
S'agissant du retard de la S.a.r.l.u. AG Menuiserie dans l'exécution de sa prestation, le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 juin 2017 par Me [E] fait bien apparaître que le retard d'autres corps de métier explique le non-respect par celle-ci des dates initialement prévues pour son intervention sur le chantier.
Il doit en outre être observé que la S.N.C. Les Terrasses Saint Genès ne réclame pas l'application de pénalités de retard pourtant contractuellement prévues (p10 à 12 du CCAP).
Ce grief n'est donc pas établi.
Pour ce qui concerne les serrures, aucun document de nature technique ne démontre suffisamment les griefs invoqués par l'appelante. Il sera ajouté que les manquements contractuels allégués, à les supposer avérés, ne présentent pas un caractère de gravité suffisante pour justifier les retenues opérées par la S.N.C.
Les Terrasses Saint Genès :
- au regard du montant total du marché ;
- et également en comparaison du coût de leur remplacement à celui des sommes dues par le maître d'ouvrage.
En l'état, la S.N.C. Les Terrasses Saint Genès ne peut invoquer l'application des dispositions de l'article 1184 du Code civil précitées pour refuser de s'acquitter du solde du marché.
C'est en conséquence à bon droit que le tribunal a condamné la S.N.C. Les Terrasses Saint Genès à payer à la S.a.r.l.u. AG Menuiserie la somme de 29 779,23 euros au titre du solde du marché avec intérêts au taux de financement de la Banque Centrale Européenne majorés de dix points à compter du 04 août 2017, date d'émission du décompte général définitif, avec capitalisation par années entières dans les termes de l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016.
Sur l'indemnité de recouvrement
En application desarticles L. 441-6 et L. 441-9 du code de commerce (et non L141-6 comme l'indique l'intimée dans ses dernières conclusions), textes dans leur rédaction en vigueur au présent litige, la S.a.r.l.u. AG Menuiserie réclame le paiement à la S.N.C. Les Terrasses Saint Genès d'une indemnité conventionnelle de recouvrement de 160 euros.
Au regard du nombre de factures impayées par l'appelante, cette dernière sera condamnée à payer à la S.a.r.l.u. AG Menuiserie la somme totale de 160 euros (40x4). Le jugement, qui a intégré cette prétention dans l'indemnité de procédure prévue à l'article 700 du Code de procédure civile, sera donc réformé sur ce point.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Outre la somme mise à la charge de la S.N.C. Les Terrasses Saint Genès en première instance, il y a lieu en cause d'appel de la condamner au versement à la S.a.r.l.u. AG Menuiserie d'une indemnité complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes de ce chef.
PAR CES MOTIFS
- Infirme lejugement rendu le 18 février 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a rejeté la demande présentée par la Société à Responsabilité Limitée Unipersonnelle AG Menuiserie tendant à obtenir le versement par la Société en Nom Collectif les Terrasses Saint-Genès d'une indemnité de recouvrement des factures impayées d'un montant de 160 euros ;
et, statuant à nouveau dans cette limite :
- Condamne la Société en Nom Collectif les Terrasses Saint-Genès à payer à la Société à Responsabilité Limitée Unipersonnelle AG Menuiserie la somme de 160 euros au titre de l'indemnité de recouvrement des factures impayées ;
- Confirme le jugement déféré pour le surplus ;
Y ajoutant ;
- Condamne la Société en Nom Collectif les Terrasses Saint-Genès à verser à la Société à Responsabilité Limitée Unipersonnelle AG Menuiserie une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;
- Condamne la Société en Nom Collectif les Terrasses Saint-Genès au paiement des dépens d'appel.