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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 octobre 2024, n° 23/18714

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Metissage (Association)

Défendeur :

Comité Social et Économique de la Régie Autonome des Transports Parisiens

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseiller :

Mme Depelley

Conseiller :

M. Richaud

Avocats :

Me Ingold, Me Nayrolles, Me Herman, Me Courti

TJ Paris, 4e ch. sect. 2, du 23 nov. 202…

23 novembre 2023

FAITS ET PROCEDURE

A compter de l'année 2005, le Comité social et économique central de la Régie autonome des transports parisiens (ci-après, « le CSEC-RATP »), qui assume la gestion de prestations sociales et culturelles à destination des personnels de la RATP en activité ou retraités et des membres de leur famille, telles des vacances familiales, des séjours enfance et jeunesse, des actions culturelles et sportives, des restaurants d'entreprise ou des activités de loisir, était en relation avec l'association Métissage, opérateur culturel et artistique soumis à la loi du 1er juillet 1901 qui accompagnait, organisait, animait et encadrait des activités de loisirs, culturelles et artistiques dans les camps et colonies de vacances des membres du CSEC-RATP.

Invoquant la rupture brutale de ces relations en début d'année 2020, l'association Métissage a mis en demeure le CSEC-RATP de réparer son préjudice et, à défaut de réponse, l'a assigné par acte d'huissier signifié le 29 juillet 2021 devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce.

Par ordonnance du 23 novembre 2023, le juge de la mise en état a déclaré ce tribunal incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny et condamné l'association Métissage à payer au CSEC-RATP la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 6 décembre 2023, l'association Métissage a interjeté appel de cette décision et, autorisée à assigner à jour fixe par ordonnance du délégataire du premier président du 20 décembre 2023, a, par acte d'huissier signifié le 27 décembre 2023, assigné à jour fixe le CSEC-RATP devant la cour d'appel de Paris.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 juillet 2024, l'association Métissage demande à la cour, au visa des articles L 442-1 II, L 442-4 III et D 442-4 et annexe 4-2-2 du code de commerce :

- de déclarer l'association Métissage recevable en son appel ainsi qu'en toutes ses demandes ;

- d'infirmer l'ordonnance sur incident rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 23 novembre 2023 en toutes ses dispositions critiquées et particulièrement en ce qu'elle :

* a déclaré le tribunal judiciaire de paris incompétent pour connaître du présent litige ;

* a dit que la juridiction compétente est le tribunal judiciaire de Bobigny ;

* a renvoyé l'affaire devant le tribunal judiciaire de Bobigny ;

* a condamné l'association Métissage à payer au CSEC-RATP la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- et statuant à nouveau, de :

* rejeter l'exception d'incompétence soulevée par le CSEC-RATP ;

* juger que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour statuer sur le présent litige ;

* débouter le CSEC-RATP de l'ensemble de ses demandes ;

* renvoyer l'affaire enrôlée sous le RG 21/10132 devant le tribunal judiciaire de Paris afin qu'il soit statué au fond ;

- en tout état de cause et y ajoutant, de condamner le CSEC-RATP à payer à l'association Métissage la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Frédéric Ingold.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 août 2024, le CSEC-RATP demande à la cour, au visa des articles L 442-1 II et D 442-3 du code de commerce, L 312-78 et R 2312-35 du code du travail et 31, 32, 42, 74 et suivants, 122 et 700 du code de procédure civile, de :

- débouter l'association Métissage de son appel injuste et mal fondé ;

- déclarer le CSEC-RATP bien fondé en son exception d'incompétence au profit du tribunal judiciaire de Bobigny ;

- en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 23 novembre 2023 ;

- en tout état de cause :

* débouter l'association Métissage de ses demandes de condamnation du CSEC-RATP à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens ;

* condamner l'association Métissage à payer au le CSEC-RATP la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

MOTIVATION

A titre liminaire, la Cour constate que les parties ne débattent pas de la qualification du moyen opposé par le CSEC-RATP et retiennent, comme le juge de la mise en état, qu'il est une exception d'incompétence, en ce que la détermination de la compétence territoriale dépend de l'applicabilité de l'article L 442-1 II du code de commerce au litige, et non un moyen de défense au fond portant sur les conditions de succès des prétentions au fond.

1°) Sur l'exception d'incompétence

Moyens des parties

Au soutien de son appel, l'association Métissage expose que l'article L 442-1 II du code de commerce, qui vise toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, est applicable aux comités d'entreprise auteur d'une rupture brutale de relations commerciales établies en général et au CSEC-RATP en particulier, peu important son absence d'activité commerciale et l'inscription de la relation commerciale dans l'exercice de ses missions légales, le régime juridique, le statut ou le mode de financement de l'auteur d'une rupture brutale n'étant pas de nature à l'exclure du champ d'application de ce texte dès lors qu'il se comporte comme tout agent économique sur un marché. Elle en déduit la compétence du tribunal judiciaire de Paris sur le fondement des articles L 442-4 III et D 442-4 du code de commerce ainsi que de l'annexe 4-2-2 de son livre IV, les parties n'ayant pas la qualité d'artisan et de commerçant et le CSEC-RATP ayant son siège social dans le ressort de la cour d'appel de Paris.

En réponse, le CSEC-RATP expose que l'article L 442-1 II du code de commerce n'est pas applicable aux personnes n'exerçant aucune activité commerciale, telles un comité d'entreprise, en particulier quand il accomplit les actes litigieux dans l'exercice de ses missions légales en matière d'activités sociales et culturelles définies par les articles L 2312-78 et R 2312-35 du code du travail, catégorie englobant l'organisation des séjours de vacances en débat. Il ajoute que la soumission des comités d'entreprise agissant dans le cadre de leurs attributions légales au code de la consommation à raison de leur qualité de non-professionnel fonde l'inapplicabilité de l'article L 442-II du code de commerce à la relation nouée avec l'association Métissage. Elle en déduit l'incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris au profit de celui de Bobigny à raison du lieu de son siège social.

Réponse de la cour

Aux termes des articles 795 2° et 905 4° du code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état sont susceptibles d'appel dans les quinze jours à compter de leur signification, lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir, l'affaire étant alors appelée par la cour d'appel à bref délai.

Conformément aux articles 73 à 76 du code de procédure civile, les exceptions de procédure, constituées par tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte soit à en suspendre le cours, doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir peu important que les règles invoquées au soutien de l'exception soient d'ordre public. Dans ce cadre, s'il est prétendu que la juridiction saisie est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et identifier la juridiction de renvoi.

En application de l'article L 442-1 II du code de commerce dans sa rédaction applicable au jour de la rupture alléguée, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

Et, en vertu de l'article L 442-4 III du code de commerce, les litiges relatifs à l'application de ce texte sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. Or, conformément à l'article D 442-3 de ce code, pour l'application de l'article L 442-4 III, le siège et le ressort des tribunaux judiciaires compétents sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-2 du livre IV qui précise que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour le ressort des cours d'appel de Bourges, Paris, Orléans, Saint-Denis de la Réunion et Versailles.

L'application de l'article L 442-1 II du code de commerce, indifférente à la qualité ou au statut de la victime (en ce sens, Com., 6 février 2007, n° 03-20.463), est, ainsi qu'il ressort de la lettre même de cette disposition, conditionnée par l'activité économique de l'auteur de la rupture entendue largement (« toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ») appréciée à l'aune de la nature des relations rompues. Sur ce dernier point, la notion de relation commerciale, propre au droit des pratiques restrictives de concurrence, est appréciée dans une logique économique plus que juridique : n'impliquant aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'étant soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, elle peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de services (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664).

Intégré dans les dispositions du livre IV « De la liberté des prix et de la concurrence », l'article L 442-6 I 5° du code de commerce était, avant la réforme opérée par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 supprimant la référence aux qualités de producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, interprété extensivement à l'aune de l'article introductif L 410-1 du code de commerce qui étend ses dispositions à toutes les activités de production, de distribution et de services (en ce sens, outre Com., 6 février 2007, n° 03-20.463, déjà cité qui l'appliquait à une association auteure de la rupture, Com. 14 septembre 2010, n° 09-14.322, pour une société d'assurance mutualiste à but non lucratif, Com., 25 janvier 2017, n° 15-13.013, pour une association exerçant une activité de production de distribution ou de service, et à Com., 3 avril 2013, n° 12-17.163, pour un comité d'entreprise). Cette interprétation est constante (en ce sens, Com., 28 juin 2023, n° 21-16.940, confirmant l'application extensive du dispositif légal à un syndicat de copropriétaires d'un centre commercial, personne morale civile, dans la relation nouée avec un prestataire de services réalisant pour les copropriétaires des opérations de sécurité incendie, surveillance et gardiennage). Aussi, le moyen tiré de l'absence de qualité de commerçant au sens de l'article L 121-1 du code de commerce ou de la reconnaissance, en d'autres domaines, de celle de professionnel ou de non-professionnel au sens de l'article liminaire de code de la consommation (ou de son article L 136-1 évoqué par l'intimé) est sans pertinence, seule comptant la nature concrètement appréciée de l'activité effectivement exercée par l'auteur de la rupture et sur laquelle est construite la relation en débat.

Or, si un comité social et économique au sens des articles L 2311-2 et suivants du code du travail n'a pas par nature un objet commercial son statut n'est pas incompatible avec l'accomplissement, même à titre habituel, d'actes de nature commerciale sans pour autant être des actes de commerce au sens strict des articles L 110-1 et suivants du code de commerce. A cet égard, l'organisation de vacances familiales, de séjours enfance et jeunesse, d'actions culturelles et sportives ou d'activités de loisir pour ses membres est une activité économique de services peu important l'absence de poursuite d'un but lucratif par le CSEC-RATP dans ses rapports avec ses membres. Et, c'est dans le cadre de l'accomplissement de celle-ci, dont il importe peu qu'elle relève de ses attributions légales, que le CSEC-RATP a confié à l'association Métissage l'accompagnement, l'organisation, l'animation et l'encadrement des activités de loisirs, culturelles et artistiques dans les camps et colonies de vacances de ses membres. Quoiqu'encadrées par des contrats distincts, ces prestations, qui se sont succédées avec régularité sur une longue période, ont tissé une relation générant annuellement un chiffre d'affaires représentant en moyenne 35 % du chiffre d'affaires global de l'association Métissage sur les années 2017 à 2019 : la relation nouée, qui a les traits des partenariats usuels entre un donneur d'ordres et son prestataire de services, est commerciale au sens économique de l'article L 442-1 II du code de commerce et le CSEC-RATP a agi dans le cadre de ses activités comme toute entreprise, au sens de l'arrêt Klaus Höfner et Fritz Elserc. Macrotron GmbH rendu le 23 avril 1991 par la CJCE qui définit, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d'entreprise comme toute entité exerçant une activité économique indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement.

En conséquence, l'article L 442-1 II du code de commerce régissant, sans préjudice de la réunion de ses conditions d'application au fond, le litige et le tribunal judiciaire de Paris étant territorialement et matériellement compétent pour en connaître, l'exception d'incompétence sera rejetée et l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions soumises à la Cour.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'ordonnance entreprise sera infirmée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant, le CSEC-RATP, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamné à supporter les entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés directement par la Selarl Ingold et Thomas Avocats conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à l'association Métissage la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Rejette l'exception d'incompétence opposée par le Comité social et économique central de la Régie autonome des transports parisiens et dit que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître de l'entier litige ;

Y ajoutant,

Rejette la demande du Comité social et économique central de la Régie autonome des transports parisiens au titre des frais irrépétibles ;

Condamne le Comité social et économique central de la Régie autonome des transports parisiens à payer à l'association Métissage la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le Comité social et économique central de la Régie autonome des transports parisiens à supporter les entiers dépens d'appel qui seront recouvrés directement par la Selarl Ingold et Thomas Avocats conformément à l'article 699 du code de procédure civile.