CA Paris, Pôle 4 - ch. 5, 2 octobre 2024, n° 21/18921
PARIS
Arrêt
Autre
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 20 décembre 2007, après une phase d'appel d'offres, la société Gaz De France (GdF), aux droits de laquelle est venue la société Storengy, a signé en qualité de maître d'ouvrage (MOA), un contrat " clef en main " dans le cadre d'un marché à forfait, avec la société Entrepose Contracting (devenue Entrepose Group), à laquelle s'est substituée la société Entrepose projets (devenue Entrepose Contracting), en qualité de maître d''uvre.
Ce contrat a pour objet la conception, la construction et la mise en service d'un stockage souterrain de gaz naturel situé sur le site des [5] en Haute-Marne.
Il s'agit d'une installation classée pour la protection de l'environnement de risque élevé.
Le marché à forfait a été conclu pour un montant total de 35 770 420 euros.
L'ouvrage a été décomposé en deux parties :
- Morceau d'ouvrage n° 1 (MO1) incluant les installations nécessaires à l'injection du gaz dans les puits comprenant l'électrocompresseur,
- Morceau d'ouvrage n° 2 (MO2) incluant les installations nécessaires au traitement du gaz en phase de soutirage des puits comprenant l'unité de déshydratation de gaz.
La société Entrepose Group a fait appel à des sous-traitants :
- le 26 décembre 2007, elle a sous-traité à la société Geostock la réalisation des études de base,
- le 20 février 2008, elle a sous-traité à la société Gtie-Infi (Actemium) des travaux dans le domaine de l'électricité, l'instrumentation et le contrôle de commandes.
Le 16 août 2011, a eu lieu la réception de l'ouvrage.
La société Entrepose Group (ex Entrepose contracting) a voulu imputer à la société Storengy des augmentations de coûts que la société Storengy a refusé de prendre en charge.
Le 2 août 2012, la société Entrepose Group et la société Entrepose projets ont assigné la société Storengy devant le tribunal de commerce de Paris pour faire requalifier le contrat à forfait du 20 décembre 2007 en contrat d'entreprise.
Le 29 mars 2013, le tribunal de commerce de Paris a désigné M. [H] en qualité d'expert.
Le 14 juin 2013, M. [H] a été remplacé par M. [D].
Le 24 septembre 2013, les opérations d'expertise ont débuté.
Le 12 septembre 2014, le tribunal de commerce de Paris a étendu la mission d'expertise aux sociétés Geostock et Gtie-Infi, sous-traitantes de la société Entrepose Group.
Le 7 octobre 2015, le juge du contrôle des expertises a précisé la mission de l'expert.
Le 30 janvier 2018, l'expert judiciaire a remis son rapport final dont la nullité a été demandée par les sociétés Entrepose Group, Geostock et Gtie-Infi, avec une demande de nomination d'un nouvel expert judiciaire.
Le 28 juin 2019, le tribunal a joint les procédures, débouté les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting, Geostock et Gtie-Infi de leur demande de nullité et nommé M. [S] pour un complément d'expertise.
Le 6 octobre 2020, M. [S] a déposé son rapport.
Par jugement du 1er octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :
Déclare commun à la société Gtie-Infi et à la société Geostock le jugement à intervenir,
Condamne la société Storengy à payer aux sociétés Entrepose la somme de 2 641 997 euros au titre de leurs demandes indemnitaires,
Condamne la société Storengy à rembourser à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting la somme de 2 661 633,60 euros hors TVA retenus au titre de pénalités de retard,
Condamne la société Storengy à payer 30 000 euros aux sociétés Entrepose, 10 000 euros à la société Gtie-Infi et 10 000 euros à la société Geostock au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société Storengy aux dépens, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire,
Ordonne l'exécution provisoire.
Par déclaration en date du 28 octobre 2021, la société Storengy a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour :
- la société Entrepose Group,
- la société Entrepose Contracting.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2024, la société Storengy demande à la cour de :
Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté le 28 octobre 2021 par la société Storengy à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2021,
Y faisant droit,
Infirmer le jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société Storengy à payer aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting la somme de 2 641 997 euros au titre de leurs demandes indemnitaires,
- Condamné la société Storengy à payer aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting la somme de 2 861 633,60 euros hors TVA retenus au titre des pénalités de retard,
- Condamné la société Storengy à payer aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire,
- Débouté la société Storengy de ses demandes plus amples ou contraires tendant notamment à :
- Condamner les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à rembourser à la société Storengy la somme de 7 076 euros,
- Condamner in solidum les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à payer à la société Storengy la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 435 000 euros à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à rembourser à supporter la charge définitive des frais et honoraires des experts judiciaires,
- Condamner les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting en tous les autres dépens de l'instance.
Confirmer le jugement en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
Donner acte à la société Storengy du règlement aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de la somme de 28 450 euros correspondant à l'ODM n° 40, par courrier officiel du 28 mai 2019,
Condamner les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à rembourser à la société Storengy la somme de 7 076 euros au titre de l'ODM n° 18,
Sur les demandes de paiement supplémentaire formées par Entrepose (demandes indemnitaires) :
Rejeter la demande des sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de nullité du rapport de l'expert [D],
Rejeter l'ensemble des demandes formées par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à l'encontre de la société Storengy pour dénaturation des termes clairs et précis du contrat du 20 décembre 2007 et des conclusions du rapport de l'expert judiciaire [D] sur les questions de la modification d'une Limite Inférieure d'Explosivité (LIE), de la modification du volume des cuves de stockage et la modification due au fournisseur EMS et au fournisseur accrédité de vannes,
Sinon :
Sur la modification d'une Limite Inférieure d'explosivité (LIE) :
Entériner les conclusions techniques de l'expert [D] qui a conclu au paragraphe 6.1.2 de son rapport à l'absence de modifications majeures du projet en lien avec la demande de modification de distance de LIE faite par la société Storengy,
Déclarer que l'expert [S] a outrepassé les termes de sa mission, pallié la carence d'Entrepose dans l'administration de la preuve et émis un avis juridique en violation de l'article 238 du code de procédure civile,
Déclarer que l'expert [S] ne démontre pas techniquement, notamment à travers la comparaison des plans à laquelle il a procédé, que les écarts d'implantation étaient liés à la modification de distance de LIE et qu'il est démontré que ces écarts ont d'autres causes,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting n'ont jamais émis de demande de modification, conformément à l'article 29.5 du contrat, au titre de la modification de distance de LIE, et qu'elles sont donc mal fondées à former une quelconque demande à l'encontre de la société Storengy,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting auraient dû envisager d'édifier un bâtiment pour encloisonner les équipements électriques plutôt que de prétendument refaire des dizaines de milliers d'heures d'études,
Déclarer en tout état de cause que la modification de distance de LIE n'a pas eu les conséquences que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting y attachent et que les heures d'étude alléguées en lien avec ladite modification ne sont pas démontrées,
En conséquence,
Rejeter la demande d'Entrepose au titre de la modification de la distance de LIE,
Sur la modification du volume des cuves de stockage :
Entériner les conclusions techniques de l'expert [D] qui a conclu au paragraphe 6.1.3 de son rapport au caractère mal fondé de la demande des sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting au sujet de la modification du volume des cuves de stockage,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting ont eu connaissance dès l'origine du dossier de demande d'autorisation d'exploiter une ICPE et de la contrainte liée à la décision à prendre par l'autorité administrative quant au régime applicable aux cuves de stockage,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting ont, de leur propre initiative, multiplié les cuves de stockage, sans étudier l'impact sur le calcul du volume équivalent de la station centrale et au regard des arrêtés des 18 avril 2008 et 22 décembre 2008,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting n'ont adressé à la société Storengy aucune demande de modification, en dépit des stipulations de l'article 29.5 du contrat,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting n'ont jamais adressé à la société Storengy la moindre alerte ou la moindre demande au moment de la passation des commandes des cuves,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting ne démontre pas le lien entre les heures d'étude supplémentaires qu'elles allèguent et les griefs faits à tort contre la société Storengy,
Déclarer que les conclusions de l'expert [S], qui éludent les stipulations contractuelles et le caractère forfaitaire du contrat, sont mal fondées et les écarter,
En conséquence,
Rejeter la demande formée par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting au titre de la modification du volume des cuves de stockage,
Sur la modification due au fournisseur EMS :
Entériner le rapport de l'expert [D] qui conclut au paragraphe 6.3 de son rapport à l'impossibilité d'imputer le surcoût allégué par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting pour l'aéroréfrigérant (unité de déshydratation) acquis auprès du fournisseur EMS,
Déclarer qu'il appartenait aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de sécuriser l'offre de leur fournisseur et de ne pas se contenter d'une simple cotation non engageante et déjà expirée à la date à laquelle elles ont remis leur offre à la société Storengy, particulièrement au regard du coût estimé de l'équipement concerné visé dans l'annexe F du contrat,
Ecarter les conclusions de l'expert [S] qui n'a pas approfondi la question de la fourniture de l'équipement,
En conséquence,
Rejeter la demande formée par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting au titre du fournisseur EMS,
Sur la modification due au fournisseur accrédité de vannes :
Entériner le rapport de l'expert [D] qui rejette la demande liée au fournisseur accrédité de vannes,
Déclarer que les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting sont défaillantes dans l'administration de la preuve, aucun élément ne justifiant de leur demande,
Ecarter les conclusions de l'expert [S] en ce qu'il retient un surcoût non démontré,
En conséquence,
Rejeter la demande formée par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting au titre du fournisseur accrédité de vannes,
Sur les fournisseurs Varian et Pibiviesse :
Confirmer le jugement entrepris,
En conséquence
Rejeter la demande formée par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting au titre du fournisseur accrédité de vannes,
Sur la demande de remboursement des pénalités de retard :
Déclarer que la société Storengy a fait à juste titre application des pénalités de retard au regard des 188 jours de retard pénalisable au titre du jalon applicable pour le procès-verbal prêt pour la mise en route intervenu, pour le morceau d'ouvrage numéro 1, le 18 novembre 2010, après imputation de 74 jours calendaires d'intempéries,
Entériner la conclusion de l'expert [D] qui considère la demande des sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de prolongation des délais contractuels comme mal fondée,
Déclarer que l'expert [S] n'a pas conclu à l'existence de retards exonératoires des pénalités de retard et qu'il a au contraire, notamment en pages 103 à 105 de son rapport, bien distingué cet aspect qui ne relevait pas de sa mission complémentaire de l'analyse qui lui a été confiée au titre des heures complémentaires alléguées par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting,
Déclarer que les demandes liées aux prétendus abus sur la date de signature du contrat, sur les études d'odorisation sont mal fondées,
En conséquence,
Rejeter la demande des sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de remboursement des pénalités de retard,
En tout état de cause :
Juger qu'il n'est pas démontré de bouleversement de l'économie du contrat du 20 décembre 2007,
Débouter les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de toutes leurs demandes,
A toutes fins :
Rejeter l'appel incident formé par les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting,
Débouter les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de toutes leurs demandes, en ce compris la demande de condamnation pour prétendue résistance abusive et mauvaise foi de la société Storengy ;
Condamner in solidum les sociétés Entrepose Group, Entrepose Contracting, Gtie-Infi et Geostock à payer à la société Storengy la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 500 000 euros à parfaire à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner les sociétés Entrepose Group, Entrepose Contracting à supporter la charge définitive des frais et honoraires des experts judiciaires,
Condamner les sociétés Entrepose Group, Entrepose Contracting, Gtie-Infi et Geostock en tous les autres dépens de première instance et d'appel,
Dire que ceux d'appel pourront être recouvrés par Me Lallement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2024, la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting demandent à la cour de :
Déclarer la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting recevables en leurs demandes ; les déclarer bien fondées ;
Y faisant droit,
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2021 en ce qu'il a :
- Déclaré commun à la société Gtie-Infi et à la société Geostock le jugement à intervenir,
- Condamné la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 950 000 euros validé par M. [S] au titre de la modification des limites inférieures d'explosivité,
- Condamné la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 522 500 euros validé par M. [S] au titre des modifications apportées aux cuves de stockage,
- Condamné la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting les surcoûts validés par M. [S] au titre du fournisseur accrédité EMS pour un montant de 1 009 504 euros,
- Condamné la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting les surcoûts validés par M. [S] au titre du fournisseur accrédité de vannes pour un montant de 159 993 euros,
- Condamné la société Storengy à rembourser à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting la somme de 2 861 633,60 euros hors TVA retenus au titre de pénalités de retard,
- Condamné la société Storengy à payer 30 000 euros à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting, 10 000 euros à la société Gtie-Infi et 10 000 euros à la société Geostock au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Storengy aux dépens, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire,
- Ordonné l'exécution provisoire.
En conséquence :
Débouter la société Storengy de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions contraires,
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2021 en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
Juger que le rapport d'expertise de M. [D] est entaché de vices de fond et de vices de forme ;
En conséquence :
Ecarter les éléments qui figurent dans le rapport d'expertise de M. [D] ;
Entériner le rapport d'expertise de M. [S] dans toutes ses dispositions ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 950 000 euros au titre de leur réclamation relative à la modification des rayons de giration ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 1 071 586 euros au titre de leur réclamation relative aux modifications majeures des P&ID et UID du DTP révisé ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 612 178 euros au titre de leur réclamation relative au raccordement de l'ensemble des fosses à vannes et des chambres de tirage au réseau d'eaux pluviales ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 1 278 588 euros au titre de leur réclamation relative au surcoût du management ;
Octroyer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting une prolongation du délai contractuel de 232 jours calendaires au titre des modifications demandées par la société Storengy en phase ingénierie ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 769 840 euros au titre des modifications demandées par la société Storengy en phase ingénierie ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 237 600 euros au titre des modifications non contractuelles demandées par la société Storengy en phase Ingénierie ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût de 3 980 700 euros au titre de la demande de la société Storengy de mise en place d'un système de Fiches-Evènements non prévu par le contrat du 20 décembre 2007 ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût au titre du fournisseur accrédité Varian pour un montant de 41 231 euros ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting un surcoût au titre du fournisseur accrédité Pibiviesse pour un montant de 162 357 euros ;
Octroyer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting une prolongation du délai contractuel de 15 jours calendaires au titre du délai mis par la société Storengy à émettre l'ordre de modification n° 001 ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting la somme de 957 791,79 euros au titre de l'ordre de modification n° 40 sous déduction du montant déjà payé par la société Storengy de 28 450 euros ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting la somme de 113 163,47 euros au titre de l'ordre de modification n° 4 ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting le surcoût de 11 392 euros correspondant aux 104 heures passées à démontrer à la société Storengy l'inapplicabilité au moteur à vitesse constante du projet de la spécification référence SG-MEL-DESING-E-154, révision 1 ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting le surcoût de 10 544 euros correspondant aux 88 heures passées pour l'application de la norme NF-X-44052 à la cheminée de l'unité de déshydratation-régénération de TEG ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting le surcoût de 3 714 704 euros au titre de l'immixtion de la société Storengy pendant la phase de démarrage de l'installation et réception ;
Octroyer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting une prolongation du délai contractuel de 21 jours calendaires au titre de l'application de l'article 18.5 du contrat du 20 décembre 2007 ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting le surcoût de 228 947,18 euros au titre de l'application de l'article 18.5 du contrat du 20 décembre 2007 ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting le surcoût de 375 804 euros au titre de la mobilisation supplémentaire de l'équipe de personnel critique de la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting pendant les intempéries reconnues par la société Storengy ;
En tout état de cause :
Juger que l'économie du contrat du 20 décembre 2007 a été bouleversée du fait d'une part des multiples modifications demandées par la société Storengy en cours d'exécution du contrat et du fait, d'autre part, de l'immixtion permanente de la société Storengy à toutes les phases de l'exécution du contrat ;
En conséquence :
Juger que le bouleversement de l'économie du contrat du 20 décembre 2007 lui a fait perdre son caractère forfaitaire ;
Juger que le contrat du 20 décembre 2007 est requalifié en contrat d'entreprise ;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting la somme de 2 000 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et compte tenu de la mauvaise foi caractérisée de la société Storengy;
Condamner la société Storengy à payer à la société Entrepose Group et la société Entrepose Contracting une somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Storengy aux entiers dépens de la procédure d'appel dont le recouvrement sera effectué par Me Fertier et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 2 avril 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 3 avril 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
Préalables
1-Aucune demande, ni condamnation, ne pourra prospérer ni intervenir à l'égard des sociétés Gtie-Infi et Geostock qui ne sont pas parties à l'instance d'appel. Celles-ci seront donc déclarées irrecevables.
2-La société Entrepose Contracting est devenue la société Entrepose Group et la société Entrepose Projets est devenue la société Entrepose Contracting.
Filiales du groupe Vinci, elles se présentent comme des sociétés spécialisées dans la conception et la réalisation de projets industriels complexes dans les domaines du pétrole et du gaz et plus généralement des énergies et de l'environnement.
Prises ensemble en leurs qualités de demanderesse, elles sont dénommées sociétés Entrepose ou Contractant.
3- Devant les premiers juges, la réclamation indemnitaire des sociétés Entrepose a été fixée à 13 167 171 euros, le tribunal de commerce retenant que ce montant était constitué de 5 587 912 euros de travaux supplémentaires, de 6 732 754 euros de surcoûts liés à l'immixtion constante de la société Storengy dans la réalisation de l'installation et de 646 444 euros de préjudice financier alors même que l'addition de ces trois postes aboutit à un montant de 12 967 110 euros.
La réclamation des sociétés Entrepose du 24 janvier 2012, reprise par l'expert judiciaire M. [D], dont le tribunal de commerce a fait sienne les observations techniques s'agissant des modifications non contractuelles, de la température de la station, des standards d'automatisme et de l'ODM n° 4 en rejetant les demandes des sociétés Entrepose à ces titres, mentionne une revendication à hauteur de 18 134 669 euros.
La condamnation de la société Storengy à payer aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting la somme de 2 641 997 euros au titre de leurs demandes indemnitaires, concernent les demandes indemnitaires suivantes du maître d''uvre :
- 1 009 504 euros correspondant à l'aérofrigérant de la société EMS,
- 950 000 euros correspondant à la modification des limites inférieures d'explosivité (LIE)
- 522 500 euros correspondant à la modification des cuves de stockage,
- 159 993 euros correspondant au paiement du fournisseur accrédité de vannes.
4- En application de l'article 954, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile, dans les procédures d'appel avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, que les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Les demandes de " juger " ne constituent pas des prétentions mais des moyens et ne saisissent la cour d'aucune demande (2e Civ., 9 janvier 2020, pourvoi n° 18-18.778)
Ainsi en est-il des demandes des sociétés Entrepose relatives au rapport d'expertise de M. [D] sur lesquelles la cour n'a pas à statuer car il ne s'agit pas de prétentions.
5- Bien que la société Storengy soit appelante, par cohérence, les moyens des sociétés Entrepose, appelantes incidentes, relatifs au bouleversement de l'économie générale du contrat du fait des modifications et de l'immixtion du MOA dans le marché seront examinés en premier lieu.
Sur la nature du marché conclu entre la société Storengy et les sociétés Entrepose
Moyens des parties
Les sociétés Entrepose font valoir qu'elles ne pouvaient pas déroger au marché compte tenu de ses spécifications obligatoires, que le maître d'ouvrage s'est immiscé dans l'exécution agissant comme un véritable maître d''uvre exigeant des modifications au contrat et aux spécifications initiales de l'ouvrage de nature à augmenter la nature et le volume des prestations du maître d''uvre.
Elles en déduisent que la qualification du marché doit être modifiée en ce que son économie générale a été bouleversée et qu'il ne s'agit pas d'un marché à forfait mais d'un contrat d'entreprise.
Elles indiquent que les modifications techniques majeures des spécifications originaires concernent les limites inférieures d'explosivité (LIE), les rayons de giration et les volumes de stockages des liquides inflammables.
Le maître de l'ouvrage s'est immiscé dans le processus d'achat auprès des fournisseurs de matériels, il n'a pas respecté les procédures de démarrage et de réception, il s'est également immiscé pendant les phases de construction, de démarrage du projet
En contravention avec ses obligations contractuelles, le maître d'ouvrage n'a pas émis les fiches de modifications permettant l'émission des ordres de modifications et a refusé les fiches de modifications des sociétés Entrepose.
Elles font valoir que le MOA s'est volontairement exonéré de la procédure de gestion des modifications de l'article 29.2 du contrat dans une intention malicieuse qui a bouleversé l'économie du contrat en ce que la société Storengy a ainsi bénéficié d'améliorations de l'ouvrage pour en diminuer les coûts d'exploitation.
La société Storengy rappelle que le contrat est forfaitaire et inclut la conception et la réalisation de l'ouvrage commandé par le maître de l'ouvrage et qu'il prévoit les modalités de modification par les parties.
Le contrat a été précédé d'une phase dite d'alignement qui permettait d'ajuster les obligations des sociétés Entrepose qui connaissaient ainsi parfaitement les données de la consultation et les caractéristiques de l'objet du contrat pour concevoir et réaliser l'ouvrage.
Elle soutient qu'il est normal que des ajustements aient eu lieu également après la signature du contrat, en cours de conception et précise que les réunions de suivi, les rapports et les comptes-rendus prévus par le marché étaient conçus à cette fin.
En l'absence d'imprévisibilité, elle estime qu'il n'y a pas lieu à requalifier le contrat.
Elle soutient qu'elle a parfaitement respecté les clauses contractuelles relatives aux modifications dont l'application n'a pas pour effet de remettre en cause l'économie générale du contrat et, qu'en tout état de cause, le contrat n'ouvre au contractant aucune possibilité de réclamation ultérieure sur les modifications exécutées sans ordre de modification du MOA.
Elle rappelle également que le processus préalable d'étude et de chiffrage prévu par l'article 29 du contrat n'a pas été respecté par le Contractant.
Elle soutient que les termes du contrat sont clairs et précis et ne méritent aucune interprétation et que les premiers juges ont dénaturé tant le contrat que le rapport de M. [D].
Elle fait valoir que les appelantes ne font valoir aucun moyen nouveau à l'appui de leur demande de confirmation.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes de l'article 4.1 du contrat, le Contractant doit exécuter le marché avec toute la diligence et le soin requis par un professionnel avisé tel que lui. Il est tenu à une obligation de résultat.
En particulier, l'utilisation par le Contractant des matériels qualifiés par le MOA et indiqués en annexe L (Règles applicables en cas de sous-traitance) ne saurait limiter sa responsabilité.
Le Contractant s'engage à employer en nombre suffisant du personnel qualifié, formé, expérimenté et compétent dans ses domaines respectifs pour parvenir à la réalisation de l'ouvrage.
Le Contractant accepte de se prêter à tout contrôle ou audit décidé par le MOA.
Aux termes de l'article 4.2 du contrat, le Contractant facilite le rôle de surveillance du MOA notamment par la transmission des renseignements nécessaires au suivi et au contrôle de l'avancement de la réalisation de l'ouvrage, des informations nécessaires à la coordination générale de la réalisation de l'ouvrage y compris l'émission et la réactualisation de plannings et programmes détaillés, les relances des tâches respectives, des informations sur la survenance d'évènements susceptibles de perturber la bonne exécution du contrat, des résultats de tous les contrôles et essais nécessaires.
Le Contractant reconnaît qu'à tout moment le MOA est libre de demander des compléments d'information, de procéder à des actes ou mesures de surveillance supplémentaires, s'il le juge nécessaire et s'engage à strictement s'y conformer au titre de ses prestations contractuelles.
Il met à disposition du MOA des bureaux dans chacun des locaux concernés.
Aux termes de l'article 4.4 du contrat, le Contractant confirme qu'il a conclu le contrat après avoir pris la mesure de toutes les informations relatives à l'ouvrage et notamment des plans d'études préalables et du dossier technique DTR/DTP regroupant l'ensemble des standards, guides et spécifications appliqués à ce type d'ouvrage du groupe GdF, pris en compte toute mise à disposition accusé de réception le MOA ainsi que toute fourniture préalable, pris connaissance de toutes les installations existantes auxquelles l'ouvrage devra se raccorder ou s'adapter
Le marché à forfait est prévu à l'article 1793 du code civil aux termes duquel lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d''uvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.
En cas de marché à forfait, les travaux supplémentaires relèvent du forfait s'ils sont nécessaires à la réalisation de l'ouvrage (3e Civ., 18 avril 2019, pourvoi n° 18-18.801).
Les travaux non prévus, mais nécessaires à la conformité de la construction aux stipulations contractuelles, ne peuvent pas donner lieu à une augmentation du prix "quelles que soient les surprises rencontrées" (3e Civ., 6 mai 1998, pourvoi n° 96-12.738, Bull. 1998, III, n° 94,). Il en est également ainsi pour les circonstances imprévisibles (3e Civ., 20 novembre 2002, pourvoi n° 00-14.423, Bull. 2002, III, n° 230).
Les travaux supplémentaires non nécessaires ne peuvent être pris en charge par le maître d'ouvrage que dans trois hypothèses : autorisation écrite donnée par le maître d'ouvrage préalablement aux travaux ou acceptation expresse et non équivoque des travaux une fois effectués ou bouleversement de l'économie du contrat (3e Civ., 24 janvier 1990, pourvoi n° 88-13.384, Bulletin 1990 III N° 28 ; 3e Civ., 4 décembre 2002, pourvoi n° 01-11.105 ; 3e Civ., 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-24.830).
- La clause de révision
Selon l'article 2.1 du contrat " clef en main " des 18 et 20 décembre 2007, le Contractant doit construire l'installation de surface du stockage du gaz décrite dans les annexes A0 et A1 et il s'engage à exécuter tous travaux et fournitures non expressément mentionnés au contrat mais dont le professionnel peut déduire à sa lecture et selon les règles de l'art qu'ils sont directement nécessaires à la réalisation de l'ouvrage, à son bon fonctionnement, à son raccordement aux installations existantes, comme si ces travaux et fournitures étaient expressément mentionnés au contrat et leurs éventuels frais et coûts en résultant sont réputés être inclus dans le prix du contrat.
Vingt-cinq annexes étaient comprises dans le contrat.
Aux termes de l'article 2.2 du contrat, le Contractant s'engage également à soumettre au maître d'ouvrage des projets de révision des annexes :
" Dans un délai de deux mois suivant la date de commencement, le contractant soumettra au maître d'ouvrage des projets de révision de l'annexe suivante : A-- Annexe 1A1-partie DTP uniquement ;
pour prendre en compte le résultat des discussions d'alignement en précisant, pour chacune des modifications apportées la ou les références figurant dans les comptes-rendus contradictoires d'alignement et/ou l'Addendum-Corrigendum diffusés dans le cadre du projet et/ou fiches de clarifications échangées entre les deux parties ayant servi de base à la modification. Après approbation du maître de l'ouvrage en chaque partie du DTP-Annexe A1 ainsi modifié acquerra valeur contractuelle et se substituera à la version de l'Annexe figurant à l'article 2.2.
Les autres annexes subiront le même mode de révision, pris en charge par le maître de l'ouvrage.
Aucun délai supplémentaire, aucune modification du délai contractuel, ni aucune modification du prix du contrat, ne pourront être demandés de ce fait. "
Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Entrepose, les spécifications connues à la date de signature du contrat notamment à la suite des échanges dans le cadre de la phase de consultation préalable à la signature du contrat et engagée bien avant, devaient faire l'objet de révision.
Elles ne démontrent pas que cette obligation de révision contractuelle sous le contrôle du maître de l'ouvrage a modifié le caractère forfaitaire du marché.
- Les conditions imprévues
Aux termes de l'article 27 du contrat, si pendant l'exécution de celui-ci le Contractant rencontre sur le site des conditions physiques (autres que climatiques) ou des obstacles artificiels autre que grèves ou un changement de conjecture économique présentant un caractère imprévisible et exceptionnel entraînant un bouleversement général de l'économie du contrat, il doit en aviser sans délai le maître de l'ouvrage par une notification écrite à cet effet, avant d'exécuter n'importe quels travaux ou utiliser des matériels et équipement ou des équipements supplémentaires ou prendre toute mesure nécessaires.
L'article 27 prévoit également que si les conditions imprévues sont avérées, le MOA doit, soit donner au contractant un ordre de modification, soit résilier le contrat en totalité ou en partie.
L'annexe L, signée les 6 et 7 juin 2006 dans le cadre de la phase de négociation définit les règles que le Contractant devait appliquer en matière d'approvisionnement de matériel.
Cette annexe inclut une liste des entreprises autorisées par le MOA à fournir des matériels et des équipements pour la construction de l'ouvrage.
L'entreprise ne pouvait pas y déroger en ce qui concerne les fournisseurs de matériels qualifiés mais pouvait à titre exceptionnel et sur justification, le faire en ce qui concerne les matériels préconisés.
Le 30 juin 2008, la société Entrepose Contracting a formulé une demande au MOA concernant la passation de la commande du Groupe TEG (unité de déshydratation) à la société EMS, au motif que sur les trois fournisseurs qualifiés par GdF, deux avaient proposé un devis dont l'un ne correspondait pas aux spécifications techniques.
Estimant que négocier avec un seul fournisseur qui avait augmenté son prix de 57 % revêtait un caractère imprévisible et exceptionnel et entraînait un bouleversement de l'économie générale du contrat, la société Entrepose Contracting a demandé l'application de l'article 27 du contrat.
M. [D] a estimé ce surcoût à la somme de 1 036 958,50 euros et M. [S] à celle de 1 009 504 euros.
Dans une réponse globale du 21 octobre 2020, la société Storengy a contesté toute responsabilité quant à l'impossibilité de mettre en concurrence plusieurs fournisseurs et sous-traitants et quant au fait que certains sous-traitants ne disposeraient pas d'une maîtrise minimale des standards et spécifications générales du MOA.
Le caractère imprévisible de l'augmentation n'est pas établi par les sociétés Entrepose puisque, lors de la phase de consultation, par un appendice 1 de l'annexe F du 4 juin 2006, signé par les parties, elles avaient établi une estimation pour la régénération du TEG incluant la fourniture de l'aéroréfrigérant pour une somme de 2 380 210 euros et elles avaient également obtenu de la société EMS, une offre répondant aux critères pour 1 588 850 euros.
Ainsi que le constate M. [D], la société Entrepose Contracting a signé le contrat en intégrant l'offre expirée de la société EMS sans s'assurer d'une actualisation du prix.
Elle ne peut donc revendiquer l'imprévisibilité et doit supporter la charge du surcoût.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qui concerne la condamnation de la société Storengy à payer la somme de 1 009 504 euros au titre du surcoût lié à l'aéroréfrigérant.
- Les modifications
Aux termes de l'article 29 du contrat, seul le MOA peut demander à tout moment une modification, par ajout, suppression, substitution et autre changement aux dispositions du contrat et toute modification réalisée par le Contractant qui n'aurait pas fait l'objet d'un ordre de modification, l'est aux coût et risques du contractant.
L'article 29.2. ne précise pas les modalités de réponse du MOA.
Selon l'article 29.5 du contrat, le Contractant propose au MOA toute modification qu'il estime nécessaire ou souhaitable pour améliorer la qualité, les performances ou la sécurité ayant trait à la réalisation de l'ouvrage et le MOA peut à sa discrétion, approuver ou rejeter toute modification proposée par le Contractant.
Le contrat prévoit au chapitre 29.5, les modifications en cas d'élément nouveau soumises à des vérifications préalables du Contractant qui doit également démontrer en quoi cet évènement a pour seule et unique origine un manquement du MOA à ses obligations et ne pouvait en aucun cas être prévu par un professionnel avisé, et impacte réellement le périmètre des obligations contractuelles du contractant, le prix du contrat et/ou le chemin critique du calendrier d'exécution.
La modification de la limite inférieure d'explosivité (LIE)
Selon le compte-rendu de la réunion des 21 et 22 juillet 2008, la société GdF a indiqué que les distances LIE à respecter pour l'implantation du groupe électrogène et des compresseurs d'air est de 27 mètres en aérien et 20 mètres en fosse et que le plan d'implantation sera révisé en conséquence.
Il est également mentionné que la société Entrepose Contracting " étudiera la protection adéquate (mur anti feu ') " et vérifiera le plan d'implantation en conséquence.
Ces points sont repris sans commentaire particulier dans la colonne dédiée du rapport mensuel de juillet 2008 de la société Entrepose Contracting (tableau d'action).
La question des LIE n'est pas spécifiquement reprise dans la demande de modification de la société Entrepose Contracting du 23 avril 2010, ni dans celle du 12 mai 2010 qui concerne les fournisseurs.
Elle apparaît dans la demande de modification du 2 juillet 2010 dans laquelle la société Entrepose Contracting se plaint de l'exiguïté du site laquelle est couplée à l'application des contraintes techniques du contrat qui ont augmenté la complexité de l'ouvrage.
Elle fait valoir que la contrainte d'une zone de station réduite s'est également accentuée avec les distances LIE communiquées et/ou clarifiées par le MOA en cours de réalisation qui constitue un des changements ayant pour conséquence de réduire la superficie de la zone et de causer un encombrement encore plus important de la station.
La société Entrepose Consulting poursuit en indiquant que la modification de ces données a conduit à réorganiser l'implantation des équipements et à augmenter la complexité de l'ouvrage.
Elle estime que l'étroitesse du site est devenue une condition très contraignante et onéreuse à l'application des dispositions du dossier technique et que la situation avait été occultée dans le DT initial et aggravée par les directives et/ou clarifications du MOA en cours de réalisation.
Le MOA a répondu officiellement, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 octobre 2010, en indiquant que l'exiguïté du site était connue avant la signature du contrat par la société Entrepose Contracting.
M. [D] a indiqué que la modification des LIE résulte d'une modification de la règlementation concernant ce type d'installation et que le volume des modifications suite à cette demande était mineur.
En conséquence, l'augmentation des prestations de la société Entrepose Contracting relative à la modification des LIE est liée à des travaux de conformité qui ne peut pas donner lieu à une augmentation du prix.
La société Storengy n'est donc pas redevable de la somme de de 950 000 euros correspondant à la modification des limites inférieures d'explosivité (LIE) aux sociétés Entrepose.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
La modification des cuves de stockage
Dans sa demande de modification du 23 avril 2010, la société Entreprise Contracting fait valoir que la diminution du volume des cuves enterrées a été demandée par le MOA pour que la marge entre le volume équivalent calculé et la limite de 10m3 soit plus importante.
Elle estime que cette demande a nécessité de réviser les notes de calcul et les fiches techniques des cuves.
M. [D] indique que c'est la société Entrepose Contracting qui a décidé en tant que concepteur de l'installation d'ajouter des cuves de stockages et de modifier certains volumes de cuves, sans doute pour se rapprocher des fabrications standardisées.
Le plan originaire comprenait 12 cuves au lieu des 17 installées.
M. [S] indique que les modifications concernant les cuves de stockage de produits inflammables résultent d'un nouvel arrêté préfectoral du 18 avril 2008 concernant les réservoirs liquides enterrés inflammables.
Il mentionne également un message électronique de la société Storengy qui propose une option à son contractant : " au choix d'Entrepose ou non de conserver la cuve initialement dimensionnée en faisant simplement évoluer les seuils des niveaux hauts et très bas ".
En conséquence, les prestations de la société Entrepose Contracting relatives aux conséquences de l'arrêté du 18 avril 2008 concernant les réservoirs enterrés de liquides inflammables et à leurs équipements annexes soumis à autorisation ou à déclaration au titre de la rubrique 1432 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, sont liées à des travaux de conformité qui ne peuvent pas donner lieu à une augmentation du prix.
La société Storengy n'est donc pas redevable de la somme de 522 500 euros correspondant à la modification des cuves de stockage, aux sociétés Entrepose.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Le fournisseur accrédité de vannes
Le 12 mai 2010, la société Entrepose Contracting a fait une demande de modification pour non-respect des conditions de sous-traitance et achats concernant, notamment, la société Vannes au motif que les spécifications étant en français, de nombreux fournisseurs qualifiés ont imposé de passer par leurs agents ou représentants en France qui ont répondu favorablement sans transmettre les points essentiels des commandes comme par exemple les spécifications particulières. Elle a ainsi fait valoir que ce fait est imputable au processus de qualification des fournisseurs.
Les appréciations de M. [S] sur ce point ne sont pas techniques et celles de M. [D] ne sont pas utiles.
L'annexe L a été signée les 6 et 7 juin 2006 dans le cadre de la phase de négociation. Elle indique que la liste des fournisseurs peut évoluer avant et après la signature du contrat en cas de qualification de nouveaux fournisseurs ou de la suspension de la qualification de fournisseur et qu'il appartient au Contractant de s'assurer des performances du matériel en matière de disponibilité de fiabilité et de maintenabilité.
Le Contractant dispose également de la possibilité de proposer des ajouts à cette liste.
En application du contrat, il relève des obligations du Contractant de gérer la question des fournisseurs et la réponse technique adapté aux spécifications de l'ouvrage sans que ces prestations puissent faire l'objet d'une requête en modification au sens de l'article 29.2 du contrat.
En conséquence, la société Storengy n'est pas redevable aux intimées de la somme de 159 993 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Les autres modifications
L'expert judiciaire, M. [D], a retenu l'absence de contraintes physiques ou techniques postérieures à la signature du contrat s'agissant :
- des rayons de giration des véhicules sur le site, la réponse apportée par la société Storengy à la question figurant dans la fiche question du 28 mars 2008 ne pouvant pas être considérée comme une modification ;
- de la modification des P&ID et UID et du DTP révisé qui constitue seulement une mise à jour ;
- de l'ajout de nouveaux ouvrages et équipements sur les lignes de tuyauteries et du raccordement de l'ensemble des fosses à vannes et des chambres de tirage au réseau d'eaux pluviales qui ne constituent pas des modifications mais qui sont les résultantes des plans de détails à la charge des sociétés Entrepose.
S'agissant des standards de programmation des automates, les sociétés Entrepose n'apportent aucun élément nouveau pour démontrer que la spécification fonctionnelle du 17 avril 2008 constitue une modification et non un ajustement contractuel conforme à la clause de révision. En effet, la révision n°1 définit les fonctions à réaliser par le contrôle commande pour la gestion des organes et concerne à la fois la partie automatisme et la partie pilotage des organes.
De plus, le retard subi par les sociétés Entrepose dans les études d'instrumentation et d'automatismes est dû à leur sous-traitance à la société Actimium qui a rencontré des retards par rapport à la livraison d'un autre sous-traitant.
S'agissant de la spécification relative à la température minimale de la station, elle était définie contractuellement à -25 ° et la mise en place d'une chaîne de sécurité par les sociétés Entrepose pour la faire fonctionner à cette température ne constitue pas des travaux supplémentaires.
S'agissant de l'ODM n° 4 relatif au déplacement des cuves enterrées chiffré par les société Entrepose à 113 163,47 euros, il convient d'entériner l'avis de l'expert, M. [D], qui a estimé qu'il s'agissait d'une initiative du Contractant dans cadre de ses études de conception et il n'a pas été accepté par le MOA.
S'agissant de la demande de surcoût pour mise en place d'une équipe de personnels critique durant les 74 jours d'intempéries, cette demande sera également rejetée dès lors que cette mobilisation de personnels résulte des obligations du Contractant et qu'elle est en lien avec la bonne exécution du marché à forfait.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
- Les ingérences du MOA
L'immixtion du maître d'ouvrage notoirement compétent et l'acceptation consciente du risque par ce dernier sont susceptibles d'exonérer, au moins partiellement, l'entrepreneur de toute responsabilité.
Pour être retenue, l'immixtion du maître de l'ouvrage, dont la preuve incombe aux constructeurs, suppose une compétence notoire en matière de technique de construction et de bâtiment (3e Civ., 6 mars 2002, pourvoi n° 99-18.016, 00-10.358, 99-19.646, 3e Civ., 6 mai 2008, pourvoi n° 07-13.685, 3e Civ., 14 novembre 2001, pourvoi n° 99-13.638) et des actes positifs d'ingérence, les deux conditions étant cumulatives (3e Civ., 30 mars 1989, pourvoi n° 88-10.145, Bulletin 1989 III N° 75, 3e Civ., 6 mai 2008, pourvoi n° 07-13.685, 3e Civ., 24 mai 2011, pourvoi n° 10-14.801, 3e Civ., 4 mars 2014, pourvoi n° 13-10.617).
Les sociétés Entrepose n'apportent aucun élément nouveau de nature à considérer que les actes qu'elles reprochent au MOA sont constitutifs d'une ingérence de sa part, sont contraires aux stipulations contractuelles ou portent atteinte à l'économie générale du contrat, puisque s'agissant :
- de la suspension des études sur le système d'odorisation : il s'agit d'une demande de suspension d'étude de la part de Storengy qui est intervenue avant le démarrage programmé de l'étude dédiée et qui n'a pas eu d'impact sur le retard déjà pris dans les autres études ;
- de la modification des spécifications des matériels qualifiés et du recours à des sous-traitants agrées ou préconisés et du surcoût pouvant en découler : ces contraintes étaient contractuellement prévues et acceptées par le Contractant ;
- des 162 demandes d'intervention du MOA : elles n'ont pas d'incidence majeure et beaucoup constituent des demandes formalistes de transmission, d'information et ne sortent pas du cadre contractuel obligeant le Contractant à faciliter le rôle de surveillance du MOA tel que défini au 4.2 du marché ;
- des 300 fiches évènements dont les sociétés Entrepose estiment que 25 % d'entre elles n'étaient pas justifiées techniquement ni motivées par le MOA : l'initiative formaliste du MOA dans l'exercice de son pouvoir de surveillance ne revêt pas de caractère abusif de nature à bouleverser l'économie générale du marché et doit être considérée comme une modalité de facilitation de son pouvoir de surveillance contractuellement défini et accepté par les sociétés Entrepose ;
- de l'absence d'émission de fiches de modifications par le MOA : cette affirmation des sociétés Entrepose est inexacte puis qu'il découle du rapport mensuel de novembre 2010, que la société Storengy avait émis 32 fiches de modifications, de natures très diverses mais sans impact majeur sur l'économie générale du contrat et dans lesquelles est inclus l'ODM n° 1 concernant le compresseur ;
- la nomination d'un conducteur de travaux en février 2008 : le compte-rendu du 6 février 2008, mentionne le changement du nom du conducteur de travaux de la société Storengy dont la fonction consistait à assurer le démantèlement du site préalablement aux travaux confiés aux sociétés Entrepose, puisque celui-ci contenait notamment une construction ;
- l'équipe de supervision assume in situ le pouvoir de surveillance du MOA contractuellement définie dans le cadre d'une installation industrielle complexe et le contrat imposait d'ailleurs au Contractant la fourniture de bureaux sur site ;
- la demande d'application de l'enchaînement électrique des moteurs à vitesse variable de puissance inférieure à 1MW de la société Storengy a été abandonnée sur explication des sociétés Entrepose qui ont seulement satisfait dans ces conditions à leur devoir contractuel de conseil sans qu'elles soient fondées à demander des heures supplémentaires d'études sur le sujet ;
- la demande d'application de la norme NF-X-44052 sur les rejets de poussière pour l'unité de déshydratation-régénération de TEG ne constitue pas une ingérence dès lors que l'expert M. [D] a relevé que le Contractant n'avait, en fait, appliqué aucune norme. Ce choix technique relevé par l'expert est contraire à la réglementation applicable et à l'obligation de soins à la charge du Contractant dans l'exécution de ses obligations contractuelles. La mise en conformité du MOA ne peut pas être considérée comme une modification ou considérée comme un acte d'ingérence fautif ;
- le retardement de la phase d'achèvement mécanique n'est pas imputable au MOA : l'expert judiciaire, M. [D], a retenu que le Contractant avait envoyé des notifications pour effectuer des visites contradictoires alors que les sous-systèmes n'étaient pas terminés et sans les DPE. Il n'est pas démontré que le classement des non-conformités effectué par le MOA, qui a pu être discuté, est fautif dès lors qu'il s'inscrit dans le cadre des échanges nécessaires à la réalisation de l'ouvrage.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
- Le refus d'appliquer l'article 18.5 du contrat relatif aux inspections et recette du MOA
Les sociétés Entrepose ont réclamé le 8 avril 2010 une demande de modification au titre de la fiche d'observation IQE n° 090297 car, à la suite d'une inspection, la société Storengy a demandé une vérification de soudure à la suite d'une relecture de radiogrammes par sondage, ayant relevé une sous-épaisseur.
La vérification demandée a abouti à une déclaration de conformité par l'Institut de soudure et M. [U], de la société Storengy, a soldé cette fiche le 23 novembre 2009 au vu des actions mises en place et de leurs résultats.
En application des stipulations contractuelles de l'article 18.5, le coût de cette vérification imposée au Contractant doit être remboursée aux sociétés Entrepose à hauteur de leur réclamation, soit 228 947,18 euros.
Le jugement sera infirmé à ce titre et la société Storengy sera condamnée à leur payer cette somme.
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Au total, il n'y a donc pas lieu de constater le bouleversement de l'économie générale du contrat et de requalifier le marché à forfait.
Il n'y a pas lieu de constater l'immixtion fautive du MOA dans l'exécution du marché susceptible d'engager sa responsabilité et de justifier le paiement de prestations supplémentaires au marché.
Les sociétés Entrepose ne justifient pas que les prestations effectuées n'étaient pas nécessaires à la bonne exécution du marché, elles sont donc déboutées de leurs demandes en paiement à ce titre.
Dans les termes du dispositif, concernant les demandes indemnitaires des sociétés Entrepose, le jugement du tribunal de commerce sera infirmé :
- en qu'il a condamné la société Storengy à payer certaines indemnités à hauteur de 2 641 997 euros,
- en qu'il déboute les sociétés Entrepose de leur demande indemnitaire en remboursement des coûts de vérification et d'inspection au titre de l'article 18.5 du contrat.
Il sera confirmé en ce qu'il déboute les sociétés Entrepose de leurs autres demandes indemnitaires
Sur les pénalités de retard
Moyens des parties
La société Storengy soutient que M. [S], sur le rapport duquel s'appuie le jugement critiqué pour la condamner à payer aux sociétés Entrepose la somme de 2 861 633, 60 euros, n'a pas reçu de mission complémentaire concernant les pénalités de retard.
Elle fait valoir qu'elle n'avait pas à mettre à jour les dates indicatives figurant à l'annexe D du contrat et qu'elle a répondu aux demandes de modifications des sociétés Entrepose d'avril et juillet 2010, les 2 août, 21 octobre, 31 mai 2011, 1er février et 24 août 2012.
Elle soutient qu'il n'y a pas à rajouter 16 jours calendaires entre la date de signature du contrat par le maître d'ouvrage le 20 décembre 2007 et la date de signature du contrat par Entrepose, le 18 décembre 2007, aucune demande n'ayant d'ailleurs été formulée à ce titre avant février 2008.
Le planning annexé prévoyait des dates fixes et notamment celle du 1er mars 2010 que les sociétés Entrepose n'ont pas contestée à la date de signature, comme le souligne l'expert judiciaire M. [D].
S'agissant de l'unité d'odorisation, la société Storengy fait valoir qu'elle a réclamé une suspension des études d'odorisation du gaz en vue d'améliorer le système qui a duré 30 jours, du 14 juin au 15 juillet 2008, ladite modification ayant été abandonnée. Elle soutient qu'aucune prolongation de délai ne peut être réclamée par les sociétés Entrepose au titre de cette phase de suspension puisque le calendrier des études en fixait le démarrage au 1er août 2008.
S'agissant de la demande de prolongation de 15 jours calendaires au titre de l'émission de l'ODM n° 1, la société Storengy soutient que l'électrocompresseur a été livré dans le délai et que les sociétés Entrepose n'ont subi aucun retard.
Elle fait valoir que le contractant n'a jamais présenté d'analyse de retards selon la forme usuelle.
Elle conteste la demande de prolongation de 1 170 jours, ramenée à 409 jours de retard, sur l'achèvement de la station.
Elle soutient que ces retards ne lui sont pas imputables mais relèvent de graves carences des sous-traitants et notamment de la société Eras.
Elle fait valoir que la seule prolongation admissible est celle de 74 jours due aux intempéries et qui a donné lieu à deux ODM qu'elle a pris en compte.
Elle fait valoir 188 jours de retard pénalisable au titre du jalon applicable pour le procès-verbal " prêt pour la mise en route " (PVMer).
Les sociétés Entrepose, qui argumentent sur les délais de prolongation, ne formulent pas de demandes de condamnation de la société Storengy au titre des pénalités de retard dans le dispositif de leurs écritures.
Elles soutiennent que les prolongations de délais contractuels sont imputables à la société Storengy dans toutes les phases d'exécution du contrat et l'exonère de la totalité des pénalités de retard.
Elles revendiquent les modifications et les travaux supplémentaires réclamés parfois sans respect de la procédure contractuelle par la société Storengy, son immixtion constante et permanente dans toutes les phases du projet, la violation de ses obligations contractuelles pour justifier du retard dans l'exécution du contrat.
Elles font valoir sa carence dans la mise à jour des annexes contractuelles conformément à la clause de révision figurant au contrat, son retard dans la délivrance de l'autorisation préfectorale pour les travaux de la gare à piston et de la canalisation de transport le 1er avril 2009 laquelle n'a finalement été adressée que le 5 juin ce qui équivaut à un retard calendaire de 65 jours des délais du planning de l'annexe D.
Elles revendiquent encore le retard dans l'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement et celui dans la nomination d'un bureau de contrôle.
Elles font également valoir que l'inexécution de la société Storengy dans la phase construction est à l'origine d'une prolongation de 21 jours concernant la procédure de conformité de l'assemblage NG 15-105-3 suite à la fiche d'observation IQE n°90297.
Elles réclament également un surcoût de 375 804 euros au titre de la mobilisation des équipes pendant les 74 jours d'intempéries conformément à l'article 13.5 du contrat relatif au personnel clé ou critique.
Réponse de la cour
Selon l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce en considération de la date du contrat, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et elles doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes de l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce en considération de la date du contrat, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Selon l'article 13.5 du contrat, le personnel clé ou critique ne peut pas être remplacé sans le consentement du MOA.
Selon l'article 31 du contrat relatif à la prolongation des délais soumis à pénalités, les seuls évènements qui peuvent donner lieu à un report des jalons de délai soumis à pénalité sont les évènements de force majeure, les modification de l'ouvrage ayant une incidence sur ces délais, la suspension du contrat, l'inexécution par le maître d'ouvrage d'une obligation mentionnée à l'article 5 du contrat qui ne résulte pas d'un manquement du contactant ; toute intervention d'entreprise missionnée par le maître d'ouvrage non prévue dans le contrat.
En cas d'intempéries au sens des dispositions législatives et réglementaires en vigueur entraînant un arrêt de travail supérieur à huit jours sur les chantiers, les délais d'exécution sont prolongés pour un nombre égal de jours pendant lesquels le travail a été arrêté.
Toute demande de report de délai soumis à pénalités doit être dûment documenté par le Contractant, notamment par la comparaison des plannings d'exécution avant et après l'événement initiateur.
Selon l'article 21.2 du contrat, le retard pris par le Contractant dans la réalisation de l'ouvrage et à la préparation à la mise en route de celui-ci conduisant à retarder la date contractuelle de réalisation de l'ouvrage " Prêt pour la mise en route " (PMer) conduira à l'application d'une pénalité de retard égale à 1 % du prix du contrat par semaine de retard.
Le montant cumulé des pénalités de retard ne saurait en aucun cas excéder le montant maximum de 8 % du prix du contrat.
La date effective de prise en charge est la date mentionnée dans le PVMer conformément à l'article 20.2.4.1.
Selon l'article 20.2.4.1 du contrat, le Contractant entreprend la préparation à la mise en route de l'ouvrage détaillée dans l'annexe J5 précitée, immédiatement après l'établissement par le maître d'ouvrage du procès-verbal d'achèvement mécanique.
En l'espèce, selon le planning de l'ouvrage, annexe D du contrat, seul le dépassement de deux dates était pénalisable :
- la date d'obtention du PVMer fixée au 1er mars 2010,
- la date d'obtention des certificats validés " prêt pour opération " des systèmes du morceau d'ouvrage n° 2 autres que le système gaz procédé.
Selon l'expert judiciaire, M. [D], le PVMer du morceau d'ouvrage n° 1 a été validé le 18 novembre 2010 et celui du morceau d'ouvrage n° 2, le 28 avril 2011.
L'annexe D du contrat ne fait pas de distinction entre les morceaux d'ouvrage concernant le PVMer ; le retard pénalisable effectif a débuté le 14 mai 2010 pour se terminer le 28 avril 2011, soit 350 jours.
La société Storengy a fait application de l'article 21.2, alinéa 3, du contrat, dans sa lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 8 décembre 2010, en revendiquant les pénalités de retard à hauteur du plafond de 8 %, soit 2 861 633, 60 euros.
Les sociétés Entrepose font valoir que :
- la date effective de prise en charge prévue au contrat ne peut pas être celle de l'annexe J5 dès lors que celle-ci devait être révisée conformément aux stipulations contractuelles ;
La cour retient que, s'agissant de la clause de révision des annexes, le contrat prévoit qu'aucun délai supplémentaire, aucune modification du délai contractuel, ni aucune modification du prix du contrat ne peut être demandée par le Contractant de ce fait ;
- la date de délivrance de l'autorisation préfectorale pour les travaux de la gare à piston de la canalisation de transport prévue au 1er avril 2009 a été prorogée au 5 juin 2009 et la société Sorengy a transmis une fiche de modification n° 12 afin que les sociétés Entrepose la renseignent pour définir les impacts contractuels éventuels issus de ce retard.
La cour retient que les sociétés Entrepose ne prouvent pas qu'elles ont complété cette fiche de modification, laquelle aurait permis un ordre de modification par le maître d'ouvrage, conformément aux dispositions de l'article 29 du contrat ;
- la date d'obtention de l'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement n'a été obtenue que le 26 mai 2010 et aucune mise en gaz ne pouvait intervenir avant cette autorisation.
La cour retient que cette obligation propre au maître d'ouvrage n'a pas d'effet sur les termes du contrat et les dates du planning à l'égard du Contractant ;
- le retard dans la nomination du bureau de contrôle dont la société Storengy avait la charge en application de l'article 8-Construction de l'annexe A0 a entraîné un retard de 85 jours que les sociétés Entrepose limitent à 21 jours.
La cour retient que les sociétés Entrepose n'établissent pas l'existence d'une date limite de nomination à la charge du maître d'ouvrage auprès de Storengy à ce titre, ni que cette absence a causé un retard dans l'exécution de leurs obligations.
Elle retient encore que le rapport mensuel du mois de juillet 2008 ne mentionne pas ce point dans les observations concernant la construction ;
- le retard dû à la société Storengy qui a déclaré non-conforme un matériel qui s'est révélé conforme et a imposé un retard de 21 jours dans les épreuves hydrauliques des tuyauteries.
La cour retient que la société Entrepose Contracting a bien émis une fiche de modification relative à la mise en 'uvre du plan action de la fiche d'observation n° 90297 qui n'a relevé aucune non-conformité, estimant que l'impact sur le planning a décalé l'activité de trois semaines ; cette activité étant critique par rapport au PVMer.
La société Storengy n'établit pas avoir donné une suite à cette fiche de modification conformément aux stipulations contractuelles de l'article 29.5.
Il est donc retenu une prolongation de délai de 21 jours au profit des sociétés Entrepose sans que cette prolongation de délai puisse être couplée avec une indemnisation, dès lors qu'il ne s'agit pas de travaux nécessaires à la bonne exécution du contrat ;
- la modification réclamée puis abandonnée par la société Storengy intervenue avant le début des études du système a provoqué une demande de prolongation du délai contractuel de 30 jours car cette demande a eu pour effet de réorganiser l'ordonnancement des études.
La cour retient que l'expert judiciaire M. [D] a critiqué cette demande de la société Storengy néanmoins comme il l'a relevé, cette suspension faite avant le démarrage programmé des études sur le sujet n'a pas aggravé le retard déjà pris.
Il n'y a donc pas lieu à prolonger le délai de 30 jours calendaires.
- la modification des LIE demandée par le MOA, qui ne peut donner lieu à une modification du prix ainsi que précisé supra, a, selon l'expert M. [S], causé des contraintes supplémentaires susceptibles d'être prises en compte en temps d'étude et de la refonte des plans et a imposé un retard de planning de 73 jours calendaires.
Néanmoins, la cour relève que celui-ci retient encore, que les écritures des parties ne font pas ressortir l'impact en heure lié à ce sujet et qu'il y avait beaucoup d'autres incertitudes dans la même période qui empêchaient de figer l'installation dans son ensemble.
De son côté, M. [D] retient que l'ajustement des LIE concernait seulement les tuyauteries aériennes au niveau de l'autoréfrigérant et que le volume des modifications est donc mineur.
Il n'y a donc pas lieu à prolonger le délai de 73 jours calendaires.
- la modification des volumes des cuves de stockage demandée par le MOA qui ne peut donner lieu à une modification du prix ainsi que précisé supra, a, selon l'expert judiciaire M. [S], imposé un retard de planning de 66 jours calendaires qui s'intègre dans le retard global de 240 jours du plan d'implantation général. Il précise que l'incidence de l'évènement lié au retard dans la commande des cuves se trouve entièrement masqué par le retard dans la validation du plan d'implantation générale qui le préside.
Il n'est donc pas possible de retenir la prolongation du délai à hauteur de 66 jours.
La prolongation de 21 jours du délai au profit du Contractant ne modifie pas le calcul des pénalités de retard plafonné à 8 % du prix HT du marché soit 2 861 633,60 euros effectué par la société Storengy.
Le jugement sera infirmé du chef de la condamnation de la société Storengy à rembourser les pénalités de retard à hauteur de cette somme.
Sur les demandes de confirmation de la société Storengy au titre des ODM 18 et 40
Moyen des parties
La société Storengy a sollicité du tribunal de commerce qu'il lui donne acte de son acceptation des conclusions de l'expert sur le paiement de l'ODM n° 40 relatif à la modification du prix de l'acier, la déduction de l'ODM n° 18 et du fait qu'elle avait procédé au règlement de l'ODM n° 40 de 28 450 euros par courrier officiel du 28 mai 2019.
Elle sollicite le paiement de l'ODM n° 18 de 7 076 euros.
Les sociétés Entrepose font valoir que, par son jugement, le tribunal de commerce a fait sienne les positions de l'expert judiciaire M. [D] et a donné acte à la société Storengy du paiement qu'elle avait effectué en date du 28 mai 2019 de 28 450 euros au titre de l'ODM n° 40 et a rejeté leur réclamation au titre de cet ODM n° 40.
Elles demandent à la cour d'infirmer ce jugement s'agissant du montant alloué au titre de l'ODM n° 40 et, jugeant à nouveau, de faire droit à leur réclamation et de condamner la société Storengy à leur payer la somme de 957 791,79 euros, dont il conviendra de déduire le montant de 28 450 euros.
Elles s'appuient notamment sur le rapport de M. [J] du 4 mai 2018.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 27 du contrat, au titre des conditions imprévues, est envisagée une modification, à la hausse ou à la baisse, des cours du cuivre et de l'acier dans des proportions telles que l'une des parties estime qu'il est nécessaire de revoir le prix du contrat et en pareil cas, les parties doivent se réunir pour déterminer un nouveau prix à des conditions définies.
Concernant l'ODM n° 40, la décomposition du prix sollicité par équipement et matériel est indiquée dans le dire des sociétés Entrepose à l'expert judiciaire M. [D] du 22 décembre 2017.
Les sociétés Entrepose précisent que les prix indiqués dans cette décomposition sont les prix du contrat qui figurent à l'annexe F.
Concernant l'ODM n° 18, selon l'expertise de M. [D], il s'agit d'une moins-value de départs électriques pour 7 076 euros.
Dans le cadre de leur appel incident, les sociétés Entrepose ne fournissent aucun élément nouveau permettant à la cour de valider leur calcul au détriment de l'estimation de l'expert judiciaire, M. [D], d'une variation à la hausse du prix de l'acier à hauteur de 28 450 euros sur la durée d'exécution du contrat par le Contractant ni d'une contestation de la moins-value pour les travaux sur départs électriques réalisées par le MOA.
Le jugement n'a pas repris dans son dispositif le donner acte du paiement par la société Storengy de l'ODM n° 40 de 21 374 euros après déduction de l'ODM 18 après avoir sienne les positions techniques de M. [D].
Il sera statué à nouveau et ajouté de ce chef.
Sur les demandes de condamnation pour procédure abusive
Les parties forment chacune une demande de condamnation estimant que la procédure engagée par l'autre est abusive :
- pour les sociétés Entrepose, en ce que la société Storengy a exécuté le contrat de mauvaise foi souhaitant conserver la maîtrise d''uvre et apportant des modifications continues lors de l'exécution sans respecter les dispositions relatives aux modifications, faisant perdre au marché son caractère forfaitaire ;
- pour la société Storengy, les sociétés Entrepose ont agi en justice à son encontre de façon abusive s'agissant d'entreprises spécialisées dans le domaine et filiales d'un groupe de taille mondiale et qui ont réalisé l'un des plus petits sites qu'elle exploite.
En l'absence de circonstances particulières rendant fautif l'exercice de l'action initiale des sociétés Entrepose et de l'appel de la société Storengy, aucune condamnation ne sera ordonnée à ce titre.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement sur la condamnation de la société Storengy aux dépens incluant les frais des expertises judiciaires et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting, parties succombantes à l'exception de deux demandes, seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Storengy la somme de 50 000 euros, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevables les demandes présentées à l'encontre des sociétés Gtie-Infi et Geostock ;
Infirme le jugement en ses dispositions condamnant la société Storengy à payer aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting la somme de 2 641 997 euros au titre de leurs demandes indemnitaires relatives à l'aérofrigérant, la modification des limites inférieures d'explosivité (LIE) et des cuves de stockage, le paiement du fournisseur accrédité de vannes ;
Infirme le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de leur demande indemnitaire concernant le remboursement des coûts et dépenses relatives à la vérification des soudures de tuyauteries suite à la fiche d'observation IQE n° 90297 ;
Infirme le jugement en ses dispositions condamnant la société Storengy à rembourser aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting la somme de 2 861 633,60 euros retenue au titre des pénalités de retard ;
Infirme le jugement en ses dispositions condamnant la société Storengy à payer les dépens et aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting, la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le confirme pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de leur demande en requalification du marché à forfait en marché d'entreprise ;
Déboute les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de leur demande en paiement de la somme de 957 791,79 euros au titre de l'ODM n° 40 ;
Donne acte à la société Storengy qu'elle a procédé au paiement de la somme de 28 450 euros aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting au titre de l'ODM n° 40 ;
Condamne les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à payer à la société Storengy la somme de 7 076 euros au titre de la moins-value de l'ODM n° 18 ;
Déboute les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de leurs demandes indemnitaires au titre des surcoûts pour travaux supplémentaires ;
Déboute les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de leur demande en remboursement de la somme de 2 661 633,60 euros hors TVA retenue au titre de pénalités de retard ;
Déboute les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de leurs demandes en prolongation du délai contractuel, à l'exception d'un délai de 21 jours calendaires au titre de l'application de l'article 18.5 du contrat concernant la conformité des tuyauteries suite à la fiche d'observation n° 90297 ;
Condamne la société Storengy à payer aux sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting la somme de 228 947,18 euros HT au titre du remboursement des coûts et dépenses de vérification des soudures des tuyauteries suite à la fiche d'observation n° 90297 ;
Déboute les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting de leur demande de condamnation de la société Storengy à leur payer la somme de 2 000 000 d'euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Déboute la société Storengy de sa demande de condamnation des sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à lui payer la somme de 250 000 euros d'euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Condamne les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting aux dépens de première instance et d'appel ;
Admet les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne les sociétés Entrepose Group et Entrepose Contracting à payer à la société Storengy la somme de 50 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.