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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 2 octobre 2024, n° 23/06363

PARIS

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blanc

Avocats :

Me De Kervenoael, Me Farenc, Me Beydon

TJ Paris, du 23 mars 2023, n° 23/06363

23 mars 2023

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. Par une requête du 22 mars 2023 fondée sur les dispositions de l'article L. 512-52 du code de la consommation, le service national des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF) a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris d'une demande d'autorisation de pratiquer des opérations de visite et de saisie dans les locaux d'une boutique de vente au détail de la société [B] située [Adresse 1] à [Localité 5].

2. Cette requête exposait que les éléments recueillis dans le cadre d'une ouverte le 15 mars 2023 permettaient de suspecter l'existence de pratiques commerciales trompeuses commises par les sociétés du groupe [B] pour induire en erreur ses clients sur l'origine réelle de ses produits, en présentant comme fabriqués en France des éléments de vaisselle importés de l'étranger, et plus particulièrement d'Asie.

3. Par une ordonnance du 23 mars 2023, le juge des libertés et de la détention a autorisé les enquêteurs habilités à procéder à la visite de ces locaux de la société [B] et à la saisie des documents et supports d'information pouvant permettre d'apporter la preuve de l'existence de pratiques commerciales trompeuses ou, au contraire, d'en écarter la qualification.

4. Les opérations autorisées par cette ordonnance se sont déroulées le 28 mars 2023 dans les locaux désignés. Des documents et des données informatiques ont été saisis et mis sous scellés au cours de ces opérations.

5. Le même jour, des opérations de visite et de saisie, autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Limoges du 22 mars 2023, se sont déroulées dans les locaux du siège de la société [B], dans d'autres locaux des sociétés du groupe [B] et dans les locaux d'associations professionnelles du secteur de la porcelaine de Limoges.

6. Par une déclaration du 6 avril 2023, la société [B] a fait appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris du 23 mars 2023. Par une déclaration du même jour, cette société a formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie réalisées dans sa boutique parisienne.

7. Par un avis écrit communiqué le 11 janvier 2024, le ministère public a conclu à la confirmation de l'ordonnance attaquée et au rejet du recours contre les opérations de visite et de saisie.

8. Appelée à une première audience le 17 janvier 2024, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 5 juin 2024.

9. Sur son appel de l'ordonnance du 23 mars 2023, par des conclusions reçues au greffe le 13 mars 2024 faisant suite à un exposé de ses moyens reçu au greffe le 11 août 2023, la société [B] a demandé au premier président de la cour d'appel, au visa de l'article 6, §1, de la Convention européenne des droits de l'homme, des principes de proportionnalité et de nécessité garantis par cette convention et des articles L. 512-52 et suivants du code de la consommation :

- d'annuler l'ordonnance en toutes ses dispositions,

- d'ordonner en conséquence la restitution par destruction de l'ensemble des documents et données saisies lors des opérations réalisées dans les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 5], avec interdiction pour la DGCCRF de les copier ou de les utiliser de quelque manière que ce soit,

- d'ordonner le versement à la société [B] d'une indemnité de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la DGCCRF aux dépens.

10. En réponse sur cet appel, par des conclusions reçues au greffe le 7 mai 2024 faisant suite à ses premières conclusions reçues au greffe le 8 décembre 2023, la DGCCRF a demandé au premier président :

- de débouter l'appelante de toutes ses demandes,

- de confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

- de condamner l'appelante aux dépens.

11. Sur son recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie, par des conclusions reçues au greffe le 13 mars 2024 faisant suite à un exposé de ses moyens reçu au greffe le 11 août 2023, la société [B] demande au premier président, au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 9 du code civil et des articles 512-51 et suivants du code de la consommation :

- à titre principal :

- d'annuler les opérations réalisées le 28 mars 2023 dans les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 5],

- d'annuler en conséquence le procès-verbal de visite et de saisie du 28 mars 2023,

- d'ordonner la restitution par destruction de l'ensemble des documents et données saisis lors de ces opérations, avec interdiction pour la DGCCRF de les copier ou de les utiliser de quelque manière que ce soit,

- à titre subsidiaire :

- d'ordonner la restitution par destruction des documents relatifs à la vie privée, avec interdiction pour la DGCCRF de les copier ou de les utiliser de quelque manière que ce soit,

- d'ordonner la restitution par destruction des documents en dehors du champ de l'enquête, avec interdiction pour la DGCCRF de les copier ou de les utiliser de quelque manière que ce soit,

- en tout état de cause :

- d'ordonner le versement à la société [B] d'une indemnité de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- et de condamner la DGCCRF aux dépens.

12. En réponse sur ce recours, par des conclusions reçues au greffe le 7 mai 2024, faisant suite à ses premières conclusions reçues au greffe le 7 décembre 2023, la DGCCRF demande au premier président :

- de débouter la requérante de toutes ses demandes,

- et de condamner la requérante aux dépens

13. Le 22 mai 2024, l'ensemble des documents saisis dans les locaux de la boutique située [Adresse 1] à [Localité 5] ont été restitués à la société [B]. Le procès-verbal de restitution mentionne « que les pièces restituées [n'étaient] pas gardées en copie par l'administration et qu'elles ne pourr[aient] donc pas servir de fondement à une quelconque poursuite devant quelque juridiction que ce soit à l'encontre de la société [B] ».

14. Lors de l'audience du 5 juin 2024, le ministère public a développé oralement son avis écrit sur l'appel de l'ordonnance en concluant à la confirmation de celle-ci mais a conclu, en revanche, sur le recours formé à l'encontre du déroulement des opérations, à l'annulation de celles-ci.

15. Lors de cette audience, l'avocat de la société [B] et le représentant de la DGCCRF se sont référés aux conclusions visées ci-dessus, sauf pour l'avocat de la société [B] à renoncer à sa demande de restitution des documents et données informatiques saisis, compte tenu de la restitution intervenue le 22 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la jonction

L'intérêt d'une bonne administration de la justice commande de joindre l'instance ouverte sur l'appel formé par la société [B] contre l'ordonnance du 23 mars 2023, enregistrée sous le numéro de répertoire général 23/06363, et l'instance ouverte sur le recours formé par cette société contre le déroulement des opérations de visite et de saisie, enregistrée sous le numéro de répertoire général 23/06369.

Sur l'appel formé contre l'ordonnance du 23 mars 2023

16. Pour autoriser les enquêteurs de la DGCCRF à procéder à la visite des locaux de la boutique de la société [B] située [Adresse 1] à [Localité 5] et à la saisie de documents et supports d'information pouvant permettre d'apporter la preuve de l'existence de pratiques commerciales trompeuses, l'ordonnance retient, pour l'essentiel, que :

- il ressort des investigations réalisées par l'administration que la société [B] affiche l'origine française de ses pièces de vaisselle en les marquant d'une estampille sur laquelle figure notamment la mention « Made in France » et axe toute sa stratégie communicationnelle autour du fait qu'elle fabrique tous ses produits à [Localité 4] dans le respect de savoir-faire traditionnels ;

- il résulte, d'une part, d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2022 que cette société s'est approvisionnée en pièces de vaisselle en porcelaine en Malaisie au minimum entre 2002 et 2013 et, d'autre part, de ses déclarations douanières de 2018 à 2022 qu'elle a importé pour 1 948 564,29 euros de marchandises, dont 803 311,67 euros d'un pays d'Asie de l'Est et dont 54 357 euros de produits pour le service de la table en porcelaine ;

- en outre, la direction générale des douanes et droits indirects (la DGDDI) a recensé plus de 500 000 euros d'introductions de produits réalisées auprès d'un porcelainier allemands, dont plus de 200 000 euros en 2011 ;

- plusieurs éléments recueillis au cours de l'enquête laissent à penser que la société [B] importerait de la vaisselle depuis différents pays du monde et que, pour autant, cette vaisselle importée serait ensuite revendue avec l'estampille « Made in France », laissant croire à une fabrication intégralement faite en France ;

- ces éléments peuvent s'analyser comme un faisceau d'indices permettant de suspecter un délit de pratique commerciale trompeuse au sens des articles L. 121-1 et suivants de la code de la consommation ;

- la mise en 'uvre de telles pratiques est par nature occulte et les documents nécessaires à la preuve des agissements répréhensibles sont vraisemblablement conservés dans des lieux et sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification ;

- le système de traçabilité et la complexité de l'organisation du groupe [B] n'ont pas permis à l'administration, dans le cadre de ses pouvoirs d'enquête ordinaire, de corroborer ses soupçons ;

- dans ce contexte, les opérations de visite et de saisie envisagées sont utiles à l'enquête, constituent le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et sont proportionnées à la gravité de l'atteinte supposée au principe de loyauté des pratiques commerciales.

Moyens des parties

17. Au soutien de sa demande d'annulation de l'ordonnance du 23 mars 2023, la société [B] fait valoir en substance que :

- la requête n'est pas justifiée et le juge n'en a manifestement pas examiné le bien-fondé

- la requête est infondée, faute du moindre indice permettant de présumer l'existence d'une quelconque infraction

- pour autoriser des opérations de visite et de saisie, le juge doit caractériser l'existence de pratiques commerciales trompeuses, ce qui suppose que l'administration justifie d'un faisceau d'indices précis et concordants rendant plausible la commission d'une telle infraction ;

- l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2022, présenté comme un indice d'importations occultes de porcelaine de l'étranger, fait au contraire expressément état de ce que le groupe n'a plus de relations d'affaires avec le producteur en cause depuis près de onze ans et de ce que ces relations n'ont jamais été dissimulées, et ne fait état d'aucun élément concernant les conditions dans lesquelles les produits importés à l'époque étaient commercialisés ;

- le montant total de ses importations ne peut évidemment constituer un indice d'importation de porcelaine de l'étranger, alors que 95 % de ces importations ne concernent pas de tels produits ;

- les déclarations douanières pour les produits de porcelaine correspondent exclusivement à des retours de marchandises du groupe, grevées de malfaçons ou de dégradations ; en tout état de cause, au regard des quantités concernées, ces importations ne constituaient pas un indice d'infraction ; en particulier, les produits pour le service de la table en provenance d'Asie de l'Est représentaient un montant d'importations de 2 500 euros par an, en moyenne ; la DGCCRF ne peut utilement soutenir que la faiblesse de ces montants confirmerait le caractère occulte des importations que les autres éléments de l'enquête lui laissaient suspecter ;

- les volumes communiqués par la DGDDI sont dérisoires et il ne s'agit pas de flux d'affaires dissimulés ; le groupe n'a jamais fait mystère de ce que, ponctuellement, une infime partie des étapes de la production a pu, pour une infime partie de la production du groupe et pour répondre à des besoins ponctuels, être réalisée à l'étranger, comme le montre la déclaration de M. [K] [B] figurant dans l'annexe 49 à la requête, produite par la DGCCRF elle-même ;

- faute de les avoir mentionnées dans son ordonnance, le juge des libertés et de la détention a vraisemblablement considéré, à juste titre, que les déclarations « anonymes » produites au soutien de la requête étaient dénuées de valeur probante, pas plus qu'il n'a accordé de crédit aux développements de la requête concernant la prétendue absence de traçabilité des produits du groupe ou l'importation de décalcomanies vitrifiables ;

- les déclarations « anonymes » émanaient en réalité de concurrents indélicats et n'étaient pas corroborées par d'autres éléments de l'enquête, et notamment ni par l'arrêt du 29 juin 2022 de la cour d'appel de Paris, ni par les déclarations et données douanières précitées ;

- l'importation de décalcomanies, dont les volumes ont été très largement surestimés par l'administration, ne peut que confirmer le fait que le groupe décore lui-même, à [Localité 4], la porcelaine qu'il produit ;

- pour ce qui concerne le défaut de traçabilité de ses produits, le procès-verbal établi par la DDETSPP le 21 septembre 2021, dont se prévaut l'administration, contredit en tous points les soupçons évoqués dans la requête et les rapports d'audit de l'organisme Certipaq confirment la parfaite traçabilité de ses produits ;

- le juge des libertés et de la détention n'a manifestement pas examiné le bien-fondé de la requête

- la lecture de l'ordonnance, de la requête et des annexes de celle-ci permet de constater que le nécessaire contrôle de la demande de l'administration, prescrit par l'article L. 512-52 du code de la consommation, n'a pas réellement été effectué par le juge des libertés et de la détention ;

- le juge des libertés et de la détention n'a pas vérifié les erreurs grossières contenues dans la requête et l'ordonnance prérédigée par la DGCCRF ;

- l'ordonnance mentionne ainsi par erreur que l'appel doit être formé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Limoges, ce qui résulte certainement du fait que la DGCCRF avait initialement prévu que le juge parisien agirait sur commission rogatoire du juge de Limoges ;

- le juge a également repris dans son ordonnance les erreurs contenues dans la requête concernant la présentation faite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2022, et plus particulièrement la période concernées par les relations commerciales en cause ; concernant les pays de provenance des importations attestées par les déclarations douanières, les importations présentées, dans la requête comme dans l'ordonnance, comme provenant de pays d'Asie de l'Est intègrent en réalité les achats effectués auprès de pays du continent indien ou d'Asie du Sud-Est ;

- enfin, le juge des libertés et de la détention a repris à son compte les éléments présentés par la requête comme des indices d'une importation dissimulée de vaisselle, alors même qu'ils démontraient au contraire que le groupe [B] produit l'intégralité de ses produits de porcelaine en Haute-Vienne ;

- l'ordonnance constitue une mesure manifestement disproportionnée

- des moyens d'enquête simples auraient été amplement suffisants pour procéder aux vérifications souhaitées

- conformément aux principes de proportionnalité et de nécessité issus de la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme, les pouvoirs d'enquête ordinaires doivent être mobilisés en priorité si des infractions ont été commises et la DGCCRF n'a pas mis en 'uvre ces moyens d'enquête ;

- les motifs de l'ordonnance justifiant le recours à cette mesure, sont fantaisistes ; en premier lieu, il n'est pas sérieux d'affirmer que des pratiques qui consisteraient à importer massivement de la vaisselle de l'étranger seraient par nature occultes, dès lors que, si ces pratiques avaient cours, de nombreux salariés en seraient informés, que la DGCCRF auraient pu auditionner, d'innombrables documents, dont la DGCCRF pouvait demander la communication, en attesteraient, et des dizaines ou des centaines de milliers de pièces importées pourraient être trouvées sur les sites du groupe, révélant un différentiel entre les volumes produits dans les usines du groupe et les volumes vendus, étant précisé que l'ensemble de ces éléments ne pourraient être dissimulés ; en deuxième lieu, elle aurait pu interroger le groupe sur ses importations en provenance d'Asie, ce qui lui aurait permis d'apprendre qu'il s'agissait de retours de marchandises ; en troisième lieu, elle aurait pu demander la communication de ses documents comptables avant la réalisation des opérations de visite et de saisie ;

- sauf à considérer que les dispositions encadrant les pouvoirs d'enquête simples ne sont d'aucune utilité, il est faux de prétendre que, dans le cadre d'une telle enquête, le groupe [B] aurait pu apporter des réponses partielles, erronées ou falsifiées, étant observé qu'au regard de leur nature et de leur prétendue ampleur, les preuves de l'infraction alléguée n'auraient pas été susceptibles de destruction ou de dissimulation ;

- ayant admis que les pratiques alléguées auraient nécessairement conduit à générer des milliers de documents et des stocks de 80 tonnes de porcelaine, l'administration en déduit qu'une telle masse de données est inexploitable en pouvoirs simples ; cependant, la circonstance que des opérations de visite et de saisie serait un moyen « plus pratique » pour l'administration de procéder à des vérifications ne permet pas d'autoriser de telles opérations ;

- l'objet des opérations de visite et de saisie défini par l'ordonnance ne répond pas aux exigences du principe de proportionnalité

- l'ordonnance prévoit un champ d'application beaucoup plus large que celui figurant dans la requête, pour ne pas dire illimité, puisqu'elle autorise la DGCCRF à faire procéder à des visites et saisies afin « d'apporter la preuve de l'existence de pratiques commerciales trompeuses », et ne contient aucune précision, même implicite, s'agissant de la période concernée par les pratiques faisant l'objet de l'investigation ;

- l'absence de tout encadrement prévu par l'ordonnance a conduit les enquêteurs à procéder à des saisies massives et indifférenciées d'un nombre extrêmement important de documents physiques ou informatiques, dont l'immense majorité sont sans rapport avec l'enquête menée par la DGCCRF.

18. En réponse, la DGCCRF soutient que :

- sur le bien-fondé de la requête

- sur l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2022

- il ressort de cet arrêt que le groupe [B] a bien eu des relations commerciales avec au moins un producteur d'objets en porcelaine originaire d'Asie, ce qui corrobore les déclarations anonymisées et les données douanières qu'elle a produites ;

- le fait que ces relations commerciales aient pris fin il y a onze ans ne signifie aucunement que le groupe [B] ait cessé depuis lors toute collaboration commerciale dans ce secteur géographique ;

- il importe peu que les relations avec ce producteur n'aient pas été occultes, à l'époque, dès lors qu'il ne s'agit que d'émettre une hypothèse, relative à des pratiques actuelles potentiellement occultes, étayées par des indices ;

- le fait que l'arrêt ne mentionne pas les conditions dans lesquelles les produits importés de Malaisie à l'époque n'écarte pas le soupçon concernant d'éventuelles ventes sous l'indication « Made in France » de produits importés mais le nourrit, au contraire ;

- sur les déclarations douanières et les données communiquées par la DGDDI

- s'agissant des déclarations douanières totales, l'appelante ne conteste pas qu'environ 40 % de ses importations proviennent d'Asie et correspondent à des pays où il est possible de produire de la porcelaine à bas coûts, de sorte que, corroborées par les autres éléments de l'enquête, ces données justifient les soupçons d'infractions ayant motivé la requête puis l'ordonnance ;

- s'agissant des déclarations douanières pour des produits de porcelaine, à supposer qu'elles représentent une proportion très limitée de son chiffre d'affaires, à rapporter toutefois aux coûts de production dans les pays en cause, ces importations laissent néanmoins soupçonner que ces produits soient revendus sous une origine française alléguée, dès lors que le groupe communique sur la vente d'une production intégralement d'origine française ; les importations déclarées ne sont que la partie visible, transparente, des flux de marchandises, qui n'exclut pas l'existence d'une partie occulte ;

- s'agissant des données d'introduction, la société allemande en cause dispose d'un site de décoration en République tchèque, où les coûts de production sont moins élevés qu'en France, de sorte que l'argument relatif au caractère dérisoire des montants d'introduction est encore inopérant ;

- sur les éléments spécifiques à la requête

- les déclarations produites à l'appui de la requête n'étaient pas anonymes ab initio mais ont été anonymisées et sont très largement corroborées par les éléments de l'enquête qui ont été soumis au juge des libertés et de la détention ;

- si la requête est affectée d'une erreur de calcul concernant le nombre de décalcomanies vitrifiables importées, cette erreur est sans incidence, dès lors que, quand bien même la fraude susceptible d'être révélée par ces importations serait moindre, elle ne saurait être ignorée pour autant, alors qu'une telle importation va à l'encontre des éléments communiqués par le groupe sur son site Internet ;

- contrairement à ce que soutient l'appelante, les éléments au vu desquels l'ordonnance a été rendue, et notamment le procès-verbal dressé le 21 septembre 2021 par la DDETSPP à l'encontre du groupe [B] et les rapports d'audit de l'organisme Certipaq, ne permettent pas de confirmer que la production du groupe serait strictement établie en Haute-Vienne ;

- sur le contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention

- l'erreur affectant la mention sur l'ordonnance du greffe auprès duquel l'appel pouvait être formé n'a aucune incidence sur l'analyse du juge des libertés et de la détention, puisqu'elle ne concerne pas les faits justifiant les opérations ;

- la référence, dans la requête puis l'ordonnance, à la durée des relations commerciales constatée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2022 ne relève pas d'une erreur manifeste et ne porte, en tout état de cause, que sur quelques mois, de sorte qu'elle ne peut avoir biaisé l'analyse du juge et ne démontre aucune absence de contrôle de sa part ;

- le fait que le montant des importations présentées dans la requête puis dans l'ordonnance comme provenant d'Asie de l'Est intègre des importations en provenance du continent indien ne caractérise pas plus une erreur qui révèlerait une absence de contrôle du juge, dès lors que l'Asie de l'Est n'est pas une zone géographique faisant l'objet d'une définition stricte et que cette appréhension globalisée est cohérente avec le périmètre des importations identifiées dans les déclarations anonymisées produites au soutien de la requête ;

- sur la proportionnalité de l'ordonnance

- alors qu'elle n'a pas à rendre de compte de son choix de recourir à des opérations de visite et de saisie, lesquelles n'ont pas de caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées, le juge des libertés et de la détention a pleinement justifié l'impossibilité de mener une telle enquête en pouvoirs simples, étant précisé que ces pouvoirs ne permettent pas aux enquêteurs de contraindre les personnes visées à répondre de manière exacte et exhaustive aux demandes qui leur sont adressées, demandes qui ne peuvent porter, au demeurant, que sur des documents officiels ou dont l'existence est connue ;

- en outre, elle ne pouvait interroger le groupe [B] sur le détail des importations sans dévoiler le contenu du reste de son enquête :

- si les pouvoirs simples permettaient de révéler toutes les pratiques déloyales, comme le suggère la société [B], l'existence même des pouvoirs extraordinaires n'aurait pas lieu d'être ;

- par ailleurs, seule une opération de visite et de saisie pouvait permettre de caractériser l'élément moral des pratiques commerciales trompeuses ;

- vu la nature occulte de l'infraction suspectée, de l'étalement géographique du groupe [B], du nombre de salariés de ce groupe et du nombre de documents à saisir et contrôler, seule une opération de visite et de saisie pouvait être envisagée ;

- la société [B] ne démontre pas, comme il lui incombe, que l'ordonnance viserait un champ d'enquête trop large ou serait trop imprécise quant à la période concernée par les pratiques faisant l'objet de l'investigation.

19. Dans son avis écrit du 11 janvier 2024 puis à l'audience, le ministère public fait valoir en substance que :

- s'agissant du caractère infondé de la requête, au stade de la demande d'autorisation, la DGCCRF n'est pas tenue d'apporter la preuve de l'existence de pratiques commerciales déloyales, ni même de présomptions graves, précises et concordantes au sens de l'article 1382, ancien, du code civil, mais elle doit en revanche présenter des indices qui aboutissent à une ou plusieurs présomptions de pratiques prohibées, indices qui s'apprécient de manière globale, ce qu'elle a fait en l'espèce puisque les éléments qu'elle a apportés étaient suffisants pour justifier du bien-fondé d'opérations de visite et de saisie, et donc pour que le juge des libertés et de la détention, qui n'avait pas à instruire à charge et à décharge, puisse, après analyse, rendre son ordonnance du 23 mars 2023 ;

- s'agissant de l'examen par le juge des libertés et de la détention du bien-fondé de la requête, l'appelante ne prouve pas en quoi les quelques erreurs matérielles qu'elle met en avant, sans portée sur la validité de l'autorisation donnée, démontreraient une absence de contrôle par le juge ;

- s'agissant de la proportionnalité des mesures autorisées, vu la gravité des pratiques commerciales trompeuses pouvant être soupçonnées d'exister, des investigations comportant des opérations de visite et de saisie, qui ne présentent pas de caractère subsidiaire, étaient nécessaires et proportionnées, sans que l'objet de l'enquête visé par l'ordonnance ne puisse être considéré comme trop large par rapport aux soupçons existant ou comme permettant des saisies sans contrôle.

Appréciation du délégué du premier président

20. L'article L. 512-51 du code de la consommation dispose :

« Pour la recherche et la constatation des infractions et des manquements mentionnés aux articles L. 511-5 et L. 511-7 et des infractions au livre IV, les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de catégories A et B peuvent, sur demande du ministre chargé de l'économie, procéder à des opérations de visite et de saisie en tous lieux. »

21. L'article L. 512-52 de ce code dispose ensuite :

« Chaque visite est autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. [...]

Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée. Cette demande comporte les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite. »

22. Pour autoriser des opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention doit caractériser l'existence de présomptions des infractions ou des manquements en cause, sans avoir à examiner la force probante de chaque pièce soumise par l'administration au soutien de sa requête, ni à rechercher l'existence de preuves de ces agissements. Ces présomptions peuvent résulter d'un faisceau d'indices et peuvent justifier que soient autorisées des opérations de visite et de saisie, quand bien même ces présomptions ne pourraient être qualifiées de graves, précises et concordantes, au sens de l'article 1353 du code civil.

23. En présence de telles présomptions, dès lors qu'il est établi que les opérations de visite et de saisie sont nécessaires à la recherche des preuves des infractions ou des manquements en cause et qu'elles ne sont pas disproportionnées avec les nécessités de la lutte contre ces pratiques, l'administration n'a pas à rendre compte de son choix de mettre en 'uvre de telles opérations, lesquelles ne présentent pas de caractère subsidiaire par rapport aux pouvoirs d'enquête ordinaires qui lui sont conférés par les articles L. 512-5 à L. 512-50 du code de la consommation.

24. En l'espèce, dans son ordonnance du 23 mars 2023, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a retenu, d'abord, que la société [B] marque ses pièces de vaisselle d'une estampille sur laquelle figure la mention « Made in France » et développe une stratégie de communication mettant en avant le fait que tous ses produits sont fabriqués en France, à Limoges. Il a retenu, ensuite, qu'il résulte toutefois d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2022 que la société [B] s'est approvisionnée en pièces de porcelaine en Malaisie entre 2002 et 2013, que ses déclarations douanières établissent qu'elle a importé, d'une part, entre 2018 et 2022 pour 803 311,67 euros de marchandises d'un pays d'Asie de l'Est, dont 54 357 euros de marchandises pour le service de la table en porcelaine et, d'autre part, entre 2018 et 2021 pour plus de 500 000 euros de produits d'un porcelainier allemand, et notamment plus de 200 000 euros en 2021.

25. En premier lieu, en l'état de ces motifs, abstraction faite de celui, surabondant, tenant au montant total des importations réalisées par la société [B] depuis l'étranger, le juge des libertés et de la détention a caractérisé l'existence d'un faisceau d'indices permettant, considérés ensemble, de présumer la commission par cette société d'une pratique commerciale trompeuse, telle que définie à l'article L. 121-2 à L. 121-5 du code de la consommation, consistant à vendre, en les présentant comme intégralement fabriqués en France, des éléments de vaisselle en porcelaine importés de l'étranger, pratique que les opérations qu'il lui était demandé d'autoriser tendaient à confirmer.

26. Contrairement à ce que soutient la société [B], le juge des libertés et de la détention pouvait s'appuyer sur les constatations de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2022, dont il résultait que cette société avait, par le passé, importé des éléments de vaisselle en porcelaine depuis la Malaisie, nonobstant l'erreur marginale affectant la période au cours de laquelle ces importations ont eu lieu et peu important le fait que les relations commerciales avec le fournisseur concerné ait cessé depuis environ onze ans ou qu'elles n'aient pas été dissimulées, à l'époque, dès lors que ces éléments étaient néanmoins de nature à accréditer la poursuite ou la reprise de telles importations, auxquelles la société [B] avait déjà eu recours.

27. Ensuite, il ne peut être fait grief ni à l'administration ni au juge des libertés et de la détention de n'avoir pas identifié, à supposer ce fait avéré, que les importations de produits de porcelaine depuis les pays désignés comme appartenant à l'Asie de l'Est correspondaient à des retours de marchandises, la société [B] ne soutenant pas que ces précisions ressortaient des documents dont disposait alors l'administration.

28. En outre, si les montants des importations figurant dans l'ordonnance, et plus particulièrement le montant des importations d'éléments de vaisselle en porcelaine en provenance d'Asie, apparaissent très faibles rapportés chiffre d'affaires de la société, de telles importations peuvent néanmoins apparaître suspectes au regard de la communication du groupe, relevée dans l'ordonnance, vantant une production réalisée intégralement en France.

29. Par ailleurs, dans la mesure où le juge des libertés et de la détention n'a pas fondé sa décision sur ces éléments, les critiques de la société [B] quant au caractère peu probant des déclarations anonymisées produites par la DGCCRF au soutien de sa requête, quant à l'erreur affectant l'estimation du volume de décalcomanies importées de Chine présentée dans cette requête ou quant au caractère infondé des allégations de la DGCCRF relatives à un défaut de traçabilité de ses produits, sont inopérantes. Au demeurant, contrairement à ce que soutient la société [B], les éléments produits par la DGCCRF pour ce qui concerne ce défaut de traçabilité des produits, à savoir le procès-verbal de la DDETSPP du 12 septembre 2022 et les rapports de contrôle de l'organisme Certipaq, ne permettent nullement d'établir que l'ensemble des produits qu'elle met en vente seraient produits en Haute-Vienne, dès lors qu'en dépit des déclarations de son directeur administratif et financier, qui y sont retranscrites, il est notamment constaté dans le procès-verbal du 12 septembre 2022 qu'il n'est pas possible d'assurer la traçabilité des matériaux mis sur le marché par cette société.

30. Enfin, si le juge des libertés et de la détention a retenu que la pratique dont la société [B] était suspectée était par nature occulte, ce motif vise la pratique consistant à estampiller « Made in France » des éléments de vaisselle en porcelaine produits à l'étranger, non seulement en Asie mais également en Allemagne, mais il ne signifie pas pour autant que la société [B] aurait nécessairement dissimulé l'ensemble de ses importations de tels éléments de vaisselle, de sorte que les développements de la société [B] tendant à démontrer qu'elle ne dissimulait pas de telles importations sont, également, inopérants.

31. Le moyen d'annulation de l'ordonnance tiré du caractère infondé de la requête est donc écarté.

32. En deuxième lieu, la société [B] n'établit pas que le juge des libertés et de la détention aurait procédé à des vérifications insuffisantes pour retenir que la demande d'autorisation présentée par la DGCCRF était fondée.

33. D'abord, le fait que ce juge ait mentionné par erreur que le greffe auprès duquel un appel de son ordonnance pouvait être formé était, non son propre greffe, mais celui du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Limoges, ce qui aurait été le cas s'il avait agi sur commission rogatoire de ce juge, ainsi que cela a pu être envisagé dans un premier temps comme le soutient la société [B], n'est pas de nature à caractériser un défaut de vérification des faits soumis à son appréciation s'agissant du bien-fondé de la demande d'autorisation.

34. Ensuite, l'erreur, évoquée au point 26, concernant le terme des relations commerciales avec un fournisseur malaisien et l'imprécision de la désignation des pays de « l'Asie de l'Est » regroupant l'ensemble des pays considérés comme susceptibles de fournir des éléments de vaisselle à bas coûts, et intégrant notamment le Sri-Lanka, la Malaisie ou la Thaïlande, ne sont pas d'une ampleur suffisante pour qu'il puisse être reproché au juge des libertés et de la détention d'avoir repris ces éléments à son compte sans les rectifier.

35. De la même manière, il ne peut être reproché au juge des libertés et de la détention de n'avoir pas relevé, parmi les pièces annexées à la requête, les éléments tendant à démontrer que les importations d'éléments de vaisselle en porcelaine produits à l'étranger n'étaient pas dissimulées, dès lors que, comme cela a été relevé au point 30, la pratique présentée comme occulte par nature consiste, non pas à procéder à de telles importations, mais à présenter ensuite les produits importés comme fabriqués en France.

36. Enfin, il ne peut être reproché au juge des libertés et de la détention de n'avoir pas rectifié les erreurs affectant des éléments présentés par la DGCCRF qu'il n'a pas repris à son compte dans son ordonnance, étant relevé que le fait qu'il n'ait retenu que certains de ces éléments, pour en écarter de nombreux autres, atteste au contraire des vérifications auxquelles le juge a procédé.

37. Le moyen d'annulation de l'ordonnance tiré d'une insuffisance du contrôle opéré par le juge des libertés et de la détention est donc écarté.

38. En troisième lieu, dès lors que le juge des libertés et de la détention a valablement retenu, compte tenu des développements qui précèdent, qu'il existait des présomptions que la société [B] présente comme fabriqués en France des éléments de vaisselle importés de l'étranger, et considéré à juste titre qu'une telle pratique était par nature occulte, peu important que certains de ses éléments constitutifs ne soient pas dissimulés ou soient difficilement dissimulables, il en résulte que les opérations de visite et de saisie, que ce juge a autorisées en délimitant suffisamment leur objet, lequel découle des motifs de son ordonnance, étaient nécessaires et proportionnées par rapport à l'objectif de lutte contre les pratiques commerciales trompeuses telles que celle visée par l'enquête en cause.

39. Le moyen d'annulation de l'ordonnance tiré du caractère disproportionné des opérations autorisées est donc écarté.

40. L'ensemble des moyens d'annulation présentés par la société [B] étant écartés, et la société [B] ne formant pas de demande d'infirmation de l'ordonnance attaquée, celle-ci ne pourra qu'être confirmée.

Sur le recours formé contre les opérations de visite et de saisie du 28 mars 2023

Sur le moyen tiré de la notification d'une ordonnance incomplète

Argumentation des parties

41. Au soutien de son recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie, la société [B] fait valoir, en premier lieu, que :

- à leur arrivée sur les lieux de la visite, les enquêteurs ont remis à la directrice de la boutique un exemplaire de l'ordonnance ne comportant que les première et troisième pages de celle-ci, et non sa deuxième page, sur laquelle figuraient notamment les mentions relatives à l'objet de l'enquête et à la possibilité de faire appel à un conseil ;

- ce n'est que le lendemain, après s'être aperçue qu'une page était manquante, qu'elle a pu prendre connaissance au greffe du tribunal de l'intégralité de l'ordonnance ;

- le déroulement des opérations a donc porté une atteinte grave et irrémédiable à ses droits de la défense, à défaut pour elle d'avoir été informée, avant que ces opérations ne soient mises en 'uvre, de la possibilité d'avoir recours à un conseil ;

- elle n'a ainsi contacté son conseil que tardivement et ce dernier n'a pu se rendre sur les lieux que 10 heures après le début des opérations, alors que l'essentiel de celles-ci avait déjà été mené.

42. En réponse sur ce moyen, la DGCCRF a soutenu dans ses premières conclusions que la copie de l'ordonnance remise à l'occupante des lieux était une copie certifiée conforme émise par le greffe du juge des libertés et de la détention, ce qui atteste de ce que cette copie était complète, et que la version produite par cette société n'était qu'une copie réalisée par l'occupante des lieux, qui avait pu n'en prendre qu'une copie partielle.

43. Dans ses dernières conclusions et à l'audience, après que la société [B] a produit la copie certifiée conforme qui lui a été remise le jour des opérations, la DGCCRF ne soutient plus que la représentante des lieux aurait pu réaliser une copie seulement partielle de l'ordonnance qui lui avait été remise, mais maintient que :

- la copie de l'ordonnance qui a été remise à l'occupante des lieux avait été certifiée conforme par le greffe du juge des libertés et de la détention ;

- en tout état de cause, aucune atteinte aux droits de la défense de la société [B] n'est caractérisée, dès lors que la requérante savait qu'elle pouvait faire appel à un conseil, puisqu'elle y a eu recours le jour des opérations alors même qu'elle soutient n'avoir pris connaissance de la mention de l'ordonnance en ce sens que postérieurement, et qu'en outre, des opérations de même nature ayant eu lieu simultanément dans d'autres locaux de la société situés dans le ressort du tribunal judiciaire de Limoges, la requérante était informée de manière multiple de la possibilité de faire appel à un conseil ;

- enfin, aucune observation sur le caractère incomplet de la notification de l'ordonnance n'a été faite par l'occupante des lieux et son conseil.

44. Après avoir fait valoir, dans son avis écrit du 11 janvier 2024, que le procès-verbal des opérations mentionnait la remise d'une copie certifiée conforme de l'ordonnance dans son intégralité, que l'occupante des lieux n'avait fait aucune remarque sur ce point et qu'en tout état de cause, la société [B] avait pu faire appel à un conseil, même tardivement, le ministère public conclut oralement à l'audience qu'il résulte des débats que la représentante de cette société s'est effectivement vu remettre une copie incomplète de l'ordonnance d'autorisation, ne mentionnant pas la possibilité de faire appel à un conseil, ce qui doit conduire à l'annulation des opérations.

Appréciation du délégué du premier président

45. L'article L. 512-58 du code de la consommation dispose :

« L'ordonnance mentionnée à l'article L. 512-52 est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant, qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal.

L'ordonnance mentionne que l'occupant des lieux ou son représentant a la faculté de faire appel au conseil de son choix. L'exercice de cette faculté n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie. [...]»

46. S'il résulte de ce texte que les opérations de visite et de saisie peuvent débuter en l'absence du conseil appelé, le cas échéant, par l'occupant des lieux ou son représentant, ce dont il se déduit que la présence de ce conseil n'est pas une condition de la régularité des opérations, il n'en demeure pas moins que l'occupant des lieux ou son représentant doivent être mis en mesure, avant le début des opérations, de faire appel à un conseil et que, si tel n'est pas le cas, l'absence d'assistance par un conseil est de nature à porter atteinte aux droits de la défense de la personne visée par ces opérations.

47. En l'espèce, la copie de l'ordonnance notifiée par les enquêteurs à la représentante de la société [B] présente sur place au moment de la visite ne comportait que les première et troisième pages de cette ordonnance et ne comportait pas sa deuxième page, sur laquelle était mentionnée la possibilité offerte à l'occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil.

48. Il ne ressort par ailleurs d'aucun élément de la procédure que la représentante de la société [B] présente sur place ait été informée de cette possibilité par un autre moyen. En particulier, il n'est pas établi que cette information lui ait été communiquée par d'autres représentants de la société, après que des opérations de visite et de saisie ont débuté, le même jour, dans d'autres locaux du groupe.

49. S'il est exact que la représentante de la société [B] présente sur place ou d'autres représentants du groupe ont fait appel à un conseil pour assister aux opérations menées dans la boutique parisienne du groupe, il résulte néanmoins du procès-verbal de visite que ce conseil ne s'est présenté sur les lieux qu'à 20 heures 15, alors que les opérations avaient débuté à 10 heures 05, pour s'achever à 23 heures 30.

50. Dans la mesure où il ne peut être exclu que cette arrivée tardive du conseil de la société [B], après que les opérations se sont déroulées hors sa présence pendant plus de dix heures, soit la conséquence de l'absence d'information donnée à sa représentante présente sur place, dès le début de la visite, de la possibilité de faire appel à un conseil et où il ne peut donc être exclu que, si celle-ci en avait été dûment informée, ce conseil serait arrivé plus tôt dans la journée, il doit donc être considéré que cette méconnaissance des dispositions, précitées, de l'article L. 512-58 du de code de la consommation ont porté atteinte aux droits de la défense de la société [B], peu important à cet égard que cette atteinte n'ait fait l'objet d'aucune observation de la part de la représentante de la société ou du conseil de celle-ci lors des opérations ou à leur issue.

51. Cette atteinte aux droits de la défense de la société [B] affectant la régularité du déroulement, dans son ensemble, des opérations de visite et de saisie réalisées le 28 mars 2023 dans la boutique située au [Adresse 1] à [Localité 5], le procès-verbal rendant compte de ces opérations sera annulé.

52. La société [B] ayant renoncé à l'audience à sa demande tendant à ce que soit ordonnée la restitution des documents et données informatiques saisis, il sera seulement constaté que cette restitution est intervenue le 22 mai 2024 et que les représentants de la DGCCRF ont alors indiqué que les pièces restituées n'étaient pas gardées en copie et qu'elles ne pourraient servir de fondement à aucune poursuite devant quelque juridiction que ce soit à l'encontre de la société [B].

Sur les autres moyens présentés au soutien du recours contre le déroulement des opérations

53. Le premier moyen présenté par la société [B] au soutien de son recours contre le déroulement des opérations étant accueilli, il n'y pas lieu d'examiner les autres moyens présentés au soutien de ce recours.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

54. En application de l'article 696 du code de procédure civile, compte tenu du sens de la présente décision en ce qu'elle statue, respectivement, sur l'appel de l'ordonnance d'autorisation et sur le recours formé contre le déroulement des opérations de visite et de saisie, la société [B] sera condamnée aux éventuels dépens de l'instance d'appel et l'Etat sera condamné aux éventuels dépens de l'instance ouverte sur le recours de la société [B] contre le déroulement des opérations.

55. En application des dispositions de l'article 700 du même code, la société [B] sera déboutée de sa demande de remboursement des frais exposés dans le cadre de l'instance d'appel et non compris dans les dépens et l'Etat sera condamné à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre de l'instance ouverte sur le recours formé contre le déroulement des opérations de visite et de saisie.

PAR CES MOTIFS

Le délégué du premier président :

Joint sous le numéro de répertoire général 23/06363 les instances enregistrées sous ce numéro et sous le numéro 23/06369 ;

Confirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris du 23 mars 2023 ;

Dit irrégulier le déroulement des opérations de visite et de saisie du 28 mars 2023 ;

Annule le procès-verbal des opérations de visite et de saisie du 28 mars 2023 ;

Constate que les documents et données informatiques saisis lors de ces opérations ont été restitués le 22 mai 2024 à la société [B] et que les représentants de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont alors indiqué que les pièces restituées n'étaient pas gardées en copie par l'administration et qu'elles ne pourraient servir de fondement à aucune poursuite devant quelque juridiction que ce soit à l'encontre de la société [B] ;

Condamne la société [B] aux dépens de l'instance d'appel ;

Condamne l'Etat aux dépens de l'instance ouverte sur le recours exercé par la société [B] contre le déroulement des opérations de visite et de saisie ;

Condamne l'Etat à payer à la société [B] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.