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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 octobre 2024, n° 21/18736

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Migma.com (SARL)

Défendeur :

Yves Rocher France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Dauchel, Me Pinet

T. com. Paris, 13e ch. du 27 sept. 2021 …

27 septembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société Migma.Com a pour activité l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de vente de produits de beauté et pratiques de soins cosmétiques.

La société Yves Rocher France a pour activité le commerce de détail de parfumerie et de produits de beauté en magasin spécialisé. Elle exploite un réseau de plus de 580 points de vente « Yves Rocher » en France. Les fonds de commerce du réseau sont exploités soit directement par Yves Rocher en qualité d'établissement secondaires, soit en vertu d'un contrat de location-gérance par des commerçants indépendants, soit par des franchisés ayant acquis la propriété du fonds de commerce.

Suivant acte sous seing privé des 19 et 22 novembre 2007, la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher aux droits de laquelle vient la société Yves Rocher France, a conclu avec la société Migma.Com un contrat de location-gérance portant sur l'exploitation d'un fonds de commerce sous enseigne « Yves Rocher » au centre commercial [7] ' [Localité 4].

Ce contrat de gérance-libre a été conclu pour une durée indéterminée à compter du 4 décembre 2007 avec faculté de résiliation par l'une ou l'autre des parties, moyennant le respect d'un préavis de 6 mois (article 2) ou 30 jours après mise en demeure restée sans effet en cas de manquement de l'une des parties à ses obligations (article 11).

Suivant lettre du 4 octobre 2012, la société Yves Rocher France a résilié le contrat de location-gérance avec effet au 6 avril 2013. Cependant, suivant protocole transactionnel du 15 novembre 2012, les parties se sont notamment accordées sur « la reprise de leur partenariat » et la conclusion d'un avenant « consignation » par lequel la société Yves Rocher France procèderait à un rachat du stock de la société Migma.Com afin de soulager sa trésorerie.

A nouveau, par lettre recommandée du 22 juillet 2019, la société Yves Rocher France a informé la société Migma.Com de son intention de mettre fin à la relation commerciale, et par lettre recommandée du 22 octobre 2019, elle a procédé à la résiliation du contrat avec effet au 27 avril 2020.

A la suite de l'inventaire effectué par les parties, la société Yves Rocher France a réclamé à la société Migma.Com le paiement de la somme de 91.789,01 € au titre des redevances restées impayées et des écarts de stock.

En réponse, la société Migma.Com a procédé au règlement de 29.216,99 €, tout en contestant l'exactitude de la créance revendiquée par la société Yves Rocher France.

C'est dans ces circonstances que la société Migma.Com a, par acte d'huissier signifié le 3 février 2020, assigné la société Yves Rocher France devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement du 27 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- Condamné la Société Yves Rocher France à régler la somme de 10.590 € en réparation du préjudice subi par la Société Migma.Com lié à la rupture de la relation commerciale établie,

- Condamné la Société Migma.Com à régler à la Société Yves Rocher France un montant de 26.613,62 €,

- Débouté la Société Migma.Com de sa demande de publication de jugement,

- Prononcé la compensation entre ces créances réciproques et condamné en conséquence la Société Migma.Com à payer à la Société Yves Rocher France la somme de 16.023,62 €,

- Débouté la Société Migma.Com de sa demande de condamnation au titre de l'Article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la Société Migma.Com de ses autres demandes,

- Condamné la Société Migma.Com aux dépens.

La société Migma.Com a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 27 octobre 2021.

Suivant ordonnance du 22 mars 2002, la Cour a désigné le CMAP en qualité de médiateur judiciaire afin de rechercher une solution amiable au conflit opposant les parties, sans succès.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 12 juin 2023, la société Migma.Com demande à la Cour de :

Vu l'Article L.442-1-II du code de commerce

Vu le Contrat de gérance libre en date du 19 novembre 2007

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats

Dire et juger la Société Migma.Com recevable et bien fondée en ses demandes.

En conséquence :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la relation commerciale et contractuelle existante entre les Parties était établie depuis 2007.

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le préavis contractuel de six mois était insuffisant et caractérisait l'existence d'une rupture brutale devant être indemnisée au bénéfice de la Société Migma.Com.

- Infirmer le jugement entrepris sur le surplus.

Statuant à nouveau :

- Fixer la durée du préavis contractuel à 18 mois.

- Condamner en conséquence la Société Yves Rocher France à indemniser la Société Migma.Com du gain manqué sur les 12 mois manquants du préavis.

- Fixer le préjudice financier de la Société Migma.Com, en application de la perte sur marge brute, à hauteur de 941.890 € en réparation du préjudice ainsi subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles, sur la base d'un préjudice net de 78.490 € par mois de préavis non exécuté sur la base d'un préavis global de 18 mois soit un préavis supplémentaire de 12 mois.

- Débouter la Société Yves Rocher France de sa demande indemnitaire formulée à hauteur de 54.387,38 €.

A titre subsidiaire :

- Si la Cour de céans devait appliquer la méthode de la perte de la marge sur coûts variables, fixer le préjudice financier de la Société Migma.Com à hauteur de 257.851 € en réparation du préjudice ainsi subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles, sur la base d'un préjudice net de 21.487 € par mois de préavis non exécuté sur la base d'un préavis global de 18 mois soit un préavis supplémentaire de 12 mois.

- Fixer la demande indemnitaire de la Société Yves Rocher France à hauteur de la somme globale, forfaitaire et définitive de 26.613,62 €.

- Ordonner la compensation entre la créance de la Société Migma.Com et celle de la Société Yves Rocher France.

En tout état de cause :

- Condamner la Société Yves Rocher France à régler à la Société Migma.Com la somme de 20.000 € en application des dispositions de l'Article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la Société Yves Rocher France aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Guillaume Dauchel, Avocat à la Cour, conformément aux dispositions de l'Article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 27 novembre 2023, la société Yves Rocher France demande à la Cour de :

Vu les articles 1149, 1290,1291 2044, 2049 et 2052 du Code civil

Vu l'article 442-1-II du Code de commerce

Vu l'article 122 du Code de procédure civile

In limine :

- D'infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2021 et statuant à nouveau de dire et juger au vu de la teneur du protocole transactionnel du 15 novembre 2012 que la brutalité éventuelle de la rupture de la relation commerciale doit s'apprécier exclusivement au regard de la durée de la relation commerciale postérieure à la signature de ce dernier, soit du 16 novembre 2012 au 22 octobre 2019 ;

A titre principal :

- D'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la durée du préavis qui aurait dû être respecté à neuf (9) mois, et statuant à nouveau de dire et juger suffisant le préavis contractuel de six (6) mois ayant été accordé par Yves Rocher, de sorte que la rupture des relations commerciales des parties ne saurait être qualifiée de « brutale » au sens de l'article L. 442-1-II ;

Subsidiairement :

Si par extraordinaire la Cour venait à considérer le préavis de six (6) mois insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale :

- D'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que les relations commerciales entre les parties présentaient bien un caractère établi et statuant à nouveau de dire et juger que la précarisation de la relation commerciale à compter du 12 novembre 2012 à raison notamment du caractère conflictuel des relations des parties légitimait que la durée du préavis soit réduite, de sorte qu'un préavis de six (6) mois ne saurait être jugé insuffisant du fait de la prévisibilité de la rupture.

Très subsidiairement :

Si par extraordinaire la Cour venait à considérer que Yves Rocher a brutalement rompu le contrat de location-gérance en accordant à Migma un préavis insuffisant de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Fixé la durée du préavis raisonnable additionnel qui aurait dû être accordé à Migma à trois (3) mois afin que la durée consolidée du préavis soit de neuf (9) mois ;

- Dit et jugé que le quantum du préjudice subi par Migma doit être recherché sur la base de la moyenne des chiffres résultant des liasses fiscales relatives aux trois derniers exercices révolus à la date de la rupture ;

- Dit et jugé que le préjudice subi par Migma correspond au gain manqué sous déduction des coûts évités ce qui correspond au résultat d'exploitation que Migma aurait dû réaliser pendant la durée du préavis non effectué, soit 3.335 EUR / mois de préavis non exécuté,

Subsidiairement, si la Cour s'estimait insuffisamment informée, de désigner tel expert qu'il lui plairait aux frais de l'appelante aux fins d'estimer le quantum de la perte subie et du gain manqué au cours de la durée du préavis non effectué ;

En tout état de cause :

- D'infirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Migma au versement de la somme de vingt-six mille six cent treize euros et soixante-deux cents (26.613, 62 EUR) et statuant à nouveau condamner à titre reconventionnel Migma à payer à Yves Rocher la somme de cinquante-quatre mille trois cent quatre-vingt-sept euros et trente-huit cents (54.387,38 EUR) au titre des écarts d'inventaire du stock en consignation et des redevances restées impayées ;

- De débouter Migma de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- De condamner Migma au paiement de la somme de quinze mille (15.000) EUR sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 juin 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1. Sur la demande indemnitaire au titre d'une rupture brutale de la relation commerciale établie

L'article L.442-1 II du code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

Les parties au litige ne conteste par le caractère établi de la relation commerciale mais sa durée pour l'appréciation du préavis nécessaire.

- Sur la durée de la relation commerciale établie

Exposé des moyens,

A l'appui de ses prétentions, la société Migma.Com soutient que les parties ont entretenues une relation contractuelle pendant 12 ans et 6 mois, à compter de la prise d'effet du contrat de location-gérance le 4 décembre 2007. Elle fait valoir que ni le courrier du 14 février 2011 de la société Yves Rocher France faisant état de difficultés financières de la société Migma.Com, ni le protocole d'accord conclu entre les parties le 15 novembre 2012 ne pouvaient constituer une « césure » de la relation commerciale et contractuelle établie depuis 2007. Elle précise que ce protocole avait pour seul objectif d'acter un renoncement réciproque de chacune des parties à l'indemnisation des préjudices que chacune d'elle estimait avoir subi, qu'il indiquait expressément la poursuite du partenariat et que dans le présent litige il n'est demandé aucune indemnisation sur la période contractuelle comprise entre 2007 et 2012.

En réponse, la société Yves Rocher France prétend que le protocole transactionnel conclu par les parties le 15 novembre 2012, dont il ressort que les parties ont renoncé à toutes prétentions ou réclamations au titre de leurs relations passées, interdit de prendre en considération la durée de ces relations commerciales passées (Cass. Com. 18 nov. 2020 n°18-25709). Seule la période du 15 novembre 2012, date de signature du protocole transactionnel, au 22 octobre 2019, date du courrier de résiliation, doit être prise en compte, soit un peu moins de 7 ans, les parties selon elle ayant entendu faire « table rase » de la période antérieure au protocole et entrer dans une nouvelle relation commerciale.

Réponse de la Cour,

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le tribunal, par des motifs pertinents et non utilement contestés à hauteur d'appel que la Cour adopte, a retenu que la même relation commerciale s'est poursuivie à compter du protocole d'accord, dès lors que les parties n'ont jamais cessé de coopérer durant la période courte où elles ont négocié ensemble les éléments de reprise de leur partenariat et que la société Migma.Com fonde sa demande sur l'existence d'une rupture brutale de la relation commerciale établie ne faisant pas l'objet des renonciations réciproques actées au protocole. Il en déduit à juste titre que les renonciations contenues dans ce protocole sont sans incidence sur l'appréciation de la durée réelle de la relation commerciale en application de l'article L.442-1-II du code de commerce.

Il sera ajouté que l'article 4 du protocole prévoit expressément que « compte tenu de l'extinction de tous les litiges entre les parties, ces dernières consentent, à compter de la signature du présent protocole, à reprendre leur partenariat dans le cadre de l'exploitation en Gérance Libre du Centre de Beauté à l'enseigne YVES ROCHER sus Centre Commercial [6] ('), et ce sous les clauses et conditions du contrat de Gérance Libre ayant pris effet le 4 décembre 2007 ; la lettre de résiliation du contrat de Gérance Libre en date du 4 octobre 2012 étant considérée comme caduque par les Parties ».

Il n'est pas non plus démontré que l'échéancier de paiement et la convention de consignation signés par les parties concomitamment au protocole, destinés à organiser un moratoire et alléger temporairement les besoins de trésorerie de la société Migma.Com, étaient de nature à modifier substantiellement l'économie du contrat. Dès lors, la relation commerciale n'ayant pas été substantiellement modifiée par le protocole d'accord et que celle-ci s'est poursuivie suivant des flux réguliers malgré des incidents de coopération, aucune nouvelle relation ne s'est nouée entre les parties à compter du 16 novembre 2012.

Aussi, la durée de préavis nécessaire doit être appréciée au regard d'une relation commerciale établie entre les parties depuis le 4 décembre 2007 sans élément de précarisation suffisamment caractérisé de la part de la société Yves Rocher France de nature à écarter toute croyance légitime en la pérennité de la relation de la part de la société Migma.Com.

- Sur le délai de préavis suffisant

Exposé des moyens,

La société Migma.Com estime que le préavis de 6 mois qui lui a été accordé est insuffisant au regard de l'ancienneté de plus de douze ans de la relation commerciale, de l'exclusivité de la relation et de la dépendance économique à la société Yves Rocher France qui était son seul fournisseur puisque Migma.Com s'approvisionnait qu'auprès d'elle et ne vendait que des produits de cette marque. Elle évalue la durée de préavis nécessaire à 18 mois.

En réponse, la société Yves Rocher France fait valoir qu'elle a notifié la résiliation conformément aux dispositions de l'article 2 du contrat du 4 décembre 2007, moyennant le respect d'un préavis de 6 mois. Elle estime ce délai suffisant au regard de la spécificité du contrat de location-gérance en cause, puisque dès le lendemain de la rupture, c'est la société Yves Rocher France, en tant que propriétaire du fonds de commerce, qui supportait l'ensemble des coûts fixes et variables associés à l'exploitation du fonds.

Subsidiairement, si la durée du préavis accordé est jugée insuffisante par la Cour, elle prétend que la relation commerciale ne présentait pas un caractère établi mais était précarisée à compter du 12 novembre 2012, à raison notamment du caractère conflictuel des relations des parties, ce qui légitime une durée réduite de préavis.

Réponse de la Cour,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

La Cour rappelle que l'existence d'une stipulation contractuelle de préavis ne dispense pas le juge, s'il en est requis, de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres circonstances (en ce sens Com., 20 mai 2014, pourvoi n° 13-16.398, Bull. 2014, IV, n° 89).

La Cour constate que la relation commerciale établie depuis plus de douze années entre les parties était encadrée par un contrat de location-gérance à durée indéterminée, aux termes duquel la société Yves Rocher France restait propriétaire du fonds de commerce le locataire n'ayant qu'une jouissance de ce fonds pour son exploitation et prévoyant une clause de résiliation au bénéficie de chacune des parties moyennant un préavis de 6 mois.

Le tribunal a retenu un préavis nécessaire mais suffisant de neuf mois, compte tenu de l'ancienneté de la relation et la spécificité du contrat dont bénéficiait la société Migma.Com ne rendant pas aisé le rétablissement d'une activité présentant des caractéristiques équivalentes. La société Migma.Com, au soutien de son appel, n'explicite pas en quoi ce délai de 9 mois serait insuffisant pour trouver une nouvelle activité, notamment dans le cadre d'un autre contrat de location-gérance, étant observé qu'elle n'est pas propriétaire du fonds de commerce devant être restitué à la cessation du contrat.

Par ailleurs, la société Yves Rocher France qui fait état de relations dégradées au regard de la situation financière et des stocks de la société Migma.Com, n'apporte pas d'élément probant pour démontrer au moment de la notification de la rupture une situation financière ou des relations dégradées au point de mettre en péril le fonds de commerce, ou de faute suffisamment grave de la part de la société Migma.Com pour justifier un préavis réduit.

Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu un préavis nécessaire de 9 mois.

- Sur le préjudice

Exposé des moyens,

La société Migma.Com conteste la méthode de calcul de son préjudice par les premiers juges fondée sur la notion de marge sur coûts variables et sur la moyenne des trois exercices précédents. Elle soutient que son préjudice est matérialisé par la perte de tout produit d'exploitation qu'elle aurait dû réaliser pendant la période de préavis dont elle aurait dû bénéficier. Elle produit une attestation d'expert-comptable fixant le taux de marge brute à hauteur de 97,5% au motif que son chiffre d'affaires 2019 est constitué quasi intégralement de prestations de services prenant notamment la forme de soins en cabine. A défaut, si la Cour devait retenir la marge sur coûts variables, elle sollicite la réintégration dans le calcul des charges fixes qu'elle a continué à supporter, notamment les charges de rémunération du gérant et les charges fixes nécessaires au rétablissement de la société, à savoir :

- Les impôts, taxes et versements assimilés à hauteur de 12 701 euros,

- Les charges sociales à hauteur de 97 907 euros,

- Les charges fixes nécessaires au rétablissement de la société (eau, électricité, fournitures administratives, consommables, frais d'assurance, frais de comptabilité, frais bancaires, abonnement téléphonique, internet') à hauteur de 65282,08 euros,

- Les dotations aux amortissements à hauteur de 767 euros,

- Les autres charges à hauteur de 1 392 euros

En réponse, la société Yves Rocher France estime que, s'il existe, le quantum du préjudice subi par la société Migma.Com doit être recherché sur la base de la moyenne des chiffres résultant des liasses fiscales relatives aux trois derniers exercices révolus et que le préjudice correspond au gain manqué sous déduction des coûts évités ce qui correspond au résultat net qu'elle aurait dû réaliser pendant la durée du préavis non effectué, soit 3.335 €/ mois de préavis non exécuté.

Réponse de la Cour,

Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce que le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (en ce sens Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940 publié).

La rupture de la relation commerciale correspond à la cessation du contrat de location gérance du fonds de commerce. Aussi, durant la période d'insuffisance de préavis la société Migma.Com n'avait plus d'activité ni de charges (variables ou fixes) à supporter pour l'exploitation du fonds de commerce retourné à la société Yves Rocher France.

Le montant allégué de 257 851 euros de charges fixes supporté par la société Migma.Com pour son « rétablissement » malgré la rupture n'est pas justifié de manière adéquate.

Dès lors, c'est à juste titre que pour évaluer le préjudice de la société Migma.Com, le tribunal s'est basé sur la moyenne du résultat d'exploitation des comptes sociaux sur les exercices 2017-2019 (annuelle de 42 363 € et mensuelle de 3530 €), soit un préjudice fixé à la somme de 10 590 euros sur une période d'insuffisance de préavis de trois mois.

En conséquence le jugement sera confirmé sur ce chef de préjudice.

2. Sur la demande en paiement de la société Yves Rocher France

Exposé des moyens,

A l'appui de son appel incident, la société Yves Rocher France sollicite le paiement de sa créance résiduelle d'un montant de 54.387,38 euros au titre des écarts d'inventaire et des redevances de location-gérance restées impayées. Elle soutient que le caractère certain, liquide et exigible d'une partie de la créance avait été expressément admis par la société Migma.Com dans son courrier du 5 octobre 2020. Elle indique produire en cause d'appel l'ensemble des factures justifiant sa créance ainsi que la situation de compte détaillée correspondante.

En réponse, la société Migma Com conteste la créance alléguée aux motifs que, d'une part, la somme de 27.767,80 euros correspondant aux surfacturations opérées de manière injustifiée doit être retranchée au montant réclamé, et d'autre part, la réalité du reliquat de sa créance n'est étayée par aucune pièce justificative et la lettre du 5 octobre 2020 ne peut être considérée comme une reconnaissance de dette.

Réponse de la Cour,

A l'appui de sa demande en paiement de la somme de 54.387,38 euros, la société Yves Rocher verse aux débats, le compte client Migma.Com (pièce n°7.9), une attestation de son expert-comptable (pièce 7.8) et un ensemble de bons de commandes, livraisons et factures (pièces n°7.10 et 7.11).

La société Migma.Com ne conteste en réalité sérieusement qu'une partie de la demande à hauteur de 27.767,80 euros, à savoir :

- 16 028 euros au titre d'un écart d'inventaire

- 3.687,90 euros pour facture abusive d'abonnements non corrigés

- 1.707,70 euros pour facturation abusive des tenues de personnel

- Facturation abusive des caméras (420 euros), de la ligne téléphonique analogique pour mai et juin au moment de la fermeture de l'institut (73 euros), des bornes antivols toujours en place (5.851,20 euros).

Il ressort du courrier du 5 octobre 2020 de la société Migma.Com que des pénalités facturées au titre d'écart d'inventaire ont été contestée dès l'origine. S'il ressort du décompte de l'expert-comptable Yves Rocher (pièce 7.8), une régularisation pour un montant de 5 212,09 euros pour un écart d'inventaire positif en 2018, en revanche aucune explication n'est donnée par Yves Rocher dans ses écritures sur la facturation n° 201505169 (annexe 47 pièce n°7.11) de pénalité d'inventaire contestée à hauteur de 16 027,97 euros par la société Migma.Com.

La société Migma.Com conteste également devoir une somme de 3687,90 euros identifiée par la Cour sur la facture N° 201500427 (annexe n°43 pièce n°7.11), correspondant à un abonnement de soins pour la période de rupture du contrat. Cette somme déjà contestée dans le courrier du 5 octobre 2020, ne fait l'objet d'aucune explication de la société Yves Rocher France quant à son bien-fondé.

En revanche, les sommes contestées par la société Migma.Com de 1.707,70 euros pour facturation des tenues de personnel, des caméras (420 euros), de la ligne téléphonique analogique pour mai et juin (73 euros) et des bornes antivols (5.851,20 euros), ne sont pas identifiées par la Cour comme étant des sommes effectivement réclamées par la société Yves Rocher France.

Dès lors, il convient de déduire du montant réclamé de 54.387,38 euros, les sommes de 16 027,97 euros et 3687,90 euros, soit un solde restant dû par la société Migma.Com de 34 671,51 euros.

En conséquence, la société Migma.com sera condamnée à verser cette somme à la société Yves Rocher France. Le jugement sera infirmé de ce chef de demande.

3. Sur la demande de compensation

Exposé des moyens,

Selon la société Yves Rocher France, la compensation s'opère de plein droit dès lors que les deux créances réciproques fixées par jugement revêtent un caractère certain, liquide et exigible.

Selon la société Migma.com, une créance de nature contractuelle ne peut être compensée avec une créance délictuelle née de l'indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies, ces dettes n'étant pas connexes même si elles concernent toute deux une même relation contractuelle (Cass. Com. 18 déc. 2012, n°11-17.872).

Réponse de la Cour,

Il résulte des articles 1347-1 et 1348-1 du code civil, que sauf connexité entre les dettes, la compensation suppose que les créances réciproques soient certaines, fongibles, liquides et exigibles.

La société Yves Rocher France étant condamnée à payer à la société Migma.Com la somme de 19 590 euros et la société Migma.Com condamnée à payer à la société Yves Rocher France la somme de 34 671,51 euros, ces dettes de sommes d'argent réciproques sont certaines, liquides et exigibles.

Aussi, dès lors que les dettes réciproques remplissent les conditions de l'article 1347-1 précité, il n'y a pas lieu de rechercher un lien de connexité entre elles.

Dès lors, leur compensation sera ordonnée.

4. Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Migma.Com aux dépens et débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Migma.Com, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Migma.Com sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Yves Rocher France la somme de 7 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a condamné la société Migma.Com à payer à la société Yves Rocher France la somme de 26 613,62 euros, soit la somme de 16 023,62 euros après compensation,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Migma.Com à payer à la société Yves Rocher France la somme de 34 671,51 euros au titre de l'exécution du contrat de gérance libre ;

Ordonne la compensation entre cette somme et la condamnation de la société Yves Rocher France à verser la somme de 10 590 euros de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale ;

Condamne la société Migma.Com aux dépens d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Migma.Com et la condamne à payer à la société Yves Rocher France la somme de 7 500 euros.