CA Reims, ch. civ. sect. 1, 22 janvier 2019, n° 18/00049
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Société Civile Immobilière Les Ilots (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Conseillers :
Mme Lefort, Mme Mathieu
* * * * *
EXPOSE DU LITIGE :
La SCI Les Ilots est propriétaire d'un ensemble immobilier situé [...], assuré auprès des Lloyd's, et donné à bail à différents locataires. Le 7 septembre 2009, l'immeuble a été détruit en totalité par un incendie.
Suivant contrat en date du 8 septembre 2009, la SCI Les Ilots a confié au Cabinet R. une mission d'expertise des dommages résultant du sinistre.
La SA Cabinet R. a adressé à la SCI Les Ilots sa facture datée du 31 décembre 2010 d'un montant de 85.035,60 euros au titre de ses honoraires.
Après mise en demeure du 2 février 2015 restée infructueuse, la SA Cabinet R. a, par acte d'huissier du 10 décembre 2015, fait assigner la SCI Les Ilots devant le tribunal de grande instance de Reims en paiement.
Elle a sollicité la somme de 85.035,60 euros au titre de ses honoraires, avec intérêts à un taux égal à deux fois le taux légal, ainsi que les sommes de 8.503,56 euros au titre de la clause pénale et 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle a fait valoir qu'elle avait réalisé l'intégralité des prestations contractuellement prévues, que l'absence de procès-verbal d'expertise résultait de l'abstention de l'expert désigné par la compagnie d'assurance Lloyd's, qu'elle avait calculé ses honoraires à partir du montant total des dommages directs, et que le contrat d'assurance souscrit par la SCI Les Ilots permettait la prise en charge d'une partie de ses honoraires à hauteur de 76.698,75 euros.
La SCI Les Ilots a conclu au rejet, reprochant au Cabinet R. de n'avoir exécuté aucune de ses obligations contractuelles, à l'exception de la production d'un tableau récapitulatif des dommages et de la participation d'un expert à une réunion d'expertise en 2011 pour l'évaluation des dommages subis par un des locataires de l'immeuble, soulignant l'absence de rapport et de procès-verbal d'expertise. Elle a en outre contesté le mode de calcul des honoraires.
Par jugement du 14 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Reims a':
- condamné la SCI Les Ilots à payer à la SA Cabinet R. la somme de 85.035,60 euros au titre des honoraires, outre intérêts à un taux égal à deux fois le taux légal à compter du 8 janvier 2011,
- condamné la SCI Les Ilots à payer à la SA Cabinet R. la somme de 8.503,56 euros au titre de la clause pénale,
- condamné la SCI Les Ilots à payer à la SA Cabinet R. la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SCI Les Ilots de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Les Ilots aux entiers dépens,
- prononcé l'exécution provisoire de la décision à hauteur de la moitié.
Pour statuer ainsi, le tribunal a jugé qu'il appartenait à la SCI Les Ilots d'apporter la preuve que la SA Cabinet R. n'avait pas exécuté ses obligations contractuelles'; que d'après les termes du contrat, le Cabinet R. n'avait aucune obligation sur les modalités d'élaboration du chiffrage des préjudices ni sur la forme qu'il devait revêtir'; qu'il avait élaboré un document de trente pages chiffrant précisément les dommages, les pertes étant estimées à 4.073.683 euros'; que la preuve de l'inexécution contractuelle n'était pas rapportée'; que les pièces versées au débat montraient par ailleurs que le Cabinet R. avait invité les autres experts à établir et signer un procès-verbal de chiffrage, et que la SCI Les Ilots avait à cette époque imputé à sa compagnie d'assurance l'absence de signature de ce procès-verbal'; que l'absence de signature du procès-verbal de chiffrage ne constituait donc pas un manquement du Cabinet R.'; que s'agissant de l'évaluation du risque locatif, la SCI Les Ilots ne rapportait pas la preuve qu'elle avait sollicité le Cabinet R. pour les réunions d'expertise et lui avait communiqué les lieu, date et heure des réunions, de sorte qu'il ne pouvait être considéré qu'un manquement à une obligation contractuelle aurait été commise par le Cabinet R.'; que la SCI Les Ilots ne rapportait pas non plus la preuve de ce que le Cabinet R. se serait abstenu de lui porter assistance dans le cadre des négociations avec son assureur. Sur les conditions de facturation, il a retenu que la SCI Les Ilots ne produisait aucune pièce permettant de déterminer si elle avait ou non perçu une indemnisation de son assureur, de sorte qu'il ne pouvait être tenu pour établi qu'elle n'aurait bénéficié d'aucune couverture de dommages, ce qui excluait l'application de l'article 5 du contrat invoqué par la SCI Les Ilots, que par ailleurs l'article 3 ne trouvait pas à s'appliquer, et qu'en vertu de l'article 4 applicable en cas de désaccord persistant, les honoraires devaient être calculés selon le barème prévu à l'article 2.
Par déclaration du 8 janvier 2018, la SCI Les Ilots a fait appel de ce jugement.
Par conclusions récapitulatives en date du 30 octobre 2018, la SCI Les Ilots demande à la cour d'appel de':
A titre liminaire,
- prononcer la nullité du jugement entrepris pour défaut de motivation par défaut de réponse à conclusions par application combinée des articles 455 et 458 du code de procédure civile,
A titre principal,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que le Cabinet R. n'apporte aucune preuve de l'exécution des obligations contractuelles mises à sa charge par l'effet du contrat de prestations de service du 8 septembre 2009,
- dire et juger que le défaut de production du procès-verbal chiffré de dommages signé par toutes les parties à l'expertise amiable et contradictoire constitue une inexécution contractuelle imputable au seul Cabinet R.,
- dire et juger que l'inexécution par le Cabinet R. de ses obligations contractuelles le prive de la rémunération au résultat prévue à l'article 2 du contrat de prestations de services du 8 septembre 2009,
- dire et juger qu'il résulte des termes du courrier adressé le 17 octobre 2012 par le Cabinet R. à l'expert de la compagnie d'assurance qu'à la date du 31 décembre 2010, le défaut de production du procès-verbal chiffré de dommages signé par toutes les parties à l'expertise amiable et contradictoire ne peut en aucun cas s'analyser en un cas de refus persistant du client, de la compagnie d'assurance ou de son expert,
- dire et juger que le Cabinet R. ne s'est pas conformé aux modalités de facturation des honoraires prévues à l'article 2 du contrat de prestations de services,
- dire et juger que la clause contenue à l'article 4 du contrat est réputée non écrite en ce qu'elle prive de toute substance l'obligation essentielle du Cabinet R. prévue à l'article 1 dudit contrat, en application de l'article 1170 du code civil,
- dire et juger que la facture n°37501087 du 31 décembre 2010 n'est pas conforme aux stipulations contractuelles et qu'elle présente un caractère abusif au regard des règles applicables en matière de sous-traitance,
- condamner la SA Cabinet R. au paiement de la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Sur la critique de la décision attaquée, elle fait valoir en premier lieu que le tribunal a violé les dispositions des articles 1134 et 1315 anciens du code civil en dénaturant ses moyens de défense et en considérant que la charge de la preuve de l'inexécution lui incombait, alors qu'elle n'invoquait pas l'exception d'inexécution, et alors qu'en application de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient au contraire au Cabinet R. d'apporter la preuve de l'exécution de ses obligations et du montant de sa rémunération. Elle reproche ainsi au tribunal d'avoir inversé la charge de la preuve puisqu'il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver. En deuxième lieu, elle invoque un défaut de motivation et un défaut de base légale et reproche au tribunal de ne pas avoir répondu à ses arguments pour les rejeter, à savoir le grief tiré de l'absence d'élaboration d'un document listant précisément les diligences entreprises par le Cabinet R. pour le chiffrage des dommages directs, le grief tiré du défaut de production d'un procès-verbal d'expertise fixant le montant des dommages signé par les parties concernées, le grief tiré de l'absence d'expert aux réunions d'évaluation du risque locatif à l'exception de celle concernant la société Brico Dépôt, et le grief tiré de l'absence d'assistance de la part du Cabinet R. aux opérations de négociation de l'indemnité due par la compagnie d'assurance. En troisième lieu, elle reproche au tribunal d'avoir dénaturé les faits de l'espèce en analysant l'absence de signature d'un procès-verbal de chiffrage comme un désaccord persistant du client, alors même que le Cabinet R. n'a jamais revendiqué l'application de l'article 4 du contrat. En quatrième lieu, elle invoque la violation par le tribunal des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance en ce qu'il a jugé que la sous-traitance était permise alors qu'elle n'a pas agréé les conditions de rémunération de ce sous-traitant.
Sur la nullité du jugement en application des articles 455 alinéa 1er et 458 alinéa 1er du code de procédure civile, elle fait valoir que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motivation et qu'en l'espèce le tribunal n'a pas répondu à son moyen relatif au caractère abusif de la facture.
Sur le fond, elle explique que le Cabinet R. avait initialement désigné en qualité d'expert M. D., qui a quitté le cabinet en janvier 2010, de sorte que le contrat n'a plus été exécuté après le départ de ce dernier. En premier lieu, sur l'inexécution du contrat, elle rappelle qu'aux termes du contrat du 8 septembre 2009, le Cabinet R. devait évaluer les dommages directs sur les bâtiments et l'assister à l'expertise des risques locatifs résultant du sinistre, intervenir dans le cadre d'une expertise amiable contradictoire aux fins d'obtention de la plus juste indemnisation possible dans la limite des polices souscrites, interpréter la police, établir un état des pertes et les chiffrer, et assister le client lors de la négociation sur les garanties, les valeurs, les taux de vétusté auprès de l'expert de la compagnie et de la compagnie d'assurance elle-même. S'agissant de l'évaluation des dommages directs, elle fait valoir que le Cabinet R. s'est borné à produire un tableau récapitulatif de chiffrage du coût de la reconstruction à l'identique, mais n'a produit aucun rapport précisant les circonstances et les conditions de son intervention, à savoir les diligences effectuées, les déplacements sur site, le temps passé, les personnes rencontrées, les entreprises de référence pour l'évaluation, la méthode de calcul des métrés et des volumes, de sorte qu'il n'est pas établi que le Cabinet R. ait personnellement exécuté sa mission, et ce d'autant qu'il n'a jamais produit de procès-verbal de chiffrage des dommages. Elle souligne que le chiffrage des dommages résultant du tableau n'est pas opposable aux autres parties, notamment sa compagnie d'assurance. S'agissant de l'assistance à l'expertise des risques locatifs, elle soutient qu'à l'exception de l'expertise concernant la société Brico Dépôt, aucune assistance n'a été apportée par le Cabinet R., dont l'intervention n'était pas subordonnée à la demande et aux diligences de la SCI Les Ilots, étant précisé qu'il résulte de l'article 1er du contrat que le cabinet d'expertise devait intervenir activement afin d'obtenir la plus juste indemnisation possible, et qu'en l'espèce, le Cabinet R. n'apporte pas la preuve matérielle de l'exécution de cette mission. S'agissant de son intervention dans le cadre d'une expertise amiable et contradictoire afin d'obtenir la plus juste indemnisation possible dans les limites des polices, elle soutient que le Cabinet R. n'apporte pas la preuve de l'exécution de son obligation et n'a d'ailleurs obtenu aucune indemnisation, étant précisé qu'elle n'a jamais refusé son assistance et qu'il appartenait au cabinet d'expertise d'effectuer toutes diligences, et qu'à défaut, le contrat porterait sur un objet fictif et serait dépourvu de toute contrepartie réelle. S'agissant de l'interprétation de la police, de l'état et du chiffrage des pertes, et de l'assistance lors de la négociation sur les garanties, les valeurs, les taux de vétusté, elle fait valoir qu'aucune pièce n'est versée pour justifier de l'exécution de ces obligations.
En second lieu, elle fait valoir que les conditions de facturation et la facture ne sont pas conformes aux stipulations contractuelles. Elle précise à titre liminaire que le bénéfice d'une garantie honoraires d'expert ne constitue pas une modalité ni une condition du paiement des honoraires, et que le contrat stipule une rémunération calculée sur la base du résultat obtenu. Sur la non conformité des conditions de facturation aux stipulations contractuelles, elle soutient qu'à la date de la facturation, les conditions de l'article 2 du contrat n'étaient pas remplies, en ce qu'aucun acompte n'avait été versé par une compagnie d'assurance et que les opérations d'expertise n'étaient pas clôturées. Elle ajoute qu'avant la présente procédure judiciaire, le Cabinet R. n'a jamais prétendu invoquer l'article 4 relatif au désaccord persistant qui a été soulevé d'office par le tribunal, et qu'aucun désaccord n'a été formalisé ni démontré, étant précisé que 22 mois après l'émission de sa facture, le Cabinet R. demandait toujours l'établissement d'un procès-verbal de chiffrage. Sur la non conformité de la facture aux stipulations contractuelles, elle fait valoir que la facture ne contient aucune référence aux modalités de facturation, ni aucun détail de la somme, ni aucune mention de base indemnitaire, ni pourcentages retenus en application du barème contractuel.
En troisième lieu, elle invoque, sur le fondement de l'article 1170 du code civil, la nullité de la clause contenue à l'article 4 du contrat dont l'application conduit à priver l'obligation essentielle du Cabinet R. de toute substance puisqu'il lui suffit de présenter un chiffrage non contradictoire en se prévalant d'un désaccord entre les parties pour facturer des honoraires.
En quatrième lieu, elle soutient que la facture présente un caractère abusif en ce qu'il ressort du courrier d'accompagnement que le Cabinet R. a rémunéré un tiers, le cabinet D. Expertise, alors qu'elle n'a passé aucun accord avec ce cabinet et qu'elle n'est pas partie à l'accord entre les deux cabinets, de sorte qu'elle n'a pas à en supporter les conséquences juridiques et financières, étant rappelé que les articles 3 et 5 de la loi du 31 décembre 1975 obligent l'entrepreneur à faire agréer le sous-traitant et les conditions de paiement par le maître de l'ouvrage, et qu'elle n'a en l'espèce jamais été informée d'une quelconque sous-traitance.
Par conclusions récapitulatives du 7 novembre 2018, la SA Cabinet R. demande à la cour de':
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- dire et juger que l'effet dévolutif de l'appel rend sans intérêt ni objet la demande en nullité du jugement formée par la SCI Les Ilots,
En conséquence,
- débouter la SCI Les Ilots de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du jugement,
- débouter la SCI Les Ilots de sa demande tendant à dire et juger que la clause contenue à l'article 4 du contrat est réputée non écrite,
- débouter la SCI Les Ilots de sa demande tendant à dire et juger que la facture n°37501087 du 31 décembre 2000 ne serait pas conforme aux stipulations contractuelles et qu'elle présenterait un caractère abusif,
- débouter la SCI Les Ilots de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SCI Les Ilots au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, avec distraction.
En premier lieu, elle fait valoir qu'aucun élément ne justifie la demande de nullité du jugement dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Elle rappelle que par l'effet dévolutif de l'appel, la cour est tenue de statuer sur le fond quelque soit sa décision sur la nullité, de sorte qu'elle n'est pas tenue de statuer au préalable sur la demande de nullité du jugement qui est dès lors dénuée d'intérêt. Elle soutient qu'en toute hypothèse aucun motif ne justifie l'annulation du jugement en ce que d'une part, le tribunal n'a pas opéré de renversement de charge de la preuve car il a constaté qu'elle rapportait la preuve de l'existence du contrat et de ses diligences, d'autre part le tribunal n'a pas dénaturé les faits de l'espèce, puisqu'en application de l'article 12 du code de procédure civile il entrait dans ses pouvoirs de considérer que l'article 4 du contrat trouvait à s'appliquer en l'espèce, et enfin le tribunal a bien répondu au moyen de la SCI Les Ilots relatif au caractère abusif de la facture.
En deuxième lieu, sur le respect de ses obligations contractuelles, elle rappelle tout d'abord que le contrat d'expertise est un contrat d'entreprise et non un contrat de mandat en ce que l'expert, indépendant, ne représente pas son client'; que dans le cadre d'une expertise amiable contradictoire, chaque expert détermine et évalue les dommages résultant du sinistre, ce qu'elle a fait en l'espèce pour la SCI Les Ilots'; que les évaluations des experts sont ensuite confrontées, à l'occasion d'échanges et de réunions d'expertise, en vue de parvenir à un accord sur le montant des dommages'; qu'à l'issue des opérations d'expertise, un procès-verbal, rédigé par l'expert de la compagnie, doit être régularisé entre les experts'; qu'en cas de désaccord sur le montant des dommages, le procès-verbal doit mentionner les points de désaccord'; que les parties ne sont pas tenues par le montant ainsi arrêté. Elle soutient qu'en l'espèce, les experts sont parvenus à un accord sur le montant des dommages résultant du sinistre, arrêté contradictoirement à la somme de 4.447.829 euros et un tableau récapitulatif a été établi et devait être repris dans un procès-verbal d'expertise'; et qu'elle a sollicité à plusieurs reprises l'expert de la compagnie Lloyd's pour établir ce procès-verbal, en vain. S'agissant de l'évaluation des dommages directs, elle estime que la SCI Les Ilots est de mauvaise foi lorsqu'elle prétend qu'il n'a pas été procédé à une évaluation des dommages dans le cadre d'une expertise amiable et contradictoire, soulignant que si elle n'avait pas exécuté sa mission la SCI Les Ilots aurait mis fin au contrat. S'agissant de l'assistance à l'expertise des risques locatifs, elle soutient qu'elle n'a jamais refusé son assistance dans ces expertises et que la SCI Les Ilots ne s'est jamais plainte de l'absence de l'expert aux réunions d'expertise. S'agissant de la négociation de l'indemnité d'assurance et l'interprétation de la police d'assurance, elle fait valoir que la négociation incombe à l'assuré et non à l'expert qui est seulement chargé de l'assister techniquement, et que la SCI Les Ilots ne l'a jamais sollicité. S'agissant de l'état des pertes, elle se prévaut d'un document de trente pages sur le montant des dommages et fait valoir qu'elle a chiffré les pertes à 4.073.683 euros HT.
Elle conclut qu'elle a parfaitement exécuté ses obligations contractuelles.
Sur le montant des honoraires dus, elle souligne à titre liminaire que le contrat d'assurance souscrit par la SCI Les Ilots comporte une garantie honoraires d'expert d'assuré qui lui permet une prise en charge par sa compagnie d'assurance des honoraires dus à hauteur de la somme de 76.698,75 euros. Sur les conditions de facturation, elle invoque l'application de l'article 4 du contrat relatif au cas de désaccord sur le montant des dommages puisque malgré plusieurs relances afin d'obtenir un procès-verbal chiffré, aucun accord n'a pu être formalisé à ce titre, étant précisé que l'article 4 se réfère à l'article 2 relatif au barème dégressif et à l'article 1 sur la base des honoraires, et soutient que la facturation du 31 décembre 2010 à hauteur de 85.035,60 euros tient bien compte de ce barème et de l'état des pertes. Elle s'oppose à la demande de la SCI Les Ilots tendant à voir déclarée non écrite la clause contenue à l'article 4 en ce que cette clause n'est applicable qu'en cas de désaccord persistant sur le montant des dommages et qu'il ne suffit pas de présenter un état des dommages non contradictoires pour prétendre à son application, de sorte que l'article 4 ne prive pas de sa substance l'obligation essentielle du débiteur qui doit avant tout rechercher un accord.
Elle conclut que les conditions de facturations sont parfaitement conformes aux stipulations contractuelles et qu'il n'y a pas lieu de déclarer la clause 4 non écrite.
Sur l'absence de caractère abusif de la facture du 31 décembre 2010, elle fait valoir que la facture ne fait pas état de la rémunération du cabinet D., que le courrier invoqué est postérieur à la facture et concerne une autre facture, que c'est bien elle qui est créancière de la SCI Les Ilots, et que la rémunération de l'expert par le cabinet est indifférente quant à l'obligation de paiement de la SCI Les Ilots.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande relative à la nullité du jugement
La SCI Les Ilots invoque, à l'appui de sa demande de nullité du jugement, un défaut de motivation pour défaut de réponse à conclusions sur le caractère abusif de la facture en ce qu'elle porte sur la rémunération d'un sous-traitant.
Or la nullité du jugement n'est encourue qu'en cas d'absence de motivation. Des motifs erronés n'entraînent pas la nullité.
En l'espèce, il n'y a pas d'absence de motivation sur le caractère abusif de la facture, puisque le tribunal a répondu qu'il était indifférent que le Cabinet R. ait sollicité une tierce personne pour exécuter tout ou partie de ses obligations, le contrat de sous-traitance étant permis en matière de contrat d'entreprise.
Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de nullité du jugement.
Sur la demande en paiement du Cabinet R.
1) Sur l'exécution de la mission
Le contrat d'expertise est un contrat d'entreprise.
En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe au demandeur de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
L'article 1315 ancien du code civil dispose':
«'Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.'»
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il appartient à la SA Cabinet R., demandeur à l'action en paiement, d'apporter la preuve de la réalité de ses prestations et du montant de ses honoraires.
La SA Cabinet R. produit le contrat de mission d'expertise après sinistre en date du 8 septembre 2009 qui stipule, en son article 1er, que':
- «'Le client [la SCI Les Ilots] désigne le Cabinet R. comme expert pour l'évaluation des dommages directs sur les bâtiments et l'assistance à l'expertise des risques locatifs résultant du sinistre.
- Le Cabinet R. interviendra, dans le cadre d'une expertise amiable et contradictoire, afin d'obtenir la plus juste indemnisation possible, dans la limite des polices d'assurance souscrites': sa mission consistera à interpréter la police, et à établir un état des pertes subies par le client, évaluer et chiffrer ces pertes, assister le client lors de la négociation sur les garanties, les valeurs, les taux de vétusté, tant auprès de l'expert de la compagnie qu'auprès de la compagnie elle-même.'»
La mission du Cabinet R. a été explicitée aux termes de son courrier du 8 septembre 2009 adressé à la SCI Les Ilots rédigé comme suit':
«'L'expert mandaté par la compagnie attend de votre part une réclamation quantifiée et chiffrée de vos dommages. Il vous appartiendra donc de bâtir un état des pertes solides, exhaustif et cohérent afin d'être indemnisé conformément aux termes des garanties du contrat d'assurance.
Experts spécialisés dans les règlements de sinistres pour le compte exclusif des assurés, notre intervention représente pour vous la garantie de voir les pertes indemnisées le plus équitablement et rapidement possible en fonction des dommages et du contrat d'assurance.
Notre prestation':
- présence immédiate sur place
- conseil et mise en place des mesures conservatoires s'il y a lieu
- élaboration de l'état des pertes pour chacun des postes
- chiffrage de l'intégralité de votre dommage
- recherche de toutes les possibilités d'indemnisation
- défense et négociation de votre préjudice auprès de votre compagnie d'assurance.'»
L'article 2 intitulé «'honoraires et frais'» prévoit que les honoraires du Cabinet R. seront calculés sur le montant des dommages, et seront facturés selon le barème indiqué, auquel il y a lieu d'ajouter la TVA.
La SA Cabinet R. produit en outre':
- sa facture du 31 décembre 2010 d'un montant de 85.035,60 euros TTC (71.100 euros HT),
- un tableau récapitulatif des dommages daté du 14 janvier 2010 dont il ressort que les dommages ont été évalués à un montant total de 4.447.829 euros,
- un état des pertes détaillé (pièce 11),
- le procès-verbal d'expertise Dommages directs pour la société Brico Dépôt, locataire, en date du 9 février 2011.
Par ailleurs, par courrier du 29 janvier 2010 adressé aux Lloyd's, l'avocat de la SCI Les Ilots indique': «'Le Cabinet R., expert assuré, a assisté aux opérations d'expertise amiable en présence de l'expert désigné par vos soins, le cabinet S.W. Associates, et les opérations d'expertise amiable visant au chiffrage des dommages sont à ce jour terminées. Cependant, et à ce jour, le cabinet S.W. Associates n'a pas adressé au Cabinet R. le procès-verbal de chiffrage amiable des dommages signé. Nous vous notifions, par la présente, l'état chiffré des pertes et dommages correspondant à l'indemnisation réclamée par la SCI Les Ilots, tel qu'il a été arrêté contradictoirement entre le Cabinet R. et le cabinet S.W. Associates, pour la somme totale de 4.447.829 euros...'». En outre, le cabinet d'expertise des Lloyd's a été relancé au moins à deux reprises par le Cabinet R. ou son expert M. D. pour l'établissement du procès-verbal d'expertise au vu du chiffrage contradictoire réalisé.
Il résulte de l'ensemble de ces pièces que le Cabinet R. apporte la preuve qu'il a réalisé sa prestation d'évaluation des dommages directs sur les bâtiments, qu'il a établi l'état des pertes subies et les a chiffrées, et qu'il a assisté à la réunion d'expertise des dommages de la société Brico Dépôt, locataire de la SCI Les Ilots.
Aucune stipulation contractuelle ni légale ou réglementaire ne prévoit que le Cabinet R., qui n'est pas expert judiciaire, devait établir un rapport précisant les circonstances et les conditions de son intervention, à savoir les diligences effectuées, les déplacements, le temps passé, les personnes rencontrées, les références pour l'évaluation, la méthode de calcul des métrés et des volumes, étant rappelé que les honoraires sont fixés selon la convention liant les parties en fonction du montant des dommages et non en fonction des diligences accomplies et du temps passé.
En outre, il n'est pas contesté que l'expert qui a établi l'état et l'évaluation des pertes subies et le tableau récapitulatif des dommages, M. C., était initialement salarié du Cabinet R., de sorte qu'il ne saurait être soutenu que le Cabinet R. n'a pas accompli personnellement sa mission. Au surplus, seuls les experts judiciaires ont l'obligation d'accomplir personnellement leur mission, et non les experts choisis par les parties, le contrat d'expertise étant un contrat d'entreprise de sorte que la sous-traitance est permise.
Par ailleurs, c'est en vain que la SCI les Ilots soutient que le chiffrage des dommages n'est pas opposable aux autres parties, notamment sa compagnie d'assurance. Dès lors que la SA Cabinet R. apporte la preuve qu'elle a chiffré contradictoirement les dommages directs aux bâtiments conformément à sa mission, il appartient à la SCI Les Ilots de prouver que ce chiffrage ne serait pas opposable à sa compagnie d'assurance, ce qu'elle ne fait pas. L'absence d'établissement et de signature du procès-verbal d'expertise amiable ne saurait être reprochée au Cabinet R. puisque cette prestation ne lui incombait pas et qu'il ressort des débats que c'est le cabinet d'expertise de la compagnie Lloyd's, assureur de la SCI Les Ilots, qui en était chargé et qui n'a pas établi ce procès-verbal.
En revanche, il est constant que la SA Cabinet R. n'a assisté la SCI Les Ilots qu'à une seule expertise des risques locatifs, celle concernant la société Brico Dépôt, et qu'elle ne l'a pas assistée lors de la négociation sur les garanties, les valeurs, les taux de vétusté, auprès de la compagnie d'assurance et de son expert.
Si aucune faute contractuelle à ce titre ne peut être reprochée à la SA Cabinet R. en ce qu'elle n'a pas été informée des dates éventuelles des réunions d'expertise par sa cliente et n'a pas été sollicitée pour des négociations avec l'assureur, il n'en reste pas moins que le contrat prévoyait une rémunération pour un ensemble de prestations qui n'ont pas toutes été réalisées.
Ainsi, rien ne justifie que la SA Cabinet R. obtienne la totalité des honoraires contractuellement prévus.
En matière de contrat d'entreprise, le juge a le pouvoir de réduire les honoraires des prestataires de service lorsqu'ils sont excessifs. Au vu des prestations effectivement réalisées en l'espèce, la rémunération de la SA Cabinet R. doit être réduite de 20'%.
2) Sur les conditions de la facturation
L'article 2 du contrat de mission d'expertise stipule notamment que les «'honoraires pourront être facturés suivant les modalités ainsi fixées':
- une ou plusieurs facturations intermédiaires établies sur la base de ou des acomptes versés par la compagnie, selon le barème ci-dessous, et payables à réception de la facture par le client, par prélèvement automatique sur le compte bancaire du client, dès le versement du ou des acomptes par la compagnie,
- le solde ou la totalité de ces honoraires, en cas d'absence d'acompte, dont le montant sera définitivement déterminé à la clôture des opérations d'expertise, ainsi que les frais de déplacement ci-dessous mentionnés. Ce montant sera payable en totalité, à réception de la facture par le client, par prélèvement automatique sur le compte bancaire du client, sous réserve du paiement de l'indemnité immédiate par la compagnie.'»
La facture de 85.035,60 euros TTC est datée du 31 décembre 2000. Il est constant qu'à cette date, la SCI Les Ilots n'avait reçu aucune indemnisation de son assureur, ni l'indemnité immédiate ni un acompte, Les Lloyd's refusant leur garantie, raison pour laquelle l'expert de la compagnie n'a pas établi le procès-verbal d'expertise amiable. Il ressort d'un courriel du 12 octobre 2011 (pièce 7 intimé) qu'une issue transactionnelle a finalement été trouvée avec les Lloyd's à hauteur de 2,7 millions d'euros.
Ainsi, peu importe que les conditions de facturation n'étaient pas réunies au moment où la facture a été émise. Les honoraires sont incontestablement dus au moment où la cour statue en application de l'article 2 du contrat, et l'étaient même déjà en 2015 lors de la mise en demeure et de l'assignation. Néanmoins, il convient d'ajuster les honoraires en fonction de l'indemnité versée par l'assureur. Les parties n'apportent aucune précision sur ce point, de sorte qu'il convient de retenir la somme de 2.700.000 euros visée dans le courriel du 12 octobre 2011.
Par ailleurs, c'est à tort que la SA Cabinet R. invoque désormais, à hauteur de cour, l'application de l'article 4 du contrat, lequel ne concerne que le cas de désaccord persistant de l'une des parties sur le montant des dommages à indemniser, alors qu'en même temps elle soutient que les experts sont parvenus à un accord sur ce montant.
Au regard de l'indemnité versée par l'assureur et du barème prévu à l'article 2 du contrat, les honoraires hors taxes étaient de 2,60'% sur la somme de 1.731.799 euros et 1,20'% sur le surplus, soit 968.201 euros (2.700.000 ' 1.731.799), ce qui fait un total hors taxes de 56.645,18 euros (45.026,77 + 11.618,41 euros).
Comme il a été jugé ci-dessus, les honoraires doivent être réduits de 20'%, de sorte qu'ils doivent être fixés à la somme de 45.316,14 euros, soit 56.645,18 euros TTC (avec une TVA à 20%).
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur le montant de la condamnation et de condamner la SCI Les Ilots au paiement de cette somme, sans qu'il y ait à statuer sur ses demandes et moyens relatifs à l'article 4 du contrat, seul l'article 2 étant applicable en l'espèce.
En conséquence, le montant de la clause pénale devra également être réduit à la somme de 5.664,52 euros, correspondant à 10'% des honoraires dus conformément à l'article 6 du contrat liant les parties.
3) Sur le caractère abusif de la facture
Il ressort d'un courrier du Cabinet R. en date du 14 janvier 2011 (pièce 5 appelante) que l'expertise a été commencée par l'expert M. Thierry D., d'abord salarié du Cabinet R., puis exerçant au sein du Cabinet D. Expertises. La SCI Les Ilots ne s'est jamais opposée à la poursuite des opérations d'expertise par le Cabinet D., ce qui aurait d'ailleurs été contre-productif.
Il ressort d'ailleurs d'un courriel du 29 janvier 2010 que c'est à M. D. que s'est adressé l'avocat de la SCI Les Ilots pour lui demander, en sa qualité d'expert, de mettre en demeure le cabinet SW Associates de signer le procès-verbal de chiffrage des dommages, et c'est en tant qu'exerçant au sein du Cabinet D. Expertises que M. D. a écrit un courriel le 14 février 2010 à l'expert de l'assureur pour le relancer s'agissant du procès-verbal d'expertise. La SCI Les Ilots ne saurait dès lors prétendre qu'elle n'a pas agréé le sous-traitant de la SA Cabinet R..
Dans ces conditions, il n'est nullement abusif pour la SA Cabinet R., contractuellement liée avec la SCI Les Ilots, de réclamer à cette dernière le paiement des prestations réalisées, aussi bien par elle-même que par son sous-traitant, les termes du courrier du 14 janvier 2011 faisant d'ailleurs apparaître un accord entre le Cabinet R. et le cabinet D. Expertises pour la rémunération de ce dernier. Cette demande est même parfaitement justifiée dès lors que les honoraires dus par la SCI Les Ilots ont été calculés conformément aux stipulations de l'article 2 du contrat la liant au Cabinet R., peu important qu'une partie des prestations aient été en réalité réalisées dans son intérêt par le Cabinet D. Expertises et que la SCI Les Ilots n'ait pas été partie à l'accord passé entre les deux cabinets d'expertise sur le reversement des honoraires. La question de l'agrément des conditions de rémunération du sous-traitant ne se pose d'ailleurs pas en l'espèce.
Il convient donc de débouter la SCI Les Ilots de sa demande tendant à voir dire et juger que la facture est abusive.
Sur les demandes accessoires
Au vu de l'issue du présent litige, il convient de confirmer les condamnations accessoires de la SCI Les Ilots et de la condamner également aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par l'avocat de l'intimée conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il n'est pas inéquitable en l'espèce de laisser à la SA Cabinet R. la charge de ses frais irrépétibles d'appel. Sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE la SCI Les Ilots de sa demande de nullité du jugement rendu le 14 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Reims,
INFIRME le jugement rendu le 14 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Reims, en ce qu'il a condamné la SCI Les Ilots à payer à la SA Cabinet R. les sommes de':
- 85.035,60 euros au titre des honoraires conformément à la facture n°37501087 émise le 31 décembre 2010, outre intérêts à un taux égal à deux fois le taux légal à compter du 8 janvier 2011,
- 8.503,56 euros au titre de la clause pénale,
Statuant à nouveau sur ces chefs,
CONDAMNE la SCI Les Ilots à payer à la SA Cabinet R. la somme de 56.645,18 euros TTC au titre de ses honoraires, avec intérêts à un taux égal à deux fois le taux légal à compter du 8 janvier 2011,
CONDAMNE la SCI Les Ilots à payer à la SA Cabinet R. la somme de 5.664,52 euros TTC au titre de la clause pénale,
DEBOUTE la SCI Les Ilots du surplus de ses prétentions,
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,
Y ajoutant,
DEBOUTE la SA Cabinet R. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI Les Ilots aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Pascal G., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.