CA Amiens, 1re ch. civ., 3 octobre 2024, n° 23/01558
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
60 Secondes Chrono (SARL)
Défendeur :
Époux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hauduin
Vice-président :
M. Berthe
Conseiller :
Mme Jacqueline
Avocats :
Me Louette, Me Francispillai, Me Pierlot
DECISION :
La SARL 60 secondes chrono a pour objet, notamment, l'achat et la vente de véhicules neufs et d'occasion et intervient également en qualité d'intermédiaire en matière de vente automobile.
M. [G] [V] et Mme [S] [I] épouse [V] ont signé auprès de la société 60 secondes chrono un bon de réservation le 23 janvier 2021 pour faire l'acquisition d'un véhicule de marque Porsche, modèle 911, immatriculé [Immatriculation 4] au prix de 78 780 euros, moyennant le versement d'arrhes, à hauteur de 1 000 euros.
Le véhicule a été livré aux époux [V] le 6 février 2021, mais lors de la réception, le double des clés du véhicule était manquant.
En l'absence de restitution dans un délai de 15 jours suivant réception du véhicule du double des clés, les époux [O] ont demandé à la SARL 60 secondes chrono par lettre recommandée avec avis de réception en date du 2 mars 2021, la prise en charge du coût de la duplication. Ce courrier est resté sans réponse.
Se plaignant de l'absence de plusieurs options sur le véhicule par rapport à l'annonce diffusée et d'anomalies découvertes sur le véhicule, les époux [V] ont assigné le 2 décembre 2021 la SARL 60 Secondes chrono aux fins de voir dire et juger que la SARL 60 Secondes chrono a manqué à son obligation de délivrance conforme du véhicule Porsche, de condamner la SARL 60 Secondes chrono à leur verser à titre de dommages-intérêts les sommes de 435,91 euros au titre de la duplication de la clé du véhicule, 1 380 euros au titre des options manquantes, 10 362 euros au titre de la mise en conformité du véhicule et 600 euros en réparation de leur préjudice moral.
La SARL 60 Secondes chrono, dont le siège social se trouve à [Localité 3] (77), n'a pas comparu en première instance.
Par jugement en date du 14 février 2023 le tribunal judiciaire de Laon a :
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 10 763,81 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono aux dépens ;
Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 29 mars 2023, la SARL 60 secondes chrono a interjeté appel de cette décision.
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 28 juin 2023 par lesquelles la SARL 60 secondes chrono demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 10 763,81 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono aux dépens ;
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les époux [V] de leurs autres demandes,
statuant à nouveau :
Déclarer le tribunal judiciaire de Laon incompétent au profit du tribunal judiciaire de Melun ;
Déclarer irrecevables les demandes des époux [V] dirigées contre la société 60 Secondes chrono,
Débouter les époux [V] de l'ensemble de leurs demandes,
Condamner les époux [V] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner les époux [V] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle expose :
- que le tribunal aurait dû se déclarer territorialement incompétent en raison du lieu de son siège social, soit le [Adresse 2] à [Localité 3], que le tribunal judiciaire dans le ressort du lieu de son siège social est celui de Melun, que par conséquent, le tribunal judiciaire de Laon n'était pas territorialement compétent et que c'est le tribunal judiciaire de Melun qui aurait dû être saisi,
- que c'est à tort que le tribunal judiciaire de Laon est entré en voie de condamnation contre elle car les demandes des époux [V] étaient mal dirigées et auraient dû l'être contre le propriétaire du véhicule, comme cela était mentionné sur l'ensemble des documents contractuels qui leur ont été remis, qu'il est en effet expressément rappelé dans l'ensemble des documents contractuels signés par les époux [O] que la société 60 Secondes chrono n'est pas propriétaire du véhicule vendu, mais intervient uniquement en qualité en mandataire, et qu'à ce titre, elle n'est pas responsable des conséquences de l'état du véhicule, que les époux [V] auraient dû diriger leur action contre l'ancien propriétaire du véhicule, à savoir la société Option's Motors,
- que les époux [V] ont reçu, préalablement à la vente du véhicule, une facture datée du 3 février 2021 du centre Porsche de [Localité 5], qui a examiné le véhicule avant la vente et qui a notamment conclu « Pneumatique non homologué », que c'est donc en parfaite connaissance que les époux [V] ont fait l'acquisition du véhicule qui a été vendu avec l'ensemble des documents justifiant de son état,
- que les époux [V] n'ont jamais prouvé s'être acquitté de la facture de réparation pour les jantes et les pneumatiques avant et n'ont jamais formé la moindre demande amiable concernant ces prétendues anomalies.
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 21 septembre 2023 par lesquelles les époux [V] demandent à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 10 763,81 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono à payer aux époux [V] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la SARL 60 Secondes chrono aux dépens ;
En tout état de cause,
Débouter la SARL 60 Secondes chrono de son appel et de ses demandes,
Condamner la SARL 60 Secondes chrono à leur verser la somme de 2 990 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais irrépétibles de la procédure d'appel en sus de ceux de première instance qui seront confirmés ainsi qu'aux entiers dépens.
Ils exposent :
- qu'ils sont consommateurs et peuvent saisir à ce titre la juridiction du lieu où ils demeuraient au moment de la conclusion du contrat, qu'à cette date, ils demeuraient au [Adresse 1] à [Localité 8] et étaient donc parfaitement fondés à assigner la société 60 Secondes chrono devant le tribunal judiciaire de Laon,
- que lors de la prise en main du véhicule, ils ont constaté que le véhicule ne disposait pas du degré d'équipement attendu et que la société 60 Secondes chrono a manqué à son obligation de délivrance conforme,
- qu'ils n'ont jamais reçu communication du prétendu mandat de vente et que cette pièce leur est donc inopposable, que la qualité de vendeur de 60 Secondes chrono et d'acheteur pour eux est expressément indiquée dans la déclaration de cession du véhicule,
- que la clause limitative de responsabilité mentionnée dans le bon de réservation est abusive et inopposable.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
La clôture a été prononcée le 17 avril 2024 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 6 juin 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Laon :
Aux termes de l'article 46 du code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.
En outre, il résulte de l'article R631-3 du code de la consommation que le consommateur peut saisir, soit l'une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, soit la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable.
En l'espèce, il n'est pas contesté que les époux [V] demeuraient au moment de la conclusion du contrat au [Adresse 1] à [Localité 8], sur le ressort du tribunal judiciaire de Laon.
Il résulte par ailleurs des éléments du débat qu'ils ont acheté le véhicule incriminé non pour les besoins d'une activité professionnelle mais à titre personnel et en qualité de consommateurs.
Dès lors, le tribunal judiciaire de Laon était territorialement compétent pour statuer et l'exception soulevée par la Société 60 Secondes chrono sera rejetée.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société 60 Secondes chrono :
Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité.
En application de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
Les prétentions dirigées à l'encontre d'une partie dépourvue de qualité pour être assignée sont irrecevables.
En l'espèce, les époux [V], qui ont assigné la société 60 Secondes chrono en qualité de venderesse, contestent sa qualité de mandataire et soutiennent que cette dernière s'est comportée comme la propriétaire du véhicule sans leur faire part de sa qualité prétendue de mandataire.
Cependant, il n'est pas contesté que le 23 janvier 2021, M. [O] a signé le bon de réservation portant sur le véhicule Porsche 911 immatriculé [Immatriculation 4].
Ce bon de réservation stipule en caractère souligné que :
« L'attention du client est formellement attirée sur le fait que la société 60 secondes chrono n'intervient dans la présente transaction qu'en qualité d'intermédiaire mandaté pour la vente du véhicule réservé dont elle n'est pas propriétaire et qu'elle ne saurait dès lors répondre de ses caractéristiques ou de son bon fonctionnement. Tout recours en vice caché ou de non conformité ne pourra en conséquence qu'être exercé à l'encontre du propriétaire mentionné sur le certificat d'immatriculation ».
Les époux [V], qui ne contestent pas l'existence de cette mention ni en avoir connaissance, ne peuvent ainsi prétendre utilement s'être mépris sur la qualité réelle d'agent intermédiaire de la société 60 secondes chrono dans la transaction, cette qualité leur ayant été exposée en termes intelligibles, dépourvus d'ambiguïté et non équivoques.
Pour les besoins du débat, la société 60 Secondes chrono a en outre produit le contrat de mandat de vente à effet au 12 janvier 2021 l'instituant mandataire.
Par ailleurs, les époux [V] estiment que la mention ci-dessus reproduite constituerait une clause abusive qui aurait donc pour objet ou à tout le moins pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, en l'espèce en entravant leur possibilité d'agir en justice contre le vendeur.
En l'espèce, la mention incriminée n'a ni pour objet ni pour effet de contraindre les acheteurs à saisir une juridiction d'arbitrage, à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ni d'interdire tout recours judiciaire. Elle a pour objet et pour effet d'informer explicitement les acquéreurs sur la qualité réelle de la société 60 Secondes chrono dans la transaction, soit celle d'intermédiaire mandataire entre le propriétaire du véhicule et les acheteurs potentiels.
La stipulation incriminée n'a donc nullement pour effet de priver ou d'entraver les divers recours judiciaires des acheteurs contre le vendeur, qui n'a pas été attrait dans la cause en l'espèce.
L'absence de recours exercé contre le vendeur ne relève ainsi que du choix des époux [V] et n'a été imposée par aucune stipulation portée au bon de réservation.
Les époux [V] ne contestent pas avoir pris livraison du véhicule mais ils nient à hauteur d'appel la signature de M. [V] sur la quittance de livraison établie le 6 février 2021 à 12h30 par laquelle M. [V] reconnaît avoir pris possession du véhicule et déclare :
- avoir examiné et essayé le véhicule préalablement à ma décision de l'acquérir et que cet examen et cet essai m'ont donné entière satisfaction,
- avoir reçu tous les documents nécessaires au changement d'immatriculation (certificat d'immatriculation, certificat de cession signé par l'ancien propriétaire et code de cession transmis par l'ancien propriétaire, certificat de situation administrative),(...)
- avoir été une nouvelle fois informé que la société 60 secondes chrono n'est intervenue dans la présente transaction qu'en qualité d'intermédiaire mandaté pour la vente du véhicule dont elle n'était pas propriétaire et qu'elle ne saurait dès lors répondre de ses caractéristiques ou de son bon fonctionnement. Tout recours en cas de vice caché ou de non conformité ne pouvant en conséquence qu'être exercé à l'encontre du propriétaire mentionné sur le certificat d'immatriculation.
Il résulte des articles 287 et 288 du code de procédure civile que si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté, qu'il appartient au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose, que dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l'une des parties, qu'ils aient été émis ou non à l'occasion de l'acte litigieux.
Force est de constater que la signature de M. [V] portée sur la quittance de livraison du 6 février 2021 est identique à la signature porté sur le bon de réservation du 23 janvier 2021, qui, pour sa part, ne fait l'objet d'aucune contestation.
Dès lors, les époux [V] ne démontrent pas que M. [V] n'a pas signé la quittance de livraison et a fortiori avoir une nouvelle fois été explicitement avisé de la qualité d'intermédiaire de la société 60 secondes chrono mandatée pour la vente du véhicule dont elle n'était pas propriétaire.
L'ensemble des prétentions des époux [V] relatives à l'absence de délivrance conforme et aux différents préjudices allégués en découlant sont ainsi irrecevables en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre d'une partie dépourvue de qualité pour être assignée à ce titre.
Dès lors, il y a lieu d'infirmer la décision entreprise qui a statué au fond sur l'ensemble des demandes des époux [V] formées à l'encontre de la société 60 secondes chrono.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Les époux [V], qui succombent, seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel et la décision de première instance sera infirmée en ses dispositions afférentes aux frais irrépétibles et aux dépens.
L'équité commande de condamner les époux [V] à payer à la société 60 secondes chrono la somme de 1 500 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile. Ils seront déboutés de leur propre demande indemnitaire à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
Infirme en toutes ses dispositions la décision querellée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la SARL 60 secondes chrono,
Déclare irrecevables l'ensemble des demandes formées par M. [G] [V] et Mme [S] [I] épouse [V] en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la SARL 60 secondes chrono,
Condamne M. [G] [V] et Mme [S] [I] épouse [V] aux dépens de la première instance et de l'appel,
Condamne M. [G] [V] et Mme [S] [I] épouse [V] à payer à la SARL 60 secondes chrono la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et déboute M. [G] [V] et Mme [S] [I] épouse [V] de leur demande sur ce même fondement.