CA Grenoble, 1re ch., 1 octobre 2024, n° 23/00024
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Clerc
Conseillers :
Mme Blatry, Mme Lamoine
Avocats :
Me Parente, Me Zana, Me Baud
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTION DES PARTIES
Selon certificat de cession du 21 décembre 2019 M. [G] [W] a fait l'acquisition auprès de M. [Z] [D] d'un véhicule de marque et de type BMW série 5, affichant au compteur 206 600 km et mis pour la première fois en circulation le 3 septembre 2012, moyennant le prix de 15.500 €.
Le contrôle technique périodique du 27 septembre 2019 faisait exclusivement état d'une défaillance mineure relative au réglage des feux de brouillard avant.
Confronté à l'usage à plusieurs désordres (défaut d'équilibrage, vibration au freinage, consommation excessive de liquide de refroidissement) l'acquéreur a déclaré le sinistre à son assureur de protection juridique qui a fait procéder le 3 juin 2020 à une expertise officieuse non contradictoire qui a révélé que le véhicule était affecté de désordres au niveau des trains roulants et de malfaçons de réparation suite à des travaux anciens de carrosserie.
L'expert a convoqué le vendeur à une seconde réunion devant se tenir le 15 juillet 2020.
À cette date, en l'absence de ce dernier, l'expert, [I] [A], a notamment constaté après un essai routier que le véhicule était affecté de désordres au niveau de certains organes du système de freinage, des trains roulants, de la transmission et de certains éléments de carrosserie, mais a estimé qu'à l'exception des vibrations ressenties lors du freinage, qui étaient dues à la pose de disques de freins avant non conformes aux pièces d'origine, les autres désordres mécaniques résultaient d'une usure normale eu égard au kilométrage parcouru.
Il a chiffré le coût des travaux de remise en état à la somme de 2.337,17 € TTC selon devis des Ets ABM BMW.
Les tentatives de règlement amiable du litige ayant échoué, M. [W] a saisi le tribunal judiciaire de Vienne, par acte d'huissier du 14 décembre 2020, d'une demande d'expertise judiciaire, à laquelle il a été fait droit par ordonnance de référé du 28 janvier 2021.
L'expert judiciaire, M. [R] [O], a déposé son rapport définitif le 20 septembre 2021 dont il résulte en substance que le véhicule est affecté de désordres mécaniques et de carrosserie ne le rendant pas impropre à sa destination et nécessitant des travaux de remise en état d'un montant de 6.100€ TTC.
Par acte extrajudiciaire du 17 mars 2022, M. [G] [W] a fait assigner M. [Z] [D] devant le tribunal judiciaire de Vienne en paiement de la somme principale de 3.321,39€ à titre de restitution d'une partie du prix de vente du véhicule et de celle de 3.000€ en réparation de son préjudice de jouissance.
Contestant l'existence de vices cachés, le défendeur s'est opposé à l'ensemble de ces demandes et a subsidiairement demandé au tribunal de ramener la demande à la somme de 2.441€ tous préjudices confondus.
Par jugement en date du 15 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Vienne a déclaré M. [G] [W] recevable mais mal fondé en ses demandes de condamnation de M. [Z] [D] et l'a condamné à payer à ce dernier une indemnité de procédure de 400€ ainsi qu'aux dépens.
Le tribunal a considéré en substance que si l'expertise judiciaire avait permis de mettre en évidence des désordres mécaniques et de carrosserie non apparents antérieurs à la vente, il n'était pas établi que le vendeur en avait connaissance, de sorte que la garantie des vices cachés ne pouvait être retenue.
M. [G] [W] a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 23 décembre 2022 aux termes de laquelle il critique le jugement en toutes ses dispositions.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 21 mars 2023 par M. [G] [W] qui demande à la cour, par voie de réformation du jugement, de condamner M. [Z] [D] à lui payer les sommes de 6.153,52€ au titre de la réparation des désordres affectant le véhicule, de 4.000€ en réparation de son préjudice financier et de 2.500€ pour frais irrépétibles, outre condamnation aux entiers dépens comprenant les frais de référé et d'expertise judiciaire.
Il fait valoir :
que s'il résulte de l'expertise judiciaire que les désordres litigieux ne constituent pas des vices cachés, il est manifeste que le vendeur a manqué à son obligation de délivrance conforme et a ainsi engagé sa responsabilité en application des articles 1603 et suivants du code civil,
qu'en effet le véhicule n'est pas conforme aux stipulations contractuelles, puisque le vendeur lui avait indiqué que le véhicule était soigné et bien entretenu et qu'il n'y avait «absolument rien à prévoir »,
que contrairement à cette affirmation l'expertise judiciaire a cependant révélé la présence de divers désordres esthétiques et mécaniques non apparents, ainsi que l'existence d'un choc antérieur frontal et latéral ayant fait l'objet de réparations non conformes aux règles de l'art,
que les travaux de remise en état nécessaires ont été chiffrés par l'expert judiciaire à la somme de 6.090,59€ TTC,
que par ailleurs il lui a été faussement indiqué qu'il s'agissait d'un véhicule de troisième main alors qu'en réalité il était de septième main,
que s'il avait eu connaissance de l'ensemble de ces désordres, il n'aurait pas acquis le véhicule au prix convenu,
que le coût des travaux mécaniques ayant été estimé à la somme de 3.231,39€, il est fondé à réclamer la condamnation de M. [D] à lui payer la somme totale de 6.153,52€,
que la non-conformité du véhicule, qu'il a été contraint de revendre à un prix bien inférieur à celui du marché (9.300€), lui a causé un préjudice financier d'un montant de 4.000€ environ.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 19 juin 2023 par M. [Z] [D] qui demande à la cour :
de déclarer M. [W] irrecevable en ses demandes,
subsidiairement, à titre principal de confirmer le jugement en toutes ses dispositions en ce qu'il a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,
plus subsidiairement de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formées par M. [W],
en tout état de cause de condamner l'appelant à lui payer la somme de 3.600€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre condamnation aux entiers dépens.
Il fait valoir :
sur la recevabilité des demandes
que la demande en paiement de la somme principale de 6.153,52€ au titre du coût des réparations, qui est désormais fondée sur l'obligation de délivrance conforme du vendeur, ne tend pas aux mêmes fins que les demandes formées initialement sur le fondement de la garantie légale des vices cachés en restitution d'une partie du prix de vente et en réparation d'un préjudice de jouissance,
que cette demande nouvelle en appel, qui est différente tant dans son objet que dans son quantum, est par conséquent irrecevable en application des articles 564 et 565 du code de procédure civile,
sur le fond
que si son offre de vente postée sur le site « le bon coin » et ses messages adressés à l'acquéreur qualifient le véhicule de très propre, très sain et soigné et mentionne qu'il n'y a «absolument rien à prévoir », M. [W], qui a fait l'acquisition en toute connaissance de cause d'un véhicule ancien ayant nécessairement subi une usure due à son kilométrage important, ne pouvait légitimement attendre que le véhicule soit dans un état similaire à celui d'un véhicule neuf ou récent ayant parcouru peu de kilomètres,
que l'expertise judiciaire a révélé des désordres mécaniques résultant de l'usure liée au kilométrage et ne rendant pas le véhicule impropre à sa destination, sans constater un défaut d'entretien, étant observé que la consommation excessive de liquide de refroidissement n'est apparue que postérieurement à la vente en raison de l'usure due aux kilomètres parcourus,
qu'il n'avait pas connaissance du choc mal réparé subi par le véhicule avant qu'il n'en devienne propriétaire, tandis que le défaut de géométrie ne fait pas partie des points de contrôle obligatoires,
que n'étant demeuré propriétaire que durant une courte période de trois mois, au cours de laquelle il a effectué certaines réparations et fait poser des pneus neufs, il ignorait les défauts dont l'expert a indiqué qu'il étaient antérieurs à la vente, puisqu'il n'est pas lui-même un professionnel de l'automobile,
que le véhicule délivré est par conséquent conforme aux stipulations contractuelles et à l'usage que M. [W] pouvait légitimement en attendre, étant observé que ce dernier a lui-même parcouru plus de 20 000 km jusqu'à l'expertise,
que la demande en paiement du coût des réparations n'est pas fondée dès lors que le remplacement des pneumatiques est consécutif à l'usage intensif fait du véhicule par l'acquéreur sans reprise de la géométrie et qu'il n'est pas justifié de l'exécution effective des autres réparations en présence de simples devis,
qu'en toute hypothèse la demande indemnitaire devra être ramenée à de plus justes proportions,
que la perte financière alléguée est le fait de l'acquéreur qui a continué à utiliser le véhicule sans faire de travaux particuliers, ce qui a contribué à diminuer sa valeur vénale.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 14 mai 2024.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes
Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
Se fondant en première instance sur la garantie légale des vices cachés, M. [W] a formé initialement une demande en réduction du prix d'acquisition à concurrence du coût des travaux de remise en état nécessaires et une demande en dommages et intérêts supplémentaires en réparation d'un préjudice de jouissance.
À hauteur d'appel, se fondant sur l'obligation de délivrance conforme du vendeur, il sollicite le paiement du coût des réparations et prétend à une indemnisation complémentaire au titre d'un préjudice financier.
Comme en première instance l'appelant forme une demande indemnitaire en réparation du même préjudice correspondant au coût des travaux de remise en état du véhicule affecté de divers désordres, de sorte que cette demande tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge au sens de l'article 565 susvisé, peu important qu'il ait exercé à l'origine une action estimatoire et qu'il réclame aujourd'hui des dommages et intérêts sur le fondement de la garantie distincte de conformité pesant également sur le vendeur.
Quant à la demande nouvelle en réparation d'un préjudice financier correspondant à la perte de valeur vénale du véhicule, elle constitue l'accessoire et le complément des prétentions soumises au premier juge au sens de l'article 566 du code de procédure civile.
Les demandes formées en cause d'appel par M. [W] seront par conséquent déclarées recevables.
Sur le fond
L'expert judiciaire a tout d'abord rappelé que M. [W] se plaignait des désordres suivants :
consommation excessive de liquide de refroidissement
tenue de route aléatoire surtout sur route mouillée
volant n'étant pas droit
bruit de transmission au passage de la troisième vitesse vers 1100 tr/m
vibrations très importantes lors du freinage
déformation du bouclier de pare-chocs avant et déformation conséquente côté passager.
Analysant chacune de ces doléances l'expert a relevé :
que le circuit de refroidissement fuyait en raison du percement d'une durite
que le véhicule avait subi un choc frontal et latéral côté chauffeur mis en évidence par des déformations du bouclier avant et des portes latérales gauche, ainsi que par des travaux de peinture défectueux
que les pneumatiques avant présentaient une usure extérieure asymétrique, que la voiture tirait à gauche et que le volant n'était pas aligné sur une route droite, désordres qui étaient dus à un parallélisme des essieux non conformes (défaut de géométrie)
que le véhicule vibrait anormalement au freinage en raison du remplacement des disques de freins par des pièces adaptables
qu'une vibration était ressentie dans la transmission au passage des rapports due à la coupure des silentblocs du pont arrière.
Il a considéré que l'ensemble de ces désordres était antérieur à la vente et non apparent pour un profane de l'automobile, alors que le véhicule avait été accidenté et mal réparé antérieurement à l'acquisition faite par M. [D], que le défaut de géométrie n'est pas un point de contrôle lors du passage au contrôle technique obligatoire et que la fuite du circuit de refroidissement était latente comme étant survenue après quelques kilomètres d'utilisation seulement.
L'expert judiciaire a considéré que les désordres mécaniques étaient la conséquence de l'usure normale liée au kilométrage du véhicule (silentblocs et fuite circuit de refroidissement), que la vibration au freinage résultait du remplacement des plaquettes et des disques de freins par des pièces adaptables , que seul le défaut de géométrie constituait une défectuosité majeure et qu'aucune anomalie n'avait été constatée sur la périodicité des entretiens mécaniques.
Il a estimé que les désordres ne rendaient pas le véhicule impropre à sa destination et que M. [W] pouvait l'utiliser après avoir fait procéder à un réglage de la géométrie.
Il a chiffré le coût de la remise en état du véhicule à la somme globale de 6.090,59€ TTC au titre des problèmes mécaniques (2.658,46€ TTC), du remplacement du pare-chocs avant (2.922,13€ TTC) et du contrôle de la géométrie et du remplacement des deux pneumatiques avant (510€ TTC).
Il a enfin considéré que le véhicule d'une valeur marchande de 13.059€ environ était réparable.
Ne contestant pas techniquement ces conclusions, l'acquéreur renonce à rechercher la responsabilité du vendeur sur le fondement de la garantie légale des vices cachés, en l'absence d'atteinte à la destination normale du véhicule vendu, et demande désormais réparation pour défaut de délivrance conforme aux stipulations contractuelles.
Au sens de l'article 1603 du code civil, la délivrance de la chose vendue porte, non seulement sur le bien désigné par le contrat, mais également sur les qualités et les caractéristiques que l'acquéreur est en droit d'en attendre conformément à ce qui a été convenu entre les parties.
L'article 1166 du code civil précise que lorsque la qualité de la prestation n'est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie.
En l'espèce M. [W] se fonde sur l'offre que M. [D] a fait paraître sur le site « le bon coin » et sur les messages échangés entre les parties pour affirmer que contrairement à ce qui avait été convenu le véhicule était affecté de désordres nécessitant des travaux de réparation onéreux.
Si le vendeur a effectivement écrit que le véhicule était « très sain et soigné » et qu'il n'y avait « absolument rien à prévoir », cette présentation, certes avantageuse, ne peut être interprétée comme marquant son engagement formel de délivrer un véhicule exempt de tout défaut lié à une usure mécanique normale, que l'acquéreur, même profane, était en mesure de prévoir compte tenu de son âge (7 ans) et surtout de son kilométrage important (206 600 km).
L'expertise judiciaire a en effet confirmé que les défauts mécaniques n'interdisant pas l'usage du véhicule relevaient d'une usure normale et qu'il pouvait y être remédié dans le cadre de l'entretien courant, notamment s'agissant de la reprise de la géométrie du train avant et du remplacement des disques de freins avant pour un coût modique de quelques centaines d'euros.
Le vendeur n'a en outre à aucun moment certifié au moment de l'échange des consentements que le véhicule n'avait jamais été accidenté, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'une qualité ou d'une caractéristique convenue entre les parties, étant observé que le sinistre, qui est antérieur à l'acquisition faite par M. [D], n'a laissé subsister que quelques défauts esthétiques de carrosserie dont il n'est pas établi que le vendeur en ait eu lui-même connaissance.
Enfin la preuve n'est pas rapportée de ce que malgré la présentation rassurante du vendeur l'entretien du véhicule aurait été négligé, alors qu'après avoir repris l'historique complet des interventions effectuées sur le véhicule depuis sa mise en circulation l'expert judiciaire n'a constaté aucune anomalie sur la périodicité des entretiens mécaniques.
Ne démontrant pas que le véhicule ne présentait pas les qualités et les caractéristiques qu'il était en droit d'en attendre, M. [W] sera par conséquent débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires fondées sur le manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme, ce qui conduit à la confirmation totale du jugement, y compris sur les dépens et en ce qu'il a alloué au défendeur une indemnité de procédure de 400€.
L'équité ne commande pas toutefois de faire à nouveau application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimé pour l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare M. [G] [W] recevable mais mal fondé en ses demandes d'indemnisation fondées sur la garantie de conformité pesant sur le vendeur,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [G] [W] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires et alloué à M. [Z] [D] une indemnité de procédure de 400€,
Y ajoutant,
Déboute M. [G] [W] de ses demandes en paiement des sommes de 6.153,52€ au titre de la réparation des désordres affectant le véhicule et de 4.000€ en réparation d'un préjudice financier,
Dit n'y avoir lieu en cause d'appel à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des
Condamne M. [G] [W] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP SELARL d'avocats ZANA & Associés.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.