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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 2 octobre 2024, n° 24/01702

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 24/01702

2 octobre 2024

N° RG 24/01702 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PQBY

Décision du Président du TJ de Lyon en référé du 12 décembre 2023

RG : 23/01724

Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE

C/

[R]

Etablissement HOPITAL DE LA CROIX ROUSSE

Organisme CPAM DU RHONE

Organisme ONIAM

Mutuelle MUTUELLE UNEO

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

8ème chambre

ARRÊT DU 02 Octobre 2024

APPELANTE :

LA CROIX ROUGE FRANCAISE, Association déclarée reconnue d'utilité publique, inscrite au Répertoire National des Associations sous le n°W751004076, et enregistrée au répertoire SIREN sous le numéro 775672272, dont le siège social est [Adresse 8], prise en son établissement secondaire dénommé le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL ET DE READAPTATION DES MASSUES,

enregistré au Répertoire SIRET sous le numéro 775 672 272 29842, situé [Adresse 7], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Marie-christine MANTE-SAROLI de la SELARL MANTE SAROLI AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1217

INTIMÉS :

M. [I] [R]

né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 13]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Caroline LORTON, avocat au barreau de LYON, toque : 498

L'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGÈNES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES (ONIAM), dont le siège social est sis [Adresse 17], pris en la personne de son Directeur en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547

Ayant pour avocat plaidant Me Samuel M. FITOUSSI, avocat au barreau de LYON

Les HOSPICES CIVILS DE LYON, Etablissement dont le siège social est [Adresse 2], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

Signification de la déclaration d'appel le 18 mars 2024 à personne habilitée

Défaillante

Organisme CPAM DU RHONE

[Adresse 15]

[Localité 6]

Signification de la déclaration d'appel le 18 mars 2024 à personne conformément à l'article 662-1 du CPC

Défaillante

La MUTUELLE UNEO, dont le siège social est [Adresse 4], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

Signification de la déclaration d'appel le 18 mars 2024 à personne habilitée

Défaillante

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 03 Septembre 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Septembre 2024

Date de mise à disposition : 02 Octobre 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Bénédicte BOISSELET, président

- Véronique DRAHI, conseiller

- LAURENT, conseiller

assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,

Arrêt Réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

Porteur d'une coxarthrose bilatérale de grade 1 du côté droit et de grade 3 du côté gauche, [I] [R] a été hospitalisé au sein du Centre Médico-Chirurgical et de Réadaptation (ci-après CMCR) des Massues, à [Localité 12], du 10 au 15 juillet 2019 où le Dr [T] [H] a réalisé une intervention chirurgicale le 11 juillet 2019, consistant en la pose d'une prothèse totale de hanche gauche.

Le 15 juillet 2019, il est retourné à son domicile avec une prescription de séances de kinésithérapie et des soins à faire réaliser par une infirmière. Le Dr [H] prévoyait une consultation dans les 6 mois.

Le 19 juillet 2019, [I] [R] s'est présenté aux urgences de l'Hôpital Nord-Ouest de [Localité 16], en raison d'un pic fébrile. Les analyses de sang ont révélé un taux de leucocytes et de protéine C réactive élevé. Il est retourné chez lui le 25 juillet suivant, avec une injection de Lovenox.

Lors d'une consultation du 27 août 2019 au CMCR des Massues, le Dr [H] notait une évolution favorable et prévoyait de le revoir six mois plus tard. Il revoyait son chirurgien le 18 février 2020, pour un suivi post opératoire.

Le 22 février 2021, [I] [R] s'est présenté aux urgences du centre hospitalier de [11], en raison de vives douleurs à la hanche gauche.

Le 9 mars 2021, l'équipe du Pr [M] à l'Hôpital de [11] a prescrit une IRM de la hanche gauche, avec «recherche d'un conflit du psoas», laquelle a été réalisée le 27 mars 2021 et révélé une atteinte inflammatoire importante autour des massifs trochantériens.

Le 1er avril 2021, le Pr [M] a confirmé le diagnostic d'un conflit psoas-cupule sur la prothèse de hanche gauche.

Le 25 octobre 2021, [I] [R] a été opéré par le Dr [A] et le Pr [M], au centre hospitalier de [11], en raison de ce mauvais positionnement de sa prothèse de hanche.

À partir de début février 2022, il a été pris en charge au sein de la Clinique Nouvelle du Forez pour des soins de rééducation de jour au cours desquels un descellement septique a été diagnostiqué.

Le 17 juin 2022, il a été de nouveau opéré à l'Hôpital de [11], par le Dr [A], pour un changement bipolaire de la prothèse totale de hanche gauche, en lien avec un « descellement fémoral potentiellement sceptique ».

Il est rentré à son domicile le 22 juin suivant, avec un traitement antibiotique.

Le 7 juillet 2022, il a été vu par le Dr [Z] dans le service des maladies infectieuses et tropicales de l'Hôpital de [11]. Il était fait état d'une culture positive 5/5 à « staphylococcus epidermidis avec résistance ».

Du 2 août au 30 septembre 2022, [I] [R] a été hospitalisé de jour au Centre Médical de l'Argentière de l'Hôpital [9] de [Localité 14], pour une prise en charge rééducative.

Le 8 septembre 2022, il a été hospitalisé de jour dans le service des maladies infectieuses-orthopédie de l'Hôpital de [11], pour une rechute et une réévaluation du traitement antibiotique.

Par exploits des 31 juillet, 1er, 4 et 23 août 2023, [I] [R] a fait assigner l'association La Croix Rouge Française, prise en son établissement secondaire le CMCR des Massues, l'Hôpital de la [10], la société UNEO Mutelle Santé Clair, la CPAM du Rhône et l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux des affections iatrogenes et des infections nosocomiales (ONIAM) devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon, aux fins d'expertise médicale sur le fondement des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile et d'allocation d'une provision ad litem.

Le CMCR des Massues, l'Hôpital de la Croix-Rousse et l'ONIAM ont formulé protestations et réserves d'usage quant à la demande d'expertise et se sont opposés au versement d'une provision ad litem.

Par ordonnance réputée contradictoire du 12 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon faisant droit à la demande d'expertise a désigné les Dr [O] [X]. (spécialité chirurgie orthopédique) et [J] [G] (spécialité hygiène hospitalière)

La demande de provision ad litem a été rejetée en raison de l'existence de contestations sérieuses à ce stade de la procédure.

Le CMCR des Massues a interjeté appel par déclaration enregistrée le 29 février 2024.

Par conclusions régularisées au RPVA le 15 avril 2024, le CMCR des Massues demande à la cour de :

Vu l'article L 1142-1 et suivants du Code de la Santé Publique,

Vu l'article 145 du Code de Procédure Civile,

Infirmer l'ordonnance du 12 décembre 2023 en ce qu'elle a ordonné aux experts désignés de :

« Prendre connaissance du dossier médical de [L] [S] et se faire communiquer par l'intéressé ou tout tiers détenteur, avec l'accord de l'intéressé, tous documents médicaux relatifs à l'événement rapporté » ;

Statuant à nouveau :

Ordonner aux experts de :

« Se faire communiquer par la victime, ou son représentant légal tous éléments médicaux relatifs à l'acte critiqué, et se faire communiquer par tous tiers détenteurs l'ensemble des documents médicaux nécessaires ainsi que ceux détenus par tous médecins et établissements de soins concernant la prise en charge du/de la patient(e), sans que ceux-ci n'aient à solliciter préalablement l'accord de la victime » ;

Infirmer l'ordonnance du 12 décembre 2023 en ce qu'elle a donné pour mission aux experts désignés, d'évaluer le dommage corporel subi par l'intéressé selon les distinctions suivantes :

Déficit fonctionnel temporaire

« Indiquer les périodes pendant lesquelles l'intéressé(e) a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée. Décrire, pour chacune des périodes retenue, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie au cours de la maladie traumatique » ;

Statuant à nouveau :

Ordonner aux experts, concernant le déficit fonctionnel temporaire, de :

« Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit

fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses

activités personnelles habituelles.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée » ;

Infirmer l'ordonnance du 12 décembre 2023 en ce qu'elle a donné pour mission aux experts désignés, d'évaluer le dommage corporel subi par l'intéressé selon les distinctions suivantes :

Déficit fonctionnel permanent

« Indiquer si, après consolidation, l'intéressé(e) subit un déficit fonctionnel permanent, défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société ; décrire les conséquences de ces altérations permanentes et de ces douleurs sur la qualité de vie de la victime.

Evaluer l'importance du déficit fonctionnel permanent imputable et en chiffrer le taux par référence au « Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun ».

Dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences » ;

Statuant à nouveau :

Ordonner aux Experts, concernant le déficit fonctionnel permanent, de :

« Indiquer si, après consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent consistant en une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, psychosensorielles ou intellectuelles, auxquelles s'ajoutent les éventuels phénomènes douloureux, répercussions psychologiques normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

En évaluer l'importance et au besoin en chiffrer le taux ; dans l'hypothèse d'un état

antérieur, préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et

décrire les conséquences » ;

Statuer ce que de droit sur les dépens.

Par conclusions régularisées au RPVA le 14 mai 2024, [I] [R] a fait appel incident de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a rejeté sa demande de provision ad litem et demande à la cour de :

Vu les articles L 1110-4 et R 4127-4 du Code de la santé publique,

Vu les articles L 1142-1 et suivants du Code de la santé publique,

Vu l'article 226-13 du Code pénal,

Vu les articles 145 et 808 et suivants du Code de procédure civile dont l'article 809 al 2 et 835 al 2 code de procédure civile ;

Rejeter l'appel formé par CMCR des Massues, comme non fondé ;

Confirmer l'ordonnance du 12 décembre 2023 rendue par le juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon, en ce qu'il a donné mission aux Experts de :

- prendre connaissance du dossier médical de [I] [R] et se faire communiquer par l'intéressé ou tout tiers détenteur, avec l'accord de l'intéressé, tous documents médicaux relatifs à l'événement rapporté,

- concernant le déficit fonctionnel temporaire,

« Indiquer les périodes pendant lesquelles l'intéressé a été du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée. Décrire, pour chacune des périodes retenues la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie au cours de la maladie traumatique ».

- concernant le déficit fonctionnel permanent,

« Indiquer si après la consolidation l'intéressé subit un déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société ; décrire les conséquences de ces altérations permanentes et de ces douleurs sur la qualité de vie de la victime.

Évaluer l'importance du déficit fonctionnel permanent imputable et en chiffrer le taux par référence au « Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun »;

Déclarer bien fondé l'appel incident de M. [R] ;

Infirmer l'ordonnance rendue le 12 décembre 2023 par le juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a rejeté la demande de provision ad litem de M. [R] ;

Statuant à nouveau,

Condamner in solidum la Croix Rouge Française prise en son établissement dénommé le Centre Médico Chirurgical et de Réadaptation des Massues et l'Hôpital de la Croix-Rousse dépendant des Hospices Civils de Lyon, à payer à M. [R] la somme de 4 000 € à titre de provision ad litem ;

Confirmer l'ordonnance rendue le 12 décembre 2023 par le juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon, en toutes ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

Rejeter toutes autres demandes fins et moyens plus amples et / ou contraires ;

Juger l'arrêt à venir commun et opposable à l'ONIAM, à la CPAM du Rhône et à Mutuelle UNEO ;

Condamner la Croix Rouge Française prise en son établissement dénommé le Centre Médico Chirurgical et de Réadaptation des Massues à payer à Monsieur [R] la somme de 2000 €, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner les mêmes à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, à titre subsidiaire, à tout le moins réserver les dépens ;

Statuer ce que de droit sur les dépens.

Par conclusions régularisées au RPVA le 7 mai 2024, l'ONIAM demande à la cour :

Recevoir l'ONIAM en ses écritures, les disant bien fondées,

Prendre acte du fait que l'ONIAM s'en remet à la sagesse de la cour s'agissant des demandes formulées par le Centre médico-chirurgical et de réadaptation des Massues,

Dans ces conditions,

Réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a limité la production de pièces par les parties défenderesses aux seuls documents médicaux ayant fait l'objet d'une autorisation préalable par la victime ou son représentant ;

Réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fixé la mission des experts conformément à une mission ANADOC et non à la nomenclature [P] ;

Débouter M. [R] de sa demande.

En tout état de cause,

Condamner tout succombant à verser à l'ONIAM la somme de 1500,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec application pour ceux d'appel des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SELARL Bollonjeon, Avocat associé ;

Rejeter toute autre demande.

Pour plus ample exposé des moyens développés par les parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile il sera fait référence à leurs écritures.

MOTIFS ET DECISION

Sur la communication du dossier médical

L'établissement appelant fait principalement valoir que la jurisprudence reconnaît au médecin poursuivi en justice la possibilité d'assurer sa défense en révélant des éléments normalement couverts par le secret médical, exception répondant aux exigences du procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales en ce qu'il est strictement nécessaire pour les médecins et les établissements de santé de pouvoir produire librement les pièces utiles à éclairer les experts, puis les juges. Il observe qu'au demeurant, aucune demande tendant à subordonner la communication des pièces médicales détenues par le médecin à l'accord préalable de [I] [R], bénéficiaire du secret médical, n'a été faite par ce dernier.

L'ONIAM estime de même que l'opposition du secret médical entrave de manière excessive et disproportionnée les droits de la défense et le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire s'oppose à ce que le demandeur puisse arbitrairement choisir les pièces qu'il décide de communiquer.

M. [R] objecte que le secret médical est absolu et ne supporte aucune exception, en sorte que les professionnels de santé ne peuvent, en l'absence de disposition législative spécifique, transmettre des informations couvertes par le secret médical, sans l'accord de la personne concernée. Il estime que le CMCR des Massues a toute latitude pour faire valoir sa défense dans le cadre du débat contradictoire conforme aux règles du procès équitable, engagé sur le dossier médical du patient, versé par celui-ci, certes, mais obtenu par lui via le CMCR des Massues et l'Hôpital de la Croix Rousse directement et/ou versé par le Centre lui-même avec accord du patient, en sorte que l'égalité des armes est parfaitement respectée.

La cour rappelle que selon l'article L 1110-4 du Code de la santé publique, toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogations expressément prévues par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations venues à la connaissance du professionnel et s'impose à tous les professionnels intervenants dans le système de santé.

La personne est dûment informée de son droit d'exercer une opposition à l'échange et au partage d'informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment.

L'article R 4127 précise que le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.

Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu, ou compris.

Par ailleurs, selon l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à un procès équitable. Il en découle un principe d'égalité des armes auquel porte nécessairement atteinte l'interdiction d'une partie de faire la preuve d'éléments de faits essentiels pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions.

La cour considère alors même que [I] [R] n'avait présenté aucune demande en ce sens, que la décision attaquée a, en soumettant la production par les défendeurs à l'expertise de pièces sous réserve de l'accord de la victime, porté une atteinte excessive et disproportionnée au principe d'égalité des armes, une partie étant empêchée de produire spontanément des pièces qu'elle considère utiles à l'expertise et à sa défense.

Il convient dès lors d'infirmer sur la disposition attaquée, l'ordonnance de référé en prévoyant que l'expert devra se faire communiquer par la victime, ou son représentant légal tous éléments médicaux relatifs à l'acte critiqué, et se faire communiquer par toute partie ou tous tiers détenteurs l'ensemble des documents médicaux nécessaires ainsi que ceux détenus par tous médecins et établissements de soins concernant la prise en charge du patient.

L'accord préalable de la victime n'a pas à être sollicité.

Il doit aussi être indiqué que les deux experts ne pourront communiquer directement aux parties des documents médicaux ainsi obtenus qu'avec l'accord de [I] [R] ou à défaut par l'intermédiaire du médecin que les autres parties auront désigné à cet effet.

Sur le déficit fonctionnel temporaire

Le CMCR appelant s'oppose à la mission ANADOC (mission proposée par l'association nationale de documentation sur le dommage corporel) retenue par le premier juge qui ne correspond ni au barème médical, ni à la nomenclature, faisant valoir que ce poste de préjudice est large et regroupe non seulement le déficit de la fonction qui est à l'origine de la gêne, mais également les troubles dans les conditions d'existence, les gênes dans les actes de la vie courante, le préjudice d'agrément temporaire, le préjudice sexuel temporaire et ce, jusqu'à la consolidation, en sorte que c'est l'ensemble des gênes temporaires subies par la victime, imputables à l'accident, qui sont recensées par les experts pour fixer les périodes de gênes temporaires totales ou partielles.

Ce préjudice doit être évalué en précisant la durée et la classe pour chaque période retenue.

L'ONIAM fait pareillement valoir qu'il ressort de la nomenclature [P] que ce poste de préjudice cherche à indemniser l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, jusqu'à la consolidation, cette incapacité traduisant l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu'à sa consolidation.

[I] [R] observe qu'au regard de la nomenclature [P], il est normal que le juge des référés ait sollicité des experts, une description, pour chacune des périodes retenues, de la perte de la qualité de vie et des joies usuelles de la vie au cours de la maladie traumatique, l'évaluation du déficit fonctionnel temporaire devant correspondre à la réalité du déficit souffert par la victime dans toutes les composantes de sa vie personnelle et ne pouvant se réduire à la seule détermination des périodes d'incapacités sans indiquer à quoi correspondent réellement les périodes retenues. Il estime que l'idée est d'inclure une à une toutes ses composantes pour une meilleure évaluation globale de ce poste, étant rappelé que le juge reste le décisionnaire et n'est pas lié par le rapport d'expertise, lequel lui permet en revanche de faire la traduction juridique des séquelles d'où l'intérêt d'une mission précise initialement.

La cour rappelle que le juge des référés est libre de choisir la mission donnée à l'expert et n'est pas tenu par les propositions des parties. De même, la nomenclature dite « [P] » n'a pas de valeur normative et les juges ne sont donc pas tenus de s'y référer, pas plus qu'ils ne sont tenus d'utiliser les « trames » ou missions « types » qu'ils ont pu établir par le passé, s'agissant de simples outils d'aide à la décision et à la rédaction.

En outre, il résulte de l'article 246 du Code de procédure civile que le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien, de sorte que le juge du fond éventuellement saisi ne sera pas lié par les conclusions de l'expert, quels que soient les termes de la mission.

Sous ces réserves, il appartient à la cour, statuant en appel de la décision du juge des référés, d'apprécier en fait et en droit l'opportunité et l'utilité des chefs de mission proposés et notamment de vérifier que la mission ne conduit pas à une double évaluation des préjudices par leur morcellement.

S'il est exact que le poste de déficit fonctionnel temporaire répare la perte de qualité de vie de la victime et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique, la mission prévue par le premier juge est conforme à cette définition, dont elle ne fait que préciser le contenu sans en faire des préjudices autonomes mais les intègre à l'évaluation globale du DFT, étant rappelé qu'en tout état de cause, il appartiendra au juge du fond d'apprécier et d'évaluer ce poste de préjudice.

L'ordonnance déférée sera confirmée de ce chef.

Sur le déficit fonctionnel permanent,

Le CMCR rappelle que ce poste de préjudice actuel correspond au taux (en %) d'atteinte à l'intégrité physique et psychique (AIPP) (en tant que dommage), lui-même établi en fonction d'un barème médical, qui tient déjà compte de trois composantes (dont l'atteinte aux fonctions physiologiques, la douleur permanente, la perte de la qualité de vie ou troubles dans les conditions d'existence après la consolidation), une mission ANADOC ne correspondant ni à la définition du barème médical, ni à celle de la nomenclature [P], ni à celle de la jurisprudence, laquelle, tout en étant attentive au principe de la réparation intégrale, a en effet officialisé le déficit fonctionnel permanent dans ses trois composantes indissociables en recherchant l'absence de cumul des postes de préjudice à savoir :

' Le déficit physique ou psychique objectif,

' Les souffrances ressenties après la consolidation,

' L'atteinte subjective à la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence.

L'ONIAM estime de même que la mission fixée ne correspond aucunement au barème médical, ni à la nomenclature [P] dont il convient de faire une application stricte, conformément à la jurisprudence constante sur ce point, selon laquelle le poste de déficit fonctionnel permanent repose sur les trois composantes essentielles précitées.

M. [R] observe que si selon le rapport [P] et la Cour de cassation, le déficit fonctionnel permanent se scinde en trois composantes qu'il est nécessaire de prendre en compte pour sa détermination et son indemnisation : « les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie, les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales », la prise en compte de l'ensemble de ces composantes requiert que l'expert se livre, en sus de la détermination du taux d'incapacité permanente, à une description précise des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société, ainsi que les conséquences de ces altérations permanentes et de ces douleurs sur la qualité de vie de la victime. Il ajoute que l'idée n'est pas d'éclater mais bien de revenir à l'essence du poste de déficit fonctionnel permanent et de n'en subir aucune restriction, d'où l'importance de bien décrire les conséquences de l'accident médical. Il précise que la définition du déficit fonctionnel permanent est désormais plus vaste et plus complète que les postes d'AIPP contrairement à ce qui est décrit par le CMCR, sans que les barèmes n'aient changé et sans qu'ils intègrent la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence à défaut de modulation du taux en fonction des activités, des choix et des goûts antérieurs de la victime.

Sous les réserves ci-dessus rappelées, il appartient à la cour statuant en appel de la décision du juge des référés, d'apprécier en fait et en droit l'opportunité et l'utilité des chefs de mission proposés et notamment de vérifier que la mission ne conduit pas à une double évaluation des préjudices composant le déficit fonctionnel permanent par leur morcellement.

S'il est exact que le poste de déficit fonctionnel permanent répare le déficit physique ou psychique objectif, les souffrances ressenties après la consolidation et l'atteinte subjective à la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence, la mission critiquée est conforme à cette définition, dont elle ne fait que préciser le contenu sans « démembrement » ni atteinte au principe de réparation intégrale, mais en intégrant les différentes composantes à l'évaluation globale du DFP, étant rappelé qu'en tout état de cause, il appartiendra au juge du fond d'apprécier et d'évaluer ce poste de préjudice.

L'ordonnance déférée sera confirmée de ce chef.

Sur la demande de provision ad litem

[I] [R] fait valoir que le versement de cette provision, devant permettre à une partie de supporter les frais qu'elle doit exposer pour le procès, est indépendant de la démonstration de la responsabilité des parties mises en cause, ajoutant qu'il n'est pas contestable qu'il va devoir faire l'avance d'importants frais de procédure pour faire valoir utilement ses droits et il est important de prendre en considération le fait qu'il se trouve dans une situation d'infériorité financière par rapport aux défendeurs, institutionnels.

La cour rappelle néanmoins que les dispositions de l'article 835, alinéa 2, du Code de procédure civile selon lesquelles, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire, sont applicables à la provision pour frais d'instance.

A ce stade de la procédure, le droit à indemnisation de [I] [R] est sérieusement contestable, les responsabilités du CMCR et de l'Hôpital de [11] n'étant pas suffisamment établies, ce qui relève de la compétence du juge du fond. L'ordonnance critiquée sera confirmée à ce titre.

Sur les mesures accessoires :

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ni au profit de M. [I] [R], ni à celui de l'ONIAM dont la demande à ce titre sera rejetée.

Au regard de la nature du litige et de la teneur de la présente décision, il y a lieu de dire que chaque partie supportera la charge provisoire de ses dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour d'appel,

Statuant dans les limites de l'appel,

Infirme la décision attaquée en ce qu'elle a ordonné aux experts de prendre connaissance du dossier médical de M. [I] [R] et se faire communiquer par l'intéressé ou tout tiers détenteur, avec l'accord de l'intéressé, tous documents médicaux relatifs à l'événement rapporté.

Statuant à nouveau,

Dit que les experts devront se faire communiquer par M. [I] [R] ou son représentant légal, tous éléments médicaux relatifs à l'acte critiqué, et se faire communiquer par toute partie ou tiers détenteurs l'ensemble des documents médicaux nécessaires ainsi que ceux détenus par tous médecins et établissements de soins concernant la prise en charge de M. [I] [R], sans que ceux-ci n'aient à solliciter préalablement l'accord de la victime.

Dit que l'expert ne pourra communiquer directement aux parties des documents médicaux ainsi obtenus qu'avec l'accord de M. [I] [R] ou à défaut par l'intermédiaire du médecin que les autres parties auront désigné à cet effet.

Confirme la décision déférée en ce qu'elle a donné pour mission aux experts désignés, d'évaluer le dommage corporel subi par l'intéressé selon les distinctions suivantes :

Déficit fonctionnel temporaire :

« Indiquer les périodes pendant lesquelles l'intéressé(e) a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée. Décrire, pour chacune des périodes retenue, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie au cours de la maladie traumatique ».

Déficit fonctionnel permanent :

« Indiquer si, après consolidation, l'intéressé(e) subit un déficit fonctionnel permanent, défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société ; décrire les conséquences de ces altérations permanentes et de ces douleurs sur la qualité de vie de la victime.

Evaluer l'importance du déficit fonctionnel permanent imputable et en chiffrer le taux par référence au « Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun ».

Dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences ».

La confirme en ce qu'elle a rejeté la demande de provision ad litem de M. [I] [R].

Y ajoutant,

Rejette les demandes de M. [I] [R] et de l'ONIAM en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dit chaque partie supportera la charge provisoire de ses dépens exposés en appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT