CA Montpellier, 4e ch. civ., 3 octobre 2024, n° 22/04410
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Époux R
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
M. Bruey, Mme Franco
Avocats :
Me Menut, Me Vedel Salles, Me Alcina
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Le 23 décembre 2019, Mme [Z] [A] a conclu une promesse synallagmatique de vente avec M. [S] [R] et son épouse, Mme [B] [M] épouse [R] (ci-après les époux [R]), portant sur la vente d'un bien immobilier sis à [Localité 6] (34), lieudit [Adresse 3] cadastré section MP n° [Cadastre 5] et [Cadastre 4] moyennant le prix de 345 000 €.
Les parties ont convenu de conditions suspensives devant se réaliser au plus tard le 10 mars « 2019 » (en réalité, 10 mars 2020), à l'exception de la condition suspensive relative à l'obtention du prêt dont le délai de réalisation a été fixé au 29 février 2020.
Les parties ont également convenu que l'acte authentique devra « être régularisé au plus tard le 16 mars 2020 ».
Aux termes de la promesse, une clause pénale a été prévue, indiquant que si l'une des parties ne veut ou ne peut réitérer l'acte par acte authentique, bien que les conditions suspensives soient réalisées, elle sera redevable envers l'autre, d'une indemnité fixée à la somme de 17 250 €, sans que cela n'emporte novation.
Le 18 mars 2020, les époux [R], acheteurs, ont informé Mme [A] de leur renonciation à la vente en raison de nouvelles informations.
Par courriel du 14 avril 2020, le conseil de Mme [A] a indiqué aux époux [R] le caractère parfait de leur engagement eu égard à l'accomplissement des conditions suspensives et leur a rappelé leur obligation de réitérer l'acte.
Par courriel du 21 avril 2020, les époux [R] ont maintenu leur refus.
C'est dans ce contexte que par acte du 4 septembre 2020, Mme [A] a assigné les époux [R] en responsabilité sur le fondement des articles 1103, 1231-1, 1231-2, 1231-5 et suivants du code civil.
Par jugement contradictoire du 21 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Béziers a :
Débouté Mme [A] de l'intégralité de ses demandes ;
Condamné Mme [A] à payer aux époux [R] une somme indivise de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouté les époux [R] de leur demande indemnitaire reconventionnelle ;
Condamné Mme [A] aux dépens de l'instance ;
Rappelé que l'exécution est de droit à titre provisoire et dit n'y avoir lieu à l'écarter.
Le 19 août 2022, Mme [A] a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 19 septembre 2023, Mme [A] demande à la cour, sur le fondement des articles 1103, 1231-1 1231-2; 1231-5 et suivants du code civil, de :
Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les époux [R] de leur demande indemnitaire reconventionnelle,
Statuant à nouveau,
Juger fautif le refus des époux [R] de réitérer la vente ;
Condamner solidairement les époux [R] au paiement de la somme de 17 250 € au titre de la clause pénale ;
Les condamner solidairement au paiement des sommes suivantes :
2 450 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance ;
5 381,82 € à titre de dommages et intérêts en indemnisation du coût des déménagements et du garde-meubles ;
2 800 € à titre de dommages et intérêts en indemnisation du coût de relogement ;
31 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte des arrhes ;
Débouter les époux [R] de leurs demandes reconventionnelles et plus amples ;
Les condamner solidairement aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par uniques conclusions remises par voie électronique le 2 février 2023, M. [S] [R] et Mme [B] [M] épouse [R] demandent à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Infiniment subsidiairement,
Modérer la peine contenue dans la clause pénale car excessive et la réduire à zéro ;
En toutes hypothèses,
Débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamner Mme [A] à leur payer à chacun la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code procédure civile;
Condamner Mme [A] aux dépens d'appel et à leur payer à titre de dommages et intérêts pour le préjudice qu'ils subissent, la somme de 2 500 € chacun, sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Vu l'ordonnance de clôture du 12 juin 2024.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur les conditions suspensives et la clause pénale
Le compromis de vente prévoit des conditions suspensives particulières concernant notamment le raccordement du bien au réseau public d'assainissement et concernant la sortie de la copropriété.
- Sur la condition du raccordement au réseau public d'assainissement
Le tribunal a jugé que la production de l'attestation du 27 février 2020 de l'architecte, M. [S] [G], était insuffisante pour permettre à Madame [A], venderesse, de rapporter la preuve qu'elle avait respecté la condition suspensive du raccordement du bien au réseau public d'assainissement.
Toutefois, la condition suspensive du compromis de vente du 23 décembre 2019 est rédigée comme suit : « Que le VENDEUR obtienne la conformité du raccordement du bien au réseau public d'assainissement ».
La note de M. [S] [G], architecte DPLG à la suite de sa visite des lieux le 27 février 2020 est rédigée comme suit :
« Apres vérification des structures et du bien en lui même, j'atteste qu'aucun désordre pouvant rendre impropre le bien a son usage n'a été constaté.
De plus j'atteste que les conditions suspensives suivantes ont bien été réalisées :
que le vendeur mette en place une évacuation des eaux pluviales du toit terrasse qui se déverse actuellement dans la mini cours.
que le vendeur remplace et évacue le tuyau en amiante situé dans le garage.
que le vendeur s'assure de la conformité du raccordement du bien au réseaux public d'assainissement.
Pour faire valoir ce que de droit ».
Contrairement à ce que soutiennent les époux [R], cette attestation ne se contente pas de reprendre les dires de Mme [A] puisque l'architecte [S] [G] spécifie qu'il a vérifié les structures et le bien pour s'assurer de la réalisation du raccordement.
Il est évident que l'architecte est un intervenant à la construction parfaitement qualifié pour vérifier le raccordement d'un bien à un réseau public d'assainissement. Il est tenu à une stricte déontologie et engage, d'ailleurs, sa responsabilité professionnelle en cas de manquement à ses obligations.
Dès lors, le reproche des époux [R] sur la validité de l'attestation apparaît infondé, d'autant que s'ils avaient un véritable doute sur la réalité du raccordement, ils pouvaient aisément demander à leur propre architecte d'opérer une vérification sur place dès lors qu'ils étaient en possession des clés de la maison.
Le compromis n'imposait pas à la venderesse de solliciter un certificat de la communauté d'agglomération de [Localité 6] Méditerranée. C'est donc à tort que le premier juge a écarté le document de M. [S] [G], architecte DPLG.
Mme [Z] [A] rapporte la preuve qu'elle a réalisé la condition suspensive de raccordement selon les termes du compromis.
- Sur la condition de la sortie du statut de la copropriété
Le compromis de vente prévoit la condition suspensive suivante relative à la sortie de copropriété du bien : « Que l'immeuble objet des présentes soit sorti de la copropriété par la dissolution et liquidation de cette dernière ou à défaut que le règlement de copropriété susvisé soit modifié pour qu'il ne reste aucune partie commune mais uniquement des parties privatives » (page 10 du compromis).
Cette condition suspensive devait être réalisée « au plus tard le 10 mars 2019 [l'année devant être lue étant en réalité 2020]» (page 8 du compromis).
Mme [Z] [A] ne produit aucun justificatif au sujet de cette dissolution-liquidation de copropriété et se contente de conclure que « l'acte était également établi et entre les mains du notaire des acquéreurs, les parties et leurs notaires respectifs s'étant accordés pour signer tous les actes le même jour ».
Toutefois, contrairement à ces affirmations, il ne résulte pas de la clause que les parties et leur notaires se seraient mis d'accord pour signer l'acte de dissolution-liquidation de copropriété le jour de la signature de l'acte authentique.
Les termes du compromis sont clairs : l'immeuble devait sortir du statut de la copropriété au plus tard le 10 mars 2020.
Mme [Z] [A], qui ne produit aucun document à ce titre, échoue à rapporter la preuve de la réalisation de cette condition suspensive dans les délais convenus.
La dissolution-liquidation de la copropriété n'est intervenue que plus tard, soit le 16 octobre 2020 (page 3 de l'acte authentique de vente du 16 octobre 2020 entre Mme [Z] [A] et M.[H] et Mme [X]).
Mme [Z] [A] doit donc être déboutée de sa demande de condamnation des époux [R] au paiement d'une indemnité au titre de la clause pénale dès lors que la clause pénale n'était due qu'à la condition que les conditions suspensives soient réalisées.
Par ailleurs, alors que les époux [R] n'ont commis aucune faute contractuelle en refusant de signer l'acte authentique de vente, Mme [A] doit être déboutée de ses demandes d'indemnisation pour avoir déménagé plus tôt et avoir accepté de laisser les acquéreur entrer dans les lieux avant la signature de l'acte authentique, cette dernière devant assumer l'aléa que la vente ne se soit finalement pas concrétisée, en raison de la non réalisation de la condition suspensive relative à la dissolution de la copropriété.
La décision entreprise sera confirmée, en ce qu'elle a débouté Mme [Z] [A] de l'ensemble de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts (article 1240 du code civil)
L'exercice du droit d'ester en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas où le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.
Le seul rejet des prétentions d'un plaideur, y compris par confirmation en appel d'une décision de première instance, ne caractérise pas automatiquement l'abus du droit d'ester en justice, puisque l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas à elle seule constitutive d'une faute, sauf s'il est démontré que le demandeur ne peut, à l'évidence, croire au succès de ses prétentions.
En conséquence, M. [S] [R] et Mme [B] [M] épouse [R] ne démontrant pas en quoi l'action que Mme [Z] [A] a introduite a dégénéré en abus, la demande d'allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être rejetée.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [Z] [A] supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. [S] [R] et Mme [B] [M] épouse [R] de leur demande reconventionnelle pour action abusive,
Condamne Mme [Z] [A] aux dépens d'appel,
Condamne Mme [Z] [A] à payer à M. [S] [R] et Mme [B] [M] épouse [R] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.