Décisions
CA Nîmes, 1re ch., 3 octobre 2024, n° 22/00339
NÎMES
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/00339 - N°Portalis DBVH-V-B7G-IKNN
ID
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NÎMES
20 décembre 2021 RG:19/03717
[U]
[W] ÉPOUSE [U]
C/
SCI [Localité 12]
SARL SEVERINI PIERRES ET LOISIRS
Grosse délivrée
le 03/10/2024
à Me Emmanuelle Vajou
à Me Pascale Comte
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2024
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 20 décembre 2021, N°19/03717
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Alexandra Berger, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Audrey Bachimont, greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 septembre 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 octobre 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTS :
M. [L] [U]
né le 03 mai 1957 à [Localité 14] (88)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Mme [R] [W] épouse [U]
née le 15 Août 1958 à [Localité 9] (50)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représentés par Me Emmanuelle Vajou de la Selarl LX Nîmes, postulante, avocate au barreau de Nîmes
Représentés par Me Thierry Dumoulin, plaidant, avocat au barreau de Lyon
INTIMÉES :
La Sci [Localité 12]
[Adresse 3]
radiée du RCS le 24 février 2015, suite à dissolution anticipée à compter du 30 juin 2015 et clôture des opérations de liquidation le 30 juin 2014,
prise en la personne de M. [S] [F], Sarl JG Expertises, désigné en qualité de mandataire ad'hoc par ordonnance du 12 avril 2019, domicilié en cette qualité
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Pascale Comte de la Scp Akcio Bdcc Avocats, postulante, avocate au barreau de Nîmes
Représentée par Me Julie Raignault de la Selarl Gramond & Associés, plaidante, avocate au barreau de Paris
La Sarl SEVERINI PIERRES ET LOISIRS, prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Pascale Comte de la Scp Akcio Bdcc Avocats, postulante, avocate au barreau de Nîmes
Représentée par Me Julie Raignault de la Selarl Gramond & Associés, plaidante, avocate au barreau de Paris
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 03 octobre 2024, par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La Sci [Localité 12] qui exerce une activité de promotion immobilière a donné mandat à la société FCI de vendre les lots d'un ensemble immobilier dénommé '[Adresse 10]', situé dans la ville de [Localité 12] à proximité d'[Localité 8].
Selon contrat de réservation du 10 janvier 2008 et acte authentique du 23 avril 2008 reçu par Me [C], notaire à [Localité 8], elle a vendu à M. et Mme [U], dans un ensemble immobilier sis [Adresse 11] dénommé '[Adresse 10]' un appartement en l'état futur d'achèvement soit
- le lot n°10 : dans le bâtiment A à l'étage un appartement T2 avec balcon et les 204/10 000èmes des parties communes générales
- le lot n°57 : un parking aérien et les 8/10 000ème des parties communes générales au prix de 115 401 euros.
Elle a fait l'objet d'une dissolution anticipée à compter du 30 juin 2014 et a été radiée du registre du commerce le 24 février 2015.
Ses deux associés à parts égales étaient les sociétés Severini Pierres et Loisirs et FCI, à l'égard de laquelle a été ouverte une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 5 décembre 2012.
Par acte en date du 23 juillet 2019, M. [L] [U] et son épouse [R] née [W] ont assigné les sociétés [Localité 12] et Severini Pierres & Loisirs aux fins d'annulation de la vente pour dol devant le tribunal de grande instance de Nîmes qui par jugement contradictoire du 20 décembre 2021 :
- a déclaré leur action recevable sur l'intérêt et la qualité à agir,
- l'a déclarée irrecevable car prescrite,
- a dit en conséquence, ne pas avoir à statuer sur les autres demandes,
- a condamné M. et Mme [U] à payer à la société Severini Pierres et Loisirs la somme de 300 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- a rejeté les autres demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 27 janvier 2022, M. et Mme [U] ont interjeté appel et par arrêt avant dire-droit du 20 avril 2023 cette cour :
- a confirmé partiellement le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action des demandeurs contre la société Severini Pierres & Loisirs,
- l'a infirmé pour le surplus,
et statuant à nouveau,
- a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
Avant-dire droit au fond,
- a ordonné une consultation et commis pour y procéder M. [I] [Z], expert près la cour d'appel d'Agen, avec pour mission de déterminer quelle était la valeur vénale moyenne au m² en 2018 des biens immobiliers présentant des caractéristiques voisines de celles de l'appartement de M. et Mme [U] (appartement de 56,98 m² à l'étage situé dans une résidence, bien à usage locatif ..) et se situant dans un même secteur géographique ([Localité 12], [Localité 8]),
- a réservé les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
L'expert a déposé son rapport le 2 novembre 2023 et par ordonnance du 19 mars 2024 l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 2 septembre 2024, la clôture de la procédure étant ordonnée à effet différé au 28 juin 2024.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions d'appel après consultation récapitulatives notifiées par voie électronique le 14 juin 2024, M. et Mme [U] demandent à la cour :
- de juger leur appel recevable et bien fondé
- d'infirmer le jugement en ce qu'il :
- a déclaré leur action irrecevable car prescrite
- a dit en conséquence ne pas avoir à statuer sur les autres demandes
- les a condamnés à payer à la société Severini Pierres & Loisirs la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- a rejeté les autres demandes au même titre
- les a condamnés aux entiers dépens de l'instance
- a prononcé l'exécution provisoire
- de juger
- que la société Severini Pierre et Loisirs ne forme pas de demande de réformation ou d'infirmation sur la chef ayant déclaré leur action recevable sur l'intérêt à agir dans le délai de 3 mois de la notification de leurs conclusions
- que les conclusions des intimés ne comportent aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement
- que ces conclusions ne constituent pas un appel incident valable et que l'effet dévolutif n'a pas opéré sur le chef du jugement ayant déclaré leur action recevable sur l'intérêt et la qualité à agir et que la cour n'est pas saisie de ce chef
- d'ordonner par conséquent la confirmation du jugement de ce chef
Statuant à nouveau
- de débouter les sociétés [Localité 12] et Severini Pierres & Loisirs de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- de les condamner in solidum à les indemniser comme suit du préjudice causé :
- 120 000 euros pour le préjudice financier, outre intérêts légaux à compter de l'assignation
- 10 000 euros pour le préjudice moral
- 10 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile
Subsidiairement
- de condamner la Sci [Localité 12] à leur payer :
- 120 000 euros pour le préjudice financier
- 10 000 euros pour le préjudice moral
- 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
et de condamner la société Severini Pierres et Loisirs à ne réparer leur préjudice que dans la proportion de moitié soit 39 500 euros, outre 5 000 euros pour le préjudice moral, et 2 500 euros (sic) sur le fondement de l'article 700
- de condamner in solidum la Sci [Localité 12] et la société Severini Pierres et Loisirs aux entiers dépens
Ils soutiennent :
- que les man'uvres dolosives ont consisté à leur remettre lors de l'acquisition des documents promettant mensongèrement une augmentation de valeur du bien de 20% en dix ans et à jouer sur leur désir de baisser leur pression fiscale pour les convaincre d'acheter un bien au triple de sa valeur réelle
- qu'en qualité d'acheteurs ils n'avaient aucune obligation de vérifier la viabilité des opérations et qu'à l'inverse les vendeurs professionnels étaient tenus à leur égard d'une obligation d'information
- qu'outre leur préjudice moral, les man'uvres dolosives dont ils ont été victimes leur ont causé un préjudice financier qui s'élève à la différence entre la valeur mentionnée dans le document fourni par les intimées lors de la vente et la valeur du bien telle qu'évaluée par l'expert en 2018.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 mars 2024, les sociétés [Localité 12] et Severini Pierres et Loisirs demandent à la cour :
A titre principal
- de juger qu'aucun manquement au devoir d'information et aucune faute dolosive ne peut leur être reproché,
En conséquence
- de débouter les appelants de toutes leurs prétentions ;
A titre subsidiaire, s'il était jugé que l'une d'elles ou les deux ont manqué à un devoir de conseil ou commis une faute dolosive
- de juger que les appelants ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'ils allèguent
En conséquence
- de les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;
En toute hypothèse
- de les condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais et honoraires de l'expert désigné par la cour, et à leur payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les intimées réfutent les man'uvres dolosives alléguées, la présentation commerciale avantageuse, voire exagérée, d'un bien ou d'un investissement ne constituant selon elles pas un dol et soutiennent que le vendeur n'était tenu d'aucune obligation de conseil et d'information sur le prix et la rentabilité de l'investissement et que le prix de vente a été librement fixé par les parties.
MOTIFS :
La cour a déjà été statué sur la recevabilité de l'appel et défini le dommage allégué par les appelants non comme le décalage entre le prix de vente et la valeur de marché du bien immobilier à la date de l'acquisition mais le décalage entre la valeur de marché de ce bien en 2008 et sa valeur la dixième année suivant l'acquisition telle qu'indiquée dans la simulation remise avant la vente.
A cet effet, elle a ordonné avant-dire-droit une consultation aux fins de déterminer la valeur vénale moyenne au m² en 2018 des biens immobiliers présentant des caractéristiques voisines de celui acquis par les appelants dans le même secteur géographique.
* Sur le dol
Selon l'ancien article 1116 du code civil ici applicable, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
La cour a déjà jugé que le dol dont les appelants prétendent avoir été victimes consiste en la promesse fallacieuse faite par la société FCI associée et mandataire de la Sci [Localité 12] d'augmentation de la valeur du bien vendu 10 ans après son achat le 23 avril 2008 au prix de 115 401 euros et que, pour déterminer si était contraire à la vérité l'assurance qui leur a été donnée d'une augmentation continue de la valeur de ce bien durant les dix premières années suivant l'achat, il importait de comparer la valeur vénale du bien litigieux en 2018 telle que mentionnée dans le tableau prévisionnel présenté aux acquéreurs avec la valeur du marché d'un bien du même type situé dans le même secteur géographique en 2018.
Les conclusions de l'expertise judiciaire ordonnée avant-dire droit à cet effet sont les suivantes :
'Biens et droits immobiliers dépendant d'un immeuble en copropriété si se commune de [Localité 12] [Adresse 13] cadastré section BA n°[Cadastre 5] pour une contenance de 5 485 m²
soit
le lot n°10 : un appartement de type 2 avec balcon, au 1er étage du bâtiment A et les 204/10 000éme de la propriété du sol et des parties communes générales
le lot n°57 : un emplacement de stationnement aérien et les 8/10 000ème de la propriété du sol et des parties communes générales
Valeur 2018 concernant des biens possédant des caractéristiques comparables : valeur unitaire moyenne retenue : 1 450 euros/m².'
Soit pour un appartement de 36,66 m² hors surface du balcon de 5,71m² une valeur vénale de 53 157 euros, au lieu de 137 915 euros, valeur figurant au tableau en page 1 du document 'Simulation réalisée avec Topinvest NG version 2007 document non contractuel édité le 5.12.2007' (pièce 4 appelants).
La promesse d'augmentation de la valeur du bien vendu, accompagnée de manoeuvres frauduleuses caractérisées par la production par la société FCI du document 'Concept et gestion' était donc bien fallacieuse.
Toutefois les appelants ne démontrent pas qu'elle a émané du vendeur la Sci [Localité 12] mais seulement de son mandataire la société FCI, aujourd'hui liquidée et à l'égard de laquelle ils ne formulent aucune demande.
Aux termes de l'article 1117 du code civil en vigueur jusqu'au 01 octobre 2016 ici applicable la convention contractée par erreur, violence ou dol, n'est point nulle de plein droit ; elle donne seulement lieu à une action en nullité ou en rescision, dans les cas et de la manière expliqués à la section VII du chapitre V du présent titre.
Les appelants ne sollicitent pas ici l'annulation du contrat de vente mais la réparation de leurs préjudices financier et moral, à l'encontre des seules sociétés [Localité 12], désormais radiée du registre du commerce suite à dissolution anticipée, et de la société Severini Pierres et Loisirs.
* faute de la société [Localité 12]
La victime du dol peut agir, d'une part, en nullité de la convention sur le fondement des articles 1137 et 1178, alinéa 1 du code civil (auparavant 1116 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige), d'autre part, en réparation du préjudice sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil (auparavant 1382 et 1383 du même code, applicables au litige).
Si le mandant est, en vertu de l'article 1998 du code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l'inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manoeuvres dolosives du mandataire, dans l'exercice de son mandat, n'engagent la responsabilité du mandant que si celui-ci a personnellement commis une faute, qu'il incombe à la victime d'établir. (Chambre mixte 29 octobre 2021, n° 19-18.470).
Après avoir vainement soutenu que 'la Sci [Localité 12], c'est-à-dire en fait la société Severini Pierres et Loisirs et la société FCI ont vendu tout d'abord trop cher par rapport au prix du marché en 2008 l'appartement ayant fait l'objet de l'expertise du cabinet Boulez', les appelants soutiennent qu'il leur a été expressément promis une augmentation considérable au bout de 10 ans c'est à dire en 2018 du bien immobilier acheté, cette promesse résultant du document 'Concept et Gestion'.
Ce faisant, ils ne démontrent aucune faute imputable à la venderesse la Sci [Localité 12], dont la société FCI était le mandataire.
* faute de la société Severini Pierre et Loisirs
Les appelants soutiennent que les agissements de la Sci [Localité 12] ont été nécessairement commis en plein accord avec son autre associée la société Severini Pierres & Loisirs.
Selon l'article 1857 al 1 du code civil, à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
Toutefois, cette obligation suppose établie la responsabilité de la Sci [Localité 12], ici rejetée.
Et les appelants n'articulent à l'égard de la société Severini Pierre & Loisirs aucune faute qui lui soit directement imputable.
Ils devront en conséquence être déboutés de toutes leurs demandes à l'égard de celles-ci.
* autres demandes
Succombant en leur appel, M. et Mme [U] devront supporter les dépens de la présente instance.
L'équité ne commande pas de faire ici application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rappelle que par arrêt avant-dire-droit du 20 avril 2023 elle
- a confirmé partiellement le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action des demandeurs contre la société Severini Pierres & Loisirs,
- l'a infirmé pour le surplus,
et statuant à nouveau,
- a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
Avant-dire droit au fond
- a ordonné une consultation et commis pour y procéder M. [I] [Z], expert près la cour d'appel d'Agen,
Y ajoutant,
Déboute M. [L] [U] et Mme [K] [W] épouse [U] de toutes leurs demandes dirigées tant à l'encontre de la Sci [Localité 12] qu'à l'encontre de la Sarl Severini Pierres & Loisirs du fait du dol imputable à la société FCI,
Les condamne à supporter les dépens de la présente instance,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/00339 - N°Portalis DBVH-V-B7G-IKNN
ID
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NÎMES
20 décembre 2021 RG:19/03717
[U]
[W] ÉPOUSE [U]
C/
SCI [Localité 12]
SARL SEVERINI PIERRES ET LOISIRS
Grosse délivrée
le 03/10/2024
à Me Emmanuelle Vajou
à Me Pascale Comte
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2024
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 20 décembre 2021, N°19/03717
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Alexandra Berger, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Audrey Bachimont, greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 septembre 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 octobre 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTS :
M. [L] [U]
né le 03 mai 1957 à [Localité 14] (88)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Mme [R] [W] épouse [U]
née le 15 Août 1958 à [Localité 9] (50)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représentés par Me Emmanuelle Vajou de la Selarl LX Nîmes, postulante, avocate au barreau de Nîmes
Représentés par Me Thierry Dumoulin, plaidant, avocat au barreau de Lyon
INTIMÉES :
La Sci [Localité 12]
[Adresse 3]
radiée du RCS le 24 février 2015, suite à dissolution anticipée à compter du 30 juin 2015 et clôture des opérations de liquidation le 30 juin 2014,
prise en la personne de M. [S] [F], Sarl JG Expertises, désigné en qualité de mandataire ad'hoc par ordonnance du 12 avril 2019, domicilié en cette qualité
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Pascale Comte de la Scp Akcio Bdcc Avocats, postulante, avocate au barreau de Nîmes
Représentée par Me Julie Raignault de la Selarl Gramond & Associés, plaidante, avocate au barreau de Paris
La Sarl SEVERINI PIERRES ET LOISIRS, prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Pascale Comte de la Scp Akcio Bdcc Avocats, postulante, avocate au barreau de Nîmes
Représentée par Me Julie Raignault de la Selarl Gramond & Associés, plaidante, avocate au barreau de Paris
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 03 octobre 2024, par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La Sci [Localité 12] qui exerce une activité de promotion immobilière a donné mandat à la société FCI de vendre les lots d'un ensemble immobilier dénommé '[Adresse 10]', situé dans la ville de [Localité 12] à proximité d'[Localité 8].
Selon contrat de réservation du 10 janvier 2008 et acte authentique du 23 avril 2008 reçu par Me [C], notaire à [Localité 8], elle a vendu à M. et Mme [U], dans un ensemble immobilier sis [Adresse 11] dénommé '[Adresse 10]' un appartement en l'état futur d'achèvement soit
- le lot n°10 : dans le bâtiment A à l'étage un appartement T2 avec balcon et les 204/10 000èmes des parties communes générales
- le lot n°57 : un parking aérien et les 8/10 000ème des parties communes générales au prix de 115 401 euros.
Elle a fait l'objet d'une dissolution anticipée à compter du 30 juin 2014 et a été radiée du registre du commerce le 24 février 2015.
Ses deux associés à parts égales étaient les sociétés Severini Pierres et Loisirs et FCI, à l'égard de laquelle a été ouverte une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 5 décembre 2012.
Par acte en date du 23 juillet 2019, M. [L] [U] et son épouse [R] née [W] ont assigné les sociétés [Localité 12] et Severini Pierres & Loisirs aux fins d'annulation de la vente pour dol devant le tribunal de grande instance de Nîmes qui par jugement contradictoire du 20 décembre 2021 :
- a déclaré leur action recevable sur l'intérêt et la qualité à agir,
- l'a déclarée irrecevable car prescrite,
- a dit en conséquence, ne pas avoir à statuer sur les autres demandes,
- a condamné M. et Mme [U] à payer à la société Severini Pierres et Loisirs la somme de 300 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- a rejeté les autres demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 27 janvier 2022, M. et Mme [U] ont interjeté appel et par arrêt avant dire-droit du 20 avril 2023 cette cour :
- a confirmé partiellement le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action des demandeurs contre la société Severini Pierres & Loisirs,
- l'a infirmé pour le surplus,
et statuant à nouveau,
- a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
Avant-dire droit au fond,
- a ordonné une consultation et commis pour y procéder M. [I] [Z], expert près la cour d'appel d'Agen, avec pour mission de déterminer quelle était la valeur vénale moyenne au m² en 2018 des biens immobiliers présentant des caractéristiques voisines de celles de l'appartement de M. et Mme [U] (appartement de 56,98 m² à l'étage situé dans une résidence, bien à usage locatif ..) et se situant dans un même secteur géographique ([Localité 12], [Localité 8]),
- a réservé les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
L'expert a déposé son rapport le 2 novembre 2023 et par ordonnance du 19 mars 2024 l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 2 septembre 2024, la clôture de la procédure étant ordonnée à effet différé au 28 juin 2024.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions d'appel après consultation récapitulatives notifiées par voie électronique le 14 juin 2024, M. et Mme [U] demandent à la cour :
- de juger leur appel recevable et bien fondé
- d'infirmer le jugement en ce qu'il :
- a déclaré leur action irrecevable car prescrite
- a dit en conséquence ne pas avoir à statuer sur les autres demandes
- les a condamnés à payer à la société Severini Pierres & Loisirs la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- a rejeté les autres demandes au même titre
- les a condamnés aux entiers dépens de l'instance
- a prononcé l'exécution provisoire
- de juger
- que la société Severini Pierre et Loisirs ne forme pas de demande de réformation ou d'infirmation sur la chef ayant déclaré leur action recevable sur l'intérêt à agir dans le délai de 3 mois de la notification de leurs conclusions
- que les conclusions des intimés ne comportent aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement
- que ces conclusions ne constituent pas un appel incident valable et que l'effet dévolutif n'a pas opéré sur le chef du jugement ayant déclaré leur action recevable sur l'intérêt et la qualité à agir et que la cour n'est pas saisie de ce chef
- d'ordonner par conséquent la confirmation du jugement de ce chef
Statuant à nouveau
- de débouter les sociétés [Localité 12] et Severini Pierres & Loisirs de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- de les condamner in solidum à les indemniser comme suit du préjudice causé :
- 120 000 euros pour le préjudice financier, outre intérêts légaux à compter de l'assignation
- 10 000 euros pour le préjudice moral
- 10 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile
Subsidiairement
- de condamner la Sci [Localité 12] à leur payer :
- 120 000 euros pour le préjudice financier
- 10 000 euros pour le préjudice moral
- 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
et de condamner la société Severini Pierres et Loisirs à ne réparer leur préjudice que dans la proportion de moitié soit 39 500 euros, outre 5 000 euros pour le préjudice moral, et 2 500 euros (sic) sur le fondement de l'article 700
- de condamner in solidum la Sci [Localité 12] et la société Severini Pierres et Loisirs aux entiers dépens
Ils soutiennent :
- que les man'uvres dolosives ont consisté à leur remettre lors de l'acquisition des documents promettant mensongèrement une augmentation de valeur du bien de 20% en dix ans et à jouer sur leur désir de baisser leur pression fiscale pour les convaincre d'acheter un bien au triple de sa valeur réelle
- qu'en qualité d'acheteurs ils n'avaient aucune obligation de vérifier la viabilité des opérations et qu'à l'inverse les vendeurs professionnels étaient tenus à leur égard d'une obligation d'information
- qu'outre leur préjudice moral, les man'uvres dolosives dont ils ont été victimes leur ont causé un préjudice financier qui s'élève à la différence entre la valeur mentionnée dans le document fourni par les intimées lors de la vente et la valeur du bien telle qu'évaluée par l'expert en 2018.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 mars 2024, les sociétés [Localité 12] et Severini Pierres et Loisirs demandent à la cour :
A titre principal
- de juger qu'aucun manquement au devoir d'information et aucune faute dolosive ne peut leur être reproché,
En conséquence
- de débouter les appelants de toutes leurs prétentions ;
A titre subsidiaire, s'il était jugé que l'une d'elles ou les deux ont manqué à un devoir de conseil ou commis une faute dolosive
- de juger que les appelants ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'ils allèguent
En conséquence
- de les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;
En toute hypothèse
- de les condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais et honoraires de l'expert désigné par la cour, et à leur payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les intimées réfutent les man'uvres dolosives alléguées, la présentation commerciale avantageuse, voire exagérée, d'un bien ou d'un investissement ne constituant selon elles pas un dol et soutiennent que le vendeur n'était tenu d'aucune obligation de conseil et d'information sur le prix et la rentabilité de l'investissement et que le prix de vente a été librement fixé par les parties.
MOTIFS :
La cour a déjà été statué sur la recevabilité de l'appel et défini le dommage allégué par les appelants non comme le décalage entre le prix de vente et la valeur de marché du bien immobilier à la date de l'acquisition mais le décalage entre la valeur de marché de ce bien en 2008 et sa valeur la dixième année suivant l'acquisition telle qu'indiquée dans la simulation remise avant la vente.
A cet effet, elle a ordonné avant-dire-droit une consultation aux fins de déterminer la valeur vénale moyenne au m² en 2018 des biens immobiliers présentant des caractéristiques voisines de celui acquis par les appelants dans le même secteur géographique.
* Sur le dol
Selon l'ancien article 1116 du code civil ici applicable, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
La cour a déjà jugé que le dol dont les appelants prétendent avoir été victimes consiste en la promesse fallacieuse faite par la société FCI associée et mandataire de la Sci [Localité 12] d'augmentation de la valeur du bien vendu 10 ans après son achat le 23 avril 2008 au prix de 115 401 euros et que, pour déterminer si était contraire à la vérité l'assurance qui leur a été donnée d'une augmentation continue de la valeur de ce bien durant les dix premières années suivant l'achat, il importait de comparer la valeur vénale du bien litigieux en 2018 telle que mentionnée dans le tableau prévisionnel présenté aux acquéreurs avec la valeur du marché d'un bien du même type situé dans le même secteur géographique en 2018.
Les conclusions de l'expertise judiciaire ordonnée avant-dire droit à cet effet sont les suivantes :
'Biens et droits immobiliers dépendant d'un immeuble en copropriété si se commune de [Localité 12] [Adresse 13] cadastré section BA n°[Cadastre 5] pour une contenance de 5 485 m²
soit
le lot n°10 : un appartement de type 2 avec balcon, au 1er étage du bâtiment A et les 204/10 000éme de la propriété du sol et des parties communes générales
le lot n°57 : un emplacement de stationnement aérien et les 8/10 000ème de la propriété du sol et des parties communes générales
Valeur 2018 concernant des biens possédant des caractéristiques comparables : valeur unitaire moyenne retenue : 1 450 euros/m².'
Soit pour un appartement de 36,66 m² hors surface du balcon de 5,71m² une valeur vénale de 53 157 euros, au lieu de 137 915 euros, valeur figurant au tableau en page 1 du document 'Simulation réalisée avec Topinvest NG version 2007 document non contractuel édité le 5.12.2007' (pièce 4 appelants).
La promesse d'augmentation de la valeur du bien vendu, accompagnée de manoeuvres frauduleuses caractérisées par la production par la société FCI du document 'Concept et gestion' était donc bien fallacieuse.
Toutefois les appelants ne démontrent pas qu'elle a émané du vendeur la Sci [Localité 12] mais seulement de son mandataire la société FCI, aujourd'hui liquidée et à l'égard de laquelle ils ne formulent aucune demande.
Aux termes de l'article 1117 du code civil en vigueur jusqu'au 01 octobre 2016 ici applicable la convention contractée par erreur, violence ou dol, n'est point nulle de plein droit ; elle donne seulement lieu à une action en nullité ou en rescision, dans les cas et de la manière expliqués à la section VII du chapitre V du présent titre.
Les appelants ne sollicitent pas ici l'annulation du contrat de vente mais la réparation de leurs préjudices financier et moral, à l'encontre des seules sociétés [Localité 12], désormais radiée du registre du commerce suite à dissolution anticipée, et de la société Severini Pierres et Loisirs.
* faute de la société [Localité 12]
La victime du dol peut agir, d'une part, en nullité de la convention sur le fondement des articles 1137 et 1178, alinéa 1 du code civil (auparavant 1116 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige), d'autre part, en réparation du préjudice sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil (auparavant 1382 et 1383 du même code, applicables au litige).
Si le mandant est, en vertu de l'article 1998 du code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l'inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manoeuvres dolosives du mandataire, dans l'exercice de son mandat, n'engagent la responsabilité du mandant que si celui-ci a personnellement commis une faute, qu'il incombe à la victime d'établir. (Chambre mixte 29 octobre 2021, n° 19-18.470).
Après avoir vainement soutenu que 'la Sci [Localité 12], c'est-à-dire en fait la société Severini Pierres et Loisirs et la société FCI ont vendu tout d'abord trop cher par rapport au prix du marché en 2008 l'appartement ayant fait l'objet de l'expertise du cabinet Boulez', les appelants soutiennent qu'il leur a été expressément promis une augmentation considérable au bout de 10 ans c'est à dire en 2018 du bien immobilier acheté, cette promesse résultant du document 'Concept et Gestion'.
Ce faisant, ils ne démontrent aucune faute imputable à la venderesse la Sci [Localité 12], dont la société FCI était le mandataire.
* faute de la société Severini Pierre et Loisirs
Les appelants soutiennent que les agissements de la Sci [Localité 12] ont été nécessairement commis en plein accord avec son autre associée la société Severini Pierres & Loisirs.
Selon l'article 1857 al 1 du code civil, à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
Toutefois, cette obligation suppose établie la responsabilité de la Sci [Localité 12], ici rejetée.
Et les appelants n'articulent à l'égard de la société Severini Pierre & Loisirs aucune faute qui lui soit directement imputable.
Ils devront en conséquence être déboutés de toutes leurs demandes à l'égard de celles-ci.
* autres demandes
Succombant en leur appel, M. et Mme [U] devront supporter les dépens de la présente instance.
L'équité ne commande pas de faire ici application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rappelle que par arrêt avant-dire-droit du 20 avril 2023 elle
- a confirmé partiellement le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action des demandeurs contre la société Severini Pierres & Loisirs,
- l'a infirmé pour le surplus,
et statuant à nouveau,
- a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
Avant-dire droit au fond
- a ordonné une consultation et commis pour y procéder M. [I] [Z], expert près la cour d'appel d'Agen,
Y ajoutant,
Déboute M. [L] [U] et Mme [K] [W] épouse [U] de toutes leurs demandes dirigées tant à l'encontre de la Sci [Localité 12] qu'à l'encontre de la Sarl Severini Pierres & Loisirs du fait du dol imputable à la société FCI,
Les condamne à supporter les dépens de la présente instance,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,