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Décisions

CA Nîmes, 1re ch., 3 octobre 2024, n° 22/00334

NÎMES

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Severini Pierres et Loisirs (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Defarge

Conseillers :

Mme Duprat, Mme Gentilini

Avocats :

Me Vajou, Me Dumoulin, Me Comte, Me Raignault

TJ Nîmes, du 20 déc. 2021, n° 19/03714

20 décembre 2021

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La Sci [Localité 14] [Adresse 4] [Localité 3], qui exerçait une activité de promotion immobilière, avait pour associés à parts égales les sociétés Severini Pierres et Loisirs et Méditerranée Investissement Patrimoine exerçant à l'enseigne FCI (Finance Conseil Investissement).

Selon acte authentique du 18 novembre 2009 reçu par Me [E], notaire à [Localité 10], elle a vendu à M.[L] [D] et son épouse [P] née [R] un appartement en l'état futur d'achèvement portant le n° 20 situé au rez-de-chaussée du bâtiment B dans l'ensemble immobilier '[Adresse 16]', à [Localité 14], de type T2 d'une surface habitable de m² avec balcon et parking extérieur au prix de 115 299 euros.

La société FCI a été placée en liquidation judiciaire le 5 décembre 2012.

La Sci [Localité 14] a fait l'objet d'une dissolution anticipée à compter du 30 juin 2014 et été radiée du registre du commerce le 24 février 2015.

Par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Nîmes du 12 avril 2019 la Sarl JG Expertises prise en la personne de M. [J] [V] a été désignée en qualité de mandataire ad hoc pour la représenter dans le cadre de la présente instance.

Par acte en date du 23 juillet 2019, M.et Mme [D] ont assigné les sociétés [Localité 14] et Severini Pierres & Loisirs aux fins d'annulation de la vente pour dol devant le tribunal judiciaire de Nîmes qui par jugement contradictoire du 20 décembre 2021:

- a déclaré leur action recevable sur l'intérêt et la qualité à agir,

- l'a déclarée irrecevable car prescrite,

- a dit en conséquence, ne pas avoir à statuer sur les autres demandes,

- a condamné Mme [R] et M. [D] à payer à la société Severini Pierres et Loisirs la somme de 300 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a rejeté les autres demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 27 janvier 2022, M. [D] et Mme [R] ont interjeté appel de ce jugement et par arrêt mixte du 20 avril 2023 cette cour :

- a confirmé partiellement le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action des demandeurs contre la société Severini Pierres & Loisirs,

- l'a infirmé pour le surplus,

Statuant à nouveau

- a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

Avant-dire droit au fond

- a ordonné une consultation et commis pour y procéder M. [A] [T], expert près la cour d'appel d'Agen, avec pour mission de déterminer quelle était la valeur vénale moyenne au m² en 2018 des biens immobiliers présentant des caractéristiques voisines de celles de l'appartement de Mme [R] et M. [D] (appartement de 35,95 m² à l'étage situé dans une résidence, bien à usage locatif) et se situant dans un même secteur géographique (Pont de Casse, Agen),

- a réservé les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

L'expert a déposé son rapport le 2 novembre 2023 et par ordonnance du 19 mars 2024 l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 2 septembre 2024, la clôture de la procédure étant ordonnée à effet différé au 28 juin 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS

Par conclusions d'appel après consultation récapitulatives n°2 notifiées par voie électronique le 14 juin 2024 M. [D] et Mme [R] demandent à la cour

- de juger leur appel recevable et bien fondé,

- d'infirmer le jugement,

- de juger

- que la société SPL ne forme pas de demande de réformation ou d'infirmation sur le chef ayant déclaré l'action des demandeurs recevable sur l'intérêt et la qualité à agir, dans le délai de 3 mois de la notification des conclusions de l'appelant

- que les conclusions des intimés ne comportent aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du chef du jugement attaqué par les intimés.

- que ces conclusions ne constituent pas un appel incident valable et que l'effet dévolutif n'a pas opéré sur le chef du jugement ayant déclaré l'action des demandeurs recevable sur l'intérêt et la qualité à agir.

- que la cour n'est pas saisie dudit chef.

- d'ordonner par conséquent la confirmation de ce chef de jugement en ce qu'il a jugé que la société Severini Pierres & Loisirs avait bien qualité pour défendre,

Statuant à nouveau

- de débouter les sociétés [Localité 14] et Severini Pierres & Loisirs de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- de les condamner in solidum à les indemniser du préjudice causé :

- 68 101 euros pour le préjudice financier, outre intérêts légaux à compter de l'assignation,

- 10 000 euros pour le préjudice moral,

- 10 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile

Subsidiairement,

- de condamner la Sci [Localité 14] à leur payer :

- 68 101 euros pour le préjudice financier, outre intérêts légaux à compter de l'assignation,

- 10 000 euros pour le préjudice moral,

- 10 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile

et de condamner en ce cas la société Severini Pierres & Loisirs à ne réparer leur préjudice que dans la proportion de moitié, soit 34 050 euros, outre 5 000 euros pour le préjudice moral, et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- de condamner les deux sociétés in solidum aux entiers dépens.

Ils soutiennent

- que les man'uvres dolosives ont consisté à leur remettre lors de l'acquisition des documents promettant mensongèrement une augmentation de valeur du bien de 12% en dix ans et à jouer sur leur désir de baisser leur pression fiscale pour les convaincre d'acheter un bien au triple de sa valeur réelle

- qu'en qualité d'acheteurs ils n'avaient aucune obligation de vérifier la viabilité des opérations et qu'à l'inverse les vendeurs professionnels étaient tenus à leur égard d'une obligation d'information

- qu'ils sont fondés à demander réparation de leur préjudice à la sarl Severini Pierres et Loisirs en sa qualité d'associée dès lors que la Sci [Localité 14] a fait l'objet d'une dissolution

- qu'outre leur préjudice moral les man'uvres dolosives dont ils ont été victimes leur ont causé un préjudice financier qui s'élève à la différence entre la valeur mentionnée dans le document fourni par les intimées lors de la vente et la valeur du bien telle qu'évaluée par l'expert en 2018.

Par conclusions notifiés le 18 mars 2024 les sociétés [Localité 14] et Severini Pierre & Loisirs demandent à la cour

A titre principal

- de juger qu'aucun manquement au devoir d'information et aucune faute dolosive ne peut leur être reproché,

En conséquence

- de débouter les appelants de toutes leurs prétentions,

A titre subsidiaire, s'il était jugé que l'une d'elles ou les deux ont manqué à un devoir de conseil ou commis une faute dolosive,

- de juger que les appelants ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'ils allèguent

En conséquence

- de les débouter de l'ensemble de leurs demandes,

En toute hypothèse

- de les condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais et honoraires de l'expert désigné par la cour, et à leur payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimées réfutent les man'uvres dolosives alléguées, la présentation commerciale avantageuse, voire exagérée, d'un bien ou d'un investissement ne constituant pas un dol. Elles soutiennent que le vendeur n'était tenu d'aucune obligation de conseil et d'information sur le prix et la rentabilité de l'investissement et que le prix de vente a été librement fixé par les parties.

MOTIFS

La cour a déjà été statué sur la recevabilité de l'appel et défini le dommage allégué par les appelants non comme le décalage entre le prix de vente et la valeur de marché du bien immobilier à la date de l'acquisition mais le décalage entre la valeur de marché de ce bien en 2008 et sa valeur la dixième année suivant l'acquisition telle qu'indiquée dans la simulation remise avant la vente.

A cet effet, elle a ordonné avant-dire-droit une consultation aux fins de déterminer la valeur vénale moyenne au m² en 2018 des biens immobiliers présentant des caractéristiques voisines de celui acquis par les appelants dans le même secteur géographique.

* Sur le dol

Selon l'ancien article 1116 du code civil ici applicable, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

La cour a déjà jugé que le dol dont les appelants prétendent avoir été victimes consiste en la promesse fallacieuse faite par la société FCI associée et mandataire de la Sci [Localité 14] d'augmentation de la valeur du bien vendu 10 ans après son achat le 18 novembre 2009 au prix de 115 299 euros et que , pour déterminer si était contraire à la vérité l'assurance qui leur a été donnée d'une augmentation continue de la valeur de ce bien durant les dix premières années suivant l'achat, il importait de comparer la valeur vénale du bien litigieux en 2018 telle que mentionnée dans le tableau prévisionnel présenté aux acquéreurs avec la valeur du marché d'un bien du même type situé dans le même secteur géographique en 2018.

Les conclusions de l'expertise judiciaire ordonnée avant-dire droit à cet effet sont les suivantes :

'Biens et droits immobiliers dépendant d'un immeuble en copropriété si se commune de [Localité 14] [Adresse 16] [Adresse 13] cadastré section BA n°[Cadastre 7] pour une contenance de 5 485 m²

soit

le lot n°38 : un appartement de type 2 avec balcon, au 1er étage du bâtiment C et les 203/10 000éme de la propriété du sol et des parties communes générales

le lot n°43 : un emplacement de stationnement aérien et les 8/10 000ème de la propriété du sol et des parties communes générales

Valeur 2018 concernant des biens possédant des caractéristiques comparables : valeur unitaire moyenne retenue : 1 450 euros/m².'

Soit pour un appartement de 36,53 m² hors surface du balcon de 5,71m² une valeur vénale de 52 968,50 euros, au lieu de 126 101 euros, valeur figurant au tableau en page 1 du document 'Simulation réalisée avec Topinvest NG version 2009 document non contractuel édité le 02.09.2009' (pièce 4 appelants).

La promesse d'augmentation de la valeur du bien vendu, accompagnée de manoeuvres frauduleuses caractérisées par la production par la société FCI du document 'Concept et gestion' était donc bien fallacieuse.

Toutefois les appelants ne démontrent pas qu'elle a émané du vendeur la Sci [Localité 14] mais seulement de son mandataire la société FCI, aujourd'hui liquidée et à l'égard de laquelle ils ne formulent aucune demande.

Aux termes de l'article 1117 du code civil en vigueur jusqu'au 01 octobre 2016 ici applicable la convention contractée par erreur, violence ou dol, n'est point nulle de plein droit ; elle donne seulement lieu à une action en nullité ou en rescision, dans les cas et de la manière expliqués à la section VII du chapitre V du présent titre.

Les appelants ne sollicitent pas ici l'annulation du contrat de vente mais la réparation de leurs préjudices financier et moral, à l'encontre des seules sociétés [Localité 14], désormais radiée du registre du commerce suite à dissolution anticipée, et de la société Severini Pierres et Loisirs.

* faute de la société [Localité 14]

La victime du dol peut agir, d'une part, en nullité de la convention sur le fondement des articles 1137 et 1178, alinéa 1 du code civil (auparavant 1116 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige), d'autre part, en réparation du préjudice sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil (auparavant 1382 et 1383 du même code, applicables au litige).

Si le mandant est, en vertu de l'article 1998 du code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l'inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manoeuvres dolosives du mandataire, dans l'exercice de son mandat, n'engagent la responsabilité du mandant que si celui-ci a personnellement commis une faute, qu'il incombe à la victime d'établir. (Chambre mixte 29 octobre 2021, n° 19-18.470).

Après avoir vainement soutenu que 'la Sci [Localité 14], c'est-à-dire en fait la société Severini Pierres et Loisirs et la société FCI ont vendu tout d'abord trop cher par rapport au prix du marché en 2009 l'appartement ayant fait l'objet de l'expertise du cabinet Boulez', les appelants soutiennent qu'il leur a été expressément promis une augmentation considérable au bout de 10 ans c'est à dire en 2019 du bien immobilier acheté, cette promesse résultant du document 'Concept et Gestion'.

Ce faisant, ils ne démontrent aucune faute imputable à la venderesse la Sci [Localité 14], dont la société FCI était le mandataire.

* faute de la société Severini Pierre et Loisirs

Les appelants soutiennent que les agissements de la Sci [Localité 14] ont été nécessairement commis en plein accord avec son autre associée la société Séverini Pierres et Loisirs.

Selon l'article 1857 al 1 du code civil, à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.

Toutefois, cette obligation suppose établie la responsabilité de la Sci [Localité 14], ici rejetée.

Et les appelants n'articulent à l'égard de la société Severini Pierre et Loisirs aucune faute qui lui soit directement imputable.

Ils devront en conséquence être déboutés de toutes leurs demandes à l'égard de celles-ci.

* autres demandes

Succombant en leur appel, M.et Mme [D] devront supporter les dépens de la présente instance.

L'équité ne commande pas de faire ici application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

Rappelle que par arrêt avant-dire-droit du 20 avril 2023 elle a confirmé partiellement le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action des demandeurs contre la société Severini Pierres & Loisirs, l'a infirmé pour le surplus, et statuant à nouveau, a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, Avant-dire droit au fond a ordonné une consultation et commis pour y procéder M. [A] [T], expert près la cour d'appel d'Agen,

Y ajoutant

Déboute M.[L] [D] et Mme [P] [R] épouse [D] de toutes leurs demandes dirigées tant à l'encontre de la Sci [Localité 14] qu'à l'encontre de la Sarl Severini Pierres et Loisirs du fait du dol imputable à la société FCI

Les condamne à supporter les dépens de la présente instance

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.