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Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 3 octobre 2024, n° 22/04052

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soubeyran

Conseillers :

M. Bruey, Mme Franco

Avocats :

Me Negre, Me Pepratx Negre, Me Auché Hedou, Me Auché, Ste D'avocats Couturier-Bessiere

TJ Rodez, du 18 mars 2022, n° 21/01360

18 mars 2022

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Le 7 juin 2019, Mme [U] [K] a acquis de Mme [R] [Y] un véhicule automobile d'occasion de marque Peugeot 206 immatriculé [Immatriculation 4] au prix de 1 500 €.

Se plaignant de dysfonctionnements ayant conduit à l'immobilisation du véhicule le 25 juin 2019, Mme [K] a déclaré son sinistre auprès de son assureur, lequel a mandaté M.[N] [M] afin de réaliser une expertise amiable.

Par ordonnance du 2 juillet 2020, le juge des référés de Rodez a ordonné une expertise judiciaire et désigné M. [D] pour y procéder. L'expert a déposé son rapport le 21 février 2021.

C'est dans ce contexte que par acte du 13 novembre 2021, Mme [K] a assigné Mme [Y] en résolution de la vente pour vice caché.

Par jugement réputé contradictoire du 18 mars 2022, le tribunal judiciaire de Rodez a :

Prononcé la résolution judiciaire du contrat de vente ;

Condamné Mme [Y] à payer à Mme [K] :

la somme de 1 500 € au titre de la restitution du prix de vente ;

la somme de 5 551,08 € à titre de dommages et intérêts, à titre de préjudice de jouissance, de préjudice financier et de frais de gardiennage dus jusqu'à février 2022 inclus ;

Dit que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2021 ;

Ordonné à Mme [Y] de venir, à ses frais, payer les éventuels frais de gardiennage à compter du 1er mars 2022 et effectuer l'enlèvement et le remorquage du véhicule et ce dans le délai de trois mois à compter de la date de signification du jugement par huissier de justice, et à charge pour elle d'en faire la preuve ;

Dit que si Mme [Y] n'est pas venue payer l'éventuelle facture de gardiennage, enlever et remorquer le véhicule à compter du 1er jour calendaire suivant le délai de trois mois à compter de la date de signification du présent jugement par huissier de justice, le tribunal judiciaire de Rodez pourra être saisi, par la partie diligente, ou par le tiers gardien, d'une requête aux fins de destruction du véhicule aux frais de Mme [Y] ;

Condamné Mme [Y] à payer à Mme [K] la somme de 1 800 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté tout autre chef ou surplus de demande ;

Condamné Mme [Y] aux dépens de l'instance y compris les frais de l'expert judiciaire ;

Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Le 25 juillet 2022, Mme [Y] a relevé appel de ce jugement.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 24 octobre 2022, Mme [Y] demande à la cour de :

Au principal,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

Débouter Mme [K] de toutes ses demandes ;

Subsidiairement,

Débouter Mme [K] de sa demande de dommages intérêts et de condamnation aux frais de gardiennage,

Condamner Mme [K] aux dépens dont compris les frais d'expertise judiciaire et à lui payer la somme de 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 23 janvier 2023, Mme [K] demande à la cour, sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil, de :

Confirmer le jugement

Statuant à nouveau,

Condamner Mme [Y] à verser à Mme [K] les sommes de :

1 890 € au titre du préjudice de jouissance, cette somme étant à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir;

7 928,40 € au titre des frais de gardiennage, cette somme étant à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir;

1 500 € au titre du préjudice moral ;

1 500 € pour procédure abusive ;

5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise.

Vu l'ordonnance de clôture du 11 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS :

Sur la garantie des vices cachés

L'article 1641 du code civil dispose que : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».

En vertu de ce texte, il est de principe que l'acquéreur doit établir la réunion des diverses conditions découlant de cet article:

l'existence d'un vice ;

la gravité du vice ;

et l'antériorité du vice par rapport à la vente.

En l'espèce, l'expert judiciaire, Monsieur [B] [D], a constaté, dans un rapport clair et dépourvu d'ambiguïté dont il convient d'adopter les conclusions et avis techniques, que :

Le véhicule n'est pas en état de circuler du fait d'une utilisation dangereuse ;

Il est immobilisé depuis le 25 juin 2019 ;

Il a parcouru seulement 46 kilomètres depuis la vente ;

L'examen du véhicule révèle de nombreuses anomalies dont certaines rendent son utilisation dangereuse (page 14 du rapport) ;

Les vices et défaut ne pouvaient être visibles lors de l'achat par Madame [K] qui n'est pas une professionnelle ;

Les désordres relevés étaient existants au moment de la vente du véhicule :

La ceinture de sécurité est prête à se rompre ;

L'essieu arrière cassé rend l'usage du véhicule dangereux ;

Les pneumatiques sont vétustes et risquent d'exploser;

Les freins à l'arrière sont endommagés ;

Les bras de suspension à l'avant sont à changer ;

Les défauts relevés diminuent tellement l'usage du véhicule que l'acheteur s'il en avait eu connaissance ne l'aurait pas acquis, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix ;

Les vices et défaut ne pouvaient être visibles lors de l'achat par Madame [K] (page 17 du rapport).

Madame [R] [Y] n'apporte aucun élément permettant de contrer cette analyse technique.

Elle se contente d'alléguer que les vices étaient apparents.

Or, il est évident que les vices affectant certaines pièces n'ont pu être décelés que grâce à l'expertise judiciaire, notamment:

Le vice affectant l'essieu du véhicule, qui est une pièce du train roulant assurant la liaison entre les roues arrière du véhicule et le châssis ;

Le vice affectant le bras de suspension, qui est une pièce reliant le moyeu de roue au châssis.

Il n'est nullement contesté que Madame [U] [K] n'est pas une professionnelle de l'automobile de sorte qu'elle ne pouvait connaître les vices constatés par l'expert à l'examen approfondi du véhicule.

Ainsi, il est démontré que le véhicule vendu était affecté des défauts cachés qui le rendaient impropre à l'usage auquel il était destiné, ou qui diminuait tellement cet usage, que Madame [U] [K] ne l'aurait pas acquis, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, si elle les avait connus.

Aussi, Madame [U] [K] est fondée à obtenir la résolution de la vente pour vice caché, le véhicule litigieux étant impropre à son usage, ne pouvant plus circuler.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et condamné Madame [R] [Y] à restituer le prix de vente reçu, soit 1 500 euros.

Sur les autres demandes indemnitaires

Selon l'article 1645 du code civil, « Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ».

L'article 1646 du même code précise que si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.

Un vendeur profane n'est pas présumé connaître les vices, à la différence d'un vendeur professionnel.

Il appartient à Madame [U] [K] de démontrer la connaissance des vices par la venderesse.

Le premier juge a fait droit à l'ensemble de ses prétentions indemnitaires au motif qu'en choisissant de ne pas comparaître, Madame [Y] n'a pas permis à la juridiction de remonter la chronologie des interventions sur ce véhicule et le cas échéant de mettre en cause un garagiste ou un précédent acquéreur.

Toutefois, il est établi que la venderesse, profane en la matière, a fait procéder à un contrôle technique le 22 janvier 2019, qui n'avait relevé que des défauts mineurs, et qu'elle a par la suite parcouru 10 637 kms jusqu'à la vente du véhicule le 7 juin 2019. Le procès-verbal de contrôle technique a été communiqué à Madame [U] [K].

Aucun élément probant ne vient démontrer que les vices affectant le véhicule, en particulier l'essieu et le bras de suspension, étaient connus de Madame [R] [Y].

En conséquence, la preuve n'étant pas rapportée par Madame [U] [K] de la connaissance du vice par Madame [R] [Y], celle-ci ne sera tenu qu'à la restitution du prix de vente et à rembourser à l'acquéreur les seuls frais occasionnés par la vente ce, sans devoir indemniser les conséquences du dommage causé par les vices.

Les frais occasionnés par la vente s'entendent des dépenses liées directement à la conclusion du contrat et non des frais postérieurs à la vente (1re Civ., 21 mars 2006, n° 03-16.407).

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement et de rejeter les demandes de dommages et intérêts présentées par Madame [U] [K] au titre des préjudices de jouissance et financier et des frais de gardiennage.

Madame [U] [K] sera également déboutée de sa demande indemnitaire présentée au titre du préjudice moral, qui n'est pas démontré.

Il y a lieu, en revanche, de condamner Madame [R] [Y] à payer à Madame [U] [K] la somme de 129,66 euros au titre du coût de la carte grise.

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive

L'exercice du droit d'ester en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas où le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.

Le seul rejet des prétentions d'un plaideur, y compris par confirmation en appel d'une décision de première instance, ne caractérise pas automatiquement l'abus du droit d'ester en justice, puisque l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas à elle seule constitutive d'une faute, sauf s'il est démontré que le demandeur ne peut, à l'évidence, croire au succès de ses prétentions.

En conséquence, Madame [U] [K] ne démontrant pas en quoi l'appel de Madame [R] [Y] a dégénéré en abus, la demande d'allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être rejetée.

Sur les demandes accessoires

Succombant pour l'essentiel dans ses prétentions, Mme [R] [Y] supportera les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Les dispositions relatives aux frais irrépétibles seront réduites sur le quantum, en ce sens que Mme [R] [Y] sera condamnée à payer à Mme [K] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 (au lieu de 1 800).

Succombant pour l'essentiel dans ses prétentions, Mme [R] [Y] supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- Condamné Mme [Y] à payer à Mme [K] la somme de 5 551,08 € à titre de dommages et intérêts, à titre de préjudice de jouissance, de préjudice financier et de frais de gardiennage dus jusqu'à février 2022 inclus ;

- Dit que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2021 ;

- Ordonné à Mme [Y] de venir, à ses frais, payer les éventuels frais de gardiennage à compter du 1er mars 2022 et effectuer l'enlèvement et le remorquage du véhicule et ce dans le délai de trois mois à compter de la date de signification du jugement par huissier de justice, et à charge pour elle d'en faire la preuve ;

- Dit que si Mme [Y] n'est pas venue payer l'éventuelle facture de gardiennage, enlever et remorquer le véhicule à compter du 1er jour calendaire suivant le délai de trois mois à compter de la date de signification du présent jugement par huissier de justice, le tribunal judiciaire de Rodez pourra être saisi, par la partie diligente, ou par le tiers gardien, d'une requête aux fins de destruction du véhicule aux frais de Mme [Y] ;

- Condamné Mme [Y] à payer à Mme [K] la somme de 1 800 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute Mme [K] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance, du préjudice financier et des frais de gardiennage,

Déboute Mme [K] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral,

Condamne Mme [R] [Y] à payer à Mme [U] [K] la somme de 129,66 euros au titre du coût de la carte grise,

Déboute Mme [K] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive,

Confirme le jugement pour le surplus en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et condamné, en conséquence, Mme [Y] à restituer le prix de vente reçu, soit 1 500 euros et à reprendre possession de son véhicule,

Y ajoutant,

Condamne Mme [R] [Y] aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,

Condamne Mme [R] [Y] à payer à Mme [U] [K] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 1 500 € en première instance et la somme de 1 500 € en appel.