CA Bordeaux, 2e ch. civ., 3 octobre 2024, n° 21/00403
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boudy
Conseillers :
M. Figerou, Mme Defoy
Avocats :
Me Garraud, Me Tandonnet
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon acte notarié du 24 juillet 2015, Monsieur [R] [B] a vendu à Monsieur [V] [K] et Madame [S] [E] [L] une maison d'habitation située [Adresse 2] à [Localité 3].
Se plaignant de divers désordres dans l'habitation, notamment des infiltrations d'eau de pluie par la toiture, M. [K] et Mme [L] ont déclaré le sinistre auprès de leur assureur protection juridique, la compagnie Pacifica, laquelle mandatait un expert amiable.
En l'absence de règlement amiable du litige, M. [K] et Mme [L] ont assigné en référé M. [B] le 29 juin 2016 en vue de voir désigner un expert judiciaire.
L'expert judiciaire, Monsieur [W] a déposé son rapport le 31 mai 2019.
Par acte du 22 janvier 2019, M. [K] et Mme [L] ont assigné M. [B] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux pour voir engager sa responsabilité en application des articles 1792 et suivants du code civil et le voir condamné à indemniser leurs divers préjudices.
Par jugement du 2 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- débouté M. [K] et Mme [L] de leurs demandes présentées à l'encontre de M. [B],
- laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles,
- dit que M. [K] et Mme [L] supporteront la charge des dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration électronique en date du 25 janvier 2021, M. [K] et Mme [L] ont relevé appel du jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 20 juillet 2021, M. [K] et Mme [L] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1641 et suivants, 1792 et suivants :
- d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 2 décembre 2020 en ce qu'il les a débouté et statuant à nouveau,
- de condamner M. [B] à leur verser la somme de 25 578,93 euros TTC avec indexation sur l'indice BT01 à compter du 31 mai 2019, au titre des travaux de reprise de la couverture et des embellissements,
- de le condamner à leur verser la somme de 5000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
- de le condamner à leur verser la somme de 5000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de le condamner aux entiers dépens en ce compris les frais de référé et les frais d'expertise judiciaire.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 juin 2021, M. [B] demande à la cour, sur le fondement des articles 1792 et 1231-1 du code civil :
- de confirmer purement et simplement dans l'ensemble de ses dispositions le jugement rendu le tribunal judiciaire de Bordeaux le 2 décembre 2020 sous le numéro RG 19/10499,
- de constater que la demande au titre de la garantie des vices cachés est prescrite,
en conséquence,
- de débouter les consorts [K] et [L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- de les condamner solidairement à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 2024.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la garantie décennale
Monsieur [K] et Madame [L] font grief au jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 2 décembre 2020 de les avoir déboutés de l'ensemble de leurs demandes fondées sur les dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil, relatifs à la garantie décennale.
Ils font valoir que Monsieur [B], en agissant sur sa toiture, avait réalisé un ouvrage et que les désordres en découlant portaient atteinte à la destination de ce dernier. Ils estiment que Monsieur [B] n'aurait pas seulement procédé à un remaniement sommaire des tuiles mais bien à des travaux plus importants, avec apport d'éléments nouveaux. Dès lors, sa garantie décennale serait pleinement mobilisable.
En réponse, Monsieur [B] fait valoir que le bien n'était pas impropre à sa destination et que dès lors, l'article 1792 du Code civil ne pouvait s'appliquer, d'autant que Monsieur [K] et Madame [L] ont acheté le bien en toute connaissance de cause et avec les recommandations du professionnel qu'ils ont fait intervenir pour vérifier la toiture.
La cour relève, au regard de l'ensemble des éléments versés aux débats que le Code civil institue à l'article 1792 du Code civil une responsabilité selon laquelle 'tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement le rendent impropre à sa destination'.
L'article 1792-1 du Code civil définit le constructeur de l'ouvrage en son 2° comme notamment 'toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire'.
Enfin, l'article 1792-2 du Code civil prévoit que 'la présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.
Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage'.
Ainsi, afin de mettre en oeuvre la garantie décennale, plusieurs conditions doivent être réunies, à savoir l'existence d'un ouvrage relevant de la construction, ayant fait l'objet d'une réception, et de dommages non apparents à réception qui compromettent sa solidité ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou d'équipement le rendent impropre à sa destination.
Il ressort que le point sur lequel s'opposent les parties est finalement de savoir si les travaux de toiture effectués par Monsieur [B] constituent un ouvrage, condition essentielle à la mise en oeuvre de la garantie décennale.
Sur cette question, plusieurs éléments importants doivent être relevés. Le jugement rendu le 2 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux a débouté Monsieur [K] et Madame [L] de leur demande en déduisant des constatations de l'expert judiciaire que les travaux entrepris par Monsieur [B] sur la couverture ne constituaient pas un ouvrage au sens des dispositions de l'article 1792 du Code civil, ces derniers n'ayant consisté qu'en une simple reprise de toiture avec un changement de tuiles et une pose de polyane sur un seul des deux versants.
L'expert judiciaire, dans son rapport du 31 mai 2019 a constaté de nombreux défauts et non-conformités, qui expliquent les infiltrations. Il constate que le film sous-toiture est en réalité un polyane, que les chevrons sont récents et portent les traces verdâtres du traitement du bois, que la pente du toit est par endroit insuffisante, de sorte que des flaques stagnent sur le polyane et s'infiltrent.
En suite des constatations de l'expert, il peut être ajouté que le polyane est un film plastique isolant et imperméable principalement utilisé en maçonnerie. Il n'est pas utilisé lors des travaux de couverture car il n'est pas perspirant, contrairement au film sous-toiture. De plus, le polyane ne résiste pas à la chaleur. Il devient cassant et se décompose en 'confettis'.
Aussi, l'expert relève que les chevrons sont récents et 'ont encore les traces verdâtres du traitement du bois et dans tous les cas, sont bien intervenus depuis moins de 10 ans'. Les chevrons apparaissent comme des éléments essentiels d'une charpente, ils permettent de répartir le poids sur les pannes.
La jurisprudence considère qu'entrent dans le champ de l'article 1792 du Code civil des travaux de réparation d'une toiture s'ils comportent l'apport à la toiture et à la charpente d'éléments nouveaux, tels que chevrons, voliges liteaux et panne faîtière (Civ. 3ème, 9 novembre 1994 ; Civ. 3ème 7 septembre 2011).
A l'inverse, échappent au régime de responsabilité institué par l'article 1792 du Code civil des travaux de modeste importance, sans incorporation de matériaux nouveaux à l'ouvrage et qui correspondent à une réparation limitée dans l'attente de l'inéluctable réfection complète d'une toiture à la vétusté manifeste (Civ. 3ème 28 février 2018).
En l'espèce, forte des éléments évoqués, la lecture du rapport d'expertise par la cour conduit à une analyse différente de celle du tribunal. Les travaux réalisés par Monsieur [B] ne peuvent être qualifiés de modestes et constituent manifestement un ouvrage. La pose d'un film sous-toiture, ou en l'espèce d'un polyane, a nécessité de déposer la couverture, afin d'installer les différents lés en partant de l'égout, et ce jusqu'au faîtage.
Si comme l'a relevé le premier juge, Monsieur [B] a affirmé lors d'une réunion d'expertise judiciaire qu'il n'aurait changé que la couverture tuile existante, ce qu'il avait déjà exprimé lors de l'expertise amiable en confirmant avoir, avant la vente, fait lui-même des travaux de couverture (changement de tuiles marseillaises) avec pose du film sous-toiture, l'expert judiciaire apparaît quant à lui dubitatif sur l'étendue des travaux réalisés par Monsieur [B]. Il ne fait nul doute que Monsieur [B] a procédé au remplacement de chevrons. Cette opération, qui peut être réalisée tant par l'intérieur que par l'extérieur n'est toutefois pas anodine au regard du rôle de ces derniers. Ils apparaissent comme des éléments essentiels d'une charpente en permettant de répartir le poids sur les pannes.
Ainsi, Monsieur [B] ne s'est pas livré à des travaux de modeste importance mais bien à une réfection complète d'un versant de sa toiture. Le changement des chevrons visait à renforcer la charpente elle-même et la pose du film sous-toiture ainsi que la pose de nouvelles tuiles relevaient quant à elles d'une volonté d'étancher, au sens technique du terme, le toit. Par ce fait, ses travaux sont constitutifs d'un ouvrage.
En conséquence, et bien que Monsieur [B] soutienne que le bien occupé par les appelants n'est pas impropre à sa destination, l'impropriété à destination ne peut être déniée, le propre d'un toit étant d'assurer le couvert de l'ensemble. Il y a lieu d'infirmer le jugement rendu sur ce point et de retenir le caractère décennal du désordre subis par Monsieur [K] et Madame [L].
Sur la garantie des vices cachés
Dans ses conclusions, Monsieur [B] évoque la prescription de l'action relative à la garantie des vices cachés. Toutefois, cette garantie n'est nullement invoquée par Monsieur [K] et Madame [L].
Dès lors, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes relatives aux vices cachés.
Monsieur [B] sera ainsi condamné à leur verser la somme non contestée de 25.578,93 euros avec indexation sur l'indice BT01 à compter du 31 mai 2019 (au titre des travaux de reprise de la couverture et des embellissements) qui inclut les frais de mesures conservatoires déjà exposés, les frais de réfection de la toiture proprement dits et les frais de remise en état des pièces dégradées par les infiltrations.
Sur le préjudice de jouissance de Monsieur [K] et Madame [L]
Monsieur [K] et Madame [L] sollicitent le versement d'une somme de 5.000 euros au titre de leur préjudice de jouissance.
S'il ne peut être nié par la cour que Monsieur [K] et Madame [L] ont subi un préjudice de jouissance en raison des infiltrations, il est nécessaire de relever que le rapport d'expertise fait état de traces de coulures et d'auréoles humides à l'étage. La somme de 5.000 euros sollicitée au titre du préjudice de jouissance apparaît en disproportion avec les constatations expertales alors de surcroît que les consorts [K]-[L] ne s'expliquent guère sur la consistance et l'étendue du préjudice qu'ils affirment avoir subi.
En conséquence, s'agissant du préjudice de jouissance invoqué par les consorts [K]-[L], celui-ci résulte à l'évidence des coulures et auréoles constatées par l'expert mais faute par eux de caractériser plus avant la consistance et l'étendue de leur préjudice, il ne leur sera alloué que la somme de 500 € à ce titre.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles de première instance.
L'équité commande qu'il en soit de même en cause d'appel.
S'agissant des dépens, le jugement sera infirmé. Monsieur [B], partie succombante, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise.
PAR CES MOTIFS
- infirme le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 2 décembre 2020 en ce qu'il a débouté Monsieur [V] [K] et Madame [S] [L] de leur demande visant à engager la responsabilité décennale de Monsieur [R] [B] et en ce qu'il les a condamnés aux dépens,
Statuant à nouveau,
- condamne Monsieur [R] [B] à verser la somme de 25.578,93 euros à Monsieur [V] [K] et Madame [S] [L] au titre de sa garantie décennale
- dit que cette somme sera indexée sur l'indice BT01 à compter du 31 mai 2019
- condamne Monsieur [R] [B] aux dépens de première instance,
- confirme le jugement en ce qu'il a laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles,
Y ajoutant,
- dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes relatives aux vices cachés,
- condamne Monsieur [R] [B] à verser à Monsieur [V] [K] et Madame [S] [L] la somme de 500 euros au titre de leur préjudice de jouissance,
- dit qu'en cause d'appel, chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles,
- condamne Monsieur [R] [B] aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.