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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 3 octobre 2024, n° 21/02391

BORDEAUX

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boudy

Conseillers :

M. Figerou, Mme Defoy

Avocats :

Me Garraud, Me Avril

TJ Bordeaux, 7e ch., du 17 mars 2021, n°…

17 mars 2021

FAITS ET PROCÉDURE :

En 2002, Monsieur [S] [U] a fait construire une maison d'habitation sise [Adresse 1] à [Localité 6]. En cours de chantier, il a été constaté une inondation du garage en sous-sol. M. [U] a alors décidé de supprimer le sous-sol, de condamner la rampe d'accès extérieure et de construire un garage aérien, l'espace du sous-sol devant finalement servir de vide sanitaire.

M. [U] a déposé une demande de permis de construire modificatif, qui lui a été accordé le 8 mars 2004. Les travaux modificatifs ont été réalisés.

Par acte notarié en date du 15 octobre 2015, Monsieur [B] [E] et Madame [T] [I] épouse [E] ont acquis auprès de M. [S] [U] et de Mme [M] [L] épouse [U] cette maison d'habitation. Le compromis de vente n'a pas mentionné le sous-sol et ne l'a pas comptabilisé dans la surface habitable. Il a toutefois été annexé à l'acte authentique le permis de construire modificatif accordé au titre de la suppression du garage en sous-sol.

Les acquéreurs se sont plaints auprès du vendeur d'un certain nombre de désagréments par courrier en date du 15 juin 2016, notamment une odeur désagréable consécutivement à une fuite du ballon du système d'arrosage. M. [U] leur a adressé un chèque de 1 500 euros dans une volonté de conciliation et de clôture du différend.

Les consorts [E] ont mobilisé leur protection juridique souscrite auprès de la Maïf. Celle-ci a mandaté le cabinet Grexx aux fins de réaliser une expertise amiable.

La protection juridique de M. [U] souscrite auprès de la Macif a désigné le cabinet CEC afin de le représenter lors de la réunion d'expertise.

Le rapport d'expertise rendu contradictoirement le 25 novembre 2016 a procédé à l'inventaire des désordres affectant l'immeuble, notamment un problème au niveau du moteur de la piscine et la présence d'humidité importante dans le sous-sol. Il n'a toutefois pas été constaté de moisissures ni de mauvaises odeurs.

M. [U] a reconnu l'existence d'une partie des désordres et a versé la somme de 2 200 euros aux acquéreurs à titre de dédommagement. Ces derniers ont jugé cette somme insuffisante.

À défaut de parvenir à un accord amiable, les consorts [E] ont assigné M. [U] en référé aux fins de voir ordonnée une expertise judiciaire.

Par ordonnance du 27 novembre 2017, le juge des référés a désigné M. [Z] en qualité d'expert judiciaire. Le rapport d'expertise a été déposé le 28 décembre 2018.

Par acte du 22 juillet 2019, les consorts [E] ont assigné M. [U] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins d'engager sa garantie des vices cachés sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil.

Par jugement du 17 mars 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux :

- a constaté que le vice affectant l'immeuble vendu par M. [U] aux consorts [E] le rendait impropre à son usage, menacait sa stabilité et était connu du vendeur et préexistait à la vente,

- a dit que M. [U], le vendeur, devait sa garantie à ses acquéreurs, les consorts [E], pour ce vice caché sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil,

en conséquence de quoi,

- l'a condamné à leur verser à titre d'indemnisation du préjudice matériel les sommes suivantes :

- 1 200 euros TTC pour le percement de la dalle,

- 42 000 euros TTC pour le comblement du vide-sanitaire,

- l'a condamné à leur verser en réparation de leur préjudice de jouissance la somme de 3 000 euros,

- l'a condamné au paiement des entiers dépens, ce compris les frais de référés ainsi

que d' expertise d'un montant pour ces derniers de 5 592 euros,

- a dit que les dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- a condamné M. [U] à verser aux consorts [E] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

M. [U] a relevé appel du jugement le 22 avril 2021.

Par ordonnance du 23 septembre 2021, la Première présidente de chambre de la cour d'appel de Bordeaux a autorisé M. [U] à consigner la somme de 53 520,72 euros entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de Bordeaux pour garantir l'exécution des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre par la cour au profit de Mme et M. [E].

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 avril 2024, M. [U] demande à la cour, sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil, de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté que l'immeuble acquis par acte authentique du 15 octobre 2015 ne comportait pas de sous-sol,

- l'infirmer pour le surplus,

et statuant à nouveau,

à titre principal,

- débouter les époux [E] de l'ensemble de leurs demandes formulées à son encontre,

- les condamner à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens, y compris ceux de référé et d'expertise,

à titre subsidiaire,

- avant dire droit, ordonner un complément d'expertise à tel expert qu'il plaira afin :

- d'engager toute investigation utile à la vérification d'une éventuelle atteinte à la stabilité de l'immeuble,

- chiffrer le coût des travaux de reprise,

- indiquer si des désordres permettant à un profane de suspecter une atteinte à la stabilité de l'immeuble existaient en 2015 et étaient apparents au jour de l'expertise,

- préciser s'il avait connaissance de l'atteinte à la stabilité de l'immeuble lors de la vente de 2015,

- surseoir au surplus des demandes dans l'attente du dépôt du complément d'expertise à venir,

à titre infiniment subsidiaire,

- limiter à :

- 22 000 euros au titre de la perte de valeur vénale du bien,

- 1 200 euros au titre du coût de réalisation de trois percements dans le plancher du vide sanitaire,

- réduire dans de plus justes proportions la somme allouée au titre de leur préjudice de jouissance,

- réduire dans de plus justes proportions la somme allouée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 28 février 2024, les consorts [E] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil et 564 et suivants du code de procédure civile, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- débouter M. [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- le condamner à leur payer la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire pour un montant de 5 592 euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2024.

MOTIFS

Le tribunal a jugé que le vendeur connaissait au jour de la vente le vice caché qui affectait l'immeuble constitué par des remontées d'eau par poussées hydrostatiques puisqu'il avait modifié le projet de construction initial qui prévoyait un garage en sous sol pour en définitive construire un tel garage en extérieur. Or ce désordre rendait l'immeuble impropre à sa destination ou à tout le moins en diminue tellement son usage que les acheteurs ne l'auraient pas acquis ou à moindre prix s'ils avaient été informés par le vendeur de ce vice.

M. [U] fait valoir qu'il est pas démontré l'existence de défauts cachés affectant la chose vendue et la rendant impropre à son usage, ou le diminuant tellement que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou l'aurait acquise à moindre prix s'il les avait connus. En effet, le rapport d'expertise judiciaire ne constate pas de désordre structurel. En outre, l'expert judiciaire n'a procédé à aucune vérification du niveau de la nappe, ni à aucun calcul de charge afin de vérifier s'il existe un risque d'atteinte à la solidité de l'ouvrage. Ainsi, c'est à tort que le premier juge a retenu une atteinte à la solidité de l'ouvrage caractérisant un vice caché. En toute hypothèse, une clause exclusive de garantie a été stipulée dans le compromis de vente au profit du vendeur, de sorte que la garantie des vices cachés ne pourrait être engagée qu'à la condition de démontrer la connaissance du vice par M. [U], ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Notamment, ce dernier est profane en matière de construction et n'avait aucune raison de penser que l'ouvrage aurait été atteint dans sa solidité alors que les travaux litigieux n'ont généré aucun désordre dans les plus de dix années précédant la vente. A titre subsidiaire, il demande à la cour d'appel, d'ordonner avant dire droit un complément d'expertise afin que des investigations permettent de définir les travaux devant être engagés. Par ailleurs, cette demande n'est pas nouvelle au sens des articles 564 et suivants du code de procédure civile, car elle est destinée à permettre aux parties de produire de nouveaux éléments de preuve.

Pour leur part les époux [E] soutiennent que le rapport d'expertise judiciaire rappelle que le sous-sol de l'immeuble litigieux a déjà fait l'objet d'une expertise, laquelle avait préconisé un certain nombre de travaux. Si certains ont été effectués par le vendeur, d'autres ne l'ont pas été et sont directement à l'origine des désordres dont se plaignent les acquéreurs, à savoir notamment la remontée d'humidité. Les travaux préconisés par l'expert judiciaire imposent de condamner le sous-sol, qui ne pourra plus servir à autre chose qu'à un vide sanitaire inexploitable. Cette situation aurait pour conséquence une perte de valeur de l'immeuble. Par ailleurs, la responsabilité du vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés est engagée, puisque ce dernier ne pouvait ignorer l'existence du vice. En effet, il n'a pas suivi les préconisations du premier expert judiciaire lors de la réalisation des travaux qu'il a lui-même entrepris s'agissant du sous-sol. Il n'a par ailleurs jamais fait état auprès des acquéreurs de l'existence d'un contentieux ayant donné lieu à cette première expertise judiciaire. En outre, M. [U] a tenté de masquer les désordres antérieurement à la vente par des réparations infructueuses. Les vices étaient donc antérieurs à la vente et connus du vendeur. Par ailleurs, la demande de contre-expertise formulée par l'appelant pour la première fois en cause d'appel s'analyse en une demande nouvelle au sens des articles 564 et suivants du code de procédure civile, qui doit donc être déclarée irrecevable. Ils font valoir qu'ils subissent un préjudice matériel résultant de la nécessité de réparer le désordre ainsi qu'un préjudice de jouissance du fait de la perte de jouissance du sous-sol, qui était jusqu'alors aménagé, et qui doit être condamné pour être transformé en vide sanitaire.

***

Il résulte de l'acte de vente passé par Me [Y], le 15 octobre 2015 que les vendeurs ont vendu aux acquéreurs « ' une maison à usage d'habitation de plain-pied composée d'un salon-séjour cheminée avec insert, une cuisine équipée aménagée, quatre chambres, une salle de bain, 2 salles d'eau, dégagement, wc, cellier. »

Il a été annexé à cet acte, le permis de construire obtenu par les époux [U] le 13 septembre 2002 ainsi que le permis de construire modificatif, ce dernier acte avait pour but de supprimer le garage en sous sol avec suppression de la rampe d'accès et création d'un garage en extérieur.

Cette annexe du permis de construire modificatif a été paraphé sur toutes ses pages par les époux [E].

Par ailleurs, l'acte de vente disposait que les acquéreurs prenaient le bien dans l'état où il se trouvait au jour de l'entrée en jouissance, sans recours contre leurs vendeurs pour quelque cause que ce soit, notamment en raison des vices apparents et des vices cachés. ( cf : acte de vente page 8)

L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

La preuve de l'existence d'un vice caché préexistant à la vente incombe à l'acquéreur.

En outre, il résulte des articles 1643 à 1646 du même code que le vendeur qui ne connaissait pas les vices de la chose vendue doit uniquement restituer le prix de vente, en tout ou partie selon la gravité des vices et le choix de l'acquéreur de conserver ou non la chose, et rembourser les frais occasionnés par la vente en cas de résolution, tandis que celui qui en avait connaissance s'expose également au paiement de dommages et intérêts en réparation de l'entier préjudice causé à l'acquéreur, étant précisé que, si le vendeur non professionnel n'est pas présumé avoir connaissance de ces vices, il en va différemment du vendeur professionnel ou assimilé à un professionnel pour avoir lui-même réalisé les travaux qui en sont à l'origine.

Enfin, une clause de non-garantie des vices cachés n'est susceptible de décharger le vendeur de la garantie légale dont il est tenu à cet égard que s'il ne connaissait pas, ou n'était pas tenu de connaître, les vices affectant la chose vendue.

En l'espèce, il résulte des opérations d'expertise que l'immeuble construit par les époux [U] a été modifié en cours de construction et le sous-sol à usage de garage souterrain qui avait été initialement prévu a été supprimé pour être remplacé par un vide sanitaire , partiellement remblayé par un ajout de béton, et accessible par une trappe d'accès au niveau de la trémie de l'escalier. En outre , une ventilation a été mise en place par l'installation de quatre ventilateurs.

Après la vente de l'immeuble les époux [E] se sont plaints auprès de leurs vendeurs d'un nombre incalculable de problèmes rencontrés, divers et variés, dont une odeur désagréable dans le vide sanitaire en raison de la fuite du ballon du système d'arrosage.

L'expertise démontrera que les acquéreurs avaient supprimés les ventilateurs présents dans le vide sanitaire et l'expert judiciaire préconisera leur remise en service pour assainir l'air du sous-sol.

En toute hypothèse, aux termes de l'acte de vente qui lie les parties, l'immeuble vendu ne comporte pas de sous-sol mais un vide sanitaire.

Par ailleurs, il résulte du permis de construire modificatif, annexe de l'acte de vente paraphée par les acquéreurs, qu'il a été porté à leur connaissance que le projet de garage qui avait été initialement envisagé avait été abandonné au profit de la création d'un simple vide sanitaire.

Or, si un vide sanitaire peut être utilisé aux risques de son propriétaire, sa vocation n'est pas d'être utilisé, et ne constitue pas une pièce habitable, raison pour laquelle le notaire qui a passé l'acte de vente ne l'a pas mentionné.

L'expert judiciaire a d'ailleurs rappelé : « il est évident qu'un vide sanitaire est inadapté un usage de pièce ou local quelconque »

En conséquence, la présence d'une humidité résiduelle dans un tel local en sous sol, est naturelle et ne saurait constituer un vice.

En toute hypothèse, l'expertise n'a pas démontré que le taux d'humidité dans un tel vide sanitaire serait inhabituel.

Si les époux [E] ont utilisé ce vide sanitaire en espace de rangement et de bricolage et ont ainsi requalifié cet espace de vide sanitaire en sous sol, ils ne peuvent pas exiger le confort d'une pièce habitable alors que la vente ne l'a pas envisagée.

En outre, si l'expert judiciaire faisant sien le rapport d'expertise de M. [X] de 2006 a considéré que les parois du vide sanitaire ne seraient pas adaptées aux conditions hydrologiques du site, il n'a constaté aucun désordre structurel, aucune déformation ni même aucune fissure ni micro fissure.

L'expert judiciaire n'a en outre procédé à aucun calcul pour vérifier si la structure du vide sanitaire résistait à la pression de la nappe phréatique, alors qu'au jour de son intervention l'immeuble avait été construit depuis 18 ans et aucun désordre n'avait été constaté par lui.

Or, au contraire, il résulte des calculs de charge réalisés par M. [C] en 2000 que la construction litigieuse supporte la pression de la nappe.

Les 24 ans qui se sont écoulés depuis, sans que le contraire soit démontré, confirment l'étude de 2000 ( cf : pièce n° 17 des appelants)

En outre les photographies du vide sanitaire prises par le sapiteur de l'expert judiciaire démontrent le parfait état des lieux et en tout cas l'absence d'atteinte à la solidité de l'ouvrage.

Dés lors, il n'existe pas de défaut caché de l'immeuble vendu qui le rende impropre à son usage.

En conséquence, le jugement sera réformé et les époux [E] seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Les époux [E] succombant devant la cour seront condamnés aux entiers dépens et à verser à l'appelant la somme de 2000 euros sur le fondement des dispostions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

Déboute les époux [E] de leurs demandes,

Condamne M. [B] [E] et Mme [T] [I] épouse [E], ensemble à payer à M. [S] [U] la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [B] [E] et Mme [T] [I] épouse [E], ensemble, aux entiers dépens de référé, d'expertise, d'instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.