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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 octobre 2024, n° 21/22467

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

IFPA (SAS)

Défendeur :

Institut National de Formation et de Recherches sur l'Éducation Permanente (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Pousset-Bougere, Me Ohana, Me Radzikowski

T. com. Paris, 13e ch. du 22 nov. 2021, …

22 novembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La SAS IFPA, venant aux droits de l'association L'Institut Formation Promotion Adultes (ci-après, « l'association IFPA »), exerce une activité de formation continue pour adultes en Bourgogne-Franche-Comté et en Auvergne-Rhône-Alpes.

La SAS Institut national de formation et de recherches sur l'éducation permanente (ci-après, « la SAS INFREP ») est un organisme de formation professionnelle pour adultes qui propose diverses formations professionnelles sur le territoire national français et collabore avec d'autres acteurs de la formation professionnelle implantés localement. En juillet 2015, elle a été habilitée par le Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation professionnelle (ci-après, « le Copanef ») pour mettre en 'uvre les actions d'évaluation et de formation relative à la certification CléA créée pour authentifier et promouvoir le socle de connaissances et de compétences défini par l'article D 6113-1 puis D 6113-29 du code du travail.

Le 27 janvier 2016, la SAS INFREP a confié en sous-traitance pour une durée d'un an à l'association IFPA les actions d'évaluation et de formation relatives à la certification CléA moyennant une rémunération de 600 euros TTC pour l'évaluation préalable et de 300 euros TTC pour l'évaluation finale sous déduction de frais de gestion de 4 %. Cet acte stipulait notamment :

- en son article 7, que la SAS INFREP paierait par chèque bancaire l'association IFPA sur présentation de facture selon les mêmes échéances de versement que les financeurs du client et au plus tard 30 jours après le règlement par le financeur, ici Pôle Emploi ;

- en son article 8, une clause de résiliation, notamment dans l'hypothèse d'une « résiliation du marché principal ».

Les relations entre les parties, poursuivies malgré l'expiration du terme du contrat, se dégradaient durant l'année 2018, la SAS INFREP reprochant à l'association IFPA des erreurs répétées dans l'utilisation des matrices de contrôle mises en place pour réaliser les évaluations tandis que celle-ci imputait à celle-là des tentatives de modifications unilatérales de la convention et des retards de paiement d'un montant de 78 612,94 euros au 14 juin 2018.

Alors que la certification CléA expirait le 31 décembre 2018, la SAS INFREP notifiait à l'association IFPA, par courrier du 10 octobre 2018, sa volonté de ne pas l'intégrer dans sa nouvelle demande d'habilitation au Copanef et la cessation corrélative de leurs relations au 31 décembre 2018.

Par lettre du 29 novembre 2018, l'association IFPA a vainement mis en demeure la SAS INFREP de poursuivre le partenariat.

C'est dans ces circonstances que l'association IFPA a, par acte d'huissier signifié le 23 juin 2020, assigné la SAS INFREP devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 20 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

- « Déboute l'Association INSTITUT FORMATION PROMOTION ADULTES (IFPA) de sa demande au titre d'une rupture brutale de relation commerciale établie ;

- Déboute l'Association INSTITUT FORMATION PROMOTION ADULTES (IFPA) de sa demande au titre d'une pratique déloyale ;

- Déboute l'Association INSTITUT FORMATION PROMOTION ADULTES (IFPA) de ses demandes au [titre des] retards de paiement ;

- Condamne l'Association INSTITUT FORMATION PROMOTION ADULTES (IFPA) à payer à la SAS INSTITUT NATIONAL DE FORMATION ET DE RECHERCHES SUR L'EDUCATION PERMANENTE INFREP la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Déboute les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

- Condamne l'Association INSTITUT FORMATION PROMOTION ADULTES (IFPA) aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros, dont 12,12 euros de TVA ».

Par déclaration reçue au greffe le 20 décembre 2021, l'association IFPA a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 24 juin 2024, l'association IFPA demande à la cour, au visa des articles 1103 du code civil, L 441-3, L 441-6 et L 442-6 I 5° (ancien) du code de commerce et 700 du code de procédure civile :

- à titre principal :

* d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2021 en ce qu'il a :

° débouté l'association IFPA de sa demande au titre d'une rupture brutale de relation commerciale établie ;

° débouté l'association IFPA de sa demande au titre d'une pratique déloyale ;

° débouté l'association IFPA de ses demandes au titre des retards de paiements ;

° condamné l'association IFPA à payer à la SAS INFREP la somme de 5 000 e au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

° débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

° condamné l'association IFPA aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de tva ;

* statuant à nouveau, de condamner la SAS INFREP à verser à la SAS IFPA la somme de 276 839 euros d'indemnités au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale établie, avec application du taux d'intérêt légal à compter du jour de la décision à intervenir, ;

* subsidiairement en cas de rejet de cette demande, de condamner, la SAS INFREP à payer à la SAS IFPA la somme de 276 839 euros d'indemnités au titre du préjudice subi du fait de l'absence de préavis suffisant pour permettre à la SAS IFPA de s'organiser en vue de la résiliation du contrat de sous-traitance ;

- condamner en outre la SAS INFREP à payer à la SAS IFPA de la somme de 21 359,91 euros au titre des retards de paiement, avec application du taux d'intérêt légal à compter du jour de la décision à intervenir ;

- en tout état de cause, de :

* rejeter l'ensemble des demandes de la SAS INFREP ;

* condamner la SAS INFREP à payer à la SAS IFPA la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 juin 2024, la SAS INFREP demande à la cour, au visa des articles D 6113-29 du code du travail, L 441-6, L 442-6 et D 441-5 du code de commerce, 1134 (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) et 1304 du code civil 9 et 700 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement du 22 novembre 2021 rendu par le tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a :

* débouté l'association IFPA de sa demande au titre d'une rupture brutale de relation commerciale établie ;

* débouté l'association IFPA de sa demande au titre d'une pratique déloyale ;

* débouté l'association IFPA de ses demandes au titre des retards de paiement ;

* condamné l'association IFPA à payer à la SAS INFREP le somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile ;

* débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

* condamné l'association IFPA aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA » ;

- en conséquence, statuant à nouveau :

* recevoir la SAS INFREP en toutes ses demandes ;

* la déclarer bien fondée en y faisant droit et débouter la SAS IFPA de l'intégralité de ses demandes ;

* condamner la SAS IFPA à payer à la SAS INFREP la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

* condamner la SAS IFPA à supporter l'ensemble des frais et des dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 juin 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale

Moyens des parties

Au soutien de son appel, la SAS IFPA explique que le caractère commercial de la relation doit être déterminé en considération de l'activité de la SAS INFREP et sans égard pour son statut d'association à l'époque des faits et soutient qu'il est acquis, le partenariat litigieux étant constitué sur le fondement d'un contrat de sous-traitance impliquant l'exécution de prestations de services. Elle ajoute que la rupture découle non de sa mise en concurrence par appel d'offres mais de la décision unilatérale de la SAS INFREP de ne pas l'intégrer dans sa candidature et en déduit le caractère établi des relations commerciales. Elle précise que le choix de la SAS INFREP n'est ni contraint par une décision antérieure du Copanef ni commandé par ses fautes, celles-ci n'étant pas prouvées et les factures litigieuses ayant été intégralement réglées, et que le préavis de deux mois et demi accordé, insuffisant pour lui permettre de trouver un nouveau partenaire équivalent, lui a été notifié quatre jours avant l'examen des demandes d'habilitation par le Copanef, délai trop bref pour lui permettre de faire acte de candidature utile. Elle estime que, au regard de la durée de la relation (22 mois) et de son état de dépendance économique, le préavis éludé était d'un an.

En réponse, la SAS INFREP expose que la SAS IFPA fonde son action sur l'article L 442-1 II du code de commerce dans une version, inapplicable au litige en vertu de l'article 2 du code civil, issue de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 et en déduit l'absence de base légale de ses demandes. Elle conteste subsidiairement le caractère établi des relations commerciales en soulignant l'instabilité des relations dont la pérennité reposait sur l'obtention d'un marché correspondant à l'habilitation accordée par le Copanef en 2015, l'association IFPA n'ignorant de ce fait pas que la certification CléA dépendait des résultats d'appels d'offres dont elle devait surveiller le lancement. Elle ajoute que le Copanef l'a informée le 18 juillet 2018 que son habilitation ne serait pas reconduite automatiquement et qu'elle devait ainsi participer à un nouvel appel à proposition, le marché principal du contrat de sous-traitance ayant pris fin le 1er janvier 2019. Elle ajoute que le renouvellement du contrat par tacite reconduction sur une seule année ne caractérise aucune stabilité. Déduisant de ces circonstances, ainsi que des manquements répétés de la SAS IFPA dans l'exécution de ses obligations malgré ses instructions, la prévisibilité de la rupture, elle estime le préavis accordé suffisant, et ce d'autant que la SAS IFPA, qui n'était pas en situation de dépendance économique, a manqué à son devoir de veille en ne soumissionnant pas à l'appel d'offres du Copanef. Elle explique par ailleurs que la SAS IFPA n'établit pas le montant de la marge brute sur coûts variables générée par l'activité CléA liée au contrat de sous-traitance et ne prouve ainsi pas son préjudice.

Réponse de la cour

- Sur le cadre juridique

Conformément aux articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation. Aussi, la loi applicable est déterminée au jour de la rupture concrétisée en fait ou de sa notification, soit ici le 10 octobre 2018, date du courrier de la SAS INFREP informant l'association IFPA de sa volonté de ne pas l'intégrer dans sa demande d'habilitation auprès du Copanef emportant fin de la relation au 31 décembre 2018.

A cette date, il est exact que la version de l'article L 442-1 II du code de commerce, modifié par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 puis par des réformes ultérieures, invoqué par la SAS IFPA n'était pas en vigueur. Néanmoins, outre le fait que cette dernière oppose également l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable aux faits, la mise en 'uvre de ce texte, qui constitue le fondement adéquat de l'action ainsi que le reconnaît la SAS INFREP à la suite du tribunal, ne modifie en rien les termes du débat tels qu'ils ont été envisagés par cette dernière. Aussi, les hésitations juridiques de la SAS IFPA sont sans incidence sur la compréhension du litige et la détermination de son cadre juridique d'examen et ne commandent pas le rejet de ses demandes.

Le moyen de la SAS INFREP est inopérant et la demande de la SAS IFPA au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies sera examinée sous l'angle de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce.

En vertu de ce dernier, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques des relations commerciales

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

La Cour constate que le caractère commercial de la relation, contesté à raison de la forme associative de l'IFPA en première instance, n'est plus en débat. Demeure l'appréciation de son caractère établi.

Les parties sont entrées en relation en concluant le 27 janvier 2016 un contrat par lequel la SAS INFREP a confié en sous-traitance pour une durée d'un an à l'association IFPA les actions d'évaluation et de formation relatives à la certification CléA. L'exécution du contrat, qui ne stipulait pas de faculté de prorogation du terme, s'est néanmoins poursuivie postérieurement à l'expiration de ce dernier le 31 décembre 2016. Cette reconduction tacite de l'acte a produit, au sens des articles 1214 et 1215 du code civil, les effets d'un renouvellement qui donne naissance à une nouvelle convention dont le contenu est identique mais dont la durée est indéterminée.

Aux termes de son article 2, ce contrat avait pour objet de « définir les conditions dans lesquelles l'INFREP confi[ait] à l'IFPA qui l'accept[ait], l'exécution des travaux dont la nature a[vait] été précisée dans le cahier des charges de l'appel d'offre et lors de la réunion d'information relative à la certification CléA organisée par le Pôle Ingénierie de l'INFREP le 16 septembre 2015 », rencontre consécutive à l'habilitation de la SAS INFREP par le Copanef rappelée à l'article 1. Si la SAS INFREP n'a pas procédé à des appels d'offres pour sélectionner son sous-traitant, le lien entre la prestation servie par l'association IFPA et les conditions intrinsèquement aléatoire d'habilitation par le Copanef était ainsi explicite. Il est renforcé par :

- l'article 2 du contrat qui évoque la communication préalable à la conclusion du contrat à l'association IFPA du cahier des charges de l'appel d'offres du Copanef (pièce 3 de l'intimée) qui définit les conditions d'habilitation et le processus de sélection des prestataires qui confirment l'absence de caractère automatique de l'obtention de la certification ;

- l'article 8 qui érige en cause de résiliation de plein droit la « résiliation du marché principal » et la « décision expresse du Copanef » ;

- la « charte d'engagement des membres du réseau CléA Infrep » annexée au contrat qui rappelle l'obligation d'utiliser les documents de communication validés par le Copanef et oblige l'association IFPA à informer la SAS INFREP en cas notamment de « lancement d'appels d'offres en lien avec le CléA », marque du lien étroit entre l'exécution du contrat et l'habilitation par le Copanef ;

- le règlement d'habilitation dressé par ce dernier en septembre 2017 qui précise en son article III 4 que l'habilitation n'est délivrée que pour une durée de trois ans, le caractère automatique du renouvellement n'étant applicable qu'à compter de son entrée en vigueur le 1er janvier 2018 ainsi que le précisait le Copanef dans son courriel du 18 juillet 2018 (pièce 12 de l'intimée). Aussi, l'association IFPA ne pouvait ignorer que l'habilitation dont jouissait la SAS INFREP depuis le 15 juillet 2015 expirait en fin d'année 2018.

Dès lors, si les relations ont été stables et continues pendant près de 22 mois (durée spécialement invoquée par l'association IFPA en page 8 de ses écritures quoique la relation totale ait duré 33 mois en intégrant la première année de partenariat), soit une durée relativement brève, elles étaient intrinsèquement précaires en ce que leur pérennité était directement dépendante de la conservation, affectée d'un important aléa, de l'habilitation d'un tiers, organisme interprofessionnel national, le Copanef, par la SAS INFREP, peu important de ce fait l'espérance qu'a pu susciter la tacite reconduction du contrat et que l'association IFPA, qui ne retient pas la période antérieure dans l'appréciation de l'ancienneté de la relation, n'évoque d'ailleurs pas.

Or, ainsi que l'indique le Copanef dans son courriel du 18 juillet 2018, le règlement d'habilitation précisait que les habilitations accordées avant le 1er janvier 2018, telles celle dont bénéficiait la SAS INFREP, n'étaient pas renouvelées automatiquement et expiraient le 31 décembre 2018. Si cette dernière n'a porté cette information à la connaissance de l'association IFPA que le 10 octobre 2018 (pièce 11 de l'appelante), celle-ci était obligée par l'article B4 de la charge d'engagement annexée au contrat et reconduite avec lui de surveiller personnellement les « lancements d'appel d'offres en lien avec le CléA », obligation de veille raisonnable puisque les informations pertinentes étaient aisément accessibles en ligne (pièce 15 de l'appelante).

Aussi, ayant connaissance de la date d'expiration de l'habilitation de son donneur d'ordre et ne disposant elle-même d'aucune certification, l'association IFPA ne pouvait raisonnablement anticiper une poursuite des relations après le 31 décembre 2018, date de fin effective des relations commerciales. A cet égard, il importe peu que la SAS INFREP ait rompu le partenariat avant un refus d'habilitation, la précarisation de la relation découlant non de la certitude du non-renouvellement de l'habilitation mais de sa probabilité connue des parties qui obstruait l'horizon de leurs prévisions. Et, l'association IFPA n'ayant pas été intégrée dans la candidature initiale de la SAS INFREP et pouvant librement soumettre la sienne au Copanef sous réserve qu'elle exécute son devoir de veille, elle ne pouvait légitimement prétendre l'être dans la candidature de renouvellement.

Cette précarité intrinsèque est aggravée par la dégradation de la relation durant l'été 2018, la SAS INFREP ayant à de multiples reprises dénoncé les erreurs de son sous-traitant dans l'utilisation des matrices de contrôle fournies pour réaliser les évaluations et dont l'usage était obligatoire en application de l'article C3 de la charte d'engagement annexée au contrat à laquelle renvoie son article 4 (pièces 6 à 11 de l'intimée, courriels des 8, 11, 12, 22 et 26 juin 2018), et ce alors que des matrices avec des cellules protégées avaient été diffusées pour prévenir la réitération des erreurs de saisie antérieurement constatées (pièce 4 de l'appelante, courriel du 29 mai 2018). Ainsi, la SAS INFREP, dont les critiques ne sont pas utilement contredites et dont les exigences ne s'apparentaient pas à une « tentative de modification unilatérale du contrat » mais exprimaient les nécessités de sa stricte exécution, a relevé 44 dossiers d'évaluation non-conformes et a de ce fait dû suspendre l'intégralité des évaluations de l'association IFPA à compter du 18 juin 2018 dans l'attente d'une « mise à plat », consigne qui n'a pas été respectée (pièces 9 et 10 de l'intimée). Alors que la reprise des évaluations était autorisée le 30 juillet 2018, 6 nouveaux dossiers apparaissaient non-conformes (pièces 11 de l'intimée et 9 de l'appelante). Dans son courrier du 10 octobre 2018 portant notification de la rupture (pièce 12 de l'appelante), la SAS INFREP expliquait sans être utilement contredite que les erreurs de saisie, qui provenaient d'une modification non autorisée de la matrice de contrôle, affectaient un total de 144 dossiers.

Ces fautes multiples et persistantes exclusivement imputables à l'association IFPA, réitérées malgré des alertes circonstanciées et des consignes précises, ont été estimées suffisamment graves pour fonder une suspension temporaire de ses prestations d'évaluation. A raison de la teneur des échanges entre les parties, de l'ampleur des faits et de leurs conséquences immédiates quoique temporaires sur la relation, l'association IFPA ne pouvait légitimement s'attendre à sa poursuite sereine à court terme.

Ainsi, tant la nature des prestations et le cadre juridique de leur exécution que la qualité des rapports entre les parties induisaient une grande précarité des relations contractuelles, précarité exclusive du caractère établi visé à l'article L 442-6 5° du code de commerce.

A supposer le contraire, la Cour précise que c'est par de justes motifs qu'elle adopte surabondamment que le tribunal a considéré que, au regard de la brièveté de la relation alléguée, de l'absence de preuve d'une dépendance économique subie, de la faculté de l'association IFPA, tenue d'un devoir de veille portant sur les lancements d'appels d'offre, de candidater personnellement à l'habilitation CléA ainsi que du dynamisme du marché pertinent, retenu en l'absence d'éléments plus précis fournis par les parties, le préavis accordé par la SAS INFREP était suffisant au sens de l'article L 442-6 5° du code de commerce.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de l'association IFPA à ce titre.

2°) Sur la rupture abusive du contrat

Moyens des parties

La SAS IFPA soutient au visa de l'article 1103 du code civil que la SAS INFREP ne pouvait rompre le contrat sans respecter un délai de préavis raisonnable. Elle développe des moyens et arguments identiques aux précédents pour souligner l'insuffisance du préavis de deux mois exécuté et sollicite une indemnisation de même montant.

La SAS INFREP répond que la résiliation du marché principal fondait en soi la rupture du contrat de sous-traitance conformément à son article 8, circonstances exclusives de tout préavis, celui accordé étant ainsi très suffisant.

Réponse de la cour

En application des articles 1103, 1104 et 1194 du code civil (anciennement 1134) applicables au litige en vertu de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprenant quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.

Par ailleurs, les engagements perpétuels étant prohibés (principe désormais explicitement posé à l'article 1210 du code civil mais antérieurement ancré en droit positif dans la sauvegarde de la liberté individuelle : en ce sens, 1ère Civ., 18 janvier 2000, n° 98-10.378), les contrats à durée indéterminée peuvent être rompus librement sauf abus. A cet égard, conformément à l'article 1211 du code civil, lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable.

Au regard des éléments déjà exposés (durée d'exécution du contrat renouvelé, nature de la prestation servie, dépendance de la relation contractuelle à l'habilitation CléA non automatique, dégradation significative des relations par la faute de l'association IFPA) et de l'absence de preuve d'une volonté de nuire de la SAS INFREP, l'éviction de l'association IFPA comme concurrent durant un an trouvant sa cause dans le manquement de cette dernière à son obligation personnelle de veille, le préavis de deux mois accordé était raisonnable et suffisant.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande subsidiaire de l'association IFPA.

3°) Sur le paiement des intérêts de retard

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS IFPA expose que la SAS INFREP était tenue de régler ses factures par chèque dans le respect de l'alinéa 5 l'article L 441-6 du code de commerce qui prévoit un délai de paiement de 45 jours suite à l'émission de toute facture périodique. Elle ajoute que figure sur chacune de ses factures la mention imposée par l'article L 441-3 du code de commerce s'agissant du montant de 40 euros d'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier en cas de retard de paiement. Expliquant que 144 factures sur 166 ont été payées avec retard, elle sollicite une indemnisation de 21 359,91 euros cumulant les intérêts de retard sur la période 2016/2018 (15 599,91 euros) et l'indemnité forfaitaire de frais de recouvrement de 40 euros pour chaque facture litigieuse (5 760 euros).

En réponse, la SAS INFREP soutient qu'elle a respecté les délais de paiement stipulés à l'article 7 du contrat qui s'impose aux parties et que la SAS IFPA ne prouve aucun retard de paiement.

Réponse de la cour

En application de l'article L 441-6 I alinéa 8 du code de commerce dans sa version applicable aux faits, les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret (soit 40 euros en vertu de l'article D 441-5 du même code dans version applicable aux faits). Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification.

En vertu de l'article L 441-6 I alinéas 4 et 5, sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture.

Cependant, l'article 7 du contrat de sous-traitance, qui pouvait déroger aux dispositions citées qui prévoient expressément cette possibilité, précise que la SAS INFREP paie par chèque bancaire l'association IFPA sur présentation de facture selon les mêmes échéances de versement que les financeurs du client et au plus tard 30 jours après le règlement par le financeur, ici Pôle Emploi. Et, les factures produites (pièces 21 à 23 de l'appelante) ne mentionnent aucune règle contraire, seuls le taux des intérêts de retard et le montant de l'indemnité forfaire étant précisés à l'exclusion de tout délai de paiement. Or, ainsi que l'a justement relevé le tribunal dont les motifs sont adoptés sur ce point, la SAS INFREP démontre avoir payé ces dernières dans les délais contractuellement fixés dont l'association IFPA ne prétend pas qu'ils seraient excessifs au regard de la lettre de l'article L 441-6 du code de commerce (pièces 16 à 18 de l'intimée non contestées en leur teneur).

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de l'association IFPA.

4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant, l'association IFPA, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS INFREP la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SAS IFPA au titre des frais irrépétibles.