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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 octobre 2024, n° 21/22032

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Auvergne Packaging (SARL)

Défendeur :

O-I France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Simon, Me Portal, Me Ladoul, Me Baechlin, Me Andres

T. com. Lyon, du 20 oct. 2021, n° 2020J0…

20 octobre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La SARL Auvergne Packaging exerce une activité de prestations de rechoix et de reconditionnement, opération consistant à dépalettiser des produits susceptibles d'être non-conformes, à vérifier leur qualité et à les écarter s'ils sont défectueux ou à les repalettiser dans le cas contraire.

La SAS O-I France est spécialisée dans la fabrication d'emballages en verre destinés au secteur alimentaire.

Par acte du 1er janvier 2011 stipulant en son article 4 une clause de flexibilité à raison du caractère intrinsèquement aléatoire en termes de volumes de la prestation de rechoix, la société Transports Combronde, qui avait conclu avec la SAS O-I France un contrat de transport, de logistique, de rechoix et de reconditionnement, a, avec l'accord de celle-ci, sous-traité ces deux dernières prestations à la SARL Auvergne Packaging.

Par courrier du 7 janvier 2016, la société Transports Combronde a notifié la rupture, à compter du 31 juillet 2016, de leurs relations commerciales à la SARL Auvergne Packaging qui en contestait le principe. Dans une logique d'apaisement et de préservation de la continuité de l'activité de son usine de [Localité 5], la SAS O-I France a lancé le 2 mai 2016 un appel d'offres remporté par la SARL Auvergne Packaging.

Par lettre du 20 mai 2019, la SAS O-I France a notifié à la SARL Auvergne Packaging la rupture de leurs relations commerciales à compter du 1er novembre 2020 en lui précisant qu'elle organiserait un appel d'offres national dès l'été 2020.

La SARL Auvergne Packaging cessait son activité le 31 décembre 2019.

Dénonçant une rupture brutale des relations commerciales établies matérialisée en fin d'année 2018 ou en janvier 2019 par une baisse importante des prestations de rechoix et n'obtenant pas amiablement l'indemnisation qu'elle sollicitait par courrier de son conseil du 4 juin 2019, la SARL Auvergne Packaging a, par acte d'huissier signifié le 4 janvier 2020, assigné la SAS O-I France devant le tribunal de commerce de Lyon en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 20 octobre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a statué en ces termes :

- « DEBOUTE la société AUVERGNE PACKAGING de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- REJETTE la demande faite par la société O-I FRANCE au titre de dommages et intérêts pour la somme de 100 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture abusive et brutale des relations commerciales ;

- REJETTE la demande faite par la société O-I FRANCE au titre de dommages et intérêts pour la somme de 100 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait du fait de l'exécution déloyale du contrat ;

- CONDAMNE la société AUVERGNE PACKAGING à payer à la société O-I FRANCE la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la société AUVERGNE PACKAGING aux entiers dépens de l'instance en ce compris la somme de 324,09 euros au titre du constat d'huissier dressé le 3 janvier 2020 ».

Par déclaration reçue au greffe le 14 décembre 2021, la SARL Auvergne Packaging a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 22 mars 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté l'exception de nullité de la déclaration d'appel, improprement qualifiée de fin de non-recevoir, opposée par la SAS O-I France et tirée du défaut de pouvoir de l'avocat l'ayant signée.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 mars 2023, la SARL Auvergne Packaging demande à la cour, au visa des articles L 442-1, L 442-4 et D 442-3 du code de commerce et 1240 du code civil :

- de déclarer que la déclaration d'appel, accompagnée d'un document annexé contenant les chefs de jugement critiqués, opère l'effet dévolutif ;

- d'infirmer le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Lyon le 20 octobre 2021, en ce qu'il :

* déboute la SARL Auvergne Packaging de toutes ses demandes ;

* condamne la SARL Auvergne Packaging à payer à la SAS O-I France la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamne la SARL Auvergne Packaging aux entiers dépens de l'instance ;

- de confirmer le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Lyon le 20octobre 2021, en ce qu'il :

* rejette la demande faite par la SAS O-I France au titre de dommages et intérêts pour la somme de 100 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture abusive et brutale des relations commerciales ;

* rejette la demande faite par la SAS O-I France au titre de dommages et intérêts pour la somme de 100 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait du fait de l'exécution déloyale du contrat ;

- statuant à nouveau, de :

* déclarer que la SAS O-I France a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la SARL Auvergne Packaging ;

* condamner la SAS O-I France à payer et porter à la SARL Auvergne Packaging une somme de 943 848 euros au titre de la perte de marge brute ;

* condamner la SAS O-I France à payer et porter à la SARL Auvergne Packaging une somme de 109 083,10 euros à titre de dommages-intérêts concernant les charges de restructurations ;

* de condamner la SAS O-I France à payer et porter à la SARL Auvergne Packaging une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

* débouter la SAS O-I France de l'ensemble des demandes indemnitaires reconventionnelles ;

* débouter la SAS O-I France de son appel incident ;

* condamner la SAS O-I France à payer et porter à la SARL Auvergne Packaging une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 décembre 2022, la SAS O-I France demande à la cour :

- principalement, vu les articles 901 4°, 562, 748-1 et 930-1 du code de procédure civile, de :

* constater l'absence d'effet dévolutif ;

* déclarer que la cour n'est saisie d'aucune demande ;

* en conséquence, débouter la SARL Auvergne Packaging de son appel ;

- subsidiairement, vu les dispositions des articles L 442-1, L 442-4 et L 420-2 alinéa 1 du code de commerce et 1103 du code civil, de :

* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL Auvergne Packaging de toutes ses demandes, et, en conséquence, débouter la SARL Auvergne Packaging de ses demandes ;

* l'infirmer en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SAS O-I France à hauteur de 100 000 euros tant au titre du préjudice subi du fait de la rupture abusive et brutale des relations commerciales qu'à celui de l'indemnisation du préjudice causé par l'exécution déloyale du contrat ;

- statuant à nouveau :

* d'accueillir la demande reconventionnelle de la SAS O-I France ;

* de déclarer que la SARL Auvergne Packaging a rompu la relation commerciale avec la SAS O-I France le 31 décembre 2019 ;

* de condamner la SARL Auvergne Packaging à payer à la SAS O-I France la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture abusive et brutale des relations commerciales ;

* de condamner la SARL Auvergne Packaging à payer à la SAS O-I France la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat ;

* de condamner la SARL Auvergne Packaging à payer à la SAS O-I France la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance qui comprendront la somme de 324,09 euros titre du constat d'huissier dressé le 3 janvier 2020.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juin 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur l'effet dévolutif

Moyens des parties

Au soutien de son moyen, la SAS O-I France, qui précise que l'effet dévolutif n'est mis en 'uvre que par la seule déclaration d'appel et qu'il n'opère pas en l'absence de mention des chefs de jugement critiqués dans celle-ci, expose que la déclaration d'appel, peu important qu'elle vise une annexe, ne mentionne pas de demande d'infirmation ou d'annulation du jugement entrepris. Elle en déduit que la cour n'est saisie d'aucune prétention.

En réponse, la SARL Auvergne Packaging explique que, conformément à l'article 562 du code de procédure civile, à l'annexe 1 de la circulaire du 4 août 2017 et à l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, la déclaration d'appel peut être complétée par une annexe faisant corps avec elle et précisant les chefs de dispositifs du jugement entrepris critiqués. Elle ajoute qu'un empêchement technique n'est pas à démontrer (2ème Civ., avis n° 22-70.005 du 8 juillet 2022) et que la déclaration d'appel n'a pas à mentionner les termes « infirmer, réformer ou annuler » qui doivent exclusivement figurer dans le dispositif des écritures. Elle en déduit que l'effet dévolutif a pleinement opéré.

Réponse de la cour

Conformément à l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Aux termes de l'article 901 4° du code de procédure civile dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, la déclaration d'appel est faite par acte contenant à peine de nullité les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. Toutefois, le décret du 25 février 2022, dont l'article 6 dispose qu'il est applicable aux instances en cours au jour de son entrée en vigueur le lendemain de sa publication, a modifié cette disposition en ménageant la possibilité de faire une déclaration d'appel par acte « comportant le cas échéant une annexe ».

Et, en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, lorsqu'un document doit être joint à un acte, celui-ci renvoie expressément à ce document qui est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier visé à l'article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d'un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l'outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique. En vertu de son article 3, cet arrêté est entré en vigueur le lendemain de sa publication et est applicable aux instances en cours.

A ce titre, dans son avis du 8 juillet 2022 (n° 15008 B), la Cour de cassation a précisé que :

1-Le décret n 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l' arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.

2-Une déclaration d'appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l'absence d'empêchement technique.

La déclaration d'appel du 14 décembre 2021 de la SARL Auvergne Packaging précise : « Appel limité aux chefs de jugement critiqués : voir annexe à la déclaration d'appel ». Elle est accompagnée du document ainsi visé qui énonce explicitement les chefs de dispositif ayant débouté Auvergne Packaging « de toutes ses demandes, fins et conclusions [' suit une liste des prétentions rejetées] » et l'ayant condamnée au titre des frais irrépétibles et des dépens.

Alors que la déclaration d'appel n'a pas à mentionner qu'il est demandé l'infirmation des chefs de jugement critiqués faute pour les articles 562 et 901 du code de procédure civile de le préciser (en ce sens, 2ème Civ., 25 mai 2023, n° 21-15.842) et que le dispositif des conclusions de l'appelante comporte, depuis les premières d'entre elles notifiées le 10 mars 2022, une demande expresse d'infirmation, mention pour sa part indispensable (en ce sens, 2ème Civ., 17 novembre 2022, n° 21-18-787), l'annexe qui y est jointe liste précisément les chefs de dispositif du jugement critiqués.

En conséquence, la déclaration d'appel est régulière et le moyen opposé par la SAS O-I France sera rejeté.

2°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale

Moyens des parties

Au soutien de son appel, la SARL Auvergne Packaging explique au visa de l'article L 442-1 II du code de commerce que la SAS O-I France a rompu sans préavis, « en fin d'année 2018 », la relation commerciale établie depuis 2011, le chiffre d'affaires mensuel dégagé à son occasion ayant été réduit de moitié à compter de janvier 2019 par rapport aux exercices 2016 à 2018 en contradiction avec l'engagement de volumes qui liait les parties. Sur ce dernier point, elle précise que le contrat la liant à la société Transports Combronde a été rompu le 7 janvier 2016, la clause de flexibilité n'étant ainsi pas invocable par la SAS O-I France, et qu'aucune convention n'a été régularisée après qu'elle a remporté l'appel d'offres. Elle ajoute que, peu important l'absence de diversification de son activité, elle était objectivement en situation de dépendance économique à l'égard de son partenaire. Elle précise par ailleurs que la SAS O-I France n'a pas exécuté le préavis de 18 mois accordé en ne maintenant pas « un volume de prestations de reconditionnement et de rechoix conformes (sic) aux exercices comptables précédents ». Elle indique que sa marge brute (52 436 euros par mois en moyenne) égale le prix de sa prestation puisque son activité ne nécessitait ni approvisionnement en matière première ou en marchandise ni sous-traitance. Elle soutient en outre que la rupture l'a contrainte à procéder au licenciement économique des trois quarts de ses effectifs, son préjudice étant ainsi majoré du coût de cette restructuration (109 083,10 euros). Elle expose que, « contrainte de renoncer à un projet immobilier susceptible de permettre le développement de son activité », elle subit par ailleurs un préjudice moral (30 000 euros).

En réponse aux demandes reconventionnelles de la SAS O-I France, elle estime que la cessation de son activité le 31 décembre 2019 n'affecte pas l'imputabilité de la rupture intervenue en fin d'année 2018 et que le préjudice allégué à ce titre n'est ni réparable sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce ni démontré en son principe et sa mesure.

En réponse, la SAS O-I France expose que les relations ont débuté le 31 juillet 2016 après mise en concurrence par appel d'offres et que, le contrat conclu avec la société Transports Combronde ayant été rompu, la relation nouée avec cette dernière en 2011 n'a pas été reprise. Soulignant l'instabilité et la variabilité du flux d'affaires, elle en déduit l'absence de relations commerciales établies. Elle ajoute que l'augmentation du chiffre d'affaires en 2018 exclut toute rupture fin 2018 et que les volumes des prestations du 1er janvier au 31 juillet 2019 (36 857,14 euros en moyenne mensuelle) révèlent l'absence de diminution significative du flux d'affaires. Elle souligne à cet égard le caractère intrinsèquement variable de l'activité, qui a fondé l'insertion d'une clause de flexibilité dans le contrat du 1er janvier 2011 conclu avec la société Transports Combronde, et l'absence de tout engagement de volumes. Elle précise que la dépendance économique de la SARL Auvergne Packaging n'était pas subie, celle-ci ayant refusé, malgré ses alertes, de diversifier son activité ou ses partenaires commerciaux. Elle soutient ainsi que le préavis de 18 mois était suffisant. Subsidiairement, elle expose que la SARL Auvergne Packaging calcule son préjudice sur une perte de chiffre d'affaires et non de marge brute, qu'elle a refusé d'exécuter le préavis et est ainsi responsable du dommage qu'elle allègue et que l'indemnité réclamée n'est pas assujettie à la TVA. Elle explique en outre que les frais de restructuration ne sont pas prouvés et que le préjudice moral invoqué est inexistant.

Reconventionnellement, la SAS O-I France soutient que la SARL Auvergne Packaging a, dès la notification de la rupture, donné congé à son bailleur et a cessé toute activité le 31 décembre 2019, rompant ainsi brutalement les relations en cours de préavis et lui imposant de trouver, en urgence et au prix d'une surcharge importante de travail et d'un accroissement de ses coûts, une solution de remplacement.

Réponse de la cour

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation. Aussi, la loi applicable est déterminée au jour de la rupture concrétisée en fait ou de sa notification.

Si la rupture a été formellement notifiée par la SAS O-I France par courrier du 20 mai 2019, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ayant notamment modifié l'article L 442-6 du code de commerce, la SARL Auvergne Packaging allègue une rupture intervenue entre la fin de l'année 2018 et le mois de janvier 2019, soit avant l'intervention de cette modification législative. Aussi, la rupture partielle opposée par la SARL Auvergne Packaging doit être appréciée par référence aux dispositions antérieures quand celle, totale, invoquée par la SAS O-I France et fixée au 31 décembre 2019 est soumise à l'article L 442-1 II du code de commerce dans version issue de la réforme. Le cadre juridique est ainsi le suivant :

- en application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;

- en vertu de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques des relations commerciales

Au sens de ces textes, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

Sur l'ancienneté de la relation

Si le contrat conclu le 1er janvier 2011 entre la SARL Auvergne Packaging et la société Transports Combronde précise en préambule que la SAS O-I France a expressément accepté la sous-traitance confiée à la première (pièce 1 de l'appelante), la relation commerciale nouée sur son fondement ne liait que les parties à cet acte à l'exclusion de la SAS O-I France (ce que reconnaît l'appelante page 26 de ses écritures) avec laquelle aucun flux d'affaires n'est prouvé antérieurement à son appel d'offres du 2 mai 2016, la première facture émise à son endroit remontant au 30 juin 2016 (pièce 1 de l'intimée). Une relation commerciale s'entendant d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties (en ce sens, Com., 7 octobre 2014, n° 13-20.290), deux partenariats se sont ainsi succédé, le premier, avec la société Transports Combronde, qui a pris fin le 31 juillet 2016 (pièces 5 et 6 de l'appelante), et le second qui a débuté après une mise en concurrence officielle organisée par la SAS O-I France qui ne s'est manifestée qu'à l'occasion de la rupture du contrat de sous-traitance pour assurer la pérennité de son exploitation du four de [Localité 5] (pièces 7 et 8 de l'appelante).

Aussi, seule la caractérisation d'une commune intention des parties de poursuivre la même relation, qui ne peut se suffire de sa poursuite aux mêmes conditions avec le même personnel, de reprendre le partenariat établi avec la société Transports Combronde peut fonder l'ancienneté dont se prévaut la SARL Auvergne Packaging. Or, cette dernière, qui n'évoque d'ailleurs pas cette condition, ne produit pas le moindre élément en ce sens. Au contraire, le courrier déjà évoqué du 10 février 2016 envoyé par la SAS O-I France (pièce 7 de l'appelante) précise que « la reprise des activités de rechoix [' par la SARL Auvergne Packaging] a pu se faire exclusivement grâce à l'intermédiation de la société Combronde, [' ses] capacités en termes de couverture de risque, en termes d'assurance éta[nt] totalement insuffisantes face aux enjeux en cas de défectuosité de [ses] prestations », et que « c'est le positionnement de la société Combronde comme donneur d'ordre et donc en charge des risques à [son] égard qui a permis ce montage ». Ainsi, il est clair que la SAS O-I France n'a pas entendu reprendre la relation antérieure avec un partenaire qu'elle estimait initialement inapte à contracter avec elle et qui n'a été sélectionné, les carences explicitement soulignées manifestement comblées, qu'après un appel d'offre.

Aussi, la relation litigieuse a débuté en juin 2016.

Sur le volume d'affaires, le caractère établi de la relation et la dépendance économique

La sélection d'un partenaire par appel d'offres, dès lors que la poursuite de la relation n'est pas effectivement affectée par la réalisation de mises en concurrence ultérieures régulières et systématiques, n'est pas suffisant pour précariser intrinsèquement la relation. De fait, la relation, qui n'était encadrée par aucun contrat en fixant le terme ou les modalités de continuation, a débuté en juin 2016 et s'est poursuivie sans nouvel appel d'offres jusqu'à la notification de la rupture du 20 mai 2019. Cette continuité prive de pertinence le moyen opposé par la SAS O-I France.

Par ailleurs, il est exact que le flux d'affaires était, à raison de la nature même de l'activité exercée, sujet à d'importantes fluctuations. Cette caractéristique explique la clause de flexibilité stipulée à l'article 4 du contrat du 1er janvier 2011 (« la prestation de rechoix est par définition aléatoire et variable en terme de volume »), prise ici non comme une norme conventionnelle qui ne régit pas les relations nouées avec la SAS O-I France mais comme un élément matériel d'appréciation de la variabilité quantitative des prestations et de la conscience nécessaire qu'en avait la SARL Auvergne Packaging, spécialiste du secteur également alerté par le courrier de la SAS O-I France du 10 février 2016. Néanmoins, les factures produites par la première (sa pièce 1) et les comptes annuels ainsi que l'attestation de son expert-comptable communiquée par la seconde (ses pièces 12 à 15) révèlent que le chiffre d'affaires dégagé par la SARL Auvergne Packaging à l'occasion de la relation, en croissance constante, s'est maintenu à un niveau significatif pendant trois ans (571 605 euros en 2016, 643 709 euros en 2017 et 672 397 euros en 2018). Aussi, les oscillations du volume des prestations n'ont pas affecté la stabilité et l'importance globales du courant d'affaires.

Ces éléments suffisent à caractériser un partenariat suivi, stable et habituel laissant entendre à la SARL Auvergne Packaging qu'elle pouvait raisonnablement anticiper en 2018 une certaine continuité du flux d'affaires avec la SAS O-I France, soit une relation commerciale établie au sens de l'article L 442-6 5° devenu L 442-1 II du code de commerce.

Les parties livrent peu d'éléments sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL Auvergne Packaging qui ne bénéficiait en fait ou en droit ni d'une exclusivité ni d'un engagement de volume. Cette dernière ne conteste pas que la SAS O-I France, dont la place sur le marché pertinent n'est pas précisée, n'était pas son seul fournisseur. En l'état de cette carence probatoire, l'impossibilité ou la difficulté à nouer un nouveau partenariat de substitution n'a pas à être présumée.

La SARL Auvergne Packaging oppose par ailleurs son état de dépendance économique. Celui-ci, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Il ressort des éléments comptables déjà évoqués que le chiffre d'affaires généré par la relation représentait 85 % de celui globalement dégagé par la SARL Auvergne Packaging, proportion caractéristique d'une importante dépendance économique. Si celle-ci est pour partie la résultante des choix de la SARL Auvergne Packaging qui a peu diversifié ses relations commerciales, situation dont elle ne pouvait ignorer les implications à raison de son positionnement sur le marché et de l'alerte de la SAS O-I France le 10 février 2016, elle relève également, au regard de son ampleur, d'une organisation souhaitée par les deux partenaires. En ce sens, elle tempère, modérément mais effectivement, les facilités de redéploiement évoquées.

- Sur l'imputabilité de la rupture des relations et la détermination du préavis suffisant

Les articles L 442-6 I 5° et L 442-1 II du code de commerce sanctionnent non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.

Sur la rupture brutale partielle puis totale dénoncée par la SARL Auvergne Packaging

Il est désormais acquis que l'activité litigieuse impliquait par nature une variation des volumes confiés à la SARL Auvergne Packaging, constat qui prive en soi de pertinence son argument relatif à un engagement de volume consenti par la SAS O-I France, son raisonnement, contredit par le contrat et le courrier déjà évoqués, reposant par ailleurs sur une analyse factuelle inexacte :

- le fait que la SAS O-I France précise dans son courrier de notification de la rupture du 20 mai 2019 (pièce 9 de l'appelante) que « les modalités d'exécution de la prestation demeureront inchangées » jusqu'à la cessation effective des relations n'implique pas la reconnaissance d'un minimum garanti mais constitue le simple rappel des conditions légales d'exécution du préavis qui, de jurisprudence constante, doit s'effectuer aux conditions antérieures ;

- la croissance du chiffre d'affaires et la réalisation d'un chiffre d'affaires mensuel moyen, par hypothèse fruit d'un lissage gommant les fluctuations mensuelles, n'est pas l'expression nécessaire du respect d'un engagement de volume antécédent mais traduit la faible importance, sur une année, de l'impact des variations des quantités de produits fournis sur la période considérée, constat qui n'exclut pas la possibilité de fluctuations à venir et ne dit rien de leur ampleur mensuelle. Dans ce cadre, les commandes prévisionnelles de 35 000 euros évoquée par la SARL Auvergne Packaging dans son courriel du 20 décembre 2018 ne constituaient qu'un objectif indicatif et non une garantie de volumes.

Cette caractéristique a une incidence directe sur l'appréciation de la réalité de la rupture alléguée par la SARL Auvergne Packaging et fixée à une date fluctuante dans ses écritures en fin 2018 ou en début 2019 : la variabilité de la prestation implique une appréciation plus souple de la baisse significative susceptible de traduire la rupture brutale partielle opposée et notamment la prise en compte d'un périmètre temporel suffisamment large pour être représentative.

Si la SARL Auvergne Packaging invoque une rupture brutale dès la fin de l'année 2018, ses propres observations, confirmées par l'attestation de son expert-comptable, sur la croissance du chiffre d'affaires, y compris en 2018, suffisent à priver son assertion de toute pertinence. De fait, son courriel du 30 décembre 2018, qui constitue la première alerte sur une réduction des volumes de produits fournis, comprend un tableau comparatif du montant des prestations de rechoix de 2017 et 2018 qui révèle des fluctuations mensuelles importantes qui se sont pourtant soldées par une augmentation globale du chiffre d'affaires.

Sa situation intermédiaire au 31 juillet 2019 (sa pièce 16 confirmée par les factures produites par l'intimée en pièce 1) mentionne un chiffre d'affaires de 246 392 euros réduit à 209 433,20 euros en intégrant le pourcentage de chiffre d'affaires propre à la relation contre une moyenne, sur une période de sept mois, de 367 054,91 euros, soit une baisse de près de 43 %. Si celle-ci apparaît significative en valeur absolue, elle est à tempérer objectivement par la variabilité intrinsèque des volumes, dont la mesure ne peut être utilement appréciée sur un unique semestre, et subjectivement par les attentes de la SARL Auvergne Packaging sur les volumes attendus sur la période de référence.

Ainsi, dans ses courriels de décembre 2018 à janvier 2019 (ses pièces 17 à 20), elle explique expressément espérer un chiffre d'affaires de 35 000 euros sur la prestation de rechoix, l'activité de reconditionnement n'étant pas même évoquée et paraissant résiduelle aux termes de l'attestation complémentaire de son expert-comptable (sa pièce 33), élément repris dans ses écritures qui se réfèrent à un chiffre d'affaires moyen de 37 000 euros pour apprécier la rupture brutale partielle alléguée (page 24 de ses écritures). Or, le chiffre d'affaires mensuel moyen effectivement dégagé entre janvier et juillet 2019 est de 29 919,03 euros, soit un montant nettement plus proche de celui escompté. Et, cette baisse, que la SAS O-I France justifie par des ses propres fluctuations d'activité qui ne sont pas contestées en leur principe et en leur mesure (pièces 20 et 21 de l'appelante), fait écho aux importantes variations mensuelles déjà constatées entre 2017 et 2018 (pièce 17 de l'appelante), années durant lesquelles des réductions de 58 %, 29 %, 36 % et 72 % ont respectivement marqué les mois de janvier, février, juin et novembre malgré l'augmentation annuelle globale du chiffre d'affaires, l'amplitude de ces écarts confirmant l'inadéquation de la référence à un semestre pour apprécier le caractère significatif de la modification du flux d'affaires, et ce d'autant moins que, ainsi qu'il sera dit infra, la SARL Auvergne Packaging a pris dès le mois de juin 2019 la décision de cesser toute activité en décembre 2019.

En pareilles circonstances, la diminution du flux d'affaires constatée, qui trouve de surcroît sa cause exclusive dans des contraintes objectives s'imposant à la SAS O-I France et dont la SARL Auvergne Packaging avait connaissance, n'est pas significative et ne caractérise pas une rupture brutale partielle des relations commerciales établies imputable à la première avant le courrier de notification du 20 mai 2019.

Sur la rupture notifiée par la SAS O-I France

Par lettre du 20 mai 2019, la SAS O-I France a notifié à la SARL Auvergne Packaging la rupture de leurs relations commerciales à compter du 1er novembre 2020 en lui précisant qu'elle organiserait un appel d'offres national dès l'été 2020 auquel elle l'invitait à participer. Elle lui a ainsi accordé un préavis de 18 mois, soit le maximum prévu par l'article L 442-1 II applicable aux faits et ne peut voir sa responsabilité délictuelle engagée de ce fait.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SARL Auvergne Packaging au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur l'inexécution du préavis par la SARL Auvergne Packaging

Durant l'exécution du préavis la victime doit bénéficier, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414). Réciproquement, l'auteur de la rupture a, sauf circonstances objectives et extérieures insurmontables s'imposant aux parties, droit au maintien de l'activité de son partenaire jusqu'à l'expiration du préavis, son inexécution injustifiée modifiant substantiellement la relation s'analysant en une rupture brutale des relations au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce.

Par courriel du 11 décembre 2019, la SARL Auvergne Packaging annonçait incidemment à la SARL Auvergne Packaging, au détour de l'évocation rapide d'un conflit avec la société Transports Combronde, sa « fermeture » définitive le 31 décembre 2019 (pièce 6 de l'intimée). Elle la confirmait le 20 décembre 2019 (pièce 8 de l'intimée) et ses locaux étaient libérés le 2 janvier 2020, le congé donné pour le 31 décembre 2019 (pièce 11 de l'intimée) ayant nécessairement été délivré fin juin 2019 au sens de l'article L 145-4 du code de commerce. Ainsi, la SARL Auvergne Packaging a rompu définitivement les relations avec un délai de prévenance particulièrement bref de 20 jours en cours d'exécution du préavis qui lui avait été accordé et qu'elle était tenue de respecter. Cette rupture, par hypothèse brutale faute d'être justifiée par la faute de son partenaire ou par la force majeure, l'impossibilité d'exécuter les prestations confiées à raison de la réduction de son personnel n'étant pas prouvée et trouvant sa cause dans des choix de gestion non contraints, lui est exclusivement imputable.

Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). Outre le fait que cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture, elle n'est pas adaptée à l'indemnisation du préjudice subi par l'auteur de la rupture initiale du fait du non-respect du préavis accordé par son partenaire, le premier ne dégageant pas de chiffre d'affaires à leur occasion. La SAS O-I France peut ainsi solliciter la réparation des préjudices que lui cause cette inexécution, et non la rupture elle-même, et qui résident dans le surcoût directement généré par la réorganisation de son activité en urgence.

Mais, celle-ci sollicite l'indemnisation de postes de préjudice dont rien ne démontre qu'ils s'enracinent dans la brutalité de la rupture puisque les pièces qu'elle produit, à les supposer probantes (ce qui n'est pas le cas de celles dressées de sa main sans documents justificatifs ou certification telles ses pièces 12 et 13), n'objectivent aucun surcoût lié à une réorganisation précipitée de son activité mais des frais engagés pour le seul remplacement de son partenaire défaillant. D'ailleurs, aucune comparaison n'est réalisée entre les tarifs des prestataires de substitution et ceux pratiqués par la SARL Auvergne Packaging, quand la réalité des heures supplémentaires évoquées n'est pas établie, à l'instar de l'impact économique de l'éventuelle dégradation de ses indicateurs de performance. Aussi, les préjudices allégués, dont la réparation est par ailleurs sollicitée forfaitairement en violation du principe de réparation intégrale, ne sont ni démontrés en leur principe ni rattachables à la brutalité de la rupture.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles de la SARL Auvergne Packaging à ce titre.

3°) Sur la responsabilité contractuelle

Moyens des parties

La SAS O-I France soutient au visa de l'article 1104 du code civil que la SARL Auvergne Packaging a dissimulé dès le mois de juin 2019 la délivrance de son congé à son bailleur et ainsi sa volonté de ne pas respecter le préavis suffisant accordé. Elle en déduit subir un préjudice distinct mais de même montant.

La SARL Auvergne Packaging réplique que la SAS O-I France ne démontre ni déloyauté qui lui serait imputable ni préjudice en résultant.

Réponse de la cour

En application des articles 1103, 1104 et 1194 du code civil (anciennement 1134) applicables au litige en vertu de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprenant quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.

Si la faute de la SARL Auvergne Packaging, qui a dissimulé une information décisive puisqu'elle touchait à la pérennité des relations et a rompu brutalement et sans motif légitime les relations contractuelles qui reposaient, en l'absence d'écrit, sur un contrat verbal à durée indéterminée, est acquise, la SAS O-I France n'explique pas la nature du préjudice dont elle poursuit la réparation. Même en admettant qu'il soit moral, elle ne fournit pas le moindre élément permettant d'en apprécier la réalité et la consistance.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires reconventionnelles de la SAS O-I France.

4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant, la SARL Auvergne Packaging, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS O-I France la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Dit que la déclaration d'appel complétée d'une annexe est régulière et que l'effet dévolutif a joué sans restriction ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SARL Auvergne Packaging au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SARL Auvergne Packaging à payer à la SAS O-I France la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Auvergne Packaging à supporter les entiers dépens d'appel.