CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 2 octobre 2024, n° 22/13389
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Dessert (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohee
Avocats :
Me Sion, Me Passa
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [M] [U] est le gérant de la société Hun [U] qui exploite, depuis le 27 mars 2006, un restaurant à l'enseigne « [7] » situé à [Localité 9].
Il est titulaire de la marque verbale française « [7] » n°3378650 (n°650) déposée le 6 septembre 2005, enregistrée et renouvelée, pour désigner en classe 43 notamment des « services de restauration (alimentation) ; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ».
La société Delessert, immatriculée depuis le 11 juin 2020, ayant pour activité la restauration traditionnelle, exploite un restaurant à l'enseigne « [7] » situé à [Localité 11].
Elle a déposé le 19 novembre 2020 la marque verbale française « [7] » n°4703273 (n°273), pour désigner des produits et services en classes 29, 30 et 43, et notamment dans cette dernière classe, des « services de restauration (alimentation) ; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ; mise à disposition de terrains de camping ».
Ayant appris en mai 2021 l'ouverture par la société Delessert du restaurant « [7] », M. [M] [U] et la société Hun [U] l'ont mise en demeure, en vain, par courrier recommandé de leur conseil du 8 juin 2021, de cesser toute exploitation du signe « [7] » pour désigner son activité de restauration, toute utilisation du code couleur vert en association avec le signe « [7] » et de renoncer auprès de l'INPI à sa marque « [7] » n°4703273.
Le 2 octobre 2021, M. [M] [U] et la société Hun [U] ont fait procéder à un constat d'huissier sur internet, en particulier sur le site internet « www.[06].fr », sur le compte Instagram « [06] » et sur le compte Facebook « [06] ».
C'est dans ces circonstances que par acte d'huissier du 13 octobre 2021, M. [M] [U] et la société Hun [U] ont fait assigner la société Delessert devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marque, en nullité de marque et en concurrence déloyale et parasitisme.
La société Delessert était constituée en première instance mais n'a pas conclu.
Par jugement contradictoire rendu le 24 mai 2022, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris :
dit qu'en utilisant le signe « [7] » à titre d'enseigne ainsi que sur son site internet « www.[06].fr », sur son compte Instagram « [06] » et sur son compte Facebook « [06] », la société Delessert a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque verbale française « [7] » n°3378650 dont M. [M] [U] est titulaire ;
condamne en conséquence la SAS Delessert à payer à Monsieur [M] [U], à titre de dommages et intérêts, la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice économique et la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de la contrefaçon ;
fait interdiction à la SAS Delessert d'utiliser dans la vie des affaires, sur le territoire français, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, y compris à titre d'enseigne, le signe « [7] » pour offrir ou fournir des services de restauration et de bar, et ce à l'expiration du délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, l'astreinte courant pendant 180 jours ;
dit que le tribunal se réserve la liquidation de l'astreinte ;
dit que la marque verbale française « [7] » n°4703273 déposée le 19 novembre 2020, dont la SAS Delessert est titulaire, porte atteinte à la marque verbale française antérieure « [7] » n°3378650 déposée le 6 septembre 2005, dont M. [M] [U] est titulaire, pour les « services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire ; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ; mise à disposition de terrains de camping » visés en classe 43 ;
prononce en conséquence la nullité de la marque verbale française « [7] » n°4703273, déposée le 19 novembre 2020, pour les « services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire ; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ; mise à disposition de terrains de camping » visés en classe 43 ;
dit que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise à l'Institut national de la propriété industrielle aux fins d'inscription au registre national des marques à l'initiative de la partie la plus diligente ;
déboute M. [M] [U] de sa demande en nullité de la marque verbale française « [7] » n°4703273 pour les produits visés en classes 29 et 30 ;
déboute la société Hun [U] de l'ensemble de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
condamne la SAS Delessert à payer à M. [M] [U] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
déboute la société Hun [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamne la SAS Delessert aux dépens ;
rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
La société SAS DELESSERT a interjeté appel de ce jugement le 12 juillet 2022.
Par ordonnance du 14 décembre 2022, le premier président délégataire a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Par ordonnance du 14 mars 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation pour non-exécution.
Par ordonnance du 10 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande fixation d'une nouvelle astreinte provisoire.
Dans ses dernières conclusions, transmises le 28 mars 2024, la société Delessert demande à la cour de :
Déclarer la société SAS DELESSERT recevable et bien fondée en son appel et en ses prétentions.
Juger irrecevable monsieur [M] [U] en son action en contrefaçon formée contre la Société DELESSERT sur le fondement de la marque « [7] » n°3378650 en application des dispositions de l'article L716-4-3 du code de la propriété intellectuelle.
Prononcer la déchéance des droits de monsieur [U] sur la sa marque « [7] » n°3378650, les effets de la déchéance remontant à l'expiration du délai de 5 ans à compter de la publication de l'enregistrement de la marque, soit au 14 octobre 2010 en application des dispositions de l'article L714-5 du code de la propriété intellectuelle.
INFIRMER le jugement rendu par la 3ème Chambre de la 3ème section du Tribunal judiciaire de Paris en date du 24 mai 2022, (RG 21/12943) en ce qu'il :
DIT qu'en utilisant le signe « [7] » à titre d'enseigne ainsi que sur son site internet , sur son compte Instagram « [06] » et sur son compte Facebook « [06] », la SAS DELESSERT a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque verbale française « [7] » n°3378650 dont Monsieur [M] [U] est titulaire ;
CONDAMNE en conséquence la SAS DELESSERT à payer à monsieur [M] [U], à titre de dommages et intérêts, la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice économique et la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de la contrefaçon ;
FAIT INTERDICTION à la SAS DELESSERT d'utiliser dans la vie des affaires, sur le territoire français, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, y compris à titre d'enseigne, le signe « [7] » pour offrir ou fournir des services de restauration et de bar, et ce à l'expiration du délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, l'astreinte courant pendant 180 jours ;
DIT que le tribunal se réserve la liquidation de l'astreinte ;
CONDAMNE la SAS DELESSERT à payer à monsieur [M] [U] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS DELESSERT aux dépens ;
ET STATUANT A NOUVEAU :
DÉBOUTER monsieur [M] [U] et la société SARL HUN [U] de l'ensemble de leurs demandes, fins, prétentions et conclusions ;
SUR L'APPEL INCIDENT DE LA SOCIÉTÉ HUN [U] :
CONFIRMER le jugement rendu par la 3ème Chambre de la 3ème section du Tribunal judiciaire de Paris en date du 24 mai 2022, en ce qu'il a débouté la SARL HUN [U] de l'ensemble de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
DEBOUTER la société HUN [U] et monsieur [M] [U] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
Sur les demandes complémentaires de Monsieur [M] [U] :
- À titre principal, DECLARER Monsieur [M] [U] irrecevable en ses demandes de 24.000 euros en réparation de son prétendu préjudice économique et 8.000 euros en réparation de son prétendu préjudice moral ;
- À titre subsidiaire, DEBOUTER Monsieur [M] [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Sur la demande de liquidation d'astreinte de Monsieur [M] [U] :
- À titre principal, DEBOUTER Monsieur [M] [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- À titre subsidiaire, LIQUIDER l'astreinte à la somme d'un euro symbolique. DIRE ET JUGER qu'il n'y a pas lieu à ordonner une astreinte à l'encontre de la société DELESSERT ;
DEBOUTER la société HUN [U] et Monsieur [M] [U] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER in solidum Monsieur [M] [U] et la société SARL HUN [U] à verser à la société SAS DELESSERT la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre le paiement des entiers dépens, pour les frais engagés tant au titre de la première instance qu'au titre de la présente procédure d'appel.
Dans leurs conclusions signifiées par RPVA le 25 mars 2024, M. [M] [U] et la société Hun [U], demandent à la cour de :
JUGER recevable la demande en contrefaçon de la marque [7] n° 3378650 formée par M. [U] en raison de l'usage sérieux qui en a été fait, dans les cinq ans précédant cette demande, pour les services de restauration et les services de bars pour lesquels cette demande a été formée ;
REJETER, comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée, la demande reconventionnelle en déchéance de la marque [7] n° 3378650, formée par la société DELESSERT ;
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné la société DELESSERT pour contrefaçon de la marque [7] n° 3378650 dont M. [U] est titulaire, en tant qu'elle désigne les « services de restauration (alimentation) ; services de bars » ;
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a admis l'existence d'un préjudice économique subi par M. [U], titulaire de la marque contrefaite, et, statuant à nouveau,
CONDAMNER la société DELESSERT à verser à M. [U] la somme, complémentaire, de 35 000 euros en réparation de son préjudice économique ;
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a admis l'existence d'un préjudice moral subi par M. [U], titulaire de la marque contrefaite, et, statuant à nouveau,
CONDAMNER la société DELESSERT à verser à M. [U] la somme, complémentaire, de 11 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a annulé la marque [7] n° 4703273 de la société DELESSERT pour l'ensemble des services suivants en classe 43 : « services de restauration (alimentation) ; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ; hébergement temporaire ; réservation de logements temporaires; mise à disposition de terrains de camping » ;
INFIRMER le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en concurrence déloyale de la société HUN [U] ;
et statuant à nouveau, CONDAMNER la société DELESSERT à verser à la société HUN [U] la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice, ainsi qu'à cesser tout usage du terme « [7] » dans l'exercice de son activité de restauration et de bar, sous astreinte de 600 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 30 jours débutant lors de la signification de l'arrêt ;
LIQUIDER l'astreinte fixée par le jugement et selon les modalités prévues par celui-ci, soit à hauteur de 500 euros x 180 jours = 90 000 euros, et CONDAMNER en conséquence la société DELESSERT à verser cette somme à M. [U] ;
CONDAMNER la société DELESSERT, au titre de ses actes de contrefaçon de marque, à cesser toute exploitation du terme « [7] » en lien avec ses activités de restauration et de bars et, à cet égard, ORDONNER une nouvelle astreinte, définitive, de 800 euros par jour de retard, l'astreinte courant pendant 200 jours à compter de l'expiration d'un délai de 30 jours débutant au jour de la signification de l'arrêt ;
CONDAMNER la société DELESSERT à verser à M. [U], au titre des frais irrépétibles qu'il a dû engager pour la réalisation des constats de commissaire de justice sur le site internet de la société DELESSERT, la somme de 1 846 euros ;
CONDAMNER la société DELESSERT à verser à M. [U], au titre des frais irrépétibles qu'il a dû engager au cours de la présente procédure d'appel pour la défense de ses intérêts, la somme de 18 000 euros (s'ajoutant à celle accordée à ce titre par le tribunal), et à la société HUN [U], la somme de 9 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER la société DELESSERT aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Jérôme PASSA sur ses seules affirmations de droit, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les chefs du jugement non contestés en appel
La cour constate que le jugement n'est pas contesté en appel en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque verbale française « [7] » n°4703273 pour les « services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire ; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ; mise à disposition de terrains de camping » visés en classe 43, en ce qu'il a débouté M. [M] [U] de sa demande en nullité de la marque verbale française « [7] » n°4703273 pour les produits visés en classe 29 et 30, et en ce qu'il a débouté la société Hun [U] de ses demandes au titre du parasitisme.
Sur la recevabilité de la demande en déchéance de la marque « [7] » n°650
M. [U] soutient que la demande reconventionnelle en déchéance, qui n'a pas été formée au dispositif des premières conclusions d'appel, se distingue d'un moyen de défense de sorte qu'elle est irrecevable sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile prescrivant une concentration de toutes les prétentions dans les premières conclusions d'appel.
La société Delessert fait valoir que les demandes reconventionnelles, qui se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant, sont recevables en appel ; que M. [U] et la société Hun [U] ont assigné en contrefaçon sur le fondement de la marque n°650 de sorte que la demande en déchéance de ladite marque est recevable.
Sur ce,
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.
En application de l'article 910-4 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les premières conclusions d'appel, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, et l'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
En l'espèce, la demande reconventionnelle de prononcer la déchéance des droits de M. [U] sur la marque n°650 dont il est titulaire, est une demande au fond, dont il est constant qu'elle n'a pas été formée dans les premières conclusions d'appel de la société Delessert. Elle ne peut, en outre, être qualifiée de prétention destinée à faire écarter les prétentions adverses ou à faire juger les questions nées de la survenance ou de la révélation d'un fait, au sens de l'article 564 susvisé, alors que la marque en cause est dans le débat depuis l'origine de l'instance et qu'à titre de moyen de défense à l'action en contrefaçon est opposée une fin de non-recevoir pour défaut d'usage, dont la recevabilité n'est pas contestée. La demande de prononcer la déchéance des droits de M.[U] sur la marque « [7] » n° 650 sera donc déclarée irrecevable en application de l'article 910-4 susvisé.
Sur la recevabilité de M. [U] à agir en contrefaçon sur le fondement de la marque n°650
La société Delessert fait valoir que la marque [7] n°650 est exploitée pour un unique restaurant à [Localité 9], et qu'elle n'est donc pas exploitée pour des « Services de bars. Service de traiteur. Services hôteliers » ; que M. [U] est donc irrecevable à agir pour lesdits services ; que le titulaire de la marque contestée fait usage de son signe sur la devanture de son unique restaurant et que cet usage a pour seul but d'identifier son local commercial ; que le signe est perçu comme identifiant un nom commercial ou une enseigne, mais non comme une marque ; qu'au surplus les services de restauration sont des services de consommation courante supposant une exploitation importante qui ne peut être limitée à un seul établissement au cours des 15 années suivant le dépôt, ce qui ne constitue pas un usage sérieux ; que la communication autour de la marque est limitée, la page instagram n'ayant que 548 followers, seuls deux articles étant produits en 2015 hors période de référence et la publication sur le guide Le petit futé ne démontrant pas une exploitation en tant que marque ; que le fait d'exploiter sa marque pendant 17 ans dans un unique établissement dont la connaissance par le public n'excède pas le quartier, ne constitue pas un usage sérieux ; que M. [U] est donc irrecevable.
M. [U] soutient que la marque n°650 a fait l'objet d'un usage sérieux, normal dans le secteur économique en cause ; que les éléments de preuve doivent être pris dans leur ensemble et de manière indépendante ; qu'il atteste de l'usage de la marque pour des services de restauration et des services de bar ; qu'un service, et spécialement ici un service de restauration, ne peut être revêtu de la marque et que l'usage de celle-ci pour ce service ne peut se faire qu'à travers l'enseigne de l'établissement, ou le nom commercial, de celui qui fournit ce service ; qu'un usage comme nom commercial peut constituer un usage à titre de marque propre à préserver les droits du titulaire ; qu'il suffit qu'un lien puisse être établi par le public concerné entre le signe utilisé comme nom commercial ou enseigne et les produits ou services fournis par l'exploitant concerné ;
que l'usage sérieux est l'usage considéré comme justifié dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des services protégés par la marque ; que dans le secteur économique des restaurants (et des bars), les acteurs économiques exploitent, dans la grande majorité des cas, un seul établissement sous le même nom ; que la marque [7] a fait l'objet d'usages promotionnels sur le site internet du restaurant et sur son compte Instagram, ainsi que d'usages dans des publications diffusées sur tout le territoire national.
Sur ce,
Conformément à l'article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux en France pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée et qu'il n'existe pas de justes motifs de non-usage.
L'article L.716-3-1 du même code prévoit que la preuve de l'exploitation incombe au titulaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La cour constate qu'il n'est pas contesté que la période pertinente court du 13 octobre 2021 au 13 octobre 2016.
La cour rappelle qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci dans la vie des affaires, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque.
Dans son arrêt Céline du 11 septembre 2007, la CJUE, alors CJCE, a dit pour droit que, si une dénomination sociale, un nom commercial, ou une enseigne n'ont pas en soi pour finalité de distinguer des produits et services, puisqu'ils ont pour objet d'identifier une société ou signaler un fonds de commerce, il doit être considéré qu'il y a usage pour des produits ou services lorsque ce tiers appose le signe constituant sa dénomination sociale, son nom commercial ou son enseigne sur les produits qu'il commercialise, et, même en l'absence d'apposition, s'il utilise le signe de telle façon que s'établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par ce tiers.
En l'espèce, pour justifier de l'usage sérieux de sa marque pour des services de restauration et service de bars, M. [U] produit :
un article de presse du printemps 2015, qui ne doit pas être exclu au seul motif qu'il est légèrement antérieur à la période de référence, consacré au restaurant [7] et indiquant qu'il propose à une clientèle d'affaires une carte traditionnelle dans un cadre cosy ;
le Guide « Le Petit Fûté », [Localité 10] -Ile de France, 2019-2020, ainsi que le Guide 2020 des Maîtres Cuisiniers de France comprenant une présentation du restaurant [7] et renvoyant à son site [8].fr ;
le blog internet spécialisé « Greta Garbure », juin 2021, présentant « [7], excellent restaurant bistrot à [Localité 9] » ;
des extraits du site internet [7].fr, présentant les menus proposés par le restaurant et comprenant des photographies des assiettes du restaurant sur lesquelles est apposé le signe « [7] » ;
un article de presse, assorti d'une photo de la façade du restaurant sur laquelle est apposée le signe [7], en date de mars 2019 ;
de nombreux devis et factures portant le signe [7] pour les années 2018 à 2021 ;
des captures d'écran du site archive.org, faisant apparaître la page d'accueil du site www.[8].fr du restaurant telle qu'elle était accessible en août 2017, février 2018, août et novembre 2020.
Etant rappelé qu'un service de restauration ne peut être revêtu de la marque en tant que tel, la cour constate que l'usage du signe « [7] », qui est l'enseigne et le nom commercial du restaurant, notamment dans les guides, sur la devanture du restaurant, sur les assiettes dans lesquelles sont servis les plats à la clientèle, est un usage à titre de marque pour des services de restauration, le public visé établissant un lien entre le signe « [7] » et le service de restauration fourni par le restaurant [7].
En outre, étant rappelé que l'usage de la marque peut être minime, à condition qu'il ne soit ni sporadique ni symbolique car destiné au seul maintien des droits sur la marque, et que le caractère sérieux de l'usage s'apprécie au regard du secteur économique en cause, en l'espèce les services de restauration, il y a lieu de juger, au vu des pièces susvisées, que la preuve d'un usage régulier non sporadique ni symbolique de la marque [7] pour des services de restauration, et donc d'un usage sérieux au sens des dispositions susvisées, est rapportée.
L'irrecevabilité soulevée par la société Delessert sera donc rejetée.
Sur la contrefaçon
La société Delessert fait valoir qu'elle utilise toujours la marque [7] avec les termes [Localité 10] ou [Localité 12] ; que le nom de domaine est [06].fr ; que les signes en cause ne présentent donc pas une similitude suffisante pour engendrer un risque de confusion ; que le risque de confusion est exclu lorsque les signes coïncident dans un élément faiblement distinctif ; qu'il n'y a pas de contrefaçon.
M. [U] soutient qu'il existe une identité ou à tout le moins une très forte similitude entre la marque verbale [7] et le signe litigieux [7] ; que c'est bien le signe [7] qui a été déposé à titre de marque ; que la différence est insignifiante de sorte qu'il s'agit d'un signe identique à la marque verbale [7] ; qu'en tout état de cause les services sont identiques et le risque de confusion constitué, les éléments géographiques « [Localité 10] » et « [Localité 12] » inscrits en plus petits caractères et de manière détachée ne remettant pas en cause la comparaison à opérer et l'existence du risque de confusion.
Sur ce,
L'article L. 713-1 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle dispose que l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu'il a désignés.
Aux termes de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1° d'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2° d'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.
Selon l'article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues à l'article L. 713-2 du même code.
Un signe est identique à la marque lorsqu'il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu'elles peuvent passer inaperçues aux yeux du consommateur moyen (CJCE, 20 mars 2003, LTJ Diffusion, C-291/00, point 54).
Les signes en présence en appel sont d'un côté la marque « [7] » et de l'autre, principalement, les signes « [7] [Localité 10] [Localité 12] » et « [7] [Localité 12] », la société Delessert utilisant sur la devanture du restaurant, son compte Google, sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram et Tripadvisor le signe « [7] [Localité 10] [Localité 12] » même si la taille des caractères des signes « [Localité 10] [Localité 12] » peut être parfois plus petite, ou « [7] [Localité 12] » utilisé dans son nom de domaine, la marque « [7] » initialement déposée par la société Delessert ayant été annulée et la société Delessert n'ayant pas fait appel de cette annulation qui est donc devenue définitive.
Tous les éléments constituant la marque ne sont pas reproduits dans les signes incriminés, en particulier le « L' » , étant en outre rajoutées les différences relatives à l'adjonction des termes « [Localité 10] [Localité 12] » ou « [Localité 12] » dans les signes litigieux, ces différences visuelle et phonétique n'étant pas insignifiantes et ne passant donc pas inaperçues aux yeux du consommateur moyen. Le tribunal a donc justement retenu que la contrefaçon par reproduction n'était pas caractérisée.
Le signe critiqué ne constituant pas la reproduction à l'identique de la marque opposée, il convient de rechercher s'il n'existe pas entre les signes en cause un risque de confusion, lequel comprend le risque d'association, qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des signes en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants au regard du consommateur normalement informé, lequel est en l'espèce le grand public, consommateur de services de restauration, qui fera preuve d'un niveau d'attention moyen.
Visuellement comme phonétiquement, la marque antérieure et les signes incriminés ont en commun le terme « [7] » mais diffèrent tant dans l'attaque du fait de la présence de l'article « L' » dans la marque opposée, que dans la finale, les signes litigieux se terminant par « [Localité 12] » et dans le nombre de mots (un article et un mot pour la marque opposée, et deux ou trois pour les signes incriminés).
Intellectuellement, la marque opposée « [7] » évoque un amour passager ou bien l'anisette qui était autrefois fabriquée à [Localité 9], d'où l'article défini « L' », ainsi que cela est indiqué dans la présentation du restaurant [7] faite sur les guides et dans l'extrait de blog produits par M. [U]. Le signe litigieux « [7] [Localité 10] [Localité 12] » évoque un amour passager ainsi que sa localisation dans un quartier bien connu du [Localité 1] de [Localité 10].
Enfin s'agissant de la prise en compte des éléments distinctifs et dominants, la marque opposée est une marque verbale composée d'un seul terme « [7] » dans lequel l'article défini « L' » n'est pas insignifiant, et les signes critiqués sont composés de deux ou trois termes « [7] [Localité 10] [Localité 12] » ou « [7] [Localité 12] » dans lesquels les termes « [Localité 10] » et « [Localité 12] », qui renseignent le consommateur sur la localisation du restaurant, ne sont pas négligeables pour le consommateur de services de restauration.
La cour rappelle que l'appréciation globale du risque de confusion doit se fonder sur l'impression d'ensemble produite par les signes, et ne peut être menée sur la seule base d'un élément dominant qu'à la condition que tous les autres composants de la marque soient négligeables (Com 22 mars 2023 -21-23367).
Il s'infère en définitive de la comparaison visuelle, phonétique et intellectuelle des signes en présence, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, une impression d'ensemble suffisamment différente pour exclure un risque de confusion dans l'esprit du public visé, qui a une attention moyenne, de sorte qu'il ne sera pas fondé à considérer les signes litigieux qui divergent tant visuellement que phonétiquement et conceptuellement de la marque opposée comme une déclinaison de cette dernière, et à attribuer aux services de restauration en cause, nonobstant leur identité, une origine commune, ni à les associer comme provenant d'entreprises économiquement liées.
La demande sur le fondement de la contrefaçon de marque sera rejetée. Le jugement sera infirmé sur ce point ainsi que sur les mesures d'interdiction et de condamnation en paiement de dommages-intérêts prononcées sur le fondement de la contrefaçon.
Sur demande fondée sur la concurrence déloyale
La société Hun [U] fait valoir qu'elle exploite, à titre de nom commercial et d'enseigne le signe « [7] » pour son restaurant établi à [Localité 9] ; que l'activité de la société Delessert crée la confusion avec son activité de restauration ; qu'en outre depuis de nombreuses années, elle utilise, dans le cadre de l'exploitation de son restaurant, un code couleur spécifique vert/vert d'eau qui contribue à identifier auprès de la clientèle les services qu'elle propose, en association avec la marque [7] ; que la société Delessert a repris le même code couleur vert sur le rebord de ses propres assiettes, sur les chaises en rotin et sur son compte instagram ; que ces agissements créent un risque de confusion avec le nom commercial et l'enseigne.
La société Delessert fait valoir que la société Hun [U] ne peut reprocher à une autre société d'utiliser la couleur verte qui n'est pas appropriable.
Sur ce,
L'action en concurrence déloyale, fondée sur l'article 1240 du code civil, qui doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, exige la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
En l'espèce, la société Hun [U] allègue un risque de confusion ou une banalisation de son enseigne, sans le démontrer, le fait que la société Delessert, utilise une couleur verte pour sa communication ne démontrant aucun risque de confusion fautif, la société Hun [U] étant tout aussi défaillante à faire la démonstration d'un préjudice de ce fait.
Les demandes fondées sur la concurrence déloyale seront donc rejetées. Le jugement sera infirmé de ce chef.
M. [U] et la société [U], ayant succombé dans leurs prétentions sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, il n'y a pas lieu à faire droit à leurs demandes au titre de l'astreinte.
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque verbale « [7] » n°4703273 pour les « services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire ; services de bars ; services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ; mise à disposition de terrains de camping » visés en classe 43, en ce qu'il a débouté M. [M] [U] de sa demande en nullité de la marque verbale française « [7] » n°4703273 pour les produits visés en classe 29 et 30, en ce qu'il a débouté la société Hun [U] de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme, et en ce qu'il a condamné la société Delessert aux dépens et à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de déchéance de la marque « [7] » n°3378650 formée par la société Delessert,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Delessert et dit M. [U] recevable à agir en contrefaçon,
Déboute M. [M] [U] de toutes ses demandes,
Condamne M. [M] [U] et la société Hun [U] aux dépens d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à verser à ce titre, pour les frais irrépétibles d'appel, une somme de 5 000 euros.