Décisions
CA Angers, ch. a - civ., 1 octobre 2024, n° 20/01750
ANGERS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
LE/LD
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 20/01750 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EXTL
Jugement du 1 septembre 2020
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance : 17/02811
ARRET DU 1er OCTOBRE 2024
APPELANT :
Monsieur [G] [I]
né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 14] (93)
[Adresse 8]
[Localité 5]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2020/006511 du 10/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d'ANGERS)
Représenté par Me Mélanie CHATELAIS substituant Me Hamid KADDOURI, avocats au barreau d'ANGERS - N° du dossier 1881
INTIMES :
Monsieur [V] [U]
né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 15]
[Adresse 12]
[Localité 7]
Représenté par Me Frédéric BOUTARD de la SCP LALANNE - GODARD - BOUTARD - SIMON - GIBAUD, avocat postulant au barreau du MANS - N° du dossier 20201169 et par Me Arnaud LEDRU, avocat plaidant au barreau de BEAUVAIS
Monsieur [R] [T]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 11]
[Adresse 4]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. SARTHE MANDATAIRE société immatriculée au RCS du MANS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Tous deux représentés par Me Philippe RANGE de la SELARL LEXCAP, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 22380101 et par Me Timothée DE HEAULME, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 28 mai 2024 à 14 H 00, Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Monsieur WOLFF, conseiller
Madame ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Madame GNAKALE
Greffier lors du prononcé : Monsieur DA CUNHA
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 1er octobre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente et par Tony DA CUNHA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Courant 2006, M. [G] [I] et Mme [Z] [M], sont devenus propriétaires indivis d'un ensemble immobilier, comprenant notamment une maison d'habitation et diverses parcelles de terres, sis [Localité 13] à [Localité 10] (72). Cette opération immobilière a été partiellement financée par un prêt accordé par le Crédit Mutuel d'[Localité 9] et garanti par une hypothèque.
Par acte du 27 septembre 2006, une déclaration d'insaisissabilité de cet immeuble a été reçue par Me [V] [U], qui a réalisé les formalités de publicité qui y étaient liées.
Aux termes d'un jugement du 27 avril 2010, le tribunal de commerce du Mans a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de M. [I], artisan notamment en couverture-zinguerie.
Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire suivant jugement du 8 mars 2011, la SELARL Sarthe Mandataire, aujourd'hui nommée SELARL MJ Corp, prise en la personne de Me [T], étant désignée en qualité de liquidateur.
Suivant acte sous seing privé du 22 août , M. [I] et Mme [M] ont consenti à M. [W] et Mme [K] une promesse de vente portant sur leur bien immobilier indivis (pour un prix de 165.000 euros).
La réitération authentique fixée au 9 novembre 2012 n'a pu intervenir, le notaire ayant été avisé de l'existence de la procédure collective.
Par requête déposée le 12 novembre 2012, portant les sceaux et accords du débiteur et de la propriétaire indivise, le liquidateur judiciaire a demandé au juge-commissaire de l'autoriser à céder l'actif immobilier dépendant de la liquidation judiciaire.
Par ordonnance du 15 novembre 2012, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur judiciaire à céder l'immeuble et précisé les conditions de cette cession.
Les 22 et 23 novembre 2012, le liquidateur judiciaire, le débiteur, la propriétaire indivise et les acquéreurs ont acquiescé à cette ordonnance.
La réitération authentique de la vente est finalement intervenue au rapport de Me [U] le 23 novembre 2012, le prix de 165.000 euros a été payé comptant et a permis le désintéressement du créancier inscrit, le notaire a adressé au liquidateur judiciaire la moitié du solde du prix de vente, celui-ci l'ayant par la suite distribué.
Considérant que les notaire et liquidateur n'avaient pas respecté les obligations qui étaient les leurs au regard de l'existence d'une déclaration d'insaisissabilité, par exploits du 9 novembre 2017, M. [I] a fait assigner la SELARL Sarthe Mandataire, Me [T] ainsi que Me [U] devant le tribunal de grande instance d'Angers aux fins d'obtenir leur condamnation au paiement d'une somme de 50.000 euros au titre des préjudices matériel et financier subis outre 10.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Suivant jugement du 1er septembre 2020, le tribunal judiciaire d'Angers a :
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi,
- débouté M. [I] du surplus de ses demandes,
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté Me [U] de ses demandes contre Me [T] et la SELARL Sarthe mandataire,
- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile pour le surplus,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné Me [U] aux dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le premier juge a repris la chronologie ci-avant mentionnée et a observé que :
- le débiteur n'a formé aucune observation quant à la saisine du juge commissaire aux fins d'autorisation de cession de l'immeuble, pas plus qu'il n'a fait état dans ce cadre de la déclaration d'insaisissabilité portant sur ce même bien,
- aucun recours n'a été formé contre l'ordonnance du juge commissaire,
- les pressions invoquées par le demandeur quant au contreseing de la requête ne peuvent être établies par la seule attestation de celle qui était la compagne du débiteur,
- la volonté des vendeurs indivis de réitérer la cession est démontrée.
Dans ces conditions, il a été retenu que la cession était intervenue dans un cadre amiable de sorte qu'il n'était pas possible de 'retenir l'existence d'une faute de
Me [R] [T] de la SELARL (...), mandataire liquidateur qui représentait le débiteur. M. [G] [I] dans ses écritures à son encontre ne critique que la diligence à mettre en oeuvre la procédure de distribution sans justifier d'une quelconque contestation sur les opérations effectuées. Aucune faute ne peut davantage être relevée contre le notaire qui dans les conditions de l'opération était tenu de faire intervenir le mandataire liquidateur alors que dans le cadre de la vente amiable engagée, la déclaration d'insaisissabilité n'était plus opérante'. Cependant, il a été rappelé que le notaire ayant instrumenté la vente litigieuse était également celui qui avait reçu la déclaration d'insaisissabilité de sorte qu'il a été considéré qu'il n'avait 'pas pleinement informé M. [I] de son droit à remploi [article 526-3 du Code de commerce] même si le contexte de la vente et le comportement taisant de l'intéressé n'a pas facilité l'exercice de ce droit' et cela alors même que le notaire ne versait pas 'au débat la déclaration d'insaisissabilité du 27 septembre 2006 permettant de vérifier si ses mentions font clairement état du droit de remploi'. Il a donc été retenu un manquement du notaire à ses obligations de conseil.
Suivant déclaration déposée au greffe le 9 décembre 2020, M. [I] a fait appel du jugement en ce qu'il a condamné Me [U] à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi, l'a débouté du surplus de ses demandes et a rejeté l'exécution provisoire, intimant dans ce cadre le notaire, le mandataire judiciaire ainsi que sa société d'exercice.
Par conclusions du 1er avril 2021, le notaire a formé appel incident de cette même décision.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 2024 et l'audience de plaidoirie fixée au 28 mai de la même année conformément aux prévisions d'un avis du 22 février 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 23 avril 2024, au visa des articles 1240 du Code civil, L.641-9, L.814-3 et suivants du Code de commerce ainsi que 700, 901 et suivants du Code de procédure civile, M. [I] demande à la présente juridiction de :
- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer fondé,
- déclarer irrecevables les conclusions et pièces déposées le 23 avril 2024 par la SELARL MJ Corp et Me [T],
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* a condamné Me [U] à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi,
* l'a débouté du surplus de ses demandes,
* a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamner la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] d'une part, et Me [U] d'autre part, à lui payer in solidum la somme de 50.000 euros au titre de la réparation de son préjudice économique, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision,
- condamner la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] d'une part, et Me [U] d'autre part, à lui payer in solidum la somme de 15.000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision,
- condamner la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] d'une part, et Me [U] d'autre part, à lui payer in solidum la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de l'article 39 de la loi de 1991 sur l'aide juridictionnelle sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision, à charge pour lui de renoncer à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridique,
- condamner les parties aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 23 avril 2024, la SELARL MJ Corp et M. [T] demandent à la présente juridiction de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* débouté M. [I] de ses demandes contre les concluants,
* débouté Me [U] de son appel en garantie,
- débouter M. [I] et Me [U] de toutes demandes formées à leur encontre,
Subsidiairement :
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé la perte de chance de M. [I] à 20.000 euros et dire que celle-ci est inexistante, subsidiairement très faible,
- condamner Me [U] à les garantir de l'ensemble des condamnations susceptibles d'êtres mises à leur charge au profit de M. [I],
- en cas de condamnation in solidum, fixer la part contributive de Me [U] à 100% dans les rapports entre co-obligés,
En toute hypothèse :
- condamner M. [I], subsidiairement Me [U], à payer à chacun des concluants la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens.
Les prétentions ainsi formulées correspondent à celles qui étaient déjà formées par ces intimés au sein de leurs écritures du 3 juin 2021.
Aux termes de ses uniques écritures d'intimé déposées le 1er avril 2021, M. [U] demande à la présente juridiction de :
- infirmer le jugement entrepris, lequel a retenu sa responsabilité et l'a condamné à verser à M. [I] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- dire et juger qu'il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. [I] en se dessaisissant des fonds entre les mains du mandataire liquidateur, dessaisissement qui mettait un terme à son devoir de conseil à l'égard de M. [I] quant à l'utilisation des fonds,
- débouter M. [I] de sa demande d'infirmation partielle du jugement visant à ce qu'il lui soit alloué des indemnités de 50.000 euros et 15.000 euros en réparation de ses préjudices,
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour viendrait à confirmer le jugement qui a retenu sa responsabilité :
- confirmer le jugement qui a considéré que le préjudice de M. [I] était constitué de la perte d'une chance et l'a débouté de sa demande au titre du préjudice moral, l'infirmer en ce qu'il a considéré que la perte de chance pouvait être fixée à 20.000 euros,
- dire et juger que M. [I] ne rapporte pas la preuve du caractère réel et sérieux d'une hypothétique chance de se porter acquéreur dans l'année qui a suivi la vente de son immeuble, d'un autre immeuble au prix de 44.728 euros et le débouter de sa demande d'indemnité pour préjudice matériel ainsi que de celle qu'il présente en indemnisation de son préjudice moral faute pour ce dernier d'établir la preuve de l'existence et du lien de causalité de ce préjudice,
Encore plus subsidiairement sur le montant du préjudice matériel :
- infirmer le jugement rendu et dire et juger que la chance perdue par
M. [I] de se porter acquéreur, dans l'année de la vente de l'immeuble indivis, d'un autre immeuble au prix de 44.728 euros n'est que de 25% et ramener son préjudice matériel à la somme de 11.000 euros,
Toujours subsidiairement :
- dans l'hypothèse où la cour retiendrait sa responsabilité, infirmer le jugement rendu lequel a débouté Me [I] de sa demande en garantie contre la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T],
- dire et juger que la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] devront le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, tant en principal frais et accessoires et débouter Me [T] et la SELARL Sarthe Mandataire de toute demande contraire,
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour viendrait à retenir sa responsabilité et ne ferait pas droit à sa demande visant à être garanti intégralement de toute condamnation par Me [T] et la SELARL Sarthe Mandataire :
- procéder au partage des responsabilités entre les professionnels et dire et juger que sa quote-part de responsabilité ne saurait être supérieure à 30% et débouter Me [T] et la SELARL Sarthe Mandataire de toute demande contraire,
En toute hypothèse,
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a condamné à verser à M. [I] une indemnité en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et lui a laissé la charge des dépens,
- débouter M. [I] de sa demande d'indemnités en application de l'article 700 du Code de procédure civile et le condamner à lui verser une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en 1ère instance et devant la cour,
- laisser les dépens de 1ère instance et de la procédure devant la cour à la charge de M. [I] et subsidiairement, dire et juger que les dépens seront supportés par la partie qui succombera.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions ci-dessus mentionnées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des dernières écritures et pièces communiquées par le mandataire intimé :
En droit, les articles 15 et 16 du Code de procédure civile disposent notamment que : 'Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense',
'Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement (...)'.
Aux termes de ses dernières écritures, M. [I] rappelle que l'ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2024 et que les parties en avaient été avisées le 22 février précédent. A ce titre, il souligne qu'en suite de cet avis, ses contradicteurs ont produit de nouvelles écritures ainsi que deux nouvelles pièces, la veille de la clôture et plus de deux ans après ses dernières conclusions.
Les intimés n'ont formé aucune observation à ce titre.
Sur ce :
En l'espèce, il doit être souligné qu'antérieurement au mois d'avril courant, les dernières écritures déposées dataient du mois de janvier 2022, le mandataire et sa société d'exercice intimés ayant dernièrement conclu le 3 juin 2021, l'appelant y ayant répondu le 18 janvier 2022.
Cependant et alors même que l'avis de clôture et de fixation a été adressé le 22 février 2024, les intimés ont communiqué de nouvelles écritures le 23 avril suivant. Or ces nouvelles conclusions, si elles ne modifient pas sensiblement l'argumentaire développé, n'emportent pour autant pas moins commentaires de deux nouvelles pièces transmises dans les mêmes conditions de délai et correspondant à des documents datant de 2010 et 2011 (dont les intimés disposaient dès ces dates).
Une telle production, plus de deux ans après le dernier dépôt d'écritures, la veille de la clôture, ne peut aucunement s'analyser en une communication en temps utile par les intimés tant des moyens de fait et de droit sur lesquels ils fondent leurs prétentions, que des éléments de preuve qu'ils transmettent, permettant à leur contradicteur d'organiser sa défense, quand bien même celui-ci a pu prendre quelques lignes d'écritures pour exposer cette difficulté.
Dans ces conditions, les écritures déposées courant avril 2024 par les intimés doivent être déclarées irrecevables ainsi que les pièces qu'ils ont communiquées dans les mêmes conditions de délai et numérotées 8 et 9.
Sur les demandes principales :
En droit, l'article 1382 du Code civil en sa version applicable dispose que : 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
Aux termes de ses écritures l'appelant affirme que 'la cession du bien immobilier en date du 9 novembre 2012 a été interrompue par l'intervention de Me [T], liquidateur judiciaire' qui ne pouvait 'ignorer [la] déclaration notariée d'insaisissabilité puisqu'elle figurait très clairement en marge de l'extrait du Répertoire des Métiers' lui étant relatif. Il soutient donc que le mandataire 'a manifestement commis une erreur de droit en intégrant ledit bien litigieux au sein de l'assiette du droit de gage général des créanciers'.
Concernant le notaire, l'appelant soutient que son contradicteur 'a commis une erreur grossière en refusant d'instrumenter la vente au prétexte que le requérant ne lui aurait pas fait part de la liquidation, laquelle était sans aucune incidence sur la vente, précisément puisque la maison d'habitation faisait l'objet d'une déclaration notariée d'insaisissabilité' qu'il avait lui-même reçue. Ainsi l'appelant affirme qu'il n'existait pas d'obstacle à ce que la vente soit constatée en la forme authentique dès le 9 novembre 2012, comme initialement prévu, ce qui lui aurait permis de recevoir le produit de cette cession.
S'agissant des arguments qui lui sont opposés et notamment le fait qu'il n'ait pas avisé les intimés de l'existence de cette déclaration, il indique que 'cet élément est parfaitement indifférent, précisément puisqu'aucune disposition législative ou réglementaire n'attache de sanction à cette absence de déclaration dans le cadre d'une telle situation'. En tout état de cause, quand bien même cette situation pouvait être imputée à faute, l'appelant observe que comportement ne décharge aucunement le notaire de ses propres obligations.
Concernant les conditions de réalisation de la vente, l'appelant indique qu'en suite de l'échec de la cession initiale, l'acquiescement figurant à cette opération 'apparaît manifestement empreint d'une violence psychologique'. A ce titre, il affirme que le mandataire a manifestement tiré profit de la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvaient les vendeurs (financement d'une nouvelle acquisition immobilière pour Mme [M] et menace de déchéance du terme du prêt souscrit pour financer les travaux de l'immeuble vendu pour lui-même). Il soutient donc que le consentement à la vente n'était aucunement libre et éclairé soulignant qu'en sa qualité de profane, il ne pouvait s'opposer à la pression subie de la part des deux professionnels du droit, de sorte qu'il conteste le caractère amiable de la cession invoqué par ses contradicteurs affirmant donc que son consentement à cette vente était vicié.
A défaut de reconnaissance de cette situation de violence psychologique, l'appelant indique que les intimés ont manqué à leur devoir de conseil et/ou d'information dès lors qu'ils ne l'ont pas avisé pour l'un 'de sa possibilité d'intervenir auprès de Me [T] (...), afin que soit remployé le produit de la vente de sa maison d'habitation' et pour les autres 'sur son droit de remploi', possibilité que le notaire a admis dans un courrier du 27 juin 2016, soit postérieurement à l'expiration du délai d'un an.
Sur son préjudice matériel, l'appelant indique que 'l'empêchement de la vente initiale prévue le 9 novembre 2012 [l'a] privé de la perception des fonds qui auraient dû lui revenir pour sa moitié indivise' soit 165.000€/2 = 82.500 euros desquels doit être déduite la somme de 10.000 euros correspondant à sa charge de remboursement de prêt soit 72.500 euros.
Enfin, l'appelant souligne avoir 'multiplié les tentatives afin que soit reconnue sa situation face à des professionnels d'une mauvaise foi évidente, c'est la raison pour laquelle, [il] apparaît bien fondé à solliciter la somme de 15.000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral'.
Aux termes de leurs écritures recevables, le mandataire judiciaire et sa société d'exercice indiquent que l'appelant, dessaisi en application de l'article L.641-9 du Code de commerce, ne pouvait céder son bien sans l'intervention du liquidateur. Au surplus, ils soulignent que leur contradicteur a dissimulé l'existence de la procédure collective au notaire instrumentant la vente qui n'en a été avisé que par le prêteur créancier hypothécaire. Les intimés soutiennent donc que le notaire était fondé à refuser de recevoir l'acte le 9 novembre 2012. Ainsi le mandataire précise avoir informé le notaire qu'une autorisation du juge commissaire était nécessaire. Par suite et dans le cadre de la procédure suivie devant cette juridiction, les intimés observent que l'appelant avait 'admis qu'une ordonnance du juge commissaire était nécessaire et [n'avait] élevé aucune contestation quant à l'intervention à l'acte de son liquidateur judiciaire ès qualités, ainsi que sur le versement à son profit de la moitié du prix correspondant à sa part indivise'. Le juge commissaire a rendu son ordonnance le 15 novembre 2012 à laquelle l'ensemble des parties a acquiescé (actes des 22 et 23 novembre 2012). Or cette ordonnance précise notamment que la moitié du solde du prêt hypothécaire prise sur la part de Mme [M] serait versée entre les mains du mandataire, à charge pour lui de répartir. Dans ces conditions, les intimés soutiennent que 'du fait de son acquiescement à l'ordonnance, M. [I] n'est pas fondé à soutenir aujourd'hui qu'il aurait dû en être autrement, dès lors qu'il a fait part définitivement de son accord sur la remise de sa part indivise du prix à Me [T] en vue de sa répartition au profit de ses créanciers'. Ainsi, les intimés soulignent qu'ils ne peut leur être fait grief d'avoir exécuté un ordonnance devenue définitive du juge commissaire. Au demeurant ils observent que l'appelant n'a jamais fait état de la déclaration d'insaisissabilité pas plus qu'il n'en a sollicité la mise en oeuvre à son profit adoptant de fait un comportement contraire et renonçant donc au bénéfice de cette déclaration. Par ailleurs, ils indiquent que les pressions qui leurs sont imputées ne sont pas démontrées.
Sur le préjudice et le lien de causalité, les intimés observent que l'appelant n'aurait aucunement pu percevoir de manière immédiate sa 'portion' de prix de cession, dès lors que ces sommes auraient été remises au liquidateur pour versement au compte caisse des dépôts, ce qui a été le cas. Ainsi les seules prétentions qui auraient pu être présentées par le débiteur au titre de sa quote-part de prix, portent sur une conservation de ces sommes pendant une durée d'un an aux fins de lui permettre dans ce laps de temps d'acquérir une nouvelle résidence principale. Or la perte de chance de remployer ces sommes n'est aucunement établie par l'appelant.
Aux termes de ses uniques écritures le notaire intimé rappelle que les échéances du prêt ayant financé les travaux de l'immeuble cédé n'étaient plus honorées de sorte que la déchéance du terme était encourue. Par ailleurs, il souligne que la propriétaire indivise de l'immeuble s'était d'ores et déjà portée acquéreuse d'un autre immeuble et souhaitait donc percevoir promptement sa part du prix de cession aux fins de financement de cette nouvelle acquisition. Il précise de plus que l'appelant ne pouvait céder ses droits immobiliers indivis sans intervention du liquidateur judiciaire. Ainsi il soutient que 'l'existence d'une procédure collective dont M. [I] était l'objet, combinée à l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité au Crédit Mutuel, lequel avait déclaré sa créance au mandataire liquidateur, entraînait nécessairement [qu'il] remette les fonds à Me [T] afin qu'il procède à leur consignation, [le notaire] devant de surcroît faire intervenir à l'acte Me [T]'. Au demeurant, il souligne avoir agi conformément aux prévisions de l'ordonnance du juge commissaire. A ce titre, le notaire intimé rappelle que si le remploi de la portion du prix de vente destinée au débiteur déconfit n'était pas réalisé dans l'année de la cession, 'les fonds revenaient au créancier de la procédure collective, ce qui impliquait nécessairement que la consignation de ces derniers soit faite entre les mains de Me [T]'. Dans ces conditions et au regard des termes de l'acte authentique lui donnant mission de remettre partie des fonds au liquidateur, le notaire considère qu'il appartenait à celui-ci 'de remettre une partie du prix au (...) créancier hypothécaire (...) et pour le surplus de maintenir les fonds à la Caisse des Dépôts (...) en informant
M. [I] d'une possibilité de remploi du solde de la somme dans un délai d'un an'.
Ainsi le notaire conclut en indiquant 'qu'il n'a commis aucun manquement en faisant intervenir à l'acte de vente Me [T] mandataire liquidateur et en lui remettant la quotepart de prix revenant à M. [G] [I], à charge pour lui de désintéresser le Crédit Mutuel créancier hypothécaire ayant déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective, créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité était inopposable, Me [T] devant consigner le surplus des fonds et ce conformément à l'ordonnance rendue par M. le juge commissaire près du tribunal de commerce du Mans et aux stipulations de l'acte de vente'.
En outre l'officier ministériel intimé soutient que le comportement des vendeurs est 'largement à l'origine de leur situation'. Ainsi, l'appelant qui lui a dissimulé l'existence d'une procédure collective ne peut invoquer sa propre turpitude. A ce titre, le notaire observe que ce n'est qu'en suite d'une estimation du bien dans le cadre de la procédure collective que celui-ci a été vendu. Le notaire précise donc que si le compromis mentionnait la procédure collective, les formalités de réitération authentique n'auraient pas été ainsi précipitées, urgence liée à une menace de déchéance du terme et d'un besoin de financement. En tout état de cause, le notaire souligne que cette cession était voulue par le couple qui se séparait et dont l'un des coindivisaires avait notamment besoin de fonds. Enfin le notaire souligne que la vente était parfaite avant même son intervention au regard des engagements pris hors sa présence.
Subsidiairement et sur le préjudice invoqué, le notaire rappelle qu'après déduction de la créance du prêteur la quote-part de prix revenant à l'appelant s'élevait à 44.728 euros (82.500€ - 37.772,64€) de sorte qu'en aucun cas, il ne lui aurait été possible de prétendre à la remise d'une somme de 50.000 euros. Au surplus, l'intimé souligne que la perte de chance de remployer les sommes n'est ni réelle ni sérieuse dès lors que si l'information invoquée lui avait été délivrée 'plusieurs situations se seraient alors offertes à lui :
- soit dans l'année qui a suivi la vente (...), il n'aurait pu acquérir un immeuble et sa situation aurait été la même (...) [distribution des fonds par le liquidateur]
- soit dans l'année qui a suivi la vente (...) il aurait trouvé un immeuble à acheter d'une valeur supérieure à 44.728 euros, hypothèse peu probable car il était en liquidation judiciaire de sorte que dans cette situation la déclaration d'insaisissabilité n'aurait pu être reportée que sur 44.728 euros et le mandataire aurait pu poursuivre la vente forcée de l'immeuble nouvellement acquis pour le surplus,
- soit il aurait, dans l'année qui a suivi la vente (...), acquis un immeuble d'une valeur de 44.728 euros et l'insaisissabilité aurait alors été reportée sur le dit immeuble'.
Or l'intimé observe que l'appelant ne démontre aucunement qu'il lui était possible de se porter acquéreur d'un immeuble pour un tel prix.
Sur ce :
Liminairement il doit être souligné que les parties ne contestent aucunement le fait que la déclaration d'insaisissabilité litigieuse ait été correctement régularisée de sorte que le mandataire intimé ainsi que sa société d'exercice ne sont aucunement fondés à faire état de l'absence d'information à ce titre par le débiteur, cette formalité leur étant opposable.
Par ailleurs et s'agissant des fautes qui auraient été commises par les intimés, saisissant de manière erronée le juge commissaire aux fins d'autorisation de cession, il doit être souligné que ce manquement est présenté par l'intimé comme lui ayant causé un préjudice en ce qu'à défaut d'intervention de cet organe juridictionnel, le solde du prix de cession lui aurait été remis.
Cependant, il doit être souligné que cette absence de remise des fonds à l'appelant ne peut aucunement être considérée comme résultant de l'ordonnance litigieuse ou même de la saisine du juge commissaire. En effet, s'il n'est aucunement contesté que l'insaisissabilité litigieuse se reporte sur le prix de la cession des droits dont disposait le débiteur sur ce même immeuble, ce 'report' est conditionné au remploi des sommes ainsi perçues à l'acquisition, par le bénéficiaire de la déclaration, d'un immeuble où est fixée sa nouvelle résidence principale.
En effet l'article L.526-3 du Code de commerce en sa version applicable prévoyait que : 'En cas de cession des droits immobiliers désignés dans la déclaration initiale, le prix obtenu demeure insaisissable à l'égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de cette déclaration à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant, sous la condition du remploi dans le délai d'un an des sommes à l'acquisition par le déclarant d'un immeuble où est fixée sa résidence principale.
Les droits sur la résidence principale nouvellement acquise restent insaisissables à la hauteur des sommes réemployées à l'égard des créanciers visés au premier alinéa lorsque l'acte d'acquisition contient une déclaration de remploi des fonds'.
Il résulte de ce texte que passé ce délai d'un an sans remploi, le prix redevient saisissable et partant relève du droit de gage général des créanciers de la procédure collective.
Dans ces conditions et en suite de la vente litigieuse, que le bien ait été cédé le 9 ou le 23 novembre 2012 avec ou sans intervention du juge commissaire, il ne peut qu'être retenu que la portion de prix revenant à l'appelant, sauf à encourir un risque de distraction des sommes au préjudice des créanciers de la procédure collective, ne lui aurait pas été remise, un tiers devant nécessairement être missionné aux fins de répartition.
Il n'existe donc aucun lien de causalité entre les manquements invoqués par l'appelant s'agissant de la saisine du juge commissaire et le préjudice qu'il invoque.
Partant les conditions de l'acquiescement à cette décision (existence éventuelle d'une violence psychologique) sont également sans lien avec le préjudice invoqué, dès lors que même à supposer que l'intervention du juge commissaire ait été superfétatoire, l'appelant ne pouvait disposer immédiatement du solde du prix de cession.
Sur l'information de l'existence d'une possibilité de remploi des sommes perçues et le fait que celles-ci aient été réparties de manière particulièrement précipitée par le liquidateur, il doit être souligné que les intimés exposent valablement que le préjudice en lien de causalité avec ces manquements s'analyse en une perte de chance de pouvoir faire usage, dans l'année suivant la cession, du fruit de cette vente pour acquérir un nouvel immeuble exclusivement affecté à la résidence principale du débiteur.
S'agissant des sommes revenant à l'appelant, il doit être souligné que si la vente s'est faite moyennant un prix de 165.000 euros soit 82.500 euros par coindivisaire, il n'en demeure pas moins que l'acte authentique expose clairement que 'la moitié des sommes dues au Crédit Mutuel' s'élève à 37.772,64 euros de sorte que
M. [I] ne pouvait aucunement prétendre à la perception d'une somme de 50.000 euros.
Au surplus, s'agissant de sa situation eut-il été avisé de sa possibilité de remploi des sommes, le défaut d'information à ce titre n'étant aucunement contesté, il doit être rappelé qu'il appartient au demandeur en réparation de démontrer la réalité de la perte de chance qu'il invoque et partant la disparition par la faute des intimés, de la probabilité de récupérer le solde du prix.
Or, il ne produit aucune pièce établissant qu'il lui était possible moyennant une somme de moins de 50.000 euros d'acquérir un nouvel immeuble à usage de résidence principale.
En effet et à défaut d'acquisition pour le montant exact des sommes devenues insaisissables, l'immeuble nouvellement acquis se trouvait soumis aux poursuites diligentées par les organes de la procédure collective de sorte qu'une telle acquisition ainsi que le relève le notaire est dénuée de tout intérêt.
Il en résulte que l'appelant ne démontre aucunement l'existence d'une perte de chance de distraire quelque somme que ce soit du droit de gage général de tous ses créanciers (personnels, professionnels, antérieurs ou postérieurs à la déclaration d'insaisissabilité).
Enfin, s'agissant du préjudice moral invoqué, au regard des développements qui précèdent il ne peut aucunement être considéré que le refus des intimés de '[reconnaître] la situation' de l'appelant soit fautive.
Dans ces conditions, la décision de première instance doit être infirmée mais uniquement en ce qu'elle a condamné le notaire au paiement d'une somme de 20.000 euros, l'ensemble des demandes indemnitaires formées par l'appelant devant être rejeté.
Sur les demandes accessoires :
L'appelant qui succombe doit être condamné aux dépens de sorte que les dispositions du jugement au titre de ces frais et de la condamnation au titre des frais irrépétibles doivent être infirmées.
Enfin, l'équité commande de rejeter l'ensemble des demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DECLARE irrecevables les conclusions et pièces numérotées 8 et 9, déposées par le mandataire judiciaire et sa société d'exercice le 23 avril 2024 ;
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire d'Angers mais uniquement en celles de ses dispositions ayant :
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi,
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné Me [U] aux dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
et, dans les limites de sa saisine, le CONFIRME pour le surplus ;
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
REJETTE les demandes en réparation formées par M. [G] [I] ;
REJETTE l'ensemble des demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [G] [I] aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
T. DA CUNHA C. MULLER
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
LE/LD
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 20/01750 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EXTL
Jugement du 1 septembre 2020
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANGERS
n° d'inscription au RG de première instance : 17/02811
ARRET DU 1er OCTOBRE 2024
APPELANT :
Monsieur [G] [I]
né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 14] (93)
[Adresse 8]
[Localité 5]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2020/006511 du 10/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d'ANGERS)
Représenté par Me Mélanie CHATELAIS substituant Me Hamid KADDOURI, avocats au barreau d'ANGERS - N° du dossier 1881
INTIMES :
Monsieur [V] [U]
né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 15]
[Adresse 12]
[Localité 7]
Représenté par Me Frédéric BOUTARD de la SCP LALANNE - GODARD - BOUTARD - SIMON - GIBAUD, avocat postulant au barreau du MANS - N° du dossier 20201169 et par Me Arnaud LEDRU, avocat plaidant au barreau de BEAUVAIS
Monsieur [R] [T]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 11]
[Adresse 4]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. SARTHE MANDATAIRE société immatriculée au RCS du MANS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Tous deux représentés par Me Philippe RANGE de la SELARL LEXCAP, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 22380101 et par Me Timothée DE HEAULME, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 28 mai 2024 à 14 H 00, Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Monsieur WOLFF, conseiller
Madame ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Madame GNAKALE
Greffier lors du prononcé : Monsieur DA CUNHA
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 1er octobre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente et par Tony DA CUNHA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Courant 2006, M. [G] [I] et Mme [Z] [M], sont devenus propriétaires indivis d'un ensemble immobilier, comprenant notamment une maison d'habitation et diverses parcelles de terres, sis [Localité 13] à [Localité 10] (72). Cette opération immobilière a été partiellement financée par un prêt accordé par le Crédit Mutuel d'[Localité 9] et garanti par une hypothèque.
Par acte du 27 septembre 2006, une déclaration d'insaisissabilité de cet immeuble a été reçue par Me [V] [U], qui a réalisé les formalités de publicité qui y étaient liées.
Aux termes d'un jugement du 27 avril 2010, le tribunal de commerce du Mans a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de M. [I], artisan notamment en couverture-zinguerie.
Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire suivant jugement du 8 mars 2011, la SELARL Sarthe Mandataire, aujourd'hui nommée SELARL MJ Corp, prise en la personne de Me [T], étant désignée en qualité de liquidateur.
Suivant acte sous seing privé du 22 août , M. [I] et Mme [M] ont consenti à M. [W] et Mme [K] une promesse de vente portant sur leur bien immobilier indivis (pour un prix de 165.000 euros).
La réitération authentique fixée au 9 novembre 2012 n'a pu intervenir, le notaire ayant été avisé de l'existence de la procédure collective.
Par requête déposée le 12 novembre 2012, portant les sceaux et accords du débiteur et de la propriétaire indivise, le liquidateur judiciaire a demandé au juge-commissaire de l'autoriser à céder l'actif immobilier dépendant de la liquidation judiciaire.
Par ordonnance du 15 novembre 2012, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur judiciaire à céder l'immeuble et précisé les conditions de cette cession.
Les 22 et 23 novembre 2012, le liquidateur judiciaire, le débiteur, la propriétaire indivise et les acquéreurs ont acquiescé à cette ordonnance.
La réitération authentique de la vente est finalement intervenue au rapport de Me [U] le 23 novembre 2012, le prix de 165.000 euros a été payé comptant et a permis le désintéressement du créancier inscrit, le notaire a adressé au liquidateur judiciaire la moitié du solde du prix de vente, celui-ci l'ayant par la suite distribué.
Considérant que les notaire et liquidateur n'avaient pas respecté les obligations qui étaient les leurs au regard de l'existence d'une déclaration d'insaisissabilité, par exploits du 9 novembre 2017, M. [I] a fait assigner la SELARL Sarthe Mandataire, Me [T] ainsi que Me [U] devant le tribunal de grande instance d'Angers aux fins d'obtenir leur condamnation au paiement d'une somme de 50.000 euros au titre des préjudices matériel et financier subis outre 10.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Suivant jugement du 1er septembre 2020, le tribunal judiciaire d'Angers a :
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi,
- débouté M. [I] du surplus de ses demandes,
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté Me [U] de ses demandes contre Me [T] et la SELARL Sarthe mandataire,
- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile pour le surplus,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné Me [U] aux dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le premier juge a repris la chronologie ci-avant mentionnée et a observé que :
- le débiteur n'a formé aucune observation quant à la saisine du juge commissaire aux fins d'autorisation de cession de l'immeuble, pas plus qu'il n'a fait état dans ce cadre de la déclaration d'insaisissabilité portant sur ce même bien,
- aucun recours n'a été formé contre l'ordonnance du juge commissaire,
- les pressions invoquées par le demandeur quant au contreseing de la requête ne peuvent être établies par la seule attestation de celle qui était la compagne du débiteur,
- la volonté des vendeurs indivis de réitérer la cession est démontrée.
Dans ces conditions, il a été retenu que la cession était intervenue dans un cadre amiable de sorte qu'il n'était pas possible de 'retenir l'existence d'une faute de
Me [R] [T] de la SELARL (...), mandataire liquidateur qui représentait le débiteur. M. [G] [I] dans ses écritures à son encontre ne critique que la diligence à mettre en oeuvre la procédure de distribution sans justifier d'une quelconque contestation sur les opérations effectuées. Aucune faute ne peut davantage être relevée contre le notaire qui dans les conditions de l'opération était tenu de faire intervenir le mandataire liquidateur alors que dans le cadre de la vente amiable engagée, la déclaration d'insaisissabilité n'était plus opérante'. Cependant, il a été rappelé que le notaire ayant instrumenté la vente litigieuse était également celui qui avait reçu la déclaration d'insaisissabilité de sorte qu'il a été considéré qu'il n'avait 'pas pleinement informé M. [I] de son droit à remploi [article 526-3 du Code de commerce] même si le contexte de la vente et le comportement taisant de l'intéressé n'a pas facilité l'exercice de ce droit' et cela alors même que le notaire ne versait pas 'au débat la déclaration d'insaisissabilité du 27 septembre 2006 permettant de vérifier si ses mentions font clairement état du droit de remploi'. Il a donc été retenu un manquement du notaire à ses obligations de conseil.
Suivant déclaration déposée au greffe le 9 décembre 2020, M. [I] a fait appel du jugement en ce qu'il a condamné Me [U] à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi, l'a débouté du surplus de ses demandes et a rejeté l'exécution provisoire, intimant dans ce cadre le notaire, le mandataire judiciaire ainsi que sa société d'exercice.
Par conclusions du 1er avril 2021, le notaire a formé appel incident de cette même décision.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 2024 et l'audience de plaidoirie fixée au 28 mai de la même année conformément aux prévisions d'un avis du 22 février 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 23 avril 2024, au visa des articles 1240 du Code civil, L.641-9, L.814-3 et suivants du Code de commerce ainsi que 700, 901 et suivants du Code de procédure civile, M. [I] demande à la présente juridiction de :
- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer fondé,
- déclarer irrecevables les conclusions et pièces déposées le 23 avril 2024 par la SELARL MJ Corp et Me [T],
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* a condamné Me [U] à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi,
* l'a débouté du surplus de ses demandes,
* a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamner la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] d'une part, et Me [U] d'autre part, à lui payer in solidum la somme de 50.000 euros au titre de la réparation de son préjudice économique, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision,
- condamner la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] d'une part, et Me [U] d'autre part, à lui payer in solidum la somme de 15.000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision,
- condamner la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] d'une part, et Me [U] d'autre part, à lui payer in solidum la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de l'article 39 de la loi de 1991 sur l'aide juridictionnelle sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision, à charge pour lui de renoncer à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridique,
- condamner les parties aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 23 avril 2024, la SELARL MJ Corp et M. [T] demandent à la présente juridiction de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* débouté M. [I] de ses demandes contre les concluants,
* débouté Me [U] de son appel en garantie,
- débouter M. [I] et Me [U] de toutes demandes formées à leur encontre,
Subsidiairement :
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé la perte de chance de M. [I] à 20.000 euros et dire que celle-ci est inexistante, subsidiairement très faible,
- condamner Me [U] à les garantir de l'ensemble des condamnations susceptibles d'êtres mises à leur charge au profit de M. [I],
- en cas de condamnation in solidum, fixer la part contributive de Me [U] à 100% dans les rapports entre co-obligés,
En toute hypothèse :
- condamner M. [I], subsidiairement Me [U], à payer à chacun des concluants la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens.
Les prétentions ainsi formulées correspondent à celles qui étaient déjà formées par ces intimés au sein de leurs écritures du 3 juin 2021.
Aux termes de ses uniques écritures d'intimé déposées le 1er avril 2021, M. [U] demande à la présente juridiction de :
- infirmer le jugement entrepris, lequel a retenu sa responsabilité et l'a condamné à verser à M. [I] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- dire et juger qu'il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. [I] en se dessaisissant des fonds entre les mains du mandataire liquidateur, dessaisissement qui mettait un terme à son devoir de conseil à l'égard de M. [I] quant à l'utilisation des fonds,
- débouter M. [I] de sa demande d'infirmation partielle du jugement visant à ce qu'il lui soit alloué des indemnités de 50.000 euros et 15.000 euros en réparation de ses préjudices,
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour viendrait à confirmer le jugement qui a retenu sa responsabilité :
- confirmer le jugement qui a considéré que le préjudice de M. [I] était constitué de la perte d'une chance et l'a débouté de sa demande au titre du préjudice moral, l'infirmer en ce qu'il a considéré que la perte de chance pouvait être fixée à 20.000 euros,
- dire et juger que M. [I] ne rapporte pas la preuve du caractère réel et sérieux d'une hypothétique chance de se porter acquéreur dans l'année qui a suivi la vente de son immeuble, d'un autre immeuble au prix de 44.728 euros et le débouter de sa demande d'indemnité pour préjudice matériel ainsi que de celle qu'il présente en indemnisation de son préjudice moral faute pour ce dernier d'établir la preuve de l'existence et du lien de causalité de ce préjudice,
Encore plus subsidiairement sur le montant du préjudice matériel :
- infirmer le jugement rendu et dire et juger que la chance perdue par
M. [I] de se porter acquéreur, dans l'année de la vente de l'immeuble indivis, d'un autre immeuble au prix de 44.728 euros n'est que de 25% et ramener son préjudice matériel à la somme de 11.000 euros,
Toujours subsidiairement :
- dans l'hypothèse où la cour retiendrait sa responsabilité, infirmer le jugement rendu lequel a débouté Me [I] de sa demande en garantie contre la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T],
- dire et juger que la SELARL Sarthe Mandataire et Me [T] devront le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, tant en principal frais et accessoires et débouter Me [T] et la SELARL Sarthe Mandataire de toute demande contraire,
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour viendrait à retenir sa responsabilité et ne ferait pas droit à sa demande visant à être garanti intégralement de toute condamnation par Me [T] et la SELARL Sarthe Mandataire :
- procéder au partage des responsabilités entre les professionnels et dire et juger que sa quote-part de responsabilité ne saurait être supérieure à 30% et débouter Me [T] et la SELARL Sarthe Mandataire de toute demande contraire,
En toute hypothèse,
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a condamné à verser à M. [I] une indemnité en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et lui a laissé la charge des dépens,
- débouter M. [I] de sa demande d'indemnités en application de l'article 700 du Code de procédure civile et le condamner à lui verser une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en 1ère instance et devant la cour,
- laisser les dépens de 1ère instance et de la procédure devant la cour à la charge de M. [I] et subsidiairement, dire et juger que les dépens seront supportés par la partie qui succombera.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions ci-dessus mentionnées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des dernières écritures et pièces communiquées par le mandataire intimé :
En droit, les articles 15 et 16 du Code de procédure civile disposent notamment que : 'Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense',
'Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement (...)'.
Aux termes de ses dernières écritures, M. [I] rappelle que l'ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2024 et que les parties en avaient été avisées le 22 février précédent. A ce titre, il souligne qu'en suite de cet avis, ses contradicteurs ont produit de nouvelles écritures ainsi que deux nouvelles pièces, la veille de la clôture et plus de deux ans après ses dernières conclusions.
Les intimés n'ont formé aucune observation à ce titre.
Sur ce :
En l'espèce, il doit être souligné qu'antérieurement au mois d'avril courant, les dernières écritures déposées dataient du mois de janvier 2022, le mandataire et sa société d'exercice intimés ayant dernièrement conclu le 3 juin 2021, l'appelant y ayant répondu le 18 janvier 2022.
Cependant et alors même que l'avis de clôture et de fixation a été adressé le 22 février 2024, les intimés ont communiqué de nouvelles écritures le 23 avril suivant. Or ces nouvelles conclusions, si elles ne modifient pas sensiblement l'argumentaire développé, n'emportent pour autant pas moins commentaires de deux nouvelles pièces transmises dans les mêmes conditions de délai et correspondant à des documents datant de 2010 et 2011 (dont les intimés disposaient dès ces dates).
Une telle production, plus de deux ans après le dernier dépôt d'écritures, la veille de la clôture, ne peut aucunement s'analyser en une communication en temps utile par les intimés tant des moyens de fait et de droit sur lesquels ils fondent leurs prétentions, que des éléments de preuve qu'ils transmettent, permettant à leur contradicteur d'organiser sa défense, quand bien même celui-ci a pu prendre quelques lignes d'écritures pour exposer cette difficulté.
Dans ces conditions, les écritures déposées courant avril 2024 par les intimés doivent être déclarées irrecevables ainsi que les pièces qu'ils ont communiquées dans les mêmes conditions de délai et numérotées 8 et 9.
Sur les demandes principales :
En droit, l'article 1382 du Code civil en sa version applicable dispose que : 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
Aux termes de ses écritures l'appelant affirme que 'la cession du bien immobilier en date du 9 novembre 2012 a été interrompue par l'intervention de Me [T], liquidateur judiciaire' qui ne pouvait 'ignorer [la] déclaration notariée d'insaisissabilité puisqu'elle figurait très clairement en marge de l'extrait du Répertoire des Métiers' lui étant relatif. Il soutient donc que le mandataire 'a manifestement commis une erreur de droit en intégrant ledit bien litigieux au sein de l'assiette du droit de gage général des créanciers'.
Concernant le notaire, l'appelant soutient que son contradicteur 'a commis une erreur grossière en refusant d'instrumenter la vente au prétexte que le requérant ne lui aurait pas fait part de la liquidation, laquelle était sans aucune incidence sur la vente, précisément puisque la maison d'habitation faisait l'objet d'une déclaration notariée d'insaisissabilité' qu'il avait lui-même reçue. Ainsi l'appelant affirme qu'il n'existait pas d'obstacle à ce que la vente soit constatée en la forme authentique dès le 9 novembre 2012, comme initialement prévu, ce qui lui aurait permis de recevoir le produit de cette cession.
S'agissant des arguments qui lui sont opposés et notamment le fait qu'il n'ait pas avisé les intimés de l'existence de cette déclaration, il indique que 'cet élément est parfaitement indifférent, précisément puisqu'aucune disposition législative ou réglementaire n'attache de sanction à cette absence de déclaration dans le cadre d'une telle situation'. En tout état de cause, quand bien même cette situation pouvait être imputée à faute, l'appelant observe que comportement ne décharge aucunement le notaire de ses propres obligations.
Concernant les conditions de réalisation de la vente, l'appelant indique qu'en suite de l'échec de la cession initiale, l'acquiescement figurant à cette opération 'apparaît manifestement empreint d'une violence psychologique'. A ce titre, il affirme que le mandataire a manifestement tiré profit de la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvaient les vendeurs (financement d'une nouvelle acquisition immobilière pour Mme [M] et menace de déchéance du terme du prêt souscrit pour financer les travaux de l'immeuble vendu pour lui-même). Il soutient donc que le consentement à la vente n'était aucunement libre et éclairé soulignant qu'en sa qualité de profane, il ne pouvait s'opposer à la pression subie de la part des deux professionnels du droit, de sorte qu'il conteste le caractère amiable de la cession invoqué par ses contradicteurs affirmant donc que son consentement à cette vente était vicié.
A défaut de reconnaissance de cette situation de violence psychologique, l'appelant indique que les intimés ont manqué à leur devoir de conseil et/ou d'information dès lors qu'ils ne l'ont pas avisé pour l'un 'de sa possibilité d'intervenir auprès de Me [T] (...), afin que soit remployé le produit de la vente de sa maison d'habitation' et pour les autres 'sur son droit de remploi', possibilité que le notaire a admis dans un courrier du 27 juin 2016, soit postérieurement à l'expiration du délai d'un an.
Sur son préjudice matériel, l'appelant indique que 'l'empêchement de la vente initiale prévue le 9 novembre 2012 [l'a] privé de la perception des fonds qui auraient dû lui revenir pour sa moitié indivise' soit 165.000€/2 = 82.500 euros desquels doit être déduite la somme de 10.000 euros correspondant à sa charge de remboursement de prêt soit 72.500 euros.
Enfin, l'appelant souligne avoir 'multiplié les tentatives afin que soit reconnue sa situation face à des professionnels d'une mauvaise foi évidente, c'est la raison pour laquelle, [il] apparaît bien fondé à solliciter la somme de 15.000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral'.
Aux termes de leurs écritures recevables, le mandataire judiciaire et sa société d'exercice indiquent que l'appelant, dessaisi en application de l'article L.641-9 du Code de commerce, ne pouvait céder son bien sans l'intervention du liquidateur. Au surplus, ils soulignent que leur contradicteur a dissimulé l'existence de la procédure collective au notaire instrumentant la vente qui n'en a été avisé que par le prêteur créancier hypothécaire. Les intimés soutiennent donc que le notaire était fondé à refuser de recevoir l'acte le 9 novembre 2012. Ainsi le mandataire précise avoir informé le notaire qu'une autorisation du juge commissaire était nécessaire. Par suite et dans le cadre de la procédure suivie devant cette juridiction, les intimés observent que l'appelant avait 'admis qu'une ordonnance du juge commissaire était nécessaire et [n'avait] élevé aucune contestation quant à l'intervention à l'acte de son liquidateur judiciaire ès qualités, ainsi que sur le versement à son profit de la moitié du prix correspondant à sa part indivise'. Le juge commissaire a rendu son ordonnance le 15 novembre 2012 à laquelle l'ensemble des parties a acquiescé (actes des 22 et 23 novembre 2012). Or cette ordonnance précise notamment que la moitié du solde du prêt hypothécaire prise sur la part de Mme [M] serait versée entre les mains du mandataire, à charge pour lui de répartir. Dans ces conditions, les intimés soutiennent que 'du fait de son acquiescement à l'ordonnance, M. [I] n'est pas fondé à soutenir aujourd'hui qu'il aurait dû en être autrement, dès lors qu'il a fait part définitivement de son accord sur la remise de sa part indivise du prix à Me [T] en vue de sa répartition au profit de ses créanciers'. Ainsi, les intimés soulignent qu'ils ne peut leur être fait grief d'avoir exécuté un ordonnance devenue définitive du juge commissaire. Au demeurant ils observent que l'appelant n'a jamais fait état de la déclaration d'insaisissabilité pas plus qu'il n'en a sollicité la mise en oeuvre à son profit adoptant de fait un comportement contraire et renonçant donc au bénéfice de cette déclaration. Par ailleurs, ils indiquent que les pressions qui leurs sont imputées ne sont pas démontrées.
Sur le préjudice et le lien de causalité, les intimés observent que l'appelant n'aurait aucunement pu percevoir de manière immédiate sa 'portion' de prix de cession, dès lors que ces sommes auraient été remises au liquidateur pour versement au compte caisse des dépôts, ce qui a été le cas. Ainsi les seules prétentions qui auraient pu être présentées par le débiteur au titre de sa quote-part de prix, portent sur une conservation de ces sommes pendant une durée d'un an aux fins de lui permettre dans ce laps de temps d'acquérir une nouvelle résidence principale. Or la perte de chance de remployer ces sommes n'est aucunement établie par l'appelant.
Aux termes de ses uniques écritures le notaire intimé rappelle que les échéances du prêt ayant financé les travaux de l'immeuble cédé n'étaient plus honorées de sorte que la déchéance du terme était encourue. Par ailleurs, il souligne que la propriétaire indivise de l'immeuble s'était d'ores et déjà portée acquéreuse d'un autre immeuble et souhaitait donc percevoir promptement sa part du prix de cession aux fins de financement de cette nouvelle acquisition. Il précise de plus que l'appelant ne pouvait céder ses droits immobiliers indivis sans intervention du liquidateur judiciaire. Ainsi il soutient que 'l'existence d'une procédure collective dont M. [I] était l'objet, combinée à l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité au Crédit Mutuel, lequel avait déclaré sa créance au mandataire liquidateur, entraînait nécessairement [qu'il] remette les fonds à Me [T] afin qu'il procède à leur consignation, [le notaire] devant de surcroît faire intervenir à l'acte Me [T]'. Au demeurant, il souligne avoir agi conformément aux prévisions de l'ordonnance du juge commissaire. A ce titre, le notaire intimé rappelle que si le remploi de la portion du prix de vente destinée au débiteur déconfit n'était pas réalisé dans l'année de la cession, 'les fonds revenaient au créancier de la procédure collective, ce qui impliquait nécessairement que la consignation de ces derniers soit faite entre les mains de Me [T]'. Dans ces conditions et au regard des termes de l'acte authentique lui donnant mission de remettre partie des fonds au liquidateur, le notaire considère qu'il appartenait à celui-ci 'de remettre une partie du prix au (...) créancier hypothécaire (...) et pour le surplus de maintenir les fonds à la Caisse des Dépôts (...) en informant
M. [I] d'une possibilité de remploi du solde de la somme dans un délai d'un an'.
Ainsi le notaire conclut en indiquant 'qu'il n'a commis aucun manquement en faisant intervenir à l'acte de vente Me [T] mandataire liquidateur et en lui remettant la quotepart de prix revenant à M. [G] [I], à charge pour lui de désintéresser le Crédit Mutuel créancier hypothécaire ayant déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective, créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité était inopposable, Me [T] devant consigner le surplus des fonds et ce conformément à l'ordonnance rendue par M. le juge commissaire près du tribunal de commerce du Mans et aux stipulations de l'acte de vente'.
En outre l'officier ministériel intimé soutient que le comportement des vendeurs est 'largement à l'origine de leur situation'. Ainsi, l'appelant qui lui a dissimulé l'existence d'une procédure collective ne peut invoquer sa propre turpitude. A ce titre, le notaire observe que ce n'est qu'en suite d'une estimation du bien dans le cadre de la procédure collective que celui-ci a été vendu. Le notaire précise donc que si le compromis mentionnait la procédure collective, les formalités de réitération authentique n'auraient pas été ainsi précipitées, urgence liée à une menace de déchéance du terme et d'un besoin de financement. En tout état de cause, le notaire souligne que cette cession était voulue par le couple qui se séparait et dont l'un des coindivisaires avait notamment besoin de fonds. Enfin le notaire souligne que la vente était parfaite avant même son intervention au regard des engagements pris hors sa présence.
Subsidiairement et sur le préjudice invoqué, le notaire rappelle qu'après déduction de la créance du prêteur la quote-part de prix revenant à l'appelant s'élevait à 44.728 euros (82.500€ - 37.772,64€) de sorte qu'en aucun cas, il ne lui aurait été possible de prétendre à la remise d'une somme de 50.000 euros. Au surplus, l'intimé souligne que la perte de chance de remployer les sommes n'est ni réelle ni sérieuse dès lors que si l'information invoquée lui avait été délivrée 'plusieurs situations se seraient alors offertes à lui :
- soit dans l'année qui a suivi la vente (...), il n'aurait pu acquérir un immeuble et sa situation aurait été la même (...) [distribution des fonds par le liquidateur]
- soit dans l'année qui a suivi la vente (...) il aurait trouvé un immeuble à acheter d'une valeur supérieure à 44.728 euros, hypothèse peu probable car il était en liquidation judiciaire de sorte que dans cette situation la déclaration d'insaisissabilité n'aurait pu être reportée que sur 44.728 euros et le mandataire aurait pu poursuivre la vente forcée de l'immeuble nouvellement acquis pour le surplus,
- soit il aurait, dans l'année qui a suivi la vente (...), acquis un immeuble d'une valeur de 44.728 euros et l'insaisissabilité aurait alors été reportée sur le dit immeuble'.
Or l'intimé observe que l'appelant ne démontre aucunement qu'il lui était possible de se porter acquéreur d'un immeuble pour un tel prix.
Sur ce :
Liminairement il doit être souligné que les parties ne contestent aucunement le fait que la déclaration d'insaisissabilité litigieuse ait été correctement régularisée de sorte que le mandataire intimé ainsi que sa société d'exercice ne sont aucunement fondés à faire état de l'absence d'information à ce titre par le débiteur, cette formalité leur étant opposable.
Par ailleurs et s'agissant des fautes qui auraient été commises par les intimés, saisissant de manière erronée le juge commissaire aux fins d'autorisation de cession, il doit être souligné que ce manquement est présenté par l'intimé comme lui ayant causé un préjudice en ce qu'à défaut d'intervention de cet organe juridictionnel, le solde du prix de cession lui aurait été remis.
Cependant, il doit être souligné que cette absence de remise des fonds à l'appelant ne peut aucunement être considérée comme résultant de l'ordonnance litigieuse ou même de la saisine du juge commissaire. En effet, s'il n'est aucunement contesté que l'insaisissabilité litigieuse se reporte sur le prix de la cession des droits dont disposait le débiteur sur ce même immeuble, ce 'report' est conditionné au remploi des sommes ainsi perçues à l'acquisition, par le bénéficiaire de la déclaration, d'un immeuble où est fixée sa nouvelle résidence principale.
En effet l'article L.526-3 du Code de commerce en sa version applicable prévoyait que : 'En cas de cession des droits immobiliers désignés dans la déclaration initiale, le prix obtenu demeure insaisissable à l'égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de cette déclaration à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant, sous la condition du remploi dans le délai d'un an des sommes à l'acquisition par le déclarant d'un immeuble où est fixée sa résidence principale.
Les droits sur la résidence principale nouvellement acquise restent insaisissables à la hauteur des sommes réemployées à l'égard des créanciers visés au premier alinéa lorsque l'acte d'acquisition contient une déclaration de remploi des fonds'.
Il résulte de ce texte que passé ce délai d'un an sans remploi, le prix redevient saisissable et partant relève du droit de gage général des créanciers de la procédure collective.
Dans ces conditions et en suite de la vente litigieuse, que le bien ait été cédé le 9 ou le 23 novembre 2012 avec ou sans intervention du juge commissaire, il ne peut qu'être retenu que la portion de prix revenant à l'appelant, sauf à encourir un risque de distraction des sommes au préjudice des créanciers de la procédure collective, ne lui aurait pas été remise, un tiers devant nécessairement être missionné aux fins de répartition.
Il n'existe donc aucun lien de causalité entre les manquements invoqués par l'appelant s'agissant de la saisine du juge commissaire et le préjudice qu'il invoque.
Partant les conditions de l'acquiescement à cette décision (existence éventuelle d'une violence psychologique) sont également sans lien avec le préjudice invoqué, dès lors que même à supposer que l'intervention du juge commissaire ait été superfétatoire, l'appelant ne pouvait disposer immédiatement du solde du prix de cession.
Sur l'information de l'existence d'une possibilité de remploi des sommes perçues et le fait que celles-ci aient été réparties de manière particulièrement précipitée par le liquidateur, il doit être souligné que les intimés exposent valablement que le préjudice en lien de causalité avec ces manquements s'analyse en une perte de chance de pouvoir faire usage, dans l'année suivant la cession, du fruit de cette vente pour acquérir un nouvel immeuble exclusivement affecté à la résidence principale du débiteur.
S'agissant des sommes revenant à l'appelant, il doit être souligné que si la vente s'est faite moyennant un prix de 165.000 euros soit 82.500 euros par coindivisaire, il n'en demeure pas moins que l'acte authentique expose clairement que 'la moitié des sommes dues au Crédit Mutuel' s'élève à 37.772,64 euros de sorte que
M. [I] ne pouvait aucunement prétendre à la perception d'une somme de 50.000 euros.
Au surplus, s'agissant de sa situation eut-il été avisé de sa possibilité de remploi des sommes, le défaut d'information à ce titre n'étant aucunement contesté, il doit être rappelé qu'il appartient au demandeur en réparation de démontrer la réalité de la perte de chance qu'il invoque et partant la disparition par la faute des intimés, de la probabilité de récupérer le solde du prix.
Or, il ne produit aucune pièce établissant qu'il lui était possible moyennant une somme de moins de 50.000 euros d'acquérir un nouvel immeuble à usage de résidence principale.
En effet et à défaut d'acquisition pour le montant exact des sommes devenues insaisissables, l'immeuble nouvellement acquis se trouvait soumis aux poursuites diligentées par les organes de la procédure collective de sorte qu'une telle acquisition ainsi que le relève le notaire est dénuée de tout intérêt.
Il en résulte que l'appelant ne démontre aucunement l'existence d'une perte de chance de distraire quelque somme que ce soit du droit de gage général de tous ses créanciers (personnels, professionnels, antérieurs ou postérieurs à la déclaration d'insaisissabilité).
Enfin, s'agissant du préjudice moral invoqué, au regard des développements qui précèdent il ne peut aucunement être considéré que le refus des intimés de '[reconnaître] la situation' de l'appelant soit fautive.
Dans ces conditions, la décision de première instance doit être infirmée mais uniquement en ce qu'elle a condamné le notaire au paiement d'une somme de 20.000 euros, l'ensemble des demandes indemnitaires formées par l'appelant devant être rejeté.
Sur les demandes accessoires :
L'appelant qui succombe doit être condamné aux dépens de sorte que les dispositions du jugement au titre de ces frais et de la condamnation au titre des frais irrépétibles doivent être infirmées.
Enfin, l'équité commande de rejeter l'ensemble des demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DECLARE irrecevables les conclusions et pièces numérotées 8 et 9, déposées par le mandataire judiciaire et sa société d'exercice le 23 avril 2024 ;
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire d'Angers mais uniquement en celles de ses dispositions ayant :
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de réaliser son droit de remploi,
- condamné Me [U] à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné Me [U] aux dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
et, dans les limites de sa saisine, le CONFIRME pour le surplus ;
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
REJETTE les demandes en réparation formées par M. [G] [I] ;
REJETTE l'ensemble des demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [G] [I] aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
T. DA CUNHA C. MULLER