CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 octobre 2024, n° 21/20243
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
MGS Sales & Marketing (SAS)
Défendeur :
Stanley Black & Decker France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
M. Richaud, Mme Dallery
Avocats :
Me Bernabe, Me Rondot, Me Fromantin, Me Sarrauste
EXPOSÉ DU LITIGE
La société MGS Sales & Marketing (ci-après MGS) est une agence de publicité spécialisée dans les services de merchandising, animation commerciale, télémarketing et force de vente externalisée.
La société Stanley Black & Decker (ci-après SBD) a pour activité la fabrication et la distribution de matériels d'outillage principalement pour le bricolage et le jardinage.
Le 26 août 2015, les parties ont conclu un premier contrat à durée déterminée renouvelable ayant pour objet des prestations de services auprès des vendeurs de points de vente dans différentes chaines de distribution.
Le 4 janvier 2017, un contrat de prestation de services a été conclu entre les parties, renouvelable, pour une durée de deux ans, à compter du 13 février 2017 ayant pour objet la mise en 'uvre d'actions commerciales relatives aux produits des marques visées de SBD dans différents points de vente afin d'assurer la promotion de ses produits auprès de ces points de vente.
Le 4 janvier 2018, les parties ont conclu un autre contrat de prestation de services ayant pour objet la mise en 'uvre d'actions commerciales relatives aux produits des marques visées de SBD dans différents points de vente afin d'assurer la promotion de ses produits auprès de ces points de vente. Ce contrat renouvelable a été conclu pour une durée de deux ans à compter du 2 avril 2018.
Chacun de ces deux contrats listait les prestations de services du prestataire, précisait les modalités d'exécution des services rendus, un engagement de continuité du prestataire et dans l'exécution des services et une collaboration des parties.
Le 17 mars 2020, SBD a signifié à MGS la suspension des contrats pour cas de force majeure, en invoquant les conséquences sur l'activité économique des mesures de confinement.
Le 22 avril 2020, SBD a signifié à MGS la résiliation de ces mêmes contrats avec effet immédiat dans les conditions de l'article 17, au motif que la suspension de l'exécution des contrats durait depuis plus de trente jours, sans que la situation ne se soit améliorée
Le 28 avril 2020, puis de nouveau le 7 mai 2020, MGS a mis en demeure SBD de reconsidérer sa décision et de reprendre leurs relations contractuelles, en vain, SBD répondant le 30 avril que les conditions de résiliation étaient réunies.
LA PROCÉDURE
Par acte du 27 mai 2020, la société MGS a assigné la société SBD devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir le paiement de diverses sommes pour résiliation abusive, rupture brutale des relations commerciales établies et résistance abusive.
Par jugement du 8 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- Condamné la SAS à associé unique Stanley Black & Decker France SAS à payer à la SAS à associé unique MGS Sales & Marketing la somme de la somme de 61 092 euros, au titre de la rupture brutale de la relation commerciale ;
- Débouté la SAS à associé unique MGS Sales & Marketing de sa demande au titre des pertes annexes ;
- Débouté la SAS à associé unique MGS Sales & Marketing de sa demande au titre de la résistance abusive ;
- Débouté la SAS à associé unique MGS Sales & Marketing de sa demande au titre du préjudice moral ;
- Condamné la SAS à associé unique Stanley Black & Decker SAS à payer à la SAS à associé unique MGS Sales & Marketing la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles par application de l'article 700 du CPC ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,
- Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire ;
- Condamne la SAS à associé unique Stanley Black & Decker SAS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA.
La société MGS a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 22 novembre 2021. Elle demande à la Cour, par ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 22 janvier 2024, de :
Vu les articles 1212, 1218, 1224 du Code civil,
Vu l'article L. 442-1 II du Code de commerce,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces communiquées
A titre principal :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société MGS de ses demandes au titre de la résiliation fautive des relations contractuelles par la société Stanley Black & Decker France ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker France à verser la somme de 1.694.208,55 euros à la société MGS, correspondant à la réparation du manque à gagner de la société MGS Sales & Marketing en raison de la résiliation fautive des contrats du 4 janvier 2017 et du 4 janvier 2018, ou à tout le moins la somme de 544.857,47 euros correspondant à sa perte de marge brute sur les périodes considérées ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker France au paiement de la somme de 300.365,22 euros à la société MGS Sales & Marketing en réparation des sommes qu'elle a dû exposer au titre des départs des salariés dédiés à la mission Stanley Black & Decker en raison de la rupture fautive des relations contractuelles ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker France au paiement de la somme de 40.573,04 euros à la société MGS Sales & Marketing en réparation de son préjudice financier découlant de la résiliation de l'ensemble des contrats de location des véhicules utilitaires loués pour les salariés dédiés à la mission Stanley Black & Decker, rendue nécessaire par la rupture fautive des relations contractuelles ;
A titre subsidiaire :
- Infirmer également le jugement sur le montant de ses préjudices au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies par la société Stanley Black & Decker France ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker France au paiement de la somme de 308.993,28 euros à la société MGS Sales & Marketing en réparation de son préjudice économique découlant de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker France au paiement de la somme de 300.365,22 euros à la société MGS Sales & Marketing en réparation des sommes qu'elle a dû exposer au titre des départs des salariés dédiés à la mission Stanley Black & Decker en raison de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker France au paiement de la somme de 40.573,04 euros à la société MGS Sales & Marketing en réparation de son préjudice financier découlant de la résiliation de l'ensemble des contrats de location des véhicules utilitaires loués pour les salariés dédiés à la mission Stanley Black & Decker, rendue nécessaire par le caractère brutal de la rupture des contrats ;
En tout état de cause :
- Condamner la société Stanley Black & Decker France à verser la somme de 50.000 euros à la société MGS, correspondant à la réparation de son préjudice moral résultant de la résiliation fautive des contrats du 4 janvier 2017 et du 4 janvier 2018 par la société Stanley Black & Decker ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker au paiement de la somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société Stanley Black & Decker au paiement des entiers dépens.
La société SBD par ses dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 29 janvier 2024, demande à la Cour de :
- Dire et juger la Société MGS Sales & Marketing mal fondée en tous ses moyens, fins, conclusions et demandes ;
L'en débouter ;
- Recevoir la Société Stanley Black & Decker France en son appel incident,
- Infirmer le jugement en ce que les premiers Juges ont :
* condamné la Société Stanley Black & Decker France à payer à la Société MGS Sales & Marketing la somme de 61.092,00 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale ;
* condamné la Société Stanley Black & Decker France à payer à la Société MGS Sales & Marketing la somme de 3.000,00 euros au titre des frais irrépétibles ;
* débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;
* condamné la Société Stanley Black & Decker France à supporter les dépens de l'instance ;
- Confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
- Condamner la Société MGS Sales & Marketing à payer à la Société Stanley Black & Decker France la somme de 10.000 euros (dix mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la Société MGS Sales & Marketing aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Edmond Fromantin.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.
MOTIVATION
Sur la rupture fautive des relations contractuelles
MGS soutient que la résiliation est fautive, dès lors que l'épidémie de Covid ne constitue pas un évènement de force majeure :
- Une obligation de somme d'argent ne répond jamais aux conditions d'imprévisibilité, irrésistibilité et d'extériorité, dès lors qu'une telle obligation est toujours considérée comme étant susceptible d'exécution. Or, les obligations de SBD au titre des contrats en cause sont purement des obligations de somme d'argent.
- L'article 6.2 invoqué par SBD exige simplement de cette dernière qu'elle fournisse « les informations et outils nécessaires à la société MGS à la réalisation des Services ». Il s'agit d'une manifestation de la bonne foi contractuelle et non d'une obligation de faire.
Elle dit que la résiliation est également fautive dans la mesure où SBD n'a pas pris toute mesure utile afin de mettre fin à la suspension, conformément à l'article 17 des contrats en cause :
- La clause n'est pas applicable, en l'absence d'un cas de force majeure,
- SBD a suspendu unilatéralement les contrats seulement 2 jours après l'annonce du premier confinement, sans aucun fondement contractuel ou légal.
- SBD n'a amorcé aucune discussion avec MGS afin d'envisager des aménagements pour la poursuite de la relation.
- SBD a invoqué la fermeture des magasins comme motif de suspension alors que les arrêtés excluaient les commerces de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peinture et verres en magasin spécialisé.
- SBD a résilié les contrats le jour même de l'expiration des 30 jours de suspension prévus contractuellement, alors que le Président avait déjà annoncé la fin du confinement dans les semaines à venir.
- Contrairement à ce qu'affirme SBD, les parties ne se sont jamais accordées sur une définition plus large de la force majeure que celle prévue par la loi. A ce titre, SBD se fonde sur les courriels échangés entre les parties au moment de la suspension des contrats, alors qu'il s'agissait seulement pour elle de s'adapter à la situation et ces courriels ne peuvent en aucun cas constituer la rencontre d'une offre et d'une acceptation sur la définition de la force majeure. Elle en veut pour preuve la mise en demeure de reprendre les contrats qu'elle a adressé à SBD.
Au titre du préjudice subi, MGS sollicite, au titre des mensualités qu'elle aurait dû percevoir si les contrats avaient été exécutés jusqu'à leur terme :
- 134 629,57 euros au titre du contrat du 4 janvier 2017, correspondant à la marge brute de 32,16% appliquée au manque à gagner de 418 624,29 euros.
- 410 227,90 euros au titre du contrat du 4 janvier 2018, correspondant à la marge brute appliquée à 1 275 584,26 euros.
SBD rétorque que la résiliation s'est faite en application des contrats en cause et était justifiée par un cas de force majeure.
Elle dit que contrairement à ce que soutient MGS, la force majeure trouve bien à s'appliquer, dans la mesure où l'article 6.2 des deux contrats prévoit bien une obligation de faire à la charge de SBD : « Le Client s'engage à communiquer et fournir au Prestataire les informations et les outils nécessaires à la réalisation des Services tels que les informations sur les marchés, les produits contractuels, les plans médias et actualités concernant le marché ainsi que les fiches techniques des produits et matériels promotionnels ».
Elle estime que, comme la loi et la jurisprudence l'admettent, les parties se sont accordées pour considérer l'épidémie de Covid-19 comme un évènement de force majeure. A cet égard, elle relève que lorsque SBD a notifié à MGS la suspension des contrats, cette dernière ne l'a pas contesté et a indiqué que ces activités étaient déjà à l'arrêt. De sorte que MGS a fait sienne sa décision et, partant, a admis que le Covid-19 constituait un cas de force majeure. C'est seulement au moment de la notification de la résiliation que MGS a contesté la qualification de force majeure, ajoute qu'elle n'a imposé aucune cessation d'activité à MGS, puisqu'elle avait elle-même suspendu ses activités avant sa notification.
Elle considère la résiliation justifiée en fait et en droit, dès lors que, comme l'exige le contrat, elle a été actée à l'issue d'un délai de 30 jours après la suspension des contrats. Elle ajoute que MGS n'a elle-même rien fait pour reprendre ses activités, de sorte qu'elle ne peut lui reprocher de n'avoir pas pris toute mesure utile aux fins de mettre fin à la suspension et que si les magasins d'outillage étaient effectivement restés ouverts, il appartenait à MGS de proposer de continuer à exécuter les contrats, étant seule en mesure de mettre en place un protocole, éventuellement en lien avec les magasins.
Réponse de la Cour
L'article 17 « FORCE MAJEURE » des contrats des 4 janvier 2017 et 4 janvier 2018 faisant la loi des parties prévoit :
« Aucune des Parties ne sera responsable du manquement ou du non-respect de ses obligations dus à la force majeure. La force majeure sera réputée inclure toute cause empêchant l'exécution du Contrat, provenant de ou imputable à des actes, évènements ou circonstances imprévisibles, irrésistibles et étrangers à l'une des Parties.
A la suite de la survenance d'un évènement de force majeure, la Partie qui est dans l'impossibilité de poursuivre l'exécution du Contrat dispose d'un délai de trois (3) jours pour en notifier par lettre recommandée avec demande d'avis de réception la suspension à l'autre partie, et s'engage à prendre toutes les mesures utiles dans une proportion raisonnable aux fins de mettre fin à la suspension du Contrat.
Si la suspension du Contrat se poursuit pendant une période de trente (30) jours, chaque Partie aura la faculté de résilier, à l'issue de ce délai et sans préavis, le présent Contrat en la notifiant à l'autre Partie par lettre recommandée avec demande d'avis de réception sans qu'une telle résiliation ne puisse donner lieu à indemnité ».
Si l'obligation principale de SBD en sa qualité de » Client », consistait au versement d'une rémunération annuelle au « Prestataire », la société était néanmoins également tenue aux termes de l'article 6 du contrat intitulé « Collaboration des parties », « de communiquer et fournir au Prestataire les informations et les outils nécessaires à la réalisation des Services tels que les informations sur les marchés, les produits contractuels, les plans médias et les actualités concernant le marché ainsi que les fiches techniques des Produits et matériels promotionnels ».
Par conséquent, SBD était en droit de se prévaloir de la survenance d'un évènement de force majeure l'empêchant d'exécuter ses obligations, sur le fondement de l'article 17 du contrat.
En l'espèce, la mesure de confinement généralisé intervenue le 15 mars 2020 en raison de la crise sanitaire engendrée par la Covid 19, présentait les caractéristiques de la force majeure comme étant imprévisible, irrésistible et étrangère aux parties selon leur définition contractuelle. En effet, le confinement de la population et la fermeture des magasins ne permettait plus à SBD de satisfaire à son obligation de collaboration ci-dessus rappelée, en particulier s'agissant de la fourniture des informations sur les marchés, les produits contractuels, les plans médias et actualités concernant le marché. L'exclusion par les arrêtés des commerces de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peinture et verres en magasin spécialisé est sans emport à cet égard dès lors que seul le « « click and collect » était autorisé dans ces magasins, de sorte que SBD était fondée à invoquer la baisse drastique d'activité et la fermeture de magasins pour suspendre les contrats au titre de la force majeure, le 17 mars 2020. (sa pièce 3 et 4).
En tout état de cause, ainsi que le fait justement valoir la société SBD, le courriel du 17 mars 2020 en réponse (pièce 4) de la société MGS faisant état de la mise à l'arrêt de son siège social ainsi que des mesures de chômage partiel prises pour l'équipe des promoteurs et indiquant organiser la reprise dès qu'ils auront de meilleures nouvelles, traduit une impossibilité d'exécuter son contrat et démontre un acquiescement à la suspension du contrat décidée par SBD pour cas de force majeure.
Il s'ensuit que SBD était fondée à se prévaloir par sa lettre du 22 avril suivant (sa pièce 5), de la résiliation des deux contrats, la suspension du contrat ayant dépassé le délai contractuel de 30 jours.
Il ne saurait lui être reproché, au regard du contexte épidémique et de la persistance de la mesure de confinement, de n'avoir pas pris de mesures utiles pour mettre fin à la suspension du contrat.
Par conséquent, le jugement est confirmé en ce que le tribunal a retenu que la résiliation du contrat par SBD, contractuellement fondée, n'était pas fautive.
MGS est ainsi déboutée de ses demandes en paiement fondée sur la rupture fautive des contrats.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
MGS soutient que les relations entre les parties étaient établies :
- Elles ont conclu 6 contrats depuis 2015.
- Au fur et à mesure des contrats, la rémunération de MGS augmentait, pour atteindre 1 152 957 euros.
- Les contrats litigieux étaient renouvelables.
- MGS réalisait 35,77% de son chiffre d'affaires avec SBD.
La rupture présente un caractère brutal :
- Aucun préavis n'a été octroyé à MGS.
- Aucun élément ne laissait penser que SBD déciderait de la résiliation des contrats.
- Au titre de la réparation du préjudice subi, MGS sollicite que soit retenu une durée de 10 mois de préavis, au regard des circonstances de l'espèce :
- MGS a dédié une équipe d'au moins 13 employés, comme l'exigeaient les contrats, ce qui entraîne des coûts inévitables en cas de résiliation.
- MGS a dû mettre à disposition de ses employés des véhicules utilitaires en raison de l'étendue géographique de la mission.
- Les circonstances sanitaires et économiques ont fait qu'une grande majorité des entreprises ont gelé leurs dépenses dans l'attente d'une plus grande visibilité sur l'issue de la crise, de sorte qu'elle n'aurait pu trouver un cocontractant équivalent à ce moment.
- MGS sollicite à ce titre le paiement de la somme de 308 993,28 euros, correspondant à la somme des marges brutes en exécution des contrats du 4 janvier 2017 (marge brute de 32,16% appliquée à un CA sur 10 mois de 443 220 euros= 142 539,55 euros) et du 4 janvier 2018 (marge brute de 32,16% appliquée à un CA sur 10 mois de 517 580 euros= 166 453,73 euros).
- A défaut, MGS demande que soit retenue une durée de préavis de 6 mois et sollicite à ce titre le paiement de la somme de 185 395,96 euros.
- A minima, MGS soutient que le préavis ne pourra être inférieur à la durée contractuellement prévue, soit 4 mois, et sollicite, dans cette hypothèse, la somme de 123 596 euros.
- Contrairement à ce que soutient SBD, le fait que MGS n'était pas dépendante économiquement de SBD est indifférent, dès lors que cette dernière représentait une part considérable de son chiffre d'affaires et que cette circonstance a entraîné une perte et l'incapacité de se réorganiser en quelques semaines, en pleine crise économique.
SBD soutient que, conformément au contrat, dès lors que la résiliation s'est opérée dans le cadre de l'article 17 des contrats litigieux, lequel permet de résilier le contrat à l'issue de 30 jours de suspension pour cause de force majeure, sans préavis, c'est à tort que le tribunal a jugé que SBD n'avait pas respecté un préavis suffisant.
Subsidiairement, elle fait observer que MGS demande 10 mois de préavis, contre 8 en première instance et qu'elle ne peut pas demander subsidiairement un délai de préavis de 4 mois sur le fondement de l'article 18 des contrats, alors que la rupture, en l'espèce, a été faite en application de l'article 17 qui permet une rupture sans préavis.
En outre, MGS ne réalisait que 35,77% de son chiffre d'affaires avec elle, de sorte qu'il n'y avait pas de dépendante économique.
Enfin elle conteste le taux de marge invoqué sur la seule base d'une lettre de son expert-comptable, ce qui ne permet pas de le vérifier.
Réponse de la Cour
L'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
Dès lors que ce dernier alinéa ouvre une faculté de résiliation sans préavis en cas de force majeure et que le tribunal comme la cour a retenu que la société SBD pouvait se prévaloir en l'espèce d'un cas de force majeure, justifiant la résiliation du contrat 30 jours après sa suspension, la demande de MGS au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ne peut qu'être rejetée.
Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné SBD à verser à MGS la somme de 61 092 € correspondant à l'absence de deux mois de préavis et MGS est déboutée de ses demandes sur ce fondement.
Sur les demandes au titre des pertes annexes et du préjudice moral
MGS sollicite, en tout état de cause, réparation au titre des pertes annexes subies, correspondant aux coûts de licenciement du personnel dédié à la mission pour SBD ainsi que de résiliation des contrats de leasing automobile ayant été conclus afin de mener à bien la mission de SBD.
Elle soutient que :
- 17 salariés ont dû être licenciés ou reclassés. Contractuellement il était exigé que MGS dédie 13 salariés aux missions SBD, mais au regard de l'ampleur des missions, des salariés supplémentaires ont dû être embauchés et 2 assignés en back-office. Ces licenciements ont coûté initialement 218 946,66 euros. 3 salariés ayant saisi les prud'hommes, MGS a été condamné à une somme de 39 960,11 euros. Des coûts supplémentaires ont été subis, 10 440 euros au titre de 2 reclassements, 10 431,68 euros pour une rupture conventionnelle et 20 586,77 euros au titre d'un CDD dont le terme arrivait au 31 août 2020 et au titre duquel le salarié concerné n'avait aucune mission. Ces coûts représentent un montant total de 300 365,22 euros.
- 13 véhicules utilitaires faisaient l'objet d'un contrat de leasing d'une durée de 2 ans. La résiliation de ces contrats a entraîné des frais à hauteur de 40 573,04 euros. Ces locations étaient nécessaires dans la mesure où le contrat prévoyait que le périmètre des missions couvrait tout le territoire métropolitain.
- Contrairement à ce qu'affirme SBD, il est démontré que les salariés ne travaillaient que pour les missions SBD, dès lors que les contrats prévoyaient l'attribution de 13 salariés à leur exécution. Le démontrent également les formations dispensées sur les gammes de produits visées aux contrats, de même que les attestations de différentes personnes ayant eu l'occasion d'encadrer les équipes.
- De même, SBD ne peut soutenir que les véhicules en cause ont pu être affectés à d'autres mission, dans la mesure où c'est elle qui a demandé que ces utilitaires soient aménagés pour répondre à l'image de sa marque et chacun de ces véhicules était au nom d'un salarié affecté aux mission SBD.
Elle soutient aussi avoir subi un préjudice moral, en raison de la perte soudaine et imprévisible de l'un de ses principaux clients, en période de crise. Elle sollicite, à ce titre, le paiement de la somme de 50 000 euros.
SBD rétorque que n'ayant commis aucune faute dans la résiliation des contrats, elle ne saurait être tenue à indemniser de tels préjudices.
Elle indique que MGS ne justifie pas que les licenciements et la rupture conventionnelle en cause serait exclusivement dus à la résiliation des contrats, ni que les salariés en question n'auraient travaillé que sur les missions de SBD.
En outre, au stade du chiffrage du préjudice, MGS ne se base que sur une attestation de son expert-comptable, qui n'est accompagnée d'aucun autre document comptable permettant de vérifier les chiffres avancés.
De même, sur les 3 salariés ayant entamé une procédure prud'hommale à l'encontre de MGS, l'un avait été licencié fin 2019 et son licenciement n'avait donc aucun lien avec la résiliation des contrats litigieux et s'agissant des 2 autres, les sommes allouées par la juridiction prud'hommale avaient vocation à réparer le non-respect de la procédure de licenciement économique. Or, SBD ne peut être tenu responsable des fautes commises par MGS dans le cadre de la mise en 'uvre de procédure de licenciements.
S'agissant des véhicules, les factures et le tableau produits ne permettent pas de vérifier que ces sommes avaient un lien avec la résiliation des contrats. MGS ne justifie pas non plus que les véhicules en question avaient été acquis et étaient utilisés exclusivement au titre des missions pour SBD.
Réponse de la Cour
Dès lors que la résiliation du contrat par la société SBD n'était pas fautive et qu'il n'y a pas eu de brutalité dans la rupture des relations commerciales établies, la société MGS n'indique pas sur quel fondement sa cocontractante devrait lui verser les sommes qu'elle sollicite au titre de ses 17 salariés licenciés ou reclassés, comme au titre des13 véhicules utilitaires faisaient l'objet d'un contrat de leasing.
Les demandes de la société MGS à ce titre seront rejetées.
Aucune faute imputable à la société SBD n'ayant été retenue, la demande au titre d'un préjudice moral, dépourvue de fondement, est rejetée.
Le jugement est confirmé de ces chefs.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
MGS sollicite la condamnation de SBD au paiement de la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
SBD sollicite la condamnation de MGS au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Réponse de la Cour,
La société MGS qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Elle est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné SBD à lui verser à ce titre la somme de 3 000 €.
En revanche, elle est condamnée à verser à la société SBD la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles que celle-ci a exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises, sauf en ce que le tribunal condamne la SAS à associé unique Stanley Black & Decker France à payer à la SAS à associé unique MGS Sales & Marketing la somme de 61 092 € au titre de la rupture brutale de la relation commerciale et la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ainsi qu'en ce qu'il déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute la SAS à associé unique MGS Sales & Marketing de sa demande fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La Condamne aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande.