Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 3 octobre 2024, n° 23/06032

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Stlg (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Lebée

Avocats :

Me Le Men, Me Djaziri

TJ Melun, Ch1 Cab1 Cont Civil Gal Conten…

13 mars 2023

FAITS ET PROCÉDURE

Par assignation du 7 juillet 2022, la société STLG a attrait M. [Y] [S] devant le tribunal judiciaire de Melun aux fins de le voir condamner à payer une certaine somme pour le trouble de jouissance qu'elle subit de son fait et expulser du local qu'il occupe au [Adresse 1] à [Localité 8] (Seine et Marne).

Par conclusions déposées le 31 janvier 2023, M. [Y] [S] a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir prononcer l'incompétence matérielle de la juridiction et de prononcer la nullité de l'assignation de la société STLG faute de fondement de motivation juridique faisant nécessairement grief à M. [S].

Par ordonnance du 13 mars 2023, le juge de la mise en état a déclaré nulle l'assignation du 7 juillet 2022, mis fin à la présente instance, condamné la société STLG à payer à M. [Y] [S] la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter la charge des dépens.

Par déclaration du 27 mars 2023, la société STLG a interjeté appel total de l'ordonnance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 mai 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Aux termes de ses conclusions notifiées le 10 mai 2024, la société STLG, appelante, demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 13 mars 2023 rendue par le tribunal judiciaire de Melun en ce qu'elle a :

- déclaré nulle l'assignation du 7 juillet 2022 ;

- mis fin à la présente instance ;

- condamné la société STLG à payer à Monsieur [Y] [S] la somme à 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société STLG aux dépens et dit que l'Avocat, qui en fait la demande, pourra la recouvrer directement ;

Statuant à nouveau,

- se déclarer compétent ;

- déclarer l'assignation parfaitement recevable ;

- ordonner l'expulsion de Monsieur [Y] [S] ainsi que de tous occupants de son chef des lieux occupés sans droit, ni titre, situés [Adresse 2] (désormais numéroté [Adresse 1]), [Localité 8] et ce avec, si besoin, est le concours de la force publique ;

- condamner Monsieur [Y] [S] à verser à la société STLG un montant de 10.000 euros de dommages-intérêts pour trouble de jouissance ;

- condamner Monsieur [Y] [S] à verser à la société STLG la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société STLG fait valoir :

- Sur la compétence du tribunal judiciaire, que le juge de la mise en état s'est déclaré compétent en faisant droit à la demande de nullité de Monsieur [Y] [S] ; que le tribunal judiciaire est compétent pour connaître des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce conformément à l'article R. 211-4 2° du code de l'organisation judiciaire ; que Monsieur [Y] [S] est occupant sans droit ni titre d'un logement situé sur la parcelle du bail commercial dont est locataire la société STLG, le logement étant accessoire du bail commercial ; que le logement se situe sur la parcelle section A1 numéro [Cadastre 5] pour une contenance de 94 ares 96 centiares, étant précisé que le bail commercial faisait état de ce logement ; que la concluante s'est exclusivement acquittée de l'ensemble des factures relatives à ce logement ;

- Sur la recevabilité de l'assignation, sur le fondement des articles 1341-1 et 1719 du code civil que la concluante peut agir en lieu et place du créancier sur le fondement de l'action oblique ; que la concluante est contrainte d'agir dans la mesure où le propriétaire des lieux loués, la SCI Le Dauphin, n'a aucun intérêt à agir contre M. [Y] [S] puisqu'il s'agit de la même famille ; que la concluante a subi un trouble de jouissance au sens de l'article 1719 du code civil dès lors que le bailleur ne permet pas au preneur de jouir paisiblement des lieux loués ; que la concluante n'a jamais autorisé aucune occupation de la parcelle dont elle est locataire ; qu'aux termes de l'article 114 du code de procédure civile, l'absence de la mention de la chambre saisie dans l'assignation est un vice de forme pour lequel l'intimé n'a subi aucun préjudice de sorte que ce vice n'est pas recevable ;

- Sur l'évocation par la cour d'appel de Paris, qu'elle a subi un préjudice de jouissance dans la mesure où elle a été privée d'une partie de la parcelle dont elle est locataire pendant une durée de 6 ans ; qu'elle a dû s'acquitter des factures d'eau, de gaz et d'électricité pour le compte de M. [Y] [S] ; qu'il n'est pas possible pour la société STLG de pénétrer dans la zone occupée par M. [Y] [S] dès lors qu'il y a des barbelés, des chiens qui « rodent » et des ruches d'abeilles.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 10 avril 2024, Monsieur [Y] [S], intimé, demande à la cour de :

- déclarer Monsieur [Y] [S] recevable et bien fondé en ses écritures et, y faisant droit ;

- confirmer purement et simplement en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 13 mars 2023 par le juge de la mise en état de Melun ;

- débouter la société STLG de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Y ajoutant,

- condamner la société STLG au paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société STLG au paiement de la somme de 2.000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- condamner la société STLG aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Mounia Djaziri, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, M. [S] oppose que :

- Sur la nullité de l'acte introductif d'instance, sur le fondement des articles 56 et 114 du code de procédure civile que l'acte introductif d'instance de la société STLG ne comporte l'indication d'aucun fondement juridique et ne fait référence à aucun texte légal ou réglementaire de nature à permettre à M. [S] de répondre précisément et utilement, en droit, à la demande formée contre lui, ce qui lui cause nécessairement grief dans la défense de ses intérêts ; que l'acte ne précisait pas non plus la chambre désignée pour connaître de l'affaire et ce en violation de l'article 56 du code de procédure civile ; que l'assignation doit être déclarée nulle ;

- Sur l'exception d'incompétence du tribunal judiciaire, que le juge n'a pas statué sur la question de la compétence soulevée par le concluant dès lors qu'il a prononcé la nullité de l'assignation ; que les demandes formées par la société STLG entrent dans les cas de compétence exclusive réservés au juge des contentieux de la protection conformément aux articles L. 213-4-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire ; que le tribunal judiciaire est incompétent pour connaître des demandes formées contre le concluant au profit du juge des contentieux de la protection dès lors que la demande tend à ordonner l'expulsion au regard d'une occupation sans droit ni titre ; que le logement ne fait pas partie de la liste des biens objets du bail ; que le bail commercial mentionne une surface louée de 9496 m2 alors que sur le plan cadastral, la surface est de 9596 m2, ce qui démontre une différence de 100 m2, correspondant au logement occupé par M. [S] ; que le logement de M. [S] ne peut être considéré comme un accessoire du bail commercial dans la mesure où il n'est pas indispensable à l'exploitation commerciale du site du preneur et, en conséquence, ne présente pas un caractère commercial ;

- Sur l'évocation de la cour d'appel de Paris, qu'il a quitté les lieux depuis le 2 mars 2023 de sorte que la demande d'expulsion formée à son encontre est sans objet, conformément à l'état des lieux de sortie réalisé en présence du bailleur ; que la société STLG ne peut se prévaloir de l'article 1719 du code civil n'est lors qu'elle n'est pas bailleresse ; qu'il n'y a pas de trouble de jouissance ;

- Sur la procédure abusive, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile que la société STLG se livre à un « acharnement » sur la personne de M. [Y] [S] ; que cette action est « totalement » abusive tant à l'endroit de l'appel interjeté que des demandes d'expulsion et de troubles de jouissance « totalement » infondées ; qu'il a quitté les lieux le 3 mars 2023, soit avant l'appel interjeté par la société STLG le 27 mars 2023 ; que M. [S] occupait le bien en sa seule qualité de locataire.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

SUR CE,

Sur la nullité de l'assignation

L'article 56 ' 2° du code de procédure civile dispose que « L'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice... l'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit...».

Au cas d'espèce, aux termes de l'assignation délivrée le 7 juillet 2022 par la société STLG à M. [Y] [S], la société STLG sollicite, notamment, du tribunal la condamnation de M. [Y] [S] à lui payer la somme de 10.000 euros pour trouble de jouissance et à voir ordonner son expulsion en faisant valoir qu'elle est titulaire d'un bail, qu'elle tient de la reprise des éléments d'actifs de la société Établissements L. [S], acté par jugement du tribunal de commerce de Melun en date du 18 janvier 2017 et de la cession du bail autorisé par ordonnance du juge commissaire du 14 juin 2017 régularisée par une acte de cession entre le liquidateur des Établissements L. [S], Me [W] [U] et la société STLG, auquel M. [Y] [S] porte atteinte par une occupation, sans droit, ni titre, d'une maison d'habitation située sur la parcelle du bail commercial au motif que la jouissance lui en avait été précédemment accordée par le bailleur, que la société STLG n'ayant jamais donné son accord à cette occupation et s'y opposant, elle considère subir un trouble à la jouissance des lieux, trouble qu'elle évalue à la somme de 10.000 € et qui justifie l'expulsion de l'occupant.

S'il est constant que l'assignation délivrée par la société STLG ne contient aucun fondement juridique au soutien des demandes présentées, il n'en demeure pas moins que les éléments détaillés ci-dessus développés au soutien de ces demandes suffisent à en définir l'objet et le fondement juridique de l'action et permettent à M. [Y] [S] de faire valoir ses éléments de défense, qui a, aux termes de ses conclusions d'incident, répondu en droit et en fait aux moyens et demandes de la société STLG. En outre, l'indication de la chambre saisie n'étant pas impérative, aucune nullité ne peut être invoquée de ce chef.

L'ordonnance sera donc infirmée en ce qu'elle a prononcé la nullité de l'assignation.

Sur la compétence du tribunal judiciaire

Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, notamment pour statuer sur les exceptions de procédure. Cependant, à la différence du pouvoir qu'il détient dans l'examen des fins de non-recevoir, le juge de la mise en état ne peut, même si cela le nécessite, trancher au préalable une question de fond pour statuer sur une exception de compétence.

L'article L. 213-4-4 dommages et intérêts code de l'organisation judiciaire dispose que le juge des contentieux de la protection connaît des actions dont un contrat de louage d'immeubles à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion.

Il ressort des dispositions de l'article R. 211-4 2° du code de l'organisation judiciaire que les tribunaux judiciaires connaissent des actions relatives aux baux commerciaux relevant des articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce.

Au cas d'espèce, les parties s'opposent sur la question de savoir si la maison d'habitation occupée par M. [Y] [S] fait partie du périmètre du bail commercial dont est titulaire la société STLG et/ou si elle constitue un accessoire de ce même bail, questions qui ne peuvent être tranchées dans le cadre de l'examen de l'exception de procédure soulevée en ce qu'elle relève d'un examen au fond des éléments de l'espèce.

Or, la cour d'appel, qui ne dispose pas de plus de pouvoir que le juge de la mise en état saisi, ne peut trancher cette question de fond qui relève du pouvoir d'évocation du tribunal et qui n'a pas été tranchée par le juge de la mise en état, contrairement à ce que soutient la société STLG, de sorte qu'il n'y a pas lieu à se déclarer compétent comme sollicité, ni statuer sur les autres demandes des parties.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties, les frais par elle engagés dans le cadre de la présente instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Infirme l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Melun en ce qu'elle a déclaré nulle l'assignation délivrée par la société STLG ;

La confirme en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;

Y ajoutant,

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés.