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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 3 octobre 2024, n° 24/01459

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Allianz Vie (SA)

Défendeur :

La Titjade (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

Mme Chopin, M. Najem

Avocats :

Me D'oria, Me Grévellec, Me Gaussen

TJ Paris, du 20 déc. 2023, n° 23/53943

20 décembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 10 octobre 2011, à effet au 1er juillet 2011, la société Allianz vie a loué à la société Les trois berrichons des locaux sis [Adresse 3] à [Localité 4] moyennant un loyer annuel de 39.000 euros, hors charges et hors taxes, payable trimestriellement à terme échu.

La société La Titjade a acquis le fonds de commerce de la société Les trois berrichons le 6 juin 2019.

Par exploit du 28 octobre 2022, la société Allianz vie a fait délivrer à la société La Titjade un commandement de payer la somme en principal de 196.497,60 euros, ce commandement visant la clause résolutoire insérée au bail.

Par exploit du 24 novembre 2022, la société La Titjade a fait assigner la société Allianz vie devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de voir déclarer nul et de nul effet le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 28 octobre 2022 et subsidiairement, de voir suspendre les effets de cette clause résolutoire dans l'attente d'une décision définitive du tribunal judiciaire de Nanterre saisi d'une demande d'indemnisation de la société La Titjade de ses pertes d'exploitation et troubles de jouissance.

Exposant que les causes du commandement de payer sont demeurées impayées, la société Allianz vie a, par exploit du 11 mai 2023, fait assigner la société La Titjade devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir :

constater l'acquisition de la clause résolutoire et en conséquence, la résiliation de plein droit du bail commercial à compter du 29 novembre 2022 ;

ordonner l'expulsion de la société La Titjade et de toute personne de son chef des locaux qu'elle occupe au [Adresse 3] tels que désignés dans le bail du 10 octobre 2011, et ce, au besoin avec l'aide de la force publique ;

condamner à titre provisionnel la défenderesse à restituer à la bailleresse les lieux dont il s'agit, libres de toute occupation et de tout mobilier, cela sous astreinte de 1.000 euros par jour calendaire de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir en vertu de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

autoriser la demanderesse à séquestrer le mobilier se trouvant éventuellement dans les lieux dans tout garde-meubles, aux frais, risques et périls de la défenderesse ;

fixer le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 29 novembre 2022 au montant du loyer contractuel, outre charges et taxes ;

juger que cette indemnité d'occupation sera due au fur et à mesure de son exigibilité et jusqu'à la date du départ effectif de la défenderesse et de la libération des lieux de tout mobilier, outre charges et taxes ;

condamner à titre provisionnel la société La Titjade à payer à la demanderesse les sommes suivantes :

les loyers et accessoires, jusqu'à la décision à intervenir, soit, sauf à parfaire, la somme de 245.214,59 euros (montant arrêté au 25 avril 2023, à parfaire le jour de l'audience) ;

le montant de l'indemnité mensuelle d'occupation fixée à compter du 29 novembre 2022 ;

dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du commandement, pour les sommes qui y sont visées, et de la présente assignation pour le surplus ;

ordonner la capitalisation des intérêts au visa de l'article 1343-2 du code civil,

A titre subsidiaire :

ordonner dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir la consignation de la somme de 245.214, 59 euros (montant arrêté au 25 avril 2023- à parfaire le jour de l'audience) entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris,

passé ce délai de quinzaine, ordonner une astreinte de 1.000 euros par jour de retard pour assurer la consignation desdites sommes,

constater l'acquisition de la clause résolutoire et en conséquence, la résiliation de plein droit du bail commercial à la date du 29 novembre 2022,

En conséquence,

ordonner l'expulsion de la société La Titjade et de toute personne de son chef des locaux qu'elle occupe au [Adresse 3] tels que désignés dans le bail du 10 octobre 2011, et ce, au besoin avec l'aide de la force publique ;

condamner à titre provisionnel la défenderesse à restituer à la bailleresse les lieux dont il s'agit, libres de toute occupation et de tout mobilier, cela sous astreinte de 1.000 euros par jour calendaire de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir en vertu de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

autoriser la demanderesse à séquestrer le mobilier se trouvant éventuellement dans les lieux dans tout garde-meubles, aux frais, risques et périls de la défenderesse ;

fixer le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 29 novembre 2022 au montant du loyer contractuel, outre charges et taxes ;

condamner à titre provisionnel la société La Titjade à payer à la demanderesse les sommes suivantes :

les loyers et accessoires, jusqu'à la décision à intervenir, soit, sauf à parfaire, la somme de 245.214,59 euros (montant arrêté au 25 avril 2023, à parfaire le jour de l'audience) ;

le montant de l'indemnité mensuelle d'occupation fixée à compter du 29 novembre 2022 ;

une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

les entiers dépens qui comprendront le coût du commandement, de l'assignation et de ses suites,

dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du commandement, pour les sommes qui y sont visées, et de la présente assignation pour le surplus ;

ordonner la capitalisation des intérêts au visa de l'article 1343-2 du code civil.

Par ordonnance contradictoire du 20 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

rejeté l'exception de litispendance ;

rejeté l'exception d'incompétence ;

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de constat de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, et sur les demandes subséquentes d'expulsion, de séquestration du mobilier et de condamnation par provision au paiement d'une indemnité d'occupation ;

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes subsidiaires de la société Allianz vie ;

rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la partie demanderesse aux dépens,

rappelé l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration du 5 janvier 2024, la société Allianz vie a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 30 avril 2024, comportant intervention volontaire de la société Allianz [Adresse 2], la société Allianz vie demande à la cour, au visa des articles 1103, 1728 du code civil, L. 145-41 du code de commerce, 325, 554, 834 et 835 alinéa 2 du code de procédure civile, de :

A titre liminaire,

déclarer recevable l'appel interjeté ;

constater que par voie d'apport mixte, la société Allianz vie a apporté à la société Allianz [Adresse 2], venant aux droits de la société Allianz new real estate, l'immeuble sis [Adresse 2] et [Adresse 3] au cadastre sous les références suivantes : Section AU n° [Cadastre 6] Lieudit [Adresse 2] d'une surface 00ha 08A62ca ;

constater que la société Allianz vie justifie de sa qualité de bailleur jusqu'au complet transfert de l'immeuble et dispose de la qualité pour interjeter appel de l'ordonnance rendue ;

constater que la société Allianz [Adresse 2] justifie en cours de procédure de sa qualité de bailleur afin de reprendre l'instance engagée par la société Allianz vie ;

constater que par acte sous seing privé en date du 5 avril 2024, la société Allianz vie a apporté et transféré à la société Allianz [Adresse 2] la propriété des créances de loyers qu'elle détient sur la société La Titjade ;

juger que l'intérêt et la qualité à agir de la société Allianz vie pour solliciter le paiement des loyers ont disparu en cours d'instance, la société Allianz [Adresse 2] venant s'y substituer ;

en conséquence, recevoir la société Allianz [Adresse 2] en son intervention volontaire pour son compte en cette qualité ;

déclarer recevable et bien fondée la société Allianz [Adresse 2] dans l'ensemble de ses demandes, fins moyens et prétentions ;

A titre principal,

infirmer l'ordonnance rendue le 20 décembre 2023 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de constat de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, et sur les demandes subséquentes d'expulsion, de séquestration du mobilier et de condamnation par provision au paiement d'une indemnité d'occupation ;

Statuant à nouveau,

constater l'acquisition au profit du bailleur de la clause résolutoire contenue dans le bail du 10 octobre 2011 à la date du 29 novembre 2022 ;

en conséquence, ordonner l'expulsion de la société La Titjade et de toute personne de son chef des locaux qu'elle occupe au [Adresse 3] tels que désignés dans le bail du 10 octobre 2011 et ce, au besoin avec l'aide de la force publique ;

condamner à titre provisionnel l'intimée à restituer au bailleur les lieux dont il s'agit, libres de toute occupation et de tout mobilier, cela sous astreinte de 1.000 euros par jour calendaire de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir en vertu de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

autoriser à séquestrer le mobilier se trouvant éventuellement dans les lieux dans tout garde-meubles aux frais, risques et périls de l'intimée ;

fixer le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 29 novembre 2022 au montant du loyer contractuel actuel, outre charges et taxes ;

juger que cette indemnité d'occupation sera due au fur et à mesure de son exigibilité et jusqu'à la date du départ effectif de l'intimée et de la libération des lieux de tout mobilier, outre charges et taxes ;

condamner à titre provisionnel la société La Titjade à payer les sommes suivantes :

l'arriéré locatif au 10 avril 2024 s'élevant à la somme de 240.352,67 euros (loyers non contestables, ne couvrant pas les montants couvrant la période du 19/05/2019 au 20/07/2020) ;

le montant de l'indemnité mensuelle d'occupation fixée à compter du 29 novembre 2022 ;

dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du commandement, pour les sommes qui y sont visées, et de l'assignation pour le surplus ;

ordonner la capitalisation des intérêts au visa de l'article 1343-2 du code civil ;

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire, la demande principale de constat d'acquisition de la clause résolutoire au profit du bailleur et les demandes subséquentes ne prospéreraient pas en cause d'appel, il est demandé :

l'ordonnance rendue le 20 décembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes subsidiaires du bailleur ;

Statuant à nouveau,

ordonner dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir la consignation de la somme de 240.352,67 euros entre les mains de M. le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris ;

passé ce délai de quinzaine,

constater l'acquisition au profit du bailleur de la clause résolutoire contenue dans le bail du 10 octobre 2011 cela à la date du 29 novembre 2022 ;

en conséquence, ordonner l'expulsion de la société La Titjade et de toute personne de son chef des locaux qu'elle occupe au [Adresse 3], tels que désignés dans le bail du 10 octobre 2011, et ce, au besoin, avec l'aide de la force publique ;

condamner à titre provisionnel la société La Titjade à restituer au bailleur les lieux dont il s'agit, libres de toute occupation et de tout mobilier, cela sous astreinte de 1.000 euros par jour calendaire de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir en vertu de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

autoriser le bailleur à séquestrer le mobilier se trouvant éventuellement dans les lieux dans tout garde-meubles, aux frais, risques et périls de la société La Titjade ;

fixer le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 29 novembre 2022 au montant du loyer contractuel actuel, outre charges et taxes ;

juger que cette indemnité d'occupation sera due au fur et à mesure de son exigibilité et jusqu'à la date du départ effectif de la société La Titjade et de la libération des lieux de tout mobilier, outre charges et taxes ;

condamner à titre provisionnel la société La Titjade à payer au bailleur les sommes suivantes :

les loyers et accessoires, hors période comprise entre le 19 mai 2019 et le 20 juillet 2020, soit la somme de 240.352,67 euros au 30 avril 2024 ;

le montant de l'indemnité mensuelle d'occupation fixée à compter du 29 novembre 2022 ;

dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du commandement, pour les sommes qui y sont visées, et de l'assignation pour le surplus ;

ordonner la capitalisation des intérêts au visa de l'article 1343-2 du code civil ;

En tout état de cause :

confirmer l'ordonnance rendue le 20/12/2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé en ce qu'elle a :

rejeté l'exception de litispendance soulevée par la société La Titjade ;

rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société La Titjade ;

rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts soulevée par la société La Titjade ;

infirmer l'ordonnance rendue le 20 décembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la société Allianz vie aux dépens ;

Statuant à nouveau,

condamner la société La Titjade à payer au bailleur les sommes suivantes :

* une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* les entiers dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer, de l'assignation et de ses suites ;

débouter la société La Titjade de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

condamner la société La Titjade au paiement des entiers dépens de la procédure d'appel ;

condamner la société La Titjade au paiement de la somme de 5.000 euros sauf à parfaire, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 5 mars 2024, la société La Titjade demande à la cour de :

A titre liminaire,

déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société Allianz vie ;

A titre subsidiaire,

confirmer l'ordonnance de référé du 20 décembre 2023 en ce qu'elle a :

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de constat de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, et sur les demandes subséquentes d'expulsion, de séquestration du mobilier et de condamnation par provision au paiement d'une indemnité d'occupation ;

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes subsidiaires de la société Allianz vie ;

condamner les sociétés Allianz vie et Allianz [Adresse 2] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner les sociétés Allianz vie et Allianz [Adresse 2] aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE,

Sur l'intervention volontaire de la société Allianz [Adresse 2]

Aux termes de l'article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

Au cas présent, la société Allianz [Adresse 2] qui n'était pas partie en première instance, a intérêt à intervenir en cause d' appel en sa qualité de propriétaire de l'immeuble au vu de l'acte d'apport mixte de cet immeuble en date du 4 décembre 2023, et de la décision unanime des associés de la société Allianz vie, entreprise le 5 avril 2024, apportant et transférant à la société Allianz [Adresse 2] les créances de loyers qu'elle détient.

Son intervention volontaire est donc recevable.

Sur la recevabilité de l'appel interjeté

La société La Titjade excipe de ce que la société Allianz vie serait dépourvue du droit d'agir et d'interjeter appel, puisqu'à la date de la déclaration d'appel soit le 5 janvier 2024, elle n'était plus propriétaire des lieux.

La société Allianz vie et la société Allianz Drouot répondent que la société Allianz 7 Drouot est intervenue volontairement dans plusieurs procédures opposant les parties, sans aucune opposition de la société intimée.

Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d' agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Selon l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d' agir.

Selon l'article 126 du même code, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance.

Au cas présent, il est constant que la société Allianz vie a interjeté appel de la décision entreprise par déclaration du 5 janvier 2024, la société Allianz [Adresse 2] étant devenue propriétaire de l'immeuble par effet de l'apport mixte du 4 décembre 2023. Toutefois, la société Alliance vie était partie, précisément demanderesse, en première instance, contrairement à la société Allianz [Adresse 2] et disposait ainsi de la qualité pour interjeter appel, étant relevé que l'intervention volontaire de cette société en cours d'appel a régularisé toute fin de non-recevoir à ce titre au jour où la cour statue.

La fin de non-recevoir soulevée par la société La Titjade est donc rejetée.

Sur le fond du référé

A titre liminaire, les parties ne critiquent pas en cause d'appel l'ordonnance de référé en ce qu'elle a rejeté l'exception de litispendance soulevée par la société La Titjade et l'exception d'incompétence soulevée par cette société au profit du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre.

La société Allianz [Adresse 2] soutient notamment que l'ordonnance rendue est entachée d'erreurs de fait et de droit, en ce que toute impossibilité d'exploiter les lieux a cessé au 20 juillet 2020, que la société La Titjade a informé elle-même sa bailleresse de ce qu'elle n'était plus en mesure de faire face au paiement des loyers, alors que les travaux de reprise ont été réalisés et réceptionnés le 20 juillet 2020. Elle soutient encore que la société La Titjade reconnaît avoir cessé de payer ses loyers à compter de septembre 2019, qu'il n'existait aucune sinistralité avant l'orage et que l'effondrement du plancher s'est produit immédiatement après la venue d'eau, l'aménagement du sous-sol étant le fait du preneur. Elle précise que la dette locative couvre une courte période durant laquelle le restaurant était fermé au public pendant la crise sanitaire, ce qui ne dispense pas le preneur de régler ses loyers. S'agissant de la réintégration, le juge des référés a commis une grave erreur de droit alors que le bailleur ne dispose que d'une obligation de délivrance et que la société La Titjade n'a jamais indiqué la date à laquelle elle souhaite réintégrer les lieux.

La société La Titjade expose notamment qu'elle a été empêchée d'exploiter les lieux à la demande du bailleur lui-même, a été contrainte de fermer complètement son établissement, et a saisi le juge du fond de l'indemnisation de son préjudice, que les conditions dans lesquelles les travaux ont été conduits constituent au surplus une faute du bailleur, de sorte que la demande se heurte à des contestations sérieuses.

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en 'uvre régulièrement.

Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

En l'espèce, le bail commercial contient une clause résolutoire en vertu de laquelle un commandement de payer a été délivré à la société La Titjade le 16 janvier 2023, pour avoir paiement de la somme de 196.497, 60 au titre des loyers impayés.

La société locataire ne conteste pas l'absence de règlement des loyers et d'apurement des causes du commandement dans le délai d'un mois mais soutient qu'elle était fondée à suspendre ses paiements en raison de l'impossibilité d'exploiter les lieux loués. Elle invoque le manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance et d'entretien résultant de l'article 1719 du code civil et l' exception d' inexécution qui l'autoriserait à suspendre le paiement des loyers.

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 1728 du code civil, le locataire est tenu au paiement des loyers et charges aux termes prévus au bail , sans pouvoir invoquer l'exception d' inexécution pour y échapper, sauf à justifier que les locaux loués sont devenus impropres à l'usage auquel ils étaient destinés (Cass., 3e Civ., 6 juillet 2023, pourvoi n°22-15.923, publié).

Il s'avère au cas présent que :

- Il est constant qu'un violent orage est survenu au cours du mois de mai 2019 et que les lieux loués ont subi des infiltrations d'eau par les soupiraux engendrant l'effondrement du plafond en plâtre du sous-sol, rendant la salle qui y étai aménagée inexploitable,

- Le rapport d'expertise établi par le cabinet Elex à la demande de la société Axa France, assureur multirisque professionnel de la société Le Titjade le 12 juillet 2019 a précisé : « depuis le jour du sinistre, l'exploitation en sous-sol du restaurant est impossible suite à la mise en 'uvre d'étais installés dans le cadre de mesures de sécurité »,

- Les parties produisent une sommation de cesser toute exploitation délivrée par le bailleur à la locataire le 6 mars 2020, cette sommation se fondant sur un courrier du bureau d'études techniques ICI du 4 mars 2020 indiquant : « nous avons constaté que : des fissures plus ou moins prononcées étaient apparues au sol ou s'étaient agrandies sur la mosaïque du rez-de-chaussée lors des travaux de curage effectués en plancher haut sous-sol, les fers carrés suspendus aux solives métalliques et censés supporter les hourdis briques en plat sous-sol étaient fortement dégradés et dans la plupart des cas inutiles du fait de leur désolidarisation du hourdis, ce problème se répétant sur une surface étendue et non ponctuellement, l'étaiement mis en place au sous-sol ne permettait pas de pallier provisoirement ce défaut structurel étant donné qu'il est calé sous les solives métalliques et non sous le remplissage hourdis, qui constitue le point faible »,

- Ce rapport conclue : « au vu du danger structurel que représente à ce jour le plancher, il paraît donc indispensable d'évacuer sans délai le commerce le temps de la réalisation des travaux de confortement »,

- L'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 20 décembre 2023, dans le litige opposant la société La Titjade à son assureur, précise que « la réduction temporaire puis l'interruption de l'activité professionnelle de la société La Titjade étaient pour partie au moins imputables à l'état général du bâtiment loué (') qui souffrait d'un grave défaut de structure », étant relevé que la société La Titjade a pris l'intuitive en juin 2022 d'une procédure au fond aux fins d'indemnisation par le bailleur de ses pertes d'exploitation troubles de jouissance,

- le commandement de payer visant la clause résolutoire ayant été délivré le 22 octobre 2022 et portant sur une période allant du 30 septembre 2019 au 25 octobre 2022, force est de constater que cette période inclut nécessairement l'impossibilité totale d'exploiter les lieux,

- de plus si le bailleur produit un procès-verbal de réception des travaux du 20 juillet 2020, aucun élément ne permet de retenir ni que des travaux auraient été réalisés sur la structure de l'immeuble ni que la locataire aurait réintégré les lieux depuis cette date,

Dans ces circonstances, il apparaît que le bailleur a fait preuve de mauvaise foi dans la mise en 'uvre de la clause résolutoire au moment de la délivrance du commandement litigieux et que c'est à juste titre que le premier juge a estimé qu'il n'y avait pas lieu à référé sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire.

Au sens de cet arrêt, la demande provisionnelle du bailleur se heurte à la contestation sérieuse de l'exception d'inexécution du preneur, qu'il appartient au juge du fond de trancher, de même que sa demande, subsidiaire, tendant à voir ordonner dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir la consignation de la somme de 240.352,67 euros entre les mains de M. le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, de sorte qu'il n'y a pas lieu à référé de ces chefs.

L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions.

Sur les frais et dépens

Partie perdante, l'appelante sera tenue aux dépens d'appel et condamnée à indemniser la société La Titjade des frais qu'elle a de nouveau été contrainte d'engager, à hauteur de la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Reçoit la société Allianz [Adresse 2] en son intervention volontaire,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la déclaration d'appel soulevée par l'intimée ;

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Rejette les autres demandes,

Condamne la société Allianz [Adresse 2], venant aux droits de la société Allianz vie aux dépens d'appel ;

La condamne à payer à la société La Titjade la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.