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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 3 octobre 2024, n° 24/00346

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/00346

2 octobre 2024

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 29 septembre 2022, prenant effet le 1er octobre suivant, la société Malesherbes a consenti à la société Al Madina un bail commercial portant sur un local sis dans un immeuble à usage de commerce et d'habitation situé [Adresse 2], moyennant un loyer annuel de 9.600 euros payable mensuellement et d'avance.

La société Al Madina a cessé de régler le loyer à compter du mois de janvier 2023.

Le 15 mars 2023, un commandement de payer a été délivré à la société Al Madina, par le ministère de la SELARL Ahcnor, commissaire de justice au Havre, à la demande de la SCI Malesherbes pour la somme en principal de 2.991 euros représentant l'arriéré de loyers et charges arrêté au 2 mars 2023.

Ledit commandement est demeuré infructueux dans le mois de sa délivrance.

Par courrier recommandé du 2 juin 2023, la SCI Malesherbes, par l'intermédiaire de son conseil, a mis en demeure la société locataire de lui régler la somme de 3.536,98 euros représentant les loyers et charges impayés selon décompte arrêté au 28 avril 2023.

Par acte d'huissier du 9 novembre 2023, la société Malesherbes a fait assigner la société Al Madina devant madame la présidente du tribunal judiciaire du Havre, afin de solliciter en référé notamment le constat à la date du 15 avril 2023 de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial, la condamnation à titre provisionnel de la société Al Madina à lui payer diverses sommes outre une indemnité mensuelle d'occupation.

Par ordonnance de référé du 9 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire du Havre a :

- constaté la résiliation du contrat de bail commercial conclu le 29 septembre 2022, portant sur un local commercial dépendant de l'immeuble situé [Adresse 2], du fait de l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit pour défaut de paiement des loyers, le 15 avril 2023,

- ordonné l'expulsion de la SAS Al Madina ainsi que de tous occupants de son chef, en tant que de besoin avec le concours de la force publique, passé le délai d'un mois après la signification de la présente ordonnance,

- condamné la SAS Al Madina à payer à la SCI Malesherbes la somme provisionnelle de 5 831,20 euros au titre des dépôt de garantie, loyers et provisions sur charges échus au 31 décembre 2023, à compter du 15 mars 2023 sur la somme de 2 991 euros, du 9 novembre 2023 sur celle de 966,80 euros et à compter de la présente ordonnance sur le surplus,

- condamné la SAS Al Madina à payer à la SCI Malesherbes une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle de 997 euros à compter du 1er juillet 2023 et jusqu'à complète libération des lieux et remise des clés,

- condamné la SAS Al Madina aux dépens,

- condamné la SAS Al Madina à payer à la SCI Malesherbes une indemnité de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SCI Malesherbes du surplus de ses demandes.

La société Al Madina a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 25 janvier 2024.

L'ordonnance de clôture a été rendue le11 juin 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 20 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Al Madina qui demande à la cour de :

- réformer dans son intégralité l'ordonnance rendue le 9 janvier 2024 par la présidente du tribunal judiciaire du Havre,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- recevoir la société Al Madina en son appel et la déclarer bien fondée,

- juger qu'il n'y a lieu à référé sur toutes les demandes de la SCI Malesherbes eu égard à l'existence d'une contestation sérieuse,

En conséquence,

- débouter la SCI Malesherbes de sa demande de résiliation du bail par jeu de la clause résolutoire et de l'ensemble de ses demandes subséquentes formulées à l'encontre de la société Al Madina,

A titre subsidiaire,

- débouter la SCI Malesherbes de l'intégralité de ses demandes,

- suspendre les effets de la clause résolutoire,

- accorder à la société Al Madina les plus larges termes et délais de paiement pour la dette de loyers,

- juger que la dette de loyers de la société Al Madina sera versée sur le compte séquestre CARPA de Maître [K] et que les sommes ne seront libérées qu'à compter d'une décision définitive devant intervenir sur le fond,

En tout état de cause,

- condamner la SCI Malesherbes à payer à la société Al Madina une indemnité de

1 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Malesherbes aux entiers dépens.

Vu les conclusions du 8 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Malesherbes qui demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire du Havre le 9 janvier 2024,

En conséquence,

- constater la résiliation du contrat de bail commercial conclu le 29 septembre 2022, portant sur un local commercial dépendant de l'immeuble situé [Adresse 2], du fait de l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit pour défaut de paiement des loyers, le 15 avril 2023,

- ordonner l'expulsion de la SAS Al Madina ainsi que de tous occupants de son chef, en tant que de besoin avec le concours de la force publique, passé le délai d'un mois après la signification de la présente ordonnance,

- condamner la SAS Al Madina à payer à la SCI Malesherbes la somme provisionnelle de 5 831,20 euros au titre des dépôt de garantie, loyers et provisions sur charges échus au 31 décembre 2023, à compter du 15 mars 2023 sur la somme de 2 991 euros, du 9 novembre 2023 sur celle de 966,80 euros et à compter de la présente ordonnance sur le surplus,

- condamner la SAS Al Madina à payer à la SCI Malesherbes une indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle de 997 euros à compter du 1er juillet 2023 et jusqu'à complète libération des lieux et remise des clés,

- condamner la SAS Al Madina aux dépens,

- condamner la SAS Al Madina à payer à la société Malesherbes une indemnité de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

- condamner la SAS Al Madina à payer à la société Malesherbes une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS Al Madina en tous les dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

Moyens des parties

La société Al Madina soutient que :

* il existe une contestation sérieuse évidente qui relève du juge du fond ; elle soulève une exception d'inexécution ;

* compte tenu d'infiltrations d'eau conséquentes, le local a été totalement inexploitable pendant plusieurs mois ; elle a perdu de la marchandise ainsi que son chiffre d'affaires ; le bailleur aurait dû procéder aux réparations des dégâts dans le local dus à de multiples fuites d'eau qui montrent un défaut dans la structure même de l'immeuble ; ces réparations relèvent de la catégorie des grosses réparations ;

* l'origine des infiltrations récurrentes n'a pu être établie avec certitude, de telle sorte que M.[M] a sollicité la prise en charge des travaux par son bailleur, ce qu'il a refusé, le renvoyant vers son assurance ;

* le bailleur, tenu à une obligation de délivrance, ne saurait s'en dispenser au motif qu'une cause externe est à l'origine de l'état des lieux loués qui n'étaient pas exploitables.

La SCI Malesherbes réplique que :

* elle a parfaitement respecté l'obligation de délivrance et celle de jouissance paisible que lui impose la loi ; elle a effectué l'ensemble des travaux nécessaires à la suppression de la fuite ;

* la société Al Madina échoue à démontrer que les locaux étaient inutilisables ; l'exception d'inexécution ne saurait être invoquée devant le juge des référés ; la locataire échoue également à démontrer que les infiltrations dénoncées auraient causé un quelconque préjudice.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile : ''dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.''

Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du même code ''le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.''

Au visa de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Il entre dans les pouvoirs du juge des référés de constater l'application d'une clause résolutoire de plein droit dès lors que les stipulations contractuelles lui ont attribué cette compétence.

Le bail commercial signé le 19 septembre 2022 mentionne une clause résolutoire qui sanctionne l'inexécution des conditions du bail dont le défaut de paiement des loyers et qui attribue expressément cette compétence du juge des référés, qui a dès lors le pouvoir de constater l'acquisition ou non de cette clause, sous réserve d'éventuelles contestations élevées par le preneur et jugées sérieuses.

En application des dispositions de l'article 1719 du code civil, ''le bailleur est tenu d'une obligation de délivrance en mettant à la disposition du preneur un bien conforme à sa destination contractuelle. Cette obligation demeure tout au long du bail et il ne peut y être dérogé.''

L'article 1720 du même code dispose que ''le bailleur doit faire pendant la durée du bail toutes les réparations devenues nécessaires autres que locatives.''

Au visa de l'article 1724 du même code, le preneur doit souffrir les réparations urgentes du bien loué, quelque incommodité qu'elles lui causent, et qui ne peuvent être différées jusqu'à la fin du bail.

Aux termes de l'article 1219 du code civil : ''une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.''

Il en résulte que le preneur peut opposer, comme moyen de défense à une demande en paiement des loyers, l'exception d'inexécution en cas d'inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance, s'agissant d'obligations réciproques et interdépendantes.

L'inexécution doit être suffisamment grave pour que celui qui s'en prévaut puisse être en droit de suspendre l'exécution de ses propres obligations, étant rappelé que s'agissant du contrat de bail, l'article 1728 du code civil oblige le preneur à payer le loyer aux termes convenus et que ce n'est que dans le cas où le locataire est dans l'impossibilité d'utiliser les lieux loués conformément à leur destination qu'il est admis que le locataire suspende le paiement du loyer.

S'il n'entre à l'évidence pas dans les pouvoirs du juge des référés d'apprécier le bien-fondé de l'exception d'inexécution invoquée par la société Al Madina, il s'impose de constater que son argumentation repose en réalité sur l'allégation de contestations sérieuses opposées aux demandes de la SCI Malesherbes qu'il lui revient de caractériser.

Pour démontrer la réalité des faits et les difficultés rencontrées, la société Al Madina verse aux débats un échange de messages entre les parties, des photographies et des captures d'écran d'une vidéo, le tout ayant fait l'objet d'un procès-verbal de constat dressé le 19 février 2023 par Maître [Y], commissaire de justice au Havre.

Il apparaît de ces messages échangés entre le 6 et le 26 décembre 2022 qu'un dégât des eaux s'est produit dans le local commercial loué par l'appelante provenant de l'appartement situé au-dessus également propriété de la SCI Malesherbes. Maître [Y], qui a visionné la vidéo du 25 décembre 2022 et reproduit les captures d'écran effectuées, note que ''le plafond est endommagé : certaines plaques de placoplâtre sont manquantes, laissant entrevoir la laine de verre imbibée d'eau. A cet endroit, des gouttes d'eau s'écoulent en filets. Le sol, lui aussi endommagé, est recouvert de morceaux de placoplâtre épars et des flaques d'eau stagnant à certains endroits.''

Les photographies prises par la société Al Madina et les captures d'écran de la vidéo reproduites par la commissaire de justice ne donnent pas une vue d'ensemble des lieux loués et il n'est pas précisé la localisation de ces prises de vue.

Il apparaît encore de l'échange de messages cité plus haut qu'un plombier est intervenu avant le 6 décembre 2022 dans l'appartement situé au-dessus des lieux loués puis également après cette date et ceci à plusieurs reprises sur relance de la SCI Malesherbes en raison de la persistance de l'écoulement d'eau dont le locataire se plaignait, dans un premier temps, pour procéder au remplacement du chauffe-eau et, dans un deuxième temps, pour colmater une fuite provenant d'une machine à laver, ces interventions ayant pris fin le 26 décembre 2022.

La SCI Malesherbes produit la facture du 27 décembre 2022 de l'entreprise Bihannic qui a effectué le remplacement du chauffe-eau.

Il apparaît du message du 27 février 2023 de la gestionnaire du local commercial loué adressé au propriétaire que la fuite provenant du cumulus avait endommagé ''le petit sas où se trouve la chaudière du local commercial'' et que la fuite provenant de la machine à laver ''endommageait la salle arrière du local.''

Aux termes du bail commercial signé le 29 septembre 2022, les locaux loués à usage de commerce portent sur un magasin à usage de commerce, un dégagement avec WC, un laboratoire et un bureau, une pièce de garde avec WC constituant un logement de fonction et sont d'une contenance de 187 m2.

Et il apparaît des propres déclarations de la société Al Madina retranscrites dans le procès-verbal de constat par la commissaire de justice mandatée par lui-même qu'il n'y a pas eu d'impossibilité de jouissance de l'ensemble des lieux loués puisque Monsieur [M] a exposé avoir été empêché d'exploiter '' (') une partie du local pendant plusieurs mois.''

Il s'ensuit avec l'évidence requise en référé, nonobstant les désagréments subis par la locataire, que le bailleur a fait procéder dans le courant du mois de décembre 2022 à des travaux pour remédier aux fuites d'eau provenant de l'appartement situé au-dessus du local loué, lequel local n'a pas été de l'aveu même de la société Al Madina totalement inexploitable et n'était donc pas impropre à l'usage auquel il était destiné de sorte que l'appelante ne justifie pas de l'existence d'une contestation sérieuse devant le juge des référés pour prétendre se soustraire à son obligation de payer ses loyers et charges. Il en résulte que l'exécution par la société Al Madina de son obligation de payer les loyers n'est pas sérieusement contestable.

Un commandement mentionnant la clause résolutoire insérée dans le bail a été signifié à la société Al Madina le 15 mars 2023 pour paiement de la somme de 2 991 euros au titre des loyers et provisions sur charges échus au 2 mars 2023 et la société Al Madina n'allègue pas avoir réglé les causes du commandement dans le délai d'un mois mentionné dans l'acte de sorte que la clause résolutoire est acquise.

L'occupation sans droit ni titre de la propriété d'autrui constituant un trouble manifestement illicite, c'est à bon droit que le juge des référés a ordonné la libération des lieux.

Par voie de conséquence, l'ordonnance de référé sera confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du contrat de bail commercial conclu le 29 septembre 2022, portant sur un local commercial dépendant de l'immeuble situé [Adresse 2], du fait de l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit pour défaut de paiement des loyers, le 15 avril 2023.

Sur la demande de délai de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire

Moyens des parties

La société Al Madina fait valoir que :

* M.[M] a toujours travaillé et il emploie un salarié ; il n'a pas compris la mesure d'expulsion alors qu'il était en négociation amiable avec l'un des gérants ;

* il n'existe aucun local disponible de même surface pour un loyer similaire dans le même quartier.

La SCI Malesherbes réplique que :

* la société Al Madina met tout en 'uvre pour retarder le paiement des loyers ; elle ne produit aucun élément comptable ; elle ne propose aucune somme mensuelle.

Réponse de la cour

Il résulte des dispositions de l'article L145-41 du code de commerce que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1343-5 ou 1244-1 à 1244-3 anciens du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre les effets d'une clause résolutoire, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice passée en force de chose jugée.

L'intimée produit aux débats un décompte arrêté au 1er décembre 2023 qui fait ressortir une dette d'un montant de 5831,20 euros. Le décompte arrêté au 15 mars 2024 fait ressortir un solde débiteur de 11 324,07 euros comprenant des frais de procédure et d'exécution.

Dans le cadre de la présente procédure et à hauteur d'appel la société Al Madina produit un seul plan prévisionnel d'activité établi en avril 2022 par le cabinet de comptabilité Agence 7 qui est inopérant pour démontrer sa capacité à honorer un échéancier. Ainsi la société Al Madina échoue à démontrer être en capacité de résorber sa dette et régler le loyer courant. De surcroît, elle n'a présenté aucune proposition chiffrée de règlement.

Par conséquent, la société Al Madina sera déboutée de sa demande de délai de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire.

Sur le versement des arriérés de loyers et charges sur un compte séquestre

Moyens de la société Al Madina :

* elle a saisi le juge de l'exécution d'une demande de délai dans la suite de la délivrance du commandement de quitter les lieux ; en attendant la décision à intervenir sur le fond, les sommes devront être versées sur un compte séquestre.

Réponse de la cour

En l'absence de contestation sérieuse portant sur l'obligation de payer les loyers et charges, il convient de débouter la société Al Madina de cette demande.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement ;

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la SAS Al Madina de ses demandes de délais de paiement, de suspension des effets de la clause résolutoire, de versement des arriérés de loyers et charges sur un compte séquestre ;

Condamne la SAS Al Madina aux dépens en cause d'appel ;

Condamne la SAS Al Madina à payer à la SCI Malesherbes la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel.