CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 2 octobre 2024, n° 23/14692
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Joliette Bâtiments (SAS)
Défendeur :
Royal Docks (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gerard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Imperatore, Me Le Liepvre, Me Legout
EXPOSE DU LITIGE
Selon un contrat en date du 1er juin 2018 la société Royal Docks a pris à bail deux locaux commerciaux au sein des Docks de [Localité 3] auprès de la société Joliette Bâtiments, moyennant un loyer annuel de 62 213 euros.
Le 27 novembre 2020, après un premier courrier, la société Royal Docks a donné congé au bailleur en invoquant notamment le manque d'attractivité du centre commercial et le refus du bailleur d'opérer une baisse des loyers et charges tenant compte d'une « commercialité largement insuffisante ». L'état des lieux de sortie a été établi le 1er juillet 2021.
Par acte du 31 juillet 2023 la société Joliette Bâtiments a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille afin d'obtenir la condamnation provisionnelle de la société Royal Docks au paiement de la somme de 113 894,90 euros au titre des loyers impayés.
Par ordonnance en date du 16 novembre 2023 le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille a :
Dit n'y avoir lieu à référé et renvoyé les parties à se pourvoir devant les juges du fond tant sur la demande principale de la société Joliette Bâtiments que sur les demandes reconventionnelles de la société Royal Docks,
Laissé la charge des dépens à la société Joliette Bâtiments,
Rejeté tout surplus des demandes comme non justifié
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Par acte en date du 30 novembre 2023 la société Joliette Bâtiments a interjeté appel de l'ordonnance.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 12 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Joliette Bâtiments (Sas) demande à la cour de :
Vu les articles 803, 872 et 873 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1217 et 1728 du Code civil,
Vu le bail du 1er juin 2018,
Vu les pièces,
- Infirmer l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Marseille du 16 novembre 2023 en ce qu'elle a :
' Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Joliette Bâtiments et l'a renvoyée à se pourvoir devant les juges du fond ;
' Laissé à la charge de la société Joliette Bâtiments les dépens ;
- Confirmer l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Marseille du 16 novembre 2023 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles de la société Royal Docks ;
Statuant à nouveau,
- Dire et juger que la créance de la SAS Joliette Bâtiments à l'encontre de la SAS Royal Docks au titre de l'arriéré de loyer, taxes et charges dû en vertu du bail commercial du 1 er juin 2018 n'est pas sérieusement contestable ;
- Juger que la SAS Joliette Bâtiments ne sollicite plus, dans le cadre de la présente instance en référé, la créance de charges pour l'année 2020 égale à la somme de 13.759,12 euros, cependant qu'elle se réserve le droit d'en poursuivre recouvrement ultérieurement ;
- Condamner par provision la SAS Royal Docks à verser à la SAS Joliette Bâtiments la somme de 93.596,79 euros, avec intérêts au taux légal courant à compter du 28 avril 2021 ;
En tout état de cause,
- Débouter la SAS Royal Docks de l'ensemble de ses demandes au titre de son appel incident ;
- Condamner la SAS Royal Docks à verser à la SAS Joliette Bâtiments la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens, ceux d'appel distraits au profit de Maître Pierre-Yves Imperatore, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.
La société Joliette Bâtiments fait valoir que :
contrairement à ce qu'a retenu le juge des référés il n'existe aucune contestation sérieuse quant à sa créance dès lors que le bailleur d'un centre commercial n'a aucune obligation, sauf stipulations contractuelles contraires, de maintien d'un environnement commercial favorable ; le preneur ne peut se prévaloir de l'exception d'inexécution pour ne pas s'acquitter des loyers que dans l'hypothèse d'impossibilité absolue d'utiliser les lieux loués,
il n'existe pas davantage de contestation en ce qui concerne le quantum de la créance,
l'ordonnance sera en revanche confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes reconventionnelles du preneur relatives tant à un éventuel préjudice qu'aux sommes qu'il prétend avoir indûment versées,
la demande de délais de paiement formulée par le preneur n'est pas justifiée
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Par conclusions en réponse enregistrées par voie dématérialisée le 14 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Royal Docks (Sas) demande à la cour de :
Vu les articles 1719 et 1720 du Code Civil,
Vu l'article 1219 du nouveau Code Civil
Vu l'article 873 du CPC,
Vu les articles L145-40-2 et R145-36 du Code de Commerce,
Vu l'article 1343-5 du Code Civil,
Vu les pièces,
Ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 27 mai 2024,
Ordonner la réouverture des débats et une clôture différée,
Confirmer l'ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Marseille le 16 novembre 2023, en ce qu'elle a :
- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société SAS Joliette Bâtiments et l'a renvoyée à se pourvoir devant le Juge du fond.
- laissé à la charge de la société SAS Joliette Bâtiments des dépens.
Dire et juger que les demandes formées par la société SAS Joliette Bâtiments se heurtent à de contestations sérieuses.
Débouter la société SAS Joliette Bâtiments de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
Réformer l'ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Marseille le 16 novembre 2023 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et renvoyé les parties à se pourvoir devant le Juge du fond sur les demandes reconventionnelles de la société Royal Docks.
Statuant à nouveau la cour d'appel d'Aix-en-Provence devra :
Dire et juger que la société SAS Joliette Bâtiments a manqué à son obligation de délivrance et de jouissance paisible des locaux donnés à bail.
Dire et juger que la société Royal Docks est fondée en son exception d'inexécution.
Condamner la société SAS Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks une provision de 50 000 € à valoir sur le préjudice subi.
Condamner la société SAS Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks la somme de 1 835,63 € au titre des loyers indûment réglés.
Condamner la société SAS Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks la somme de 9 183,11 € au titre des taxes foncières indûment payées.
Condamner la société SAS Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks la somme de 102 756 € au titre des charges et taxes indûment payées.
Condamner la société SAS Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks la somme de 14 065.12 € au titre des charges marketing indûment payées.
Condamner la société SAS Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks une somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC au titre de la première instance.
Condamner la société SAS Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks une somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC en cause d'Appel.
Condamner l'appelante aux entiers dépens
A titre subsidiaire,
Réduire la créance de la société SAS Joliette Bâtiments au titre des loyers relatifs à la période du 8 juin 2018 au 7 juin 2021 de la somme de 2 536,93 €.
Dire que la créance de la société SAS Joliette Bâtiments au titre des loyers relatifs à la période du 8 juin 2018 au 7 juin 2021 s'élève ' au plus et indépendamment des contestations formées au titre de l'indexation du loyer ' à 26 134.43 €
Réduire la créance de la société SAS Joliette Bâtiments au titre des charges relatives à la période du 8 juin 2018 au 7 juin 2021 de la somme de 19 515.26 €.
Réduire la créance de la société SAS Joliette Bâtiments au titre des taxes foncières relatives à la période du 8 juin 2018 au 7 juin 2021 de la somme de 12 287.88 €.
Réduire la créance de la société SAS Joliette Bâtiments au titre des charges marketing relatives à la période du 8 juin 2018 au 7 juin 2021 de la somme de 4 166.21 €.
Octroyer à la société Royal Docks des délais de paiement pour s'acquitter des sommes qui seraient dues à l'égard de la société SAS Joliette Bâtiments sur deux ans.
Au soutien de son appel, la société Royal Docks fait valoir que :
le manquement du bailleur à ses obligations contractuelles constitue une contestation sérieuse excluant la compétence du juge des référés ; or, la société Joliette Bâtiments a manqué à son obligation de tout mettre en 'uvre pour lui assurer un environnement favorable ; de plus, le bâtiment était affecté de défauts structurels qui ont impacté très défavorablement l'attractivité du centre commercial,
elle a subi un préjudice d'image à la suite de son départ des Docks ainsi qu'un préjudice d'exploitation et des frais d'aménagement d'un nouveau local,
la clause d'indexation du loyer exige une interprétation excédant la compétence du juge des référés ; en outre, elle a réglé des sommes de façon indue ; les pièces produites sont insuffisantes à démontrer le quantum de la créance invoquée par la société Joliette Bâtiments et sont également sujettes à contestations sérieuses,
sa situation économique justifie l'octroi de délais de paiement
MOTIFS
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :
En l'état de la décision de révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 6 juin 2024, reportant la clôture des débats au 20 juin 2024, jour de l'audience, cette demande est devenue sans objet.
Sur la demande provisionnelle formée par la société Joliette Bâtiments :
En application de l'article 873 alinéa 3 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, la société Joliette Bâtiments sollicite à l'encontre du preneur, la société Royal Docks, le paiement des sommes suivantes :
- 57 627,45 euros au titre de l'arriéré de loyers
- 31 803,14 euros au titre de l'arriéré de charges et de taxes,
- 4 166,21 euros au titre de l'arriéré de charges marketing
soit un total de 93 596,79 euros, et produit un extrait de compte arrêté au 10 juin 2024 laissant apparaître un solde de 107 355,92 euros pour la période du second trimestre 2018 au second trimestre 2021 inclus (pièce 9 ter).
Considérant qu'aux termes du contrat de bail signé le 1er juin 2018 le montant du loyer de base a été fixé à la somme de 62 213 euros hors taxe et hors charges, soit la somme a minima de 186 639 euros sur la période de trois ans visée par le décompte, et considérant que le total des encaissements reconnu par le bailleur s'élève à la somme de 206 994,73 euros toutes taxes comprises sur la même période, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation provisionnelle formée par la société Joliette Bâtiments.
En effet, au-delà du débat portant sur le préjudice allégué par le preneur au titre des manquements du bailleur et sur lesquels le juge des référés, juge de l'évidence, et pas davantage la cour d'appel statuant en sa formation des référés, n'ont compétence pour statuer, il apparaît que le décompte produit par la société Joliette Bâtiments, en ce qu'il intègre des sommes sans en expliciter le détail, selon une méthode de calcul intégrant des avoirs de loyers, des avoirs d'indexation et un calcul opéré trimestriellement, ne permet pas de faire ressortir l'existence d'une créance certaine au profit du bailleur en l'état des versements d'ores et déjà effectués par la société Royal Docks.
En outre, les sommes dues au titre des indexations de loyer supposent une interprétation des clauses du contrat sur lesquelles les parties divergent.
En conséquence, il y a lieu de juger que les contestations soulevées par la société Royal Docks quant au quantum de la créance revêtent un caractère sérieux et nécessitent un examen au fond, notamment des factures de charges, des modalités de calcul du loyer indexé et des sommes versées par le preneur.
L'ordonnance attaquée doit dès lors être confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en paiement provisionnel formée par le bailleur la société Joliette Bâtiments.
Sur les demandes de la société Royal Docks :
La société Royal Docks formule, en premier lieu, des demandes provisionnelles au titre du préjudice qu'elle allègue du fait des manquements du bailleur à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible des locaux donnés à bail.
A cet égard, il convient de rappeler qu'en application des articles 484 et suivants du code de procédure civile le juge des référés n'a pas compétence pour prononcer des condamnations à des dommages et intérêts, sauf à statuer sur le dommage causé par le comportement abusif de l'une des parties dans le développement procédural dont elle a eu à connaître (Cass. 2 mai 1989 et 25 mars 1998).
Il en résulte que le juge des référés ne peut se prononcer sur les demandes formées par la société Royal Docks dès lors qu'elles supposent que soient examinés les éventuels manquements du bailleur en considération des obligations mises à sa charge, tant par la réglementation que par les clauses contractuelles, appréciation qui excède les pouvoirs du seul juge des référés au visa de l'article 873 du code de procédure civile tel que rappelé ci-dessus.
En second lieu, la société Royal Docks sollicite le remboursement de loyers, taxes foncières et charges diverses qu'elle estime avoir acquittées indûment.
Cette demande supposant l'établissement de comptes entre les parties au même titre que la demande provisionnelle formée par la société Joliette Bâtiments et nécessitant une comparaison des clauses du contrat de bail aux factures et décomptes produits, ne relève pas du juge des référés en l'état des contestations sérieuses existant en la cause.
Ainsi, l'ordonnance attaquée doit être également confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société Royal Docks.
Sur les frais et dépens :
La société Joliette Bâtiments, partie succombante, conservera la charge des dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En outre, elle sera tenue de payer à la société Royal Docks la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement,
Dit que la demande de révocation de l'ordonnance de clôture est devenue sans objet en l'état de l'ordonnance rendue le 6 juin 2024 reportant la clôture des débats au 20 juin 2024, jour de l'audience,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 16 novembre 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille,
Y ajoutant,
Condamne la société Joliette Bâtiments aux dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Joliette Bâtiments à payer à la société Royal Docks la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles.