CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 3 octobre 2024, n° 24/11028
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Vauban 12 (SCI)
Défendeur :
BMG Bureaux (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Dupont, Mme Girousse
Avocats :
Me Bouzidi-Fabre, Me Nihouarn, Me Regnier, Me Oualiten, Me Perrin
FAITS ET PROCEDURE :
Par acte sous seing privé du 20 décembre 2015, la SCI Vauban 12 a donné à bail commercial à la SCI Silène, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BMG bureaux, à la suite d'une fusion absorption à effet du 28 juillet 2023, des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 6].
Par acte du 20 août 2021, la SCI Vauban 12 a fait assigner la SCI Silène devant le tribunal judiciaire de Paris en paiement de loyers et charges dus au titre de ce bail commercial.
Par conclusions déposées le 5 avril 2022, la SCI Silène, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BMG bureaux, demande au tribunal judiciaire de Paris, à titre principal, le prononcé de la nullité du bail commercial et en conséquence le rejet des demandes de la SCI Vauban 12.
La SCI Vauban 12 a saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir déclarer prescrite la demande de nullité du bail commercial formée par la SCI Silène, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BMG bureaux.
Par ordonnance du 15 mai 2024, le juge de la mise en état a :
- déclaré recevable, comme n'étant pas prescrite, l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 en ce qu'elle ne constitue qu'un moyen de défense au fond,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 13 novembre 2024 pour les conclusions des parties en considération de la présente décision et l'éventuelle clôture de son instruction,
- réservé les dépens ainsi que les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 12 juin 2024, la SCI Vauban 12 a interjeté appel de cette ordonnance aux fins d'annulation et à défaut d'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a :
- déclaré recevable, comme n'étant pas prescrite, l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 en ce qu'elle ne constitue pas qu'un moyen de défense au fond,
- débouté en conséquence la SCI Vauban 12 de ses demandes tendant à :
- juger la SCI Vauban 12 recevable et bien fondé en son incident ; à rejeter toutes demandes, fins et prétentions contraires ;
juger irrecevable car prescrite la demande en nullité du contrat de bail commercial du 20 décembre 2015 formulée par la société Silène ;
- condamner la société BMG bureaux, venant aux droits de la SCI Silène, à régler à la SCI Vauban 12 une somme de 3000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même au entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 septembre 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Dans ses dernières conclusions déposées le 30 juillet 2024, la SCI Vauban 12 demande à la cour d'appel de :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 15 mai 2024 dans l'intégralité de ses dispositions ;
et, statuant à nouveau,
- juger irrecevable car prescrite la demande en nullité du contrat de bail du 20 décembre 2015 formulée par la société BMG bureaux, venant aux droits de la société Silène ;
- condamner la société BMG bureaux, venant aux droits de la société Silène, à lui règler la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant le 1er juge ;
- condamner la même aux dépens de première instance ;
et, y ajoutant,
- condamner la société BMG bureaux, venant aux droits de la société Silène, à lui règler la somme de 3000 € au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- condamner la même aux entiers dépens d'appel.
Elle fait valoir que l'action en nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 est prescrite depuis le 20 décembre 2020 en application de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil qui a commencé à courir à compter de la date de conclusion du bail, s'agissant d'une cause objective de nullité fondée sur un prétendu non-respect des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. Elle ajoute que cette cause était parfaitement connue de la SCI Silène au jour de la régularisation du contrat de bail.
Elle fait également valoir que l'exception de nullité d'un acte n'est perpétuelle que si l'exception de nullité est invoquée pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte qui n'a pas encore été exécuté. Or, elle soutient que le bail a connu un début d'exécution, peu importe que la SCI Silène ait manqué à ses obligations contractuelles de paiement des loyers et des charges, en ce que la SCI Silène a fait des locaux loués son siège social et n'a jamais contesté jouir des locaux que lui a donné à bail la SCI Vauban 12.
Elle fait encore valoir que :
- en présence d'un acte exécuté, l'exception de nullité est toujours prescriptible peu importe qu'elle soit invoquée à titre de moyen de défense au fond ou à titre de demande reconventionnelle ; il s'agit de la lettre de l'article 1185 du code civil qui ne souffre pas d'exception ;
- en présence d'un acte non exécuté, l'exception de nullité n'est imprescriptible que lorsqu'elle est invoquée à titre de moyen de défense au fond, la demande reconventionnelle étant assimilée par le code de procédure civile à une action autonome.
En outre, elle estime que l'exception de nullité soulevée par la société Silène, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BMG bureaux, est une demande reconventionnelle et non un moyen de défense au fond car la société Silène demande au juge bien plus que le simple rejet de la prétention adverse en sollicitant également qu'il prononce la nullité du bail à titre principal. Elle ajoute que si la société Silène ne formule aucune demande en restitution, ce qui semble être un des critères retenu par la Cour de cassation pour distinguer le moyen de défense au fond de la demande reconventionnelle, c'est parce qu'elle n'a rien réglé au titre de la mise à disposition des locaux objet du contrat de bail dont elle a pourtant joui.
Il convient de se référer aux conclusions de la SCI Vauban 12 pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 28 août 2024, la SAS BMG bureaux, qui vient aux droits de la SCI Silène, demande à la cour d'appel de :
- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 15 mai 2024;
y ajoutant,
- condamner la SCI Vauban 12 à lui payer la somme de 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI Vauban 12 aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Régnier sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
A titre liminaire, elle indique qu'elle soulève la nullité du contrat de bail sur le fondement de l'article L. 631-7 du code de la construction et du caractère illicite de l'affection des locaux donnés à bail par la SCI Vauban 12 à la SCI Silène à un usage commercial. Elle soutient que les locaux concernés par le bail litigieux étaient en réalité un appartement à usage d'habitation.
La SAS BMG bureaux fait valoir que le commencement d'exécution du bail litigieux dont se prévaut la SCI Vauban 12 n'est pas établi. Elle rappelle que la créance dont la SCI Vauban 12 demande le paiement devant le tribunal judiciaire de Paris correspond au montant cumulé des loyers, charges locatives et taxes foncières dus pour la période 2016-2023, étant précisé que le bail commercial prévoit une date de prise d'effet au 1er janvier 2016. Elle soutient que le contrat de bail suppose non seulement l'existence d'une mise à disposition des locaux mais également une contrepartie financière. Elle estime que la SCI Vauban 12 qui s'est abstenue d'exercer ses droits pendant près de 5 ans ne saurait soutenir que l'occupation des locaux est à elle seule suffisante pour établir que le contrat de bail commercial a reçu un commencement d'exécution. Elle ajoute que la SCI Vauban 12 a admis, aux termes de ses conclusions au fond, que les locaux concernés par le bail commercial du 20 décembre 2015 étaient en réalité utilisés par Monsieur [I] [Y] comme habitation personnelle depuis a minima 2020, de sorte que la SCI Silène n'a pas joui des locaux objet du contrat de bail.
Elle fait également valoir que, même à supposer que le contrat de bail ait reçu un commencement d'exécution, celui-ci ne peut pas faire échec au caractère imprescriptible d'un moyen de défense au fond.
Elle fait encore valoir que son exception de nullité est bien une défense au fond et non une demande reconventionnelle au motif qu'elle ne réclame que le rejet des demandes de la SCI Vauban 12 en conséquence de la nullité du bail litigieux.
Elle soutient, en outre, que la nullité prévue à l'article L. 631-7 du code de commerce est une nullité absolue qui peut être soulevée d'office par le juge du fond.
Il convient de se référer aux conclusions de la SAS BMG bureaux pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
A titre liminaire, il est observé que la SAS BMG bureaux ne discute pas l'acquisition de la prescription de l'action en nullité du contrat de bail litigeux sur le fondement de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation.
L'article 71 du code de procédure civile définit la défense au fond comme tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire.
Elle se distingue de la demande reconventionnelle, définie à l'article 64 du code de procédure civile, en ce qu'en l'invoquant, le défendeur originaire ne prétend pas obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire.
En l'espèce, la SCI Silène, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BMG bureaux, défenderesse dans l'instance initiée par la SCI Vauban 12 devant le tribunal judiciaire de Paris, demande au tribunal le prononcé de la nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 mais n'en tire pas d'autre conséquence qu'une demande de rejet des prétentions adverses en paiement des loyers et charges dus au titre du bail dont la nullité est invoquée. Elle ne demande aucun autre avantage que le rejet des prétentions adverses.
Dès lors, l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 soulevée par la SCI Silène, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BMG bureaux, est bien une défense au fond et non une demande reconventionnelle.
Si les défenses aux fond échappent à toute prescription, il existe un tempérament au caractère perpétuel de la défense au fond s'agissant de l'exception de nullité d'un contrat.
En effet, il est de jurisprudence constante, désormais consacrée par l'article 1185 du code civil non applicable en l'espèce au regard de la conclusion du bail litigieux avant le 1er octobre 2016, que l'exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un contrat qui n'a pas encore été exécuté.
Cette règle s'applique y compris lorsque l'exception de nullité porte sur une nullité absolue.
En l'espèce, il est acquis que la SCI Vauban 12 a mis les locaux loués à la disposition de la SCI Silène aux droits de laquelle vient désormais la SAS BMG bureaux, satisfaisant ainsi à son obligation de délivrance des locaux désignés dans le bail commercial du 20 décembre 2015. D'ailleurs, dans une annonce publiée au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le 22 décembre 2016, la société Silène domiciliait son siège social [Adresse 2], à [Localité 6], soit dans les locaux donnés à bail par la SCI Vauban 12.
Par ailleurs, la société bailleresse n'est pas responsable de l'usage qu'a réellement fait la société locataire des locaux loués, notamment en laissant un tiers, Monsieur [I] [Y], les occuper.
Le fait que la société Vauban 12 n'ait pas réclamé le paiement des loyers avant le 20 août 2021, date de l'assignation qui a saisi le tribunal judiciaire de Paris, est sanctionné par la prescription de sa demande en paiement des loyers antérieurs de plus de 5 ans à la date de l'assignation comme l'a décidé le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris dans une précédente décision dont les parties n'ont pas relevé appel. Mais, sans preuve contraire produite aux débats, cela ne caractérise ni une non-exécution du contrat de bail par la société bailleresse, l'obligation de paiement des loyers étant une obligation du locataire, ni l'intention de la société bailleresse de mettre à la disposition de la société locataire ses locaux dans un autre cadre que celui du bail signé entre les parties le 20 décembre 2015.
Au vu de ces éléments, il apparait, compte-tenu de la délivrance des locaux par la société bailleresse à la société locataire, que le bail litigieux a commencé à être exécuté. Le fait, d'une part, que la société locataire ait manqué à son obligation contractuelle de payer les loyers et ait laissé un tiers occuper les locaux loués et, d'autre part, que la société bailleresse ait attendu plus de cinq ans pour réclamer le paiement des loyers n'établit pas le contraire.
En conséquence, le bail litigieux ayant commencé à être exécuté, l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 soulevée par la SCI Silène aux droits de laquelle vient désormais la société BMG Bureaux est prescrite, étant rappelé que l'acquisition de la prescription de l'action en nullité du bail litigieux n'est pas discutée par les parties.
L'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 15 mai 2024 sera donc infirmée en ce qu'elle a déclaré recevable, comme n'étant pas prescrite, l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 en ce qu'elle ne constitue qu'un moyen de défense aux fond.
Statuant à nouveau, il sera dit que l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 soulevée par la SCI Silène aux droits de laquelle vient désormais la société BMG bureaux est prescrite.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a réservé les dépens et les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile au stade de la première instance.
La société BMG bureaux, qui succombe en appel, est condamnée aux dépens d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile. Il est accordé à la SCP Régnier le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En outre, il convient de condamner la société BMG bureaux à payer à la société Vauban 12 la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris rendue le 15 mai 2024 dans l'affaire enrôlée sous le numéro RG 21/10715 en ce qu'elle a réservé les dépens de première instance et les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris rendue le 15 mai 2024 dans l'affaire enrôlée sous le numéro RG 21/10715 en ce qu'elle a déclaré recevable, comme n'étant pas prescrite, l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 en ce qu'elle ne constitue qu'un moyen de défense au fond ;
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable, comme prescrite, l'exception de nullité du bail commercial du 20 décembre 2015 soulevée par la SCI Silène aux droits de laquelle vient désormais la société BMG bureaux;
Y ajoutant,
Condamne la société BMG bureaux à payer à la SCI Vauban 12 la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel ;
Condamne la société BMG bureaux à supporter la charge des dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP Régnier, avocats au barreau de Paris, en application de l'article 699 du code de procédure civile.