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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 3 octobre 2024, n° 23/01314

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Para-Bellum (SAS)

Défendeur :

Immobilière de la Vaucouleurs (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foucher-Gros

Conseillers :

M. Urbano, Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Faucherre, Me Menou

TJ Rouen, du 21 mars 2023, n° 23/00080

21 mars 2023

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 10 mai 2021, la société Immobilière de la Vaucouleurs a donné à bail à la société Para-Bellum, sous le statut des baux commerciaux, un local situé [Adresse 4] à [Localité 7].

Le loyer mensuel a été fixé à 2.700 euros hors taxe et hors charge.

Le 19 décembre 2022, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer la somme de 7.376,60 euros au titre de loyers impayés visant la clause résolutoire.

La société Para-Bellum n'ayant pas régularisé la situation dans les délais requis, la SCI Immobilière de la Vaucouleurs lui a fait délivrer le 27 janvier 2023 une assignation devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Rouen en paiement des sommes qui lui sont dues et pour voir constater la résiliation du bail et l'expulsion.

Par ordonnance de référé du 21 mars 2023, le président du tribunal judiciaire de Rouen a :

- constaté la résiliation du bail liant les parties à compter du 20 janvier 2023,

- condamné la SASU Para-Bellum à restituer les lieux dans le mois de la signification de la présente décision sous peine, passé ce délai, d'expulsion et de celle de tous occupants de son fait par les voies légales, au besoin avec l'assistance de la force publique,

- condamné la SASU Para-Bellum à payer à la SCI Immobilière de la Vaucouleurs, à titre provisionnel :

- 11 064, 30 euros au titre des loyers et charges,

- une indemnité mensuelle d'occupation de 3 688,30 euros à compter du 1er février 2023 et jusqu'à la date de libération effective des lieux,

- dit que la somme de 7 376,60 euros portera intérêts à taux légal à compter du commandement de payer, que le surplus des sommes échues portera intérêts à compter du jour de la présente ordonnance et que les indemnités mensuelles à échoir porteront intérêts du jour de leur exigibilité,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné la SASU Para-Bellum à payer à la SCI Immobilière de la Vaucouleurs la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SASU Para-Bellum aux dépens de l'instance, y compris le coût du commandement de payer du 19 décembre 2022, les frais de levée d'un étant d'inscription prises sur le fonds de commerce du locataire et les frais de notification aux éventuels créanciers inscrits.

La société Para-Bellum a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 13 avril 2023.

Elle a conclu le 12 juillet 2023.

La SCI Immobilière de la Vaucouleurs a conclu le 28 septembre 2023.

Par ordonnance du 16 janvier 2024, madame la présidente de la chambre civile et commerciale chargée de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions du 28 septembre 2023 de la SCI Immobilière de la Vaucouleurs.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 juin 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 6 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Para-Bellum et Maître [O], mandataire judiciaire de ladite société, qui demandent à la cour de :

- recevoir la société Para-Bellum en son appel,

- infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Rouen en date du 21 mars 2023,

Statuant à nouveau,

- juger que le Bailleur n'a pas satisfait à son obligation de délivrance et d'entretien du bien loué à la société Para-Bellum,

- juger la société Para-Bellum fondée à invoquer une exception d'inexécution et juger légitime et fondée la suspension du paiement des loyers,

- débouter la SCI Immobilière de la Vaucouleurs de sa demande en résiliation du bail commercial du 10 mai 2021, et de ses demandes pécuniaires à ce titre,

- condamner la SCI Immobilière de la Vaucouleurs à verser à Para-Bellum une somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution de ses obligations contractuelles en sa qualité de bailleur,

- ordonner la compensation entre les sommes dues entre les parties au titre des dommages et intérêts par la SCI Immobilière de la Vaucouleurs et au titre des loyers et charges par la société Para-Bellum,

- condamner la SCI Immobilière de la Vaucouleurs au paiement d'une somme de

2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 906 du code de procédure civile, ''les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avocats constitués. Copie des conclusions est remise au greffe avec la justification de leur notification. Les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables.''

Aux termes de l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile, ''la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.''

Les conclusions déposées par la SCI Immobilière de la Vaucouleurs ayant été déclarées irrecevables, l'intimée est réputée ne pas avoir conclu et s'être approprié les motifs du jugement.

Sur l'exception d'inexécution

La société Para-Bellum soutient que :

* le bailleur est tenu de mettre à la disposition de son locataire un bien conforme à sa destination contractuelle tout au long de l'exécution du contrat ;

* le local loué ne permet pas une exploitation normale de l'activité ; elle doit faire face à des fuites, des inondations et infiltrations qui perdurent depuis des mois sans que le bailleur n'entreprennent les travaux de nature à y remédier ; elle a fait établir un constat d'huissier ; elle utilise le carton et le papier comme matières premières pour son activité de fabricant de PLV ;

* l'humidité est telle qu'elle crée une situation de danger ;

* c'est dans ces conditions qu'elle a de bonne foi cessé de payer les loyers.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile : ''dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.''

Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du même code ''le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.''

Au visa de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Au commandement de payer la somme de 7.376,60 euros signifié à la société Para-Bellum le 19 décembre 2022 est annexée la page 6 du bail commercial liant les parties, signé le 10 mai 2021 qui mentionne la clause résolutoire sanctionnant l'inexécution des conditions du bail dont le défaut de paiement des loyers et qui attribue expressément compétence au juge des référés pour constater la résiliation du bail. Le juge des référés a ainsi le pouvoir de constater l'acquisition ou non de cette clause.

Ce commandement de payer contient la déclaration par le bailleur de son intention de se prévaloir de la clause résolutoire dans un délai d'un mois.

Les causes du commandement n'ont pas été apurées, la société Para-Bellum ayant conclu qu'elle ''ne nie pas ne pas avoir payé les sommes dues au titre des loyers et charges prévus au bail (').''

Faute d'avoir payé ou contesté les sommes visées au commandement dans le délai imparti, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail sauf à démontrer le sérieux de sa contestation sur le bien-fondé des demandes de la SCI Immobilière de la Vaucouleurs.

En application des dispositions de l'article 1719 du code civil, ''le bailleur est tenu d'une obligation de délivrance en mettant à la disposition du preneur un bien conforme à sa destination contractuelle. Cette obligation demeure tout au long du bail et il ne peut y être dérogé.''

L'article 1720 du même code dispose que ''le bailleur doit faire pendant la durée du bail toutes les réparations devenues nécessaires autres que locatives.''

Aux termes de l'article 1219 du code civil : ''une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.''

Il en résulte que le preneur peut opposer, comme moyen de défense à une demande en paiement des loyers, l'exception d'inexécution en cas d'inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance qui demeure tout au long du bail, s'agissant d'obligations réciproques et interdépendantes.

L'inexécution doit être suffisamment grave pour que celui qui s'en prévaut puisse être en droit de suspendre l'exécution de ses propres obligations, étant rappelé que s'agissant du contrat de bail, l'article 1728 du code civil oblige le preneur à payer le loyer aux termes convenus et que ce n'est que dans le cas où le locataire est dans l'impossibilité d'utiliser les lieux loués conformément à leur destination qu'il est admis que le locataire suspende le paiement du loyer.

S'il n'entre à l'évidence pas dans les pouvoirs du juge des référés d'apprécier le bien-fondé de l'exception d'inexécution invoquée par la société Para-Bellum, il s'impose de constater que son argumentation repose en réalité sur l'allégation de contestations sérieuses opposées aux demandes de la SCI Immobilière de la Vaucouleurs qu'il lui revient de caractériser s'agissant des manquements allégués.

Le bail mentionne que la partie louée comporte un local en rez de chaussée d'environ 755 m2 et qu'il est équipé d'une partie bureau (5 bureaux existants).

Pour démontrer la réalité des faits et les difficultés rencontrées, la société Para-Bellum verse aux débats des captures d'écran de photographies et de vidéos prises avec son téléphone portable par Monsieur [H] [W], représentant de la société, entre le 27 juillet 2021 et le 22 juin 2023, le tout ayant fait l'objet d'un procès-verbal de constat dressé le 10 juillet 2023 par Maître [Y], commissaire de justice à Rouen qui indique '' je constate qu'il existe dans le téléphone, des photos et des vidéos de dégât des eaux, dommages ou réparations entre le 27 juillet 2021 et le 22 juin 2023. Monsieur [H] [W] m'indique : ''il s'agit de photos prises dans les locaux situés [Adresse 4] à [Localité 7] ''.

Ces captures d'écran, reproduites par Maître [Y] dans son procès-verbal dressé en son étude, qui ne comportent aucun commentaire autre que celui mentionné au paragraphe qui précède montrent notamment la présence d'eau au niveau d'une fenêtre et d'une porte, deux cartons présentant des auréoles, des tâches de gouttes sur un sol, des traces de pluie sur une fenêtre, des câbles près d'une poutre.

Les descriptions faites par la société Para-Bellum de ces photographies dans ses conclusions procèdent de sa seule interprétation sans aucun constat par la commissaire de justice dans le local loué des désordres dénoncés dans le cadre de la présente procédure et plus particulièrement de la situation de danger alléguée procédant de la présence d'eau près de câbles électriques.

De plus aucun élément n'est produit sur des demandes qui auraient été faites au bailleur de remédier auxdits désordres.

Il n'apparaît pas de ces seules captures d'écran versées aux débats que le local qui est loué à la société Para-Bellum d'une surface de 755 m2 et qui est équipé d'une partie bureau présenterait un état tel rendant impossible de l'utiliser pour exercer son activité de sorte que la contestation opposée par l'appelante à son obligation de payer les loyers par le jeu de l'exception d'inexécution n'est pas sérieuse.

Dès lors l'obligation première de la locataire, à savoir régler les loyers et charges aux termes convenus n'étant pas sérieusement contestable, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail et ordonné l'expulsion de la locataire, l'occupation sans droit ni titre de la propriété d'autrui constituant un trouble manifestement illicite.

Le montant de la provision allouée n'étant pas discuté par la société Para-Bellum, il convient de confirmer l'ordonnance sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts

La société Para-Bellum sollicite la condamnation de la SCI Immobilière de la Vaucouleurs à lui payer la somme de 12 000 euros de dommages et intérêts pour inexécution par son bailleur de ses obligations contractuelles.

Le juge des référés ne pouvant faire droit à une demande de dommages et intérêts mais seulement à une provision qui n'est pas demandée, la société Para-Bellum sera déboutée de cette demande.

Pour le surplus de ses dispositions, l'ordonnance entreprise sera confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la société Para-Bellum de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne la société Para-Bellum aux dépens de l'appel.