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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 3 octobre 2024, n° 24/01343

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vegas (SCI)

Défendeur :

Wif (SARL), Kyoto Food (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

Mme Chopin, M. Najem

Avocats :

Me Regnier, Me Hanoune

TJ Paris, du 13 déc. 2023, n° 23/57889

13 décembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Se prévalant d'un contrat de bail commercial consenti le 2 avril 2015 par la société Adelina à la société Wif sur des locaux sis [Adresse 2] à Paris 15ème, d'une cession de ces locaux à son profit en 2018 et d'une cession du fonds de commerce par la société Wif à la société Kyoto Food le 20 décembre 2022, du non-paiement régulier des loyers et charges tant pas la société Wif que par la société Kyoto Food en dépit de la délivrance de deux commandements de payer visant la clause résolutoire prévue au bail, le 30 mars 2023 à la société Wif et le 18 juillet 2023 à la société Kyoto Food, par actes des 17 et 20 octobre 2023 la société SCI Vegas a fait assigner les sociétés Wif et Kyoto Food devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir constater la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, ordonner l'expulsion des défenderesses et les condamner à titre provisionnel au paiement de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.

Les sociétés Wif et Kyoto Food n'ont pas comparu.

Par ordonnance réputée contradictoire du 13 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire, à l'expulsion de la société Kyoto Food et tout occupant de son chef, au sort des meubles et à la condamnation des sociétés Kyoto Food et Wif au versement de sommes provisionnelles ;

rejeté la demande formulée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société civile immobilière Vegas aux dépens de l'instance ;

rappelé que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Le premier juge a considéré que l'existence d'un lien contractuel unissant la demanderesse à l'une quelconque des défenderesses n'était pas démontrée avec l'évidence requise en référé.

Par déclaration du 02 janvier 2024, la société SCI Vegas a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées le 12 février 2024 et signifiées le 15 février 2024 aux sociétés intimées, elle demande à la cour, au visa des articles L145-41 du code de commerce, 835 du code de procédure civile et L512-2 du code des procédures civiles d'exécution, de :

infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle :

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes tendant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire, à l'expulsion de la société Kyoto Food et tout occupant de son chef, au sort des meubles et à la condamnation des sociétés Kyoto Food et Wif au versement de sommes provisionnelles ;

rejette la demande formulée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamne la société SCI Vegas aux dépens de l'instance ;

Statuant à nouveau :

constater l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 18 août 2023 ou de la date qui sera fixée par le tribunal, et ordonner l'expulsion de la société Kyoto Food ainsi que celle de tous occupants de son chef et de la société Wif à défaut de départ volontaire dans un délai de 15 jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir, des locaux qu'elles occupent [Adresse 2] ;

ordonner le séquestre des biens mobiliers se trouvant dans les lieux conformément aux dispositions des articles L 433-1 et suivants du code des procédures d'exécution, soit en un lieu désigné par la partie expulsée aux frais et risques de celle-ci, soit, à défaut d'une telle désignation, sur place ou en un autre lieu approprié ;

condamner in solidum les sociétés Wif et Kyoto Food à payer à la société SCI Vegas la somme provisionnelle de 21.945,98 euros TTC au titre des sommes dues au 31 décembre 2023, outre les intérêts légaux sur la somme de 15.078,40 euros à compter du commandement du 18 juillet 2023 et de l'assignation sur le surplus ;

fixer le montant de l'indemnité d'occupation provisionnelle mensuelle à la somme de 2.494,83 euros TTC (1.599,25 € + TVA 20 % +30%), charges et taxes en sus afin de lui conférer un caractère comminatoire, et condamner les sociétés Wif et Kyoto Food in solidum au paiement de ladite indemnité qui sera indexée selon l'indice des loyers commerciaux en fonction du dernier indice publié à la date du jugement, et de dire que celle-ci sera due à compter de la date fixée par la cour pour l'acquisition de la clause résolutoire et jusqu'à la libération des lieux ;

condamner in solidum les sociétés Wif et Kyoto Food à payer à la SCI Vegas une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive en vertu de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

condamner in solidum la société Wif et la société Kyoto Food à payer à la SCI Vegas la somme de 6.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner in solidum la société la société Wif et la société Kyoto Food à payer les frais des commandements du 26 avril et 18 juillet 2023, de saisie conservatoire et le cas échéant de dénonciation aux créanciers inscrits, outre les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la société Regnier pour ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu de provision.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de l'appelante pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.

La société SCI Vegas a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions aux sociétés Wif et Kyoto Food par actes d'huissier de justice du 15 février 2023, délivrés dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile.

Les sociétés Wif et Kyoto Food n'ont pas constitué avocat.

SUR CE, LA COUR,

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

L'expulsion d'un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d'une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.

Il sera rappelé à cet égard :

- qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due ;

- qu'il n'appartient pas à la cour, statuant comme juge des référés, de prononcer la nullité d'un commandement de payer, sachant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du magistrat des référés de prononcer une telle nullité ; que le juge des référés ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse l'empêchant de constater la résolution du bail.

En outre, aux termes des dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier.

La société SCI Vegas justifie en appel, par la production d'une attestation notariée du 21 février 2018, avoir acquis de la société Adelina les locaux que cette dernière a donnés à bail commercial à la société Wif suivant contrat sous seing privé du 2 avril 2015.

Elle établit en outre que la société Wif a cédé son fonds de commerce avec le droit au bail à la société Kyoto Food par acte sous seing privé du 2 décembre 2022.

Le contrat de bail contient une clause de résiliation de plein droit en cas notamment de non- paiement d'un seul terme de loyer à son échéance, un mois après délivrance d'un commandement de payer demeuré infructueux.

Le bail prévoit aussi que le cédant du droit au bail répond solidairement du cessionnaire tant pour le paiement du loyer que des charges et accessoires que pour le respect des conditions du bail.

La société SCI Vegas justifie avoir délivré deux commandements de payer visant la clause résolutoire, le premier le 6 avril 2024 à la société Wif pour un montant en principal de 8.727,60 euros au titre des loyers et charges, le second le 18 juillet 2023 à la société Kyoto Food pour un montant en principal de 14.888,80 euros.

Ces deux commandements contiennent un décompte clair et détaillé des sommes restant dues par le locataire, permettant ainsi à ce dernier de le comprendre et de le contester s'il le souhaite.

Les causes de ces actes n'ont pas été régularisées dans le mois de leur délivrance.

Le relevé de compte versé aux débats, arrêté au 4 octobre 2023, fait ressortir un solde débiteur de 17.825,08 euros, terme d'octobre 2023 inclus. Le montant mensuel du loyer et des charges s'établissant à la somme de 2.040,30 euros à la lecture de ce relevé, la société SCI Vegas est bien fondée à se prévaloir d'une créance provisionnelle de 21.945,98 euros au 31 décembre 2023. L'appelante précise que les lieux ont été libérés en décembre 2023, avec remise des clés ainsi qu'il ressort d'un courriel de la société Tokyo Food, mais que faute de titre elle n'a pu procéder à la reprise des lieux.

Au vu de ces éléments et en l'absence de contestation opposée par les sociétés Wif et Kyoto Food, absentes en première instance et en appel, il y a lieu de constater la résiliation du bail à la date du 18 août 2023, soit un mois après la délivrance du second commandement, d'ordonner en tant que de besoin l'expulsion des intimées et de les condamner in solidum au paiement d'une provision de 21.945,98 euros correspondant aux loyers et charges arrêtés au18 août 2023 puis aux indemnités d'occupation échues jusqu'au mois de décembre 2023, égales au montant du loyer et des charges, cette somme provisionnelle produisant intérêts de retard au taux légal comme il sera précisé au dispositif ci-après.

Compte tenu de ce que le retard dans l'obtention du titre est en partie imputable à l'appelante qui n'a pas parfaitement démontré en première son droit de propriété sur les locaux donnés à bail ni la cession du droit au bail intervenue entre les locataires successifs, et de ce que les lieux ont été libérés en décembre 2023, soit au moment où le titre aurait pu être rendu, il n'y a pas lieu de faire courir l'indemnité d'occupation au-delà du 31 décembre 2023 ni de majorer son montant ni de l'indexer comme le demande l'appelante, l'obligation indemnitaire des locataires étant sérieusement contestable au-delà de cette date et du montant contractuel du loyer et des charges, étant observé que l'effet comminatoire recherché par l'appelante est sans objet puisque les lieux ont été libérés avec remise des clés ainsi qu'il résulte d'un échange de courriels entre les parties.

L'attentisme de la locataire qui a vidé les lieux sans laisser sa nouvelle adresse, n'a pas comparu en première instance et n'a pas apporté de réponse à la proposition de la bailleresse faite après l'ordonnance entreprise de signer un protocole d'accord transactionnel constatant la résiliation amiable du bail, ne suffit pas à caractériser une résistance abusive aux prétentions de la bailleresse. L'obligation dans laquelle la société SCI Vegas s'est trouvée de faire appel résulte d'abord de l'insuffisance des pièces qu'elle a versées en première instance. La demande de dommages et intérêts de la société SCI Vegas sera rejetée.

Parties perdantes, les sociétés Tokyo Food et Wif seront condamnées in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à la société SCI Vegas, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

L'ordonnance déférée sera infirmée en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate à la date du 18 août 2023 la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire ;

Ordonne en tant que de besoin l'expulsion immédiate de la société Kyoto Food, de tous occupants de son chef et de la société Wif des locaux commerciaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] ;

Dit que le sort des meubles sera réglé dans les conditions des articles L 433-1 et suivants du code des procédures d'exécution ;

Condamne in solidum les sociétés Wif et Kyoto Food à payer à la société SCI Vegas, à titre de provision, la somme de 21.945,98 euros TTC correspondant aux loyers, charges et indemnités d'occupation dues au 31 décembre 2023, outre les intérêts au taux légal sur la somme de 15.078,40 euros à compter du commandement du 18 juillet 2023 et sur le surplus à compter de l'assignation du 20 octobre 2023 ;

Déboute la société SCI Vegas de sa demande tendant à voir fixer l'indemnité d'occupation au-delà du 31 décembre 2023 et à un montant supérieur à celui du loyer et des charges ;

Déboute la société SCI Vegas de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamne in solidum la société Wif et la société Kyoto Food à payer à la SCI Vegas la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles exposés pour les deux instances ;

Condamne in solidum la société Wif et la société Kyoto Food aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût des deux commandements visant la clause résolutoire, dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.