CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 3 octobre 2024, n° 22/04708
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Multi Services (SARL)
Défendeur :
Castel Real Estate 1b (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseiller :
Mme Leroy
Avocats :
Me Etevenard, Me Darmon, Me Bonaldi-Nut, Me Moire, Me Lemaçon
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 21 juillet 1997, la société Ivry extension, aux droits de laquelle vient désormais la SCI Castel Real Estate 1B, elle-même venue aux droits de la société Corio, a donné à bail à la Société générale de services multiples (SGSM), devenue la société Multi Services [Adresse 3] (SMSC), par l'effet d'une fusion-absorption intervenue le 24 février 2008, un local commercial dépendant du centre commercial « [Adresse 3] » renommé « Les [Adresse 6] » et situé au [Adresse 1] à [Localité 5] (94), pour y exercer une activité de cordonnerie, imprimerie, clefs et tampons sous l'enseigne « Cordonnerie ».
Par exploit d'huissier du 31 décembre 2019, la SCI Castel Real Estate 1B a fait signifier à la société Multi Services [Adresse 3] un commandement de payer visant la clause résolutoire portant sur la somme totale de 123.120,68 euros.
Par exploit d'huissier du 23 janvier 2020, la société Multi Services [Adresse 3] a fait assigner la SCI Castel Real Estate 1B devant le tribunal judiciaire de Créteil aux fins, notamment, d'annulation du commandement de payer du 31 décembre 2019 et de suspension des effets de la clause résolutoire.
Par jugement du 11 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Créteil :
- s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande en fixation du loyer formée par la société Multi Services [Adresse 3] ;
- a déclaré recevables les demandes formées par la SCI Castel Real Estate 1B ;
- a débouté la société Multi Services [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes ;
- a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial conclu le 30 mars 2019 et portant sur les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 5], avec effet au 1er février 2020 ;
- a ordonné en conséquence l'expulsion de la société Multi Services [Adresse 3], ou de tout occupant de son chef, des locaux ci-dessus désignés, à défaut de départ volontaire dans le mois suivant la signification de la décision, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier, avec toutes conséquences de droit ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B une indemnité journalière d'occupation d'un montant de 436 euros par jour, outre toutes les taxes et charges exigibles conformément au bail expiré, ce à compter du 1er février 2020 et jusqu'à la libération effective des lieux caractérisée, soit par la remise volontaire des clés soit par le procès-verbal de reprise après expulsion ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 181.209,24 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 31 mars 2021, avec les intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 18.120,92 euros au titre de la clause pénale, avec les intérêts au taux légal majoré de quatre points à compter du jugement ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 13.412,44 euros au titre d'une indemnité de relocation, avec les intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- a autorisé la SCI Castel Real Estate 1B à conserver le dépôt de garantie versé par la locataire ;
- a débouté la SCI Castel Real Estate 1B du surplus de ses demandes ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration du 28 février 2022, la société Multi Services [Adresse 3] a interjeté appel partiel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 mai 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 7 novembre 2022, la société Multi Services [Adresse 3], appelante, demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Créteil le 11 janvier 2022 et statuer à nouveau sur les points ci-dessous précisés :
A titre principal, sur le commandement de payer visant la clause résolutoire,
- juger que le commandement de payer susvisé est dépourvu de toute cause ayant été délivré de mauvaise foi et ne saurait produire aucun effet ;
- condamner la société SCI Castel Real Estate 1B à payer à la société Multi Services [Adresse 3] la somme de 60.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement du bailleur à son obligation de commercialité et du défaut d'entretien, à parfaire ;
- autoriser la société Multi Services [Adresse 3] à suspendre le règlement du loyer et des charges à compter rétroactivement du 1er janvier 2017 ;
- juger que la société Multi Services [Adresse 3] est déchargée de toute obligation de paiement au titre du Bail depuis le 1er janvier 2017 et ce jusqu'à ce que la société SCI Castel Real Estate 1B justifie de la parfaite exécution de ses propres obligations ;
- ordonner en conséquence la restitution à la société Multi Services [Adresse 3] des sommes indûment versées en application du Bail depuis sa prise d'effet sur le fondement des articles 1302 et suivants du code civil ;
- débouter la société SCI Castel Real Estate 1B de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- ordonner la compensation des sommes dont les parties seraient réciproquement rendues débitrices ;
A titre très subsidiaire, sur l'exception d'inexécution pendant les périodes de fermeture administrative,
- juger que la société SCI Castel Real Estate 1B a manqué à son obligation de délivrance et que c'est à bon droit que la société Multi Services [Adresse 3] se prévaut de l'exception d'inexécution ;
A titre très subsidiaire, sur la destruction partielle de la chose louée,
- juger que la décision prise par le Gouvernement d'interdire du 15 mars 2020 au 11 mai 2020, puis du 30 octobre 2020 au 28 novembre 2020, puis du 20 mars au 19 mai 2021, l'accueil du public au sein de l'établissement exploité par la société Multi Services [Adresse 3] constitue une destruction partielle du local ;
Par conséquent, aussi bien sur le fondement de l'exception d'inexécution que de la destruction partielle de la chose louée,
- juger que société Multi Services [Adresse 3] n'est redevable d'aucune dette de loyers envers la société SCI Castel Real Estate 1B pour les périodes du 15 mars 2020 au 11 mai 2020, puis du 30 octobre 2020 au 28 novembre 2020, puis du 20 mars au 19 mai 2021 ;
A titre infiniment subsidiaire, si la cour devait confirmer le jugement en déclarant que les loyers étaient dus :
- accorder à la société Multi Services [Adresse 3], un délai de 24 mois pour le règlement de toute sommes qui pourraient être allouées à l'appelante et ce à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours de la signification par acte extrajudiciaire du jugement à intervenir ;
- juger que les effets de la clause résolutoire seront suspendus pendant l'échéancier de paiement ;
- juger qu'en conséquence la clause résolutoire ne jouera pas dans le cas où la société Multi Services [Adresse 3] s'acquitte effectivement du solde des sommes dans les conditions fixées par l'arrêt à intervenir ;
Sur les demandes supplémentaires de la société SCI Castel Real Estate 1B,
- réviser le montant de la clause pénale et intérêts de retard de 10% prévue au bail comme étant manifestement excessive compte tenu des circonstances exceptionnelles et juger qu'elle ne doit pas être appliquée ;
- si par extraordinaire, la Cour devait confirmer le jugement sur la résiliation du bail, réviser la majoration de l'indemnité d'occupation au double du dernier loyer prévue au bail en jugeant qu'elle est manifestement excessive et ne doit pas être appliquée ;
- et plus généralement, débouter la société SCI Castel Real Estate 1B de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause,
- condamner la société SCI Castel Real Estate 1B à payer à la société Multi Services [Adresse 3] la somme 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société SCI Castel Real Estate 1B en tous les dépens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 12 août 2022, la SCI Castel Real Estate 1B, intimée, demande à la cour de :
- recevoir la Société SCI Castel Real Estate 1B dans ses présentes conclusions et les dire bien fondées ;
Y faisant droit :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Créteil le 11 janvier 2022 en ses dispositions, notamment, en ce qu'il :
- s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande en fixation du loyer formée par la société Multi Services [Adresse 3] ;
- a déclaré recevables les demandes formées par la SCI Castel Real Estate 1B ;
- a débouté la société Multi Services [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes ;
- a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial conclu le 30 mars 2019 et portant sur les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 5], avec effet au 1er février 2020 ;
- a ordonné en conséquence l'expulsion de la société Multi Services [Adresse 3], ou de tout occupant de son chef, des locaux ci-dessus désignés à défaut de départ volontaire dans le mois suivant la signification de la présente décision, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier avec toutes conséquences de droit ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B une indemnité journalière d'occupation d'un montant de 436 euros par jour, outre toutes les taxes et charges exigibles conformément au bail expiré, et ce à compter du 1er février 2020, et jusqu'à la libération effective des lieux caractérisée, soit par la remise volontaire des clés soit par le procès-verbal de reprise après l'expulsion ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 181.209,24 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 31 mars 2021, avec les intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 18.120,09 euros au titre de la clause pénale, avec les intérêts au taux légal majoré de quatre points à compter du présent jugement ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 13.412,44 euros au titre d'une indemnité de relocation, avec les intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Statuant à nouveau :
- juger que la Société SCI Castel Real Estate 1B n'est pas tenue d'une obligation de commercialité ;
- juger que la Société SCI Castel Real Estate 1B n'a pas inexécuté son obligation de délivrance ;
- débouter la Société Multi Services [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de la Société SCI Castel Real Estate 1B, notamment la demande en réparation du loyer trop élevé et de la perte de chiffre d'affaires évaluée à 60.000 euros ;
- si par impossible, la cour devait faire droit à une quelconque demande en indemnisation formée par la Société Multi Services [Adresse 3], ordonner la compensation des sommes dont les parties seraient réciproquement débitrices ;
- condamner la Société Multi Services [Adresse 3] à payer à la Société Castel Real Estate 1B la somme de 206.664 euros au titre des indemnités d'occupation dues entre le 1er avril 2021 et le 18 juillet 2022 ;
- condamner la Société Multi Services [Adresse 3] à payer à la Société SCI Castel Real Estate 1B la somme de 20.666 euros assortie d'un intérêt à taux légal majoré de 4 points et correspondant au montant de la clause pénale due pour la période du 1er avril 2021 au 18 juillet 2022 ;
En tout état de cause :
- débouter la Société Multi Services [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions formées à l'encontre de la Société SCI Castel Real Estate 1B ;
- condamner la Société Multi Services [Adresse 3] à payer à la Société Castel Real Estate 1B la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Société Multi Services [Adresse 3] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
SUR CE,
Conformément aux dispositions des articles 4 et 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir « constater » ou de « juger », lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à conférer un droit à la partie qui les requiert mais ne sont en réalité que de simples allégations ou un rappel des moyens invoqués.
Sur la validité du commandement de payer
Il ressort de l'article L. 145-41 du code de commerce qu'une clause résolutoire insérée dans un bail commercial ne produit effet qu'un mois après un commandement mentionnant ce délai demeuré infructueux.
L'application et le jeu de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial sont soumises aux exigences de la bonne foi posées par l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 dorénavant codifié à l'article 1104 du même code, de sorte qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré sans respecter cette exigence encourt la nullité.
Au cas d'espèce, le preneur soutient que la société bailleresse a fait preuve de mauvaise foi en ce qu'elle a fait délivrer un commandement portant sur des sommes qui n'étaient pas dues et à une période durant laquelle elle ne pouvait ignorer les difficultés financières de la société locataire depuis plusieurs années.
Cependant, contrairement à ce que soutient la locataire et comme relevé par le premier juge, la délivrance d'un commandement de payer pour une somme supérieure à ce qui est effectivement exigible est valable pour le montant non contesté de la dette et ne caractérise par une mauvaise foi du bailleur dans la délivrance de l'acte.
Il ne peut davantage être soutenu que la connaissance par le bailleur des difficultés financières du preneur, en dehors de tout autre élément particulier, caractérise sa mauvaise foi dans la délivrance du commandement de payer alors qu'il ne fait qu'exercer un droit qu'il détient de la loi et du contrat.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation du commandement de payer.
La société Multi Services [Adresse 3] ne conteste pas en cause d'appel que les causes du commandement délivré n'ont pas été réglées dans le mois de sa délivrance mais considère que les manquements du bailleur à ses propres obligations, dont celle de commercialité et d'entretien, justifient, d'une part, l'octroi de dommages et intérêts et, d'autre part, la suspension de sa propre obligation de paiement du loyer justifiant le remboursement des sommes payées et l'exonération des sommes restant dues ainsi que la suspension de ses effets et la compensation entre les dettes respectives des parties.
Sur l'exigibilité de la dette locative
Sur l'obligation de commercialité
Il ressort des dispositions de l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que le débiteur qui n'aurait pas exécuté son obligation est condamné au paiement de dommages et intérêts.
Aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur est, notamment obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer la chose louée au preneur et d'en garantir une jouissance paisible au preneur pendant toute la durée du bail.
Corrélativement, le preneur est tenu de deux obligations principales dont celle de payer le prix du bail aux termes convenus.
La société Multi Services [Adresse 3] soutient que le bailleur a manqué à ses obligations faute de mise en 'uvre des moyens nécessaires à assurer la commercialité du centre, notamment dans son environnement commercial qui constitue un accessoire indissociable des lieux loués dont témoigne le nombre de cellules fermées ayant entraîné une baisse de fréquentation du centre donc une baisse du chiffre d'affaires ne permettant plus le paiement du loyer
Au cas d'espèce, il ressort du point VI du Préambule du contrat liant les parties que « Le preneur déclare avoir apprécié lui-même et sous sa responsabilité aussi bien la commercialité d'ensemble du centre que des locaux, objets du bail, sans que le bailleur garantisse aucun résultat, à quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit. A cet égard, le bailleur ne garantit en aucun cas les chiffre d'affaires envisagé pour l'ensemble du centre et pour chaque exploitation [...] la commercialité des lieux devant être appréciée parle preneur en sa qualité de professionnel ».
L'article 9 du contrat relatif au non-garantie « Le preneur ne pourra en aucun cas de plaindre, ni formuler aucune réclamation auprès du bailleur qui ne consent aucune garantie dans les cas où certains locaux dépendant du centre commercial seraient inexploités, quels qu'en soit le nombre, le temps pendant lequel se prolongera ce défaut d'exploitation et les circonstances l'ayant provoqué
Contrairement à ce que soutient le preneur, la commercialité du centre n'est ni un attribut de l'obligation de délivrance, ni un accessoire des lieux loués et il s'infère des dispositions contractuelles ci-dessus qu'aucune obligation de commercialité ne pèse sur le bailleur. De ce fait, aucune faute ne peut être retenue à son égard en raison d'une baisse de fréquentation du centre commercial ou de la non-occupation de certaines cellules du centre, invoquées sur la foi d'un simple article de presse, ni l'existence d'un préjudice non démontré en absence d'éléments comptables versés aux débats.
Le moyen soulevé est donc inopérant.
Sur l'absence de régularisation des charges
L'article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Au cas d'espèce, le bail renouvelé liant les parties est antérieur aux dispositions de la loi Pinel et prévoit en son article 6.1 que le loyer est net de toutes charges pour le bailleur, que la répartition des charges se fera au prorata de la surface louée après application d'une pondération et que le preneur supportera sa quote-part des charges habituellement à la charge des preneurs, mais aussi celles incombant au bailleur.
L'article 6.2 vise les catégories de charges remboursables, dont les impôts et taxes, les charges communes dont l'énumération n'est pas limitative et prévoit que le remboursement se fera provisionnellement et en même temps que le loyer, le preneur versant sa quote-part des charges communes égale au quart du budget prévisionnel annuel.
La société Multi Services [Adresse 3] fait grief au bailleur de ne pas avoir procédé à la régularisation annuelle des charges, ni justifié des postes facturés et de la réalité des prestations réalisés.
Cependant, il ressort de l'arrêté des comptes au 1er avril 2021, versé aux débats en pièce n° 13, que la reddition des charges a été faite pour les années 2013 à 2017. En outre, si le bailleur a obligation de justifier des dépenses réalisées et de leur montant, le locataire ne justifie d'aucune demande ni mise en demeure afférentes à ces années-là de sorte que ce moyen est inopérant.
En revanche, en absence de reddition des charges pour les années postérieures à 2017 et jusqu'au départ du locataire, les versements des provisions appelées sont sans cause et doivent être remboursées à la société Multi Services [Adresse 3].
Sur l'existence d'un préjudice
La société Multi Services [Adresse 3] sollicite l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis au regard du manque d'attractivité du centre, ayant consisté en l'application d'un loyer trop élevé du centre et une perte de chiffre d'affaires.
Cependant, comme vu précédemment, en absence de faute caractérisée du bailleur de ces chefs, les demandes de ce chef seront rejetées.
Sur l'absence de sommes dues pendant la période de fermeture administrative
La société Multi Services [Adresse 3] soutient que le loyer a été indûment facturé pendant la période de crise sanitaire, le bailleur ayant manqué à son obligation de délivrance pendant cette période et l'impossibilité d'exploiter les locaux devant être assimilée à une perte partielle de la chose louée.
En l'espèce, il n'est pas contestable, ni contesté que les mesures de puissance publique prises pendant l'année 2020 par divers arrêtés et décrets portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 dont la fermeture des centres commerciaux, hors magasins de première nécessité, ont conduit à la fermeture de la société Multi Services [Adresse 3] entre le 15 mars 2020 et le 22 juin 2020 puis entre le 30 octobre 2020 et le 19 mai 2021, ce qui a contraint le preneur dans la libre disposition du local loué, en en restreignant l'usage dans le temps et dans son périmètre.
Nonobstant, le bailleur ne peut en être tenu responsable de cette privation de jouissance en ce que ces mesures ne résultent ni de son fait, ni de sa volonté mais se sont imposées à lui et qu'il ne pouvait par aucun acte positif y mettre un terme ou en limiter les effets. Dès lors, il ne saurait lui être fait grief d'avoir manqué à son obligation de délivrance et ce moyen sera rejeté.
En outre, il est admis que la destruction de la chose louée peut être matérielle ou juridique et, dans ce cas, le preneur ne peut plus user du bien selon sa destination ce de façon définitive. De même, la perte peut être totale ou partielle, s'agissant de toutes circonstances pouvant en diminuer sensiblement l'usage ou en limiter la jouissance. Cependant, contrairement à ce que soutient l'appelante, dans cette dernière hypothèse, bien que partielle, la perte subie est irréversible.
Or, tel n'est pas le cas des conséquences des mesures administratives précitées, lesquelles ont été limitées dans le temps, comme jugé par la Cour de cassation aux termes de trois arrêts rendus le 30 juin 2022.
Ainsi contrairement à ce que soutient la société Multi Services [Adresse 3], elle n'est pas fondée à solliciter la suspension de son obligation de paiement de ce chef.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire et les demandes en paiement
Il ressort des dispositions de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et qu'ils doivent être exécutés de bonne foi.
Comme vu précédemment, l'obligation principale du preneur à bail est de payer le loyer contractuellement prévu, qu'il a accepté et sur lequel il s'est engagé.
Au cas d'espèce, il ressort des article 4.1.1 et 4.1.2 du contrat de bail litigieux que le loyer est composé d'un loyer de base et d'un loyer variable additionnel correspondant à 7 % du chiffres d'affaires et qu'il est payable par trimestre à terme à échoir, le bail étant en outre, comme vu ci-dessus, net de toutes charges.
Le commandement de payer délivré par la SCI Castel Real Estate 1B le 31 décembre 2019 pour un montant de 123.120,68 euros correspondant à la dette locative arrêtée au 29 octobre 2019 n'a pas été régularisé dans le délai d'un mois à compter de sa signification au débiteur, ce qui n'est pas contesté. L'erreur sur le montant de la dette locative figurant sur le commandement n'affecte pas la validité de celui-ci, le montant de la condamnation prononcée ne portant que sur les dettes certaines, liquides et exigibles.
Contrairement à ce que soutient le bailleur, le décompte produit aux débats par le bailleur comporte la trimestrialité due au 1er avril 2021, la dette locative d'un montant de 181.209,24 euros est donc arrêtée au 30 juin 2021.
Cependant, comme vu précédemment, les provisions pour charges d'un montant de 832,58 euros pour les charges et de 29,74 pour l'eau appelées à compter du 1er janvier 2018 et jusqu'au 30 juin 2021, soit 14 trimestres, sont à déduire de la dette locative.
En revanche, la société Multi Services [Adresse 3] ne soutient aucun moyen au soutien de sa prétention relative à une modération de la clause pénale déclarée comme excessive, de sorte qu'elle sera rejetée.
Ainsi, le montant de la dette locative exigible est de 169.136,76 euros [181.209,24 ' [(832,58 + 29,74) x14]] et le montant de la pénalité due au titre de la clause est fixée à la somme de 16.913, 67 euros.
La société Multi Services [Adresse 3] sollicite la suspension de la clause résolutoire et l'octroi de délais de paiement.
C'est par motifs pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a rejeté la demande en ce sens, faute pour le débiteur de justifier de sa situation personnelle et des difficultés qu'il pourrait rencontrer. Au demeurant, la cour relève que la société Multi Services [Adresse 3] a été expulsée des locaux le 18 juillet 2022.
De ce fait, l'arriéré locatif n'ayant pas été acquitté dans le délai légal d'un mois, c'est à bon droit que le premier a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, rejeté la demande de suspension de ses effet et refusé l'octroi de délais de paiement.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
En revanche, la société Multi Services [Adresse 3] sera condamnée au paiement de la somme de 169.136,76 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté à la date du 30 juin 2021 et à la somme de 16.913, 67 euros au titre de la clause pénale.
Le jugement sera donc infirmé de ces chefs.
Comme relevé par le premier juge, l'article 23.3 du bail prévoit que toutes sommes dues, y compris celles résultant de la clause pénale porteront intérêts de plein droit au taux légal majoré de 4 points, à compter de leur exigibilité.
Comme soutenu par l'appelant, cet l'article s'analyse effectivement comme une clause pénale, cependant, eu égard à l'érosion monétaire cumulée depuis 2018, elle n'apparaît pas manifestement excessive.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
La conservation du dépôt de garantie par le bailleur n'étant pas contestée en cause d'appel, le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur l'indemnité d'occupation
Celui qui se maintient sans droit dans des lieux après l'expiration de son titre d'occupation commet une faute quasi-délictuelle qui ouvre droit pour le propriétaire au paiement d'une indemnité d'occupation, laquelle en raison de sa nature mixte, à la fois indemnitaire et compensatoire, a vocation à indemniser la poursuite de l'occupation des locaux par l'occupant sans droit ni titre et à compenser le préjudice résultant pour le bailleur de l'impossibilité à disposer librement des lieux.
Le montant de l'indemnité d'occupation, usuellement fixé au montant du dernier loyer acquitté au regard de son caractère mixte indemnitaire et compensatoire, peut être inférieur à ce plafond si le préjudice subi par le bailleur est moindre.
Au cas d'espèce, la société Multi Services [Adresse 3] considère que les dispositions de l'article 24.2 du bail, rappelées par le premier juge, s'analysent en une clause pénale dont il est demandé le rejet au regard du contexte de l'affaire et de la crise sanitaire. Elle sollicite, de même, le rejet de la demande relative à l'indemnité de relocation.
Cependant, par motifs détaillés auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte, le premier juge a rappelé les termes du contrat relatifs tant à la fixation du montant de l'indemnité d'occupation qu'à l'octroi d'une indemnité de relocation, qui constituent la loi des parties. Au demeurant, les difficultés de paiement du preneur ont été par ailleurs récurrentes depuis la conclusion du bail et malgré l'exécution provisoire dont la décision était assortie, le bailleur n'a récupéré les lieux que le 18 juillet 2022, le privant ainsi de la disposition d'un capital qui avait vocation à être employé à la réalisation de son propre objet social.
Le jugement sera donc confirmé de ces chefs.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Succombant en ses demandes devant la cour, la société Multi Services [Adresse 3] supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à payer à la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Créteil le 11 janvier 2022 en ce qu'il a condamné la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 181.209, 24 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 31 mars 2021 et la somme de 18.120,92 au titre de la clause pénale ;
Le confirme en toutes ses autres dispositions non contraires au présent arrêt ;
Statuant de nouveau,
Condamne la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 169.136,76 euros a titre de l'arriéré locatif arrêté à la date du 30 juin 2021 ;
Condamne la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 16.913,67 euros au titre de la clause pénale ;
Rejette toutes autres demandes ;
Y ajoutant,
Condamne la société Multi Services [Adresse 3] à payer à la SCI Castel Real Estate 1B la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Multi Services [Adresse 3] à supporter la charge des dépens d'appel.