Décisions
CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 3 octobre 2024, n° 24/01901
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2024
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/01901 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CI2DV
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Octobre 2023 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BOBIGNY - RG n° 22/02166
APPELANTE
S.C.I. AEROVILLE, RCS de Paris sous le n°483 594 545, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Antoine PINEAU-BRAUDEL de la SAS CABINET PINEAU-BRAUDEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0260
INTIMÉE
S.A.S. TURQUOISE OR HOLDING, RCS de Bobigny sous le n°898 567 342, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-marie HYEST de la SCP HYEST et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0311
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juillet 2024, en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, chargée du rapport, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 7 septembre 2021, la société Aéroville a donné à bail commercial à la société Turquoise or holding un local n°115, d'une surface de 235 m² environ, situé au niveau 0 du centre de commerces et de services Aéroville, [Adresse 1], [Localité 5], pour y exploiter sous l'enseigne « Atasay » une activité de bijouterie, orfèvrerie, joaillerie, horlogerie et tout article s'y rapportant.
Se plaignant du non-paiement régulier des loyers et charges à compter du 10 août 2022, par acte du 23 novembre 2022 la société Aéroville a fait assigner la société Turquoise or holding devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins de la voir condamner par provision à lui payer suivant décompte au 04 octobre 2022 les sommes suivantes :
Loyers et charges en principal local principal : 84 588,48 euros
Indemnité forfaitaire de 10% : 8 458,85 euros
Intérêts de retard contractuels (à parfaire au jour du paiement)
De faire ordonner la capitalisation des intérêts dus depuis une année entière dans les termes de l'article 1342-2 du code civil ; de faire injonction à celle-ci de procéder à la reconstitution du dépôt de garantie sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement subsidiairement de sa signification et ce pendant un délai de trois mois ; de faire condamner celle-ci à lui payer la somme de 3.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La défenderesse a conclu à titre principal à l'irrecevabilité des demandes pour défaut de recours à une médiation, à titre subsidiaire au débouté arguant de contestations sérieuses, à titre infiniment subsidiaire à l'octroi de délais de paiement.
Par ordonnance du 20 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a :
rejeté l'exception d'irrecevabilité,
dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Aéroville,
dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Aéroville aux dépens.
Par déclaration du 12 janvier 2024, la société Aéroville a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 04 juin 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104 du code civil, 699, 700 et 835 du code de procédure civile, de :
dire la société Aéroville recevable et bien fondée en ses demandes ;
débouter la société Turquoise or holding de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
confirmer l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Bobigny du 20 octobre 2023, en ce qu'elle a :
rejeté l'exception d'irrecevabilité ;
rappelé que la décision à intervenir est exécutoire à titre provisoire ;
réformer l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Bobigny du 20 octobre 2023, en ce qu'elle a :
dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Aéroville,
dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Aéroville aux dépens ;
Statuant à nouveau en y ajoutant :
condamner par provision la société Turquoise or holding à payer à la société Aéroville les sommes suivantes, suivant décompte au 03 mai 2024, et sous réserve de l'actualisation de la dette locative :
Loyers et charges en principal local principal : 520 337,61 euros
Indemnité forfaitaire de 10% : 52 033,76 euros
Intérêts de retard contractuels : à parfaire au jour du paiement
Totale des sommes dues à parfaire : 572 371,37 euros
ordonner la capitalisation des intérêts dus depuis une année entière, dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;
faire injonction à la société Turquoise or holding de procéder à la reconstitution du dépôt de garantie inclus au décompte, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance, subsidiairement de sa signification, et ce, pendant un délai de trois mois ;
condamner la société Turquoise or holding à payer à la société Aéroville la somme de 6.000 euros par application des dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil et, très subsidiairement, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Turquoise or holding aux entiers dépens de première instance et appel.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 10 juin 2024, la société Turquoise or holding demande à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 1347 et 1343-5 du code civil, de :
A titre principal,
confirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Bobigny du 20 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;
Subsidiairement,
déterminer le montant de la dette locative ;
accorder à la société Turquoise or holding un échéancier d'apurement de la dette sur une durée de 24 mois par paiements trimestriels égaux à compter de l'ordonnance ;
fixer le montant des échéances trimestrielles ;
En tout état de cause,
débouter la société Aéroville de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner la société Aéroville à verser à la société Turquoise or holding une indemnité de procédure d'un montant de 3.000 euros ; la condamner aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE, LA COUR
A titre liminaire, il convient de préciser que la cour n'est pas saisie de la fin de non-recevoir qui avait été soulevée en défense, tirée du non-recours par le bailleur à la médiation, l'intimée n'ayant pas formé appel incident de ce chef.
Sur la demande de provision
En application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Pour rejeter la demande de provision de la société bailleresse, le premier juge a retenu l'existence de contestations sérieuses soulevées par la société locataire.
La société Turquoise or holding oppose les contestations suivantes :
- Le local visé dans le contrat de bail à deux reprises n'est pas celui qui a été mis à sa disposition : c'est le local n° 115 d'une surface de 235 m² qui aurait dû être mis à sa disposition en application du contrat de bail, or c'est un local n°116B d'une surface de 224 m² qui l'a été ;
- Le montant de la dette locative est indéterminable : selon l'acte introductif d'instance son montant est de 84.588,48 euros ; en avril 2023 il est de 255.949,50 euros, soit une augmentation de 171.361,02 euros en quatre mois ; suivant décompte au 6 mars 2024 il est de 453.305,55 euros, alors que le loyer annuel fixé par le contrat est de 137.760 euros ; dans les conclusions n° 3 de l'appelante il est de 572.371,37 euros au 3 mai 2024, indemnité forfaitaire comprise ; en outre, les charges facturées ne sont pas justifiées, les pièces nouvelles n° 17 à 19 de l'appelante ne constituant pas des justificatifs de charges, et les relevés de compte comportent des postes non justifiés : « palier sur loyer », « honos analyse assis » ;
- Il n'est pas justifié de l'envoi de mises en demeure avant l'assignation en justice ;
- La documentation versée au débat par le bailleur vise une société « Turquoise or », dont le nom est erroné ainsi que le numéro d'immatriculation au RCS ;
- Les montants réclamés au titre du fonds marketing ne sont pas justifiés : il ne suffit pas de facturer des sommes à ce titre mais de justifier des actions et sommes investies par la bailleresse en vue de l'animation, la promotion commerciale et la publicité du centre commercial ; l'impossibilité de déterminer précisément la surface des lieux loués rend en outre impossible le calcul de la contribution de la société Turquoise or holding ;
- Le juge des référés n'a pas le pouvoir juridictionnel d'accorder une somme provisionnelle au titre d'une clause pénale qui est contestée, en l'occurrence l'indemnité forfaitaire de 10% et les intérêts contractuels de retard au taux légal majoré de 500 points de base, qui sont des clauses pénales en l'espèce contestées vu leur montant excessif ;
- Outre que le montant de la dette locative est à ce jour indéterminé, le quantum de l'application de la clause de reconstitution du dépôt de garantie relève de l'appréciation du juge du fond ;
- La bailleresse doit sa participation contractuelle de 100.000 euros au titre des travaux réalisés par la locataire avant d'entrer dans les lieux, la société Aéroville prétendant de parfaite mauvaise foi que les conditions contractuelles du paiement de cette participation ne sont pas réunies ;
- La demande au titre de l'indemnité de procédure, fondée sur les dispositions du bail, n'est pas susceptible de prospérer sans la production de justificatifs des frais de procédure engagés.
L'appelante considère non sérieuses toutes les contestations soulevées, faisant valoir :
- que l'intégralité des sommes réclamées est sollicitée sur le fondement de clauses contractuelles claires et précises, les clauses pénales devant recevoir application dès lors qu'elles présentent ces caractéristiques, le juge des référés ne pouvant ni modifier ni interpréter la loi des parties et pas davantage statuer sur le caractère manifestement excessif ou non de ces clauses ;
- que la participation du bailleur à hauteur de 100.000 euros au titre des travaux réalisés par le preneur ne peut se compenser avec les sommes dues par ce dernier, qui ne justifie pas avoir respecté les conditions contractuelles de sa mise en 'uvre pour pouvoir prétendre au remboursement des travaux ;
- que les loyers ont été actualisés conformément aux dispositions contractuelles qui ont clairement prédéfini le calcul de l'actualisation ;
- que la clause « dépôt de garantie : compensation » prévoit une reconstitution du dépôt de garantie si celui-ci a fait l'objet d'une compensation avec des loyers dus, ce qui est le cas en l'espèce, le dépôt de garantie devant donc être reconstitué en application de cette clause ;
- que le local n°115, qui figure au bail, a bien été livré au preneur, le premier procès-verbal de livraison, qui mentionnait par erreur un local n°11B, étant été corrigé par un second procès- verbal de livraison visant bien le n°115 et réceptionné par le preneur comme celui-ci l'a confirmé par mail ;
- que de multiples lettres de mise en demeure ont bien été adressées au preneur contrairement à ce qu'il prétend ;
- que l'erreur de dénomination et de numéro d'immatriculation de la société locataire sur certains documents procède d'une simple erreur de plume qui ne saurait remettre en cause les obligations du preneur, qui a d'ailleurs procédé à des paiements sur la base des documents en cause ;
- que le bail prévoit le paiement de charges et d'une participation fonds marketing par le preneur ; ces sommes sont rappelées et détaillées dans le relevé de compte locataire et dans les factures afférentes.
Le contrat de bail stipule qu'il porte sur un local n°115 d'une surface de 235m² environ. Le procès-verbal de mise à disposition de ce local, signé par les parties le 10 mars 2022, est en effet erroné en ce qu'il fait référence à un local n°116B d'une surface de 224 m².
Mais ce procès-verbal a été rectifié conformément aux stipulations du bail (pièce 11 de l'appelante), et par mail du 9 mai 2022 le preneur a confirmé au bailleur avoir bien réceptionné ce procès-verbal rectifié mentionnant le local n°115, écrivant : « C'est OK pour moi ». La contestation soulevée sur la nature du local donné à bail n'est donc pas sérieuse.
Il est versé par le bailleur des relevés de compte locataire détaillant chacun la dette locative depuis sa constitution le 8 juillet 2022, le dernier, arrêté au 3 mai 2024 (pièce 17), faisant ressortir un solde débiteur de 520.337,61 euros correspondant au montant en principal de la provision actualisée réclamée par le bailleur à partir de ses conclusions du 6 mai 2024.
Ces relevés de compte sont parfaitement cohérents dans la progression dans le temps de la dette du fait des impayés, ils précisent la nature et le montant de chaque poste facturé et décomposent chaque échéance de loyers et charges en y joignant chacune les factures afférentes.
Le poste « honos analyse assis » correspond bien à une charge exigible en vertu du bail, prévue à l'article 17 du titre II au titre des missions d'analyse, assistance et conseil dans le cadre de l'exploitation du centre commercial, que le bailleur a décidé de confier à un ou plusieurs mandataires de son choix, ces honoraires étant forfaitairement fixés à 3% du montant total des loyers et/ou indemnités d'occupation hors taxes et hors charges.
Dans le décompte de chaque échéance de loyer le poste « palier sur loyer », qui vient au crédit du compte du locataire, se comprend comme les réductions de loyer qui lui sont accordées aux termes du bail.
Les montants réclamés au titre du fonds marketing sont eux aussi justifiés au regard des dispositions du bail, qui prévoient leur fixation à un montant forfaitaire annuel payable par le locataire et indexable, comme le loyer, suivant des modalités précisément définies.
Les charges exposées par le bailleur et remboursables par le preneur sont également justifiées conformément aux dispositions contractuelles, par la production par le bailleur des acomptes individuels sur budget comportant le détail et le montant de chacune de ces charges, étant observé que le bail contient une clause à son article 6.2.2 aux termes de laquelle il revient au locataire, qui entend obtenir les justificatifs de charges qui lui sont imputées, d'en faire la demande auprès du bailleur qui lui s'engage à les mettre à sa disposition. Or, il n'est pas justifié que le preneur, à réception des factures et relevés de compte qui lui ont été adressés, a demandé à avoir accès aux justificatifs des charges qu'il prétend n'être pas justifiées. Sa contestation à ce titre n'est donc pas sérieuse.
Les erreurs matérielles commises par le bailleur sur le nom et le numéro d'immatriculation de la société locataire ne sont pas de nature à remettre en cause l'obligation de cette dernière au paiement des sommes dues en exécution du bail.
Contrairement à ce que soutient la locataire, plusieurs mises en demeure lui ont été adressées avant qu'elle ne soit assignée, dont il est justifié par l'appelante.
C'est à bon droit que le bailleur fait valoir que sa participation financière aux travaux réalisés par le preneur dans les locaux loués n'est pas automatique mais subordonnée à la réalisation de conditions fixées par le bail, lequel stipule en effet à son article 8 du titre I :
« (') La mise en paiement de la Participation Financière devra respecter les termes de la présente clause, et le montant total de la Participation Financière ne pourra en aucun cas excéder le montant de 100 000 € (CENT MILLE EUROS) HORS TAXES, TVA en sus au taux en vigueur.
Le Preneur devra, dans le délai de six (6) mois à compter de la date prise d'effet du Bail, Adresser au Bailleur une facture correspondant au montant de la Participation Financière utilisée, accompagnée des copies des factures émises par les entreprises décrivant les services et travaux réalisés ainsi qu'une attestation écrite que lesdites factures ont été dûment acquittées par le Preneur aux entreprises.
Le Bailleur paiera au Preneur la Participation Financière après réception des documents ci-dessus mentionnés et sous réserve que :
(i) il ait pu vérifier par lui-même la qualification des Travaux Financés et l'approuver comme telle ;
(ii) le dépôt de garantie ainsi que tout autre montant dû en exécution du Bail aient été versés par le Preneur au Bailleur et parfaitement encaissés ;
(iii) les Travaux Financés aient été réalisés dans le calendrier convenu entre les Parties ;
(iv) le Local ait été ouvert au public et qu'il soit maintenu depuis lors en état permanent d'exploitation effective, continue et normale par le Preneur.
Aucune Participation Financière ne sera versée par le Bailleur dans le cas où les travaux réalisés par le Preneur ne constitueraient pas des Travaux Financés tels que ce terme est défini ci-dessus.
La propriété des Travaux Financés sera transférée au Bailleur à compter du versement de la Participation Financière au Preneur. (') »
Il revient ainsi au preneur, au soutien de sa demande de compensation de la participation financière du bailleur avec sa dette locative, d'établir que les conditions de cette participation sont remplies, ce dont il s'abstient totalement. La créance qu'il revendique à ce titre est ainsi sérieusement contestable.
S'agissant des clauses pénales contractuelles relatives aux intérêts de retard au taux légal majoré de 5% l'an et à l'indemnité forfaitaire de 10%, c'est à bon droit que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé de ce chef, car si le juge des référés peut entrer en voie de condamnation provisionnelle en application de clauses pénales claires et précises, nonobstant le pouvoir modérateur des juges du fond, c'est à la condition que leur application ne procure pas un avantage disproportionné pour le créancier. Or, les sommes ici en jeu seraient de nature à procurer un avantage très excessif pour la bailleresse, excédant notablement le montant du préjudice réellement subi, de sorte qu'il y a lieu de retrancher du montant en principal de la demande provisionnelle (520.337,61 euros) la somme de 20.873,25 euros qui a été comptabilisée dans le relevé de compte au titre de l'indemnité de 10%, ainsi que la somme de 52.033,76 euros réclamée en sus et au même titre par l'appelante dans ses conclusions.
La société Turquoise or holding sera ainsi condamnée, par infirmation de l'ordonnance entreprise, au paiement d'une provision de 499.464,36 euros, montant non sérieusement contestable de son obligation de paiement.
Cette somme produira intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation du 23 novembre 2022 sur 84.588,48 euros, à compter des conclusions de l'appelante du 8 mars 2024 sur 432.432,30 euros et à compter de celles 6 mai 2024 sur le solde, ces intérêts étant de droit capitalisables dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.
Sur la demande de délais de paiement
Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
La société Turquoise or holding demande à pourvoir apurer sa dette selon un échéancier de paiements trimestriels de montants égaux répartis sur une durée de 24 mois.
Elle fait valoir qu'elle s'est trouvée confrontée à des difficultés qui lui sont étrangères en raison du retard dans les travaux qu'elle a réalisés dans les locaux et du manquement de son bailleur et de son franchiseur à leurs engagements de financer une partie de ces travaux, lesquels se sont chiffrés à 469.128,93 euros, que cependant son chiffre d'affaires des mois de juin et juillet 2023, seuls mois d'activité eu égard à l'ouverture tardive de sa boutique le 17 juin 2023, démontrent la rentabilité de son activité.
L'appelante s'oppose aux délais sollicités, soulignant l'accumulation des impayés, la mauvaise foi de la société Turquoise or holding et le défaut de démonstration de sa capacité à respecter les délais sollicités.
En se bornant à justifier de son chiffre d'affaires des mois de juin et juillet 2023, sans faire état de ses résultats ultérieurs depuis l'ouverture de son commerce en juin 2023, la société Turquoise or holding ne démontre effectivement pas sa capacité à apurer sa dette de près de 500.000 euros dans le délai légal de 24 mois, lequel suppose des versements mensuels de plus de 20.000 euros en sus du loyer courant, la progression constante de la dette démontrant en elle-même son incapacité à faire face au loyer courant.
La demande de délais de paiement sera rejetée.
Sur la demande de reconstitution du dépôt de garantie
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'article 5.4 du titre II du contrat de bail prévoit que le bailleur est autorisé par le preneur à compenser sans formalité le dépôt de garantie et le montant des loyers échus et non réglés ainsi que toute autre somme exigible en vertu du bail, et qu'en cas de compensation le preneur est tenu de compléter ou reconstituer à première demande du bailleur le dépôt de garantie pour le maintenir toujours égal au nombre de termes de loyer convenus dans le bail (soit trois termes de loyer).
S'il ressort du relevé de compte locataire que le dépôt de garantie a bien été compensé le 4 octobre 2022 avec les loyers et charges impayés, l'obligation contractuelle du preneur de reconstituer ce dépôt de garantie se heurte néanmoins à une contestation sérieuse, car ce même relevé fait ressortir que le 1er janvier 2023 le bailleur a reconstitué le dépôt de garantie en débitant la somme de 41.328 euros précédemment compensée (« Notre appel reconstitution DG reconstitution dépôt »).
Il en résulte que la provision allouée au bailleur inclut le montant du dépôt de garantie reconstitué.
L'appelante sera déboutée de sa demande.
Sur les mesures accessoires
Partie perdante, la société Turquoise or holding sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.
Si aux termes de l'article 26.2.2 du bail le preneur s'est obligé à indemniser son bailleur de tous les honoraires et frais de procédure engagés en ce inclus les honoraires d'avocat quel que soit leur montant, comme le souligne l'intimée l'appelante ne justifie pas avoir exposé la somme de 6.000 euros qu'elle réclame en exécution de cette clause. Le montant contractuellement dû par le preneur n'est donc pas déterminé, la somme de 6.000 euros étant par suite sérieusement contestable.
La société Aéroville est toutefois fondée à bénéficier de l'application de l'article 700 du code de procédure civile. Il lui sera alloué au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel la somme de 4.000 euros, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance entreprise,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Turquoise or holding à payer à la société Aéroville, à titre de provision, la somme de 499.464,36 euros au titre des loyers, taxes et charges impayés au 3 mai 2024 (échéance d'avril 2024 incluse), avec intérêts de retard au taux légal à compter du 23 novembre 2022 sur 84.588,48 euros, à compter du 8 mars 2024 sur 432.432,30 euros et à compter du 6 mai 2024 sur le solde, ces intérêts étant capitalisables dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
Déboute la société Aéroville du surplus de sa demande de provision,
La déboute de sa demande de reconstitution du dépôt de garantie,
Déboute la société Turquoise or holding de sa demande de délai de paiement,
Condamne la société Turquoise or holding aux entiers dépens de première instance et d'appel,
La condamne à payer à la société Aéroville la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des deux instances,
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2024
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/01901 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CI2DV
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Octobre 2023 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BOBIGNY - RG n° 22/02166
APPELANTE
S.C.I. AEROVILLE, RCS de Paris sous le n°483 594 545, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Antoine PINEAU-BRAUDEL de la SAS CABINET PINEAU-BRAUDEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0260
INTIMÉE
S.A.S. TURQUOISE OR HOLDING, RCS de Bobigny sous le n°898 567 342, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-marie HYEST de la SCP HYEST et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0311
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juillet 2024, en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, chargée du rapport, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 7 septembre 2021, la société Aéroville a donné à bail commercial à la société Turquoise or holding un local n°115, d'une surface de 235 m² environ, situé au niveau 0 du centre de commerces et de services Aéroville, [Adresse 1], [Localité 5], pour y exploiter sous l'enseigne « Atasay » une activité de bijouterie, orfèvrerie, joaillerie, horlogerie et tout article s'y rapportant.
Se plaignant du non-paiement régulier des loyers et charges à compter du 10 août 2022, par acte du 23 novembre 2022 la société Aéroville a fait assigner la société Turquoise or holding devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins de la voir condamner par provision à lui payer suivant décompte au 04 octobre 2022 les sommes suivantes :
Loyers et charges en principal local principal : 84 588,48 euros
Indemnité forfaitaire de 10% : 8 458,85 euros
Intérêts de retard contractuels (à parfaire au jour du paiement)
De faire ordonner la capitalisation des intérêts dus depuis une année entière dans les termes de l'article 1342-2 du code civil ; de faire injonction à celle-ci de procéder à la reconstitution du dépôt de garantie sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement subsidiairement de sa signification et ce pendant un délai de trois mois ; de faire condamner celle-ci à lui payer la somme de 3.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La défenderesse a conclu à titre principal à l'irrecevabilité des demandes pour défaut de recours à une médiation, à titre subsidiaire au débouté arguant de contestations sérieuses, à titre infiniment subsidiaire à l'octroi de délais de paiement.
Par ordonnance du 20 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a :
rejeté l'exception d'irrecevabilité,
dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Aéroville,
dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Aéroville aux dépens.
Par déclaration du 12 janvier 2024, la société Aéroville a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 04 juin 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104 du code civil, 699, 700 et 835 du code de procédure civile, de :
dire la société Aéroville recevable et bien fondée en ses demandes ;
débouter la société Turquoise or holding de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
confirmer l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Bobigny du 20 octobre 2023, en ce qu'elle a :
rejeté l'exception d'irrecevabilité ;
rappelé que la décision à intervenir est exécutoire à titre provisoire ;
réformer l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Bobigny du 20 octobre 2023, en ce qu'elle a :
dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Aéroville,
dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Aéroville aux dépens ;
Statuant à nouveau en y ajoutant :
condamner par provision la société Turquoise or holding à payer à la société Aéroville les sommes suivantes, suivant décompte au 03 mai 2024, et sous réserve de l'actualisation de la dette locative :
Loyers et charges en principal local principal : 520 337,61 euros
Indemnité forfaitaire de 10% : 52 033,76 euros
Intérêts de retard contractuels : à parfaire au jour du paiement
Totale des sommes dues à parfaire : 572 371,37 euros
ordonner la capitalisation des intérêts dus depuis une année entière, dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;
faire injonction à la société Turquoise or holding de procéder à la reconstitution du dépôt de garantie inclus au décompte, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance, subsidiairement de sa signification, et ce, pendant un délai de trois mois ;
condamner la société Turquoise or holding à payer à la société Aéroville la somme de 6.000 euros par application des dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil et, très subsidiairement, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Turquoise or holding aux entiers dépens de première instance et appel.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 10 juin 2024, la société Turquoise or holding demande à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 1347 et 1343-5 du code civil, de :
A titre principal,
confirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Bobigny du 20 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;
Subsidiairement,
déterminer le montant de la dette locative ;
accorder à la société Turquoise or holding un échéancier d'apurement de la dette sur une durée de 24 mois par paiements trimestriels égaux à compter de l'ordonnance ;
fixer le montant des échéances trimestrielles ;
En tout état de cause,
débouter la société Aéroville de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner la société Aéroville à verser à la société Turquoise or holding une indemnité de procédure d'un montant de 3.000 euros ; la condamner aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE, LA COUR
A titre liminaire, il convient de préciser que la cour n'est pas saisie de la fin de non-recevoir qui avait été soulevée en défense, tirée du non-recours par le bailleur à la médiation, l'intimée n'ayant pas formé appel incident de ce chef.
Sur la demande de provision
En application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Pour rejeter la demande de provision de la société bailleresse, le premier juge a retenu l'existence de contestations sérieuses soulevées par la société locataire.
La société Turquoise or holding oppose les contestations suivantes :
- Le local visé dans le contrat de bail à deux reprises n'est pas celui qui a été mis à sa disposition : c'est le local n° 115 d'une surface de 235 m² qui aurait dû être mis à sa disposition en application du contrat de bail, or c'est un local n°116B d'une surface de 224 m² qui l'a été ;
- Le montant de la dette locative est indéterminable : selon l'acte introductif d'instance son montant est de 84.588,48 euros ; en avril 2023 il est de 255.949,50 euros, soit une augmentation de 171.361,02 euros en quatre mois ; suivant décompte au 6 mars 2024 il est de 453.305,55 euros, alors que le loyer annuel fixé par le contrat est de 137.760 euros ; dans les conclusions n° 3 de l'appelante il est de 572.371,37 euros au 3 mai 2024, indemnité forfaitaire comprise ; en outre, les charges facturées ne sont pas justifiées, les pièces nouvelles n° 17 à 19 de l'appelante ne constituant pas des justificatifs de charges, et les relevés de compte comportent des postes non justifiés : « palier sur loyer », « honos analyse assis » ;
- Il n'est pas justifié de l'envoi de mises en demeure avant l'assignation en justice ;
- La documentation versée au débat par le bailleur vise une société « Turquoise or », dont le nom est erroné ainsi que le numéro d'immatriculation au RCS ;
- Les montants réclamés au titre du fonds marketing ne sont pas justifiés : il ne suffit pas de facturer des sommes à ce titre mais de justifier des actions et sommes investies par la bailleresse en vue de l'animation, la promotion commerciale et la publicité du centre commercial ; l'impossibilité de déterminer précisément la surface des lieux loués rend en outre impossible le calcul de la contribution de la société Turquoise or holding ;
- Le juge des référés n'a pas le pouvoir juridictionnel d'accorder une somme provisionnelle au titre d'une clause pénale qui est contestée, en l'occurrence l'indemnité forfaitaire de 10% et les intérêts contractuels de retard au taux légal majoré de 500 points de base, qui sont des clauses pénales en l'espèce contestées vu leur montant excessif ;
- Outre que le montant de la dette locative est à ce jour indéterminé, le quantum de l'application de la clause de reconstitution du dépôt de garantie relève de l'appréciation du juge du fond ;
- La bailleresse doit sa participation contractuelle de 100.000 euros au titre des travaux réalisés par la locataire avant d'entrer dans les lieux, la société Aéroville prétendant de parfaite mauvaise foi que les conditions contractuelles du paiement de cette participation ne sont pas réunies ;
- La demande au titre de l'indemnité de procédure, fondée sur les dispositions du bail, n'est pas susceptible de prospérer sans la production de justificatifs des frais de procédure engagés.
L'appelante considère non sérieuses toutes les contestations soulevées, faisant valoir :
- que l'intégralité des sommes réclamées est sollicitée sur le fondement de clauses contractuelles claires et précises, les clauses pénales devant recevoir application dès lors qu'elles présentent ces caractéristiques, le juge des référés ne pouvant ni modifier ni interpréter la loi des parties et pas davantage statuer sur le caractère manifestement excessif ou non de ces clauses ;
- que la participation du bailleur à hauteur de 100.000 euros au titre des travaux réalisés par le preneur ne peut se compenser avec les sommes dues par ce dernier, qui ne justifie pas avoir respecté les conditions contractuelles de sa mise en 'uvre pour pouvoir prétendre au remboursement des travaux ;
- que les loyers ont été actualisés conformément aux dispositions contractuelles qui ont clairement prédéfini le calcul de l'actualisation ;
- que la clause « dépôt de garantie : compensation » prévoit une reconstitution du dépôt de garantie si celui-ci a fait l'objet d'une compensation avec des loyers dus, ce qui est le cas en l'espèce, le dépôt de garantie devant donc être reconstitué en application de cette clause ;
- que le local n°115, qui figure au bail, a bien été livré au preneur, le premier procès-verbal de livraison, qui mentionnait par erreur un local n°11B, étant été corrigé par un second procès- verbal de livraison visant bien le n°115 et réceptionné par le preneur comme celui-ci l'a confirmé par mail ;
- que de multiples lettres de mise en demeure ont bien été adressées au preneur contrairement à ce qu'il prétend ;
- que l'erreur de dénomination et de numéro d'immatriculation de la société locataire sur certains documents procède d'une simple erreur de plume qui ne saurait remettre en cause les obligations du preneur, qui a d'ailleurs procédé à des paiements sur la base des documents en cause ;
- que le bail prévoit le paiement de charges et d'une participation fonds marketing par le preneur ; ces sommes sont rappelées et détaillées dans le relevé de compte locataire et dans les factures afférentes.
Le contrat de bail stipule qu'il porte sur un local n°115 d'une surface de 235m² environ. Le procès-verbal de mise à disposition de ce local, signé par les parties le 10 mars 2022, est en effet erroné en ce qu'il fait référence à un local n°116B d'une surface de 224 m².
Mais ce procès-verbal a été rectifié conformément aux stipulations du bail (pièce 11 de l'appelante), et par mail du 9 mai 2022 le preneur a confirmé au bailleur avoir bien réceptionné ce procès-verbal rectifié mentionnant le local n°115, écrivant : « C'est OK pour moi ». La contestation soulevée sur la nature du local donné à bail n'est donc pas sérieuse.
Il est versé par le bailleur des relevés de compte locataire détaillant chacun la dette locative depuis sa constitution le 8 juillet 2022, le dernier, arrêté au 3 mai 2024 (pièce 17), faisant ressortir un solde débiteur de 520.337,61 euros correspondant au montant en principal de la provision actualisée réclamée par le bailleur à partir de ses conclusions du 6 mai 2024.
Ces relevés de compte sont parfaitement cohérents dans la progression dans le temps de la dette du fait des impayés, ils précisent la nature et le montant de chaque poste facturé et décomposent chaque échéance de loyers et charges en y joignant chacune les factures afférentes.
Le poste « honos analyse assis » correspond bien à une charge exigible en vertu du bail, prévue à l'article 17 du titre II au titre des missions d'analyse, assistance et conseil dans le cadre de l'exploitation du centre commercial, que le bailleur a décidé de confier à un ou plusieurs mandataires de son choix, ces honoraires étant forfaitairement fixés à 3% du montant total des loyers et/ou indemnités d'occupation hors taxes et hors charges.
Dans le décompte de chaque échéance de loyer le poste « palier sur loyer », qui vient au crédit du compte du locataire, se comprend comme les réductions de loyer qui lui sont accordées aux termes du bail.
Les montants réclamés au titre du fonds marketing sont eux aussi justifiés au regard des dispositions du bail, qui prévoient leur fixation à un montant forfaitaire annuel payable par le locataire et indexable, comme le loyer, suivant des modalités précisément définies.
Les charges exposées par le bailleur et remboursables par le preneur sont également justifiées conformément aux dispositions contractuelles, par la production par le bailleur des acomptes individuels sur budget comportant le détail et le montant de chacune de ces charges, étant observé que le bail contient une clause à son article 6.2.2 aux termes de laquelle il revient au locataire, qui entend obtenir les justificatifs de charges qui lui sont imputées, d'en faire la demande auprès du bailleur qui lui s'engage à les mettre à sa disposition. Or, il n'est pas justifié que le preneur, à réception des factures et relevés de compte qui lui ont été adressés, a demandé à avoir accès aux justificatifs des charges qu'il prétend n'être pas justifiées. Sa contestation à ce titre n'est donc pas sérieuse.
Les erreurs matérielles commises par le bailleur sur le nom et le numéro d'immatriculation de la société locataire ne sont pas de nature à remettre en cause l'obligation de cette dernière au paiement des sommes dues en exécution du bail.
Contrairement à ce que soutient la locataire, plusieurs mises en demeure lui ont été adressées avant qu'elle ne soit assignée, dont il est justifié par l'appelante.
C'est à bon droit que le bailleur fait valoir que sa participation financière aux travaux réalisés par le preneur dans les locaux loués n'est pas automatique mais subordonnée à la réalisation de conditions fixées par le bail, lequel stipule en effet à son article 8 du titre I :
« (') La mise en paiement de la Participation Financière devra respecter les termes de la présente clause, et le montant total de la Participation Financière ne pourra en aucun cas excéder le montant de 100 000 € (CENT MILLE EUROS) HORS TAXES, TVA en sus au taux en vigueur.
Le Preneur devra, dans le délai de six (6) mois à compter de la date prise d'effet du Bail, Adresser au Bailleur une facture correspondant au montant de la Participation Financière utilisée, accompagnée des copies des factures émises par les entreprises décrivant les services et travaux réalisés ainsi qu'une attestation écrite que lesdites factures ont été dûment acquittées par le Preneur aux entreprises.
Le Bailleur paiera au Preneur la Participation Financière après réception des documents ci-dessus mentionnés et sous réserve que :
(i) il ait pu vérifier par lui-même la qualification des Travaux Financés et l'approuver comme telle ;
(ii) le dépôt de garantie ainsi que tout autre montant dû en exécution du Bail aient été versés par le Preneur au Bailleur et parfaitement encaissés ;
(iii) les Travaux Financés aient été réalisés dans le calendrier convenu entre les Parties ;
(iv) le Local ait été ouvert au public et qu'il soit maintenu depuis lors en état permanent d'exploitation effective, continue et normale par le Preneur.
Aucune Participation Financière ne sera versée par le Bailleur dans le cas où les travaux réalisés par le Preneur ne constitueraient pas des Travaux Financés tels que ce terme est défini ci-dessus.
La propriété des Travaux Financés sera transférée au Bailleur à compter du versement de la Participation Financière au Preneur. (') »
Il revient ainsi au preneur, au soutien de sa demande de compensation de la participation financière du bailleur avec sa dette locative, d'établir que les conditions de cette participation sont remplies, ce dont il s'abstient totalement. La créance qu'il revendique à ce titre est ainsi sérieusement contestable.
S'agissant des clauses pénales contractuelles relatives aux intérêts de retard au taux légal majoré de 5% l'an et à l'indemnité forfaitaire de 10%, c'est à bon droit que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé de ce chef, car si le juge des référés peut entrer en voie de condamnation provisionnelle en application de clauses pénales claires et précises, nonobstant le pouvoir modérateur des juges du fond, c'est à la condition que leur application ne procure pas un avantage disproportionné pour le créancier. Or, les sommes ici en jeu seraient de nature à procurer un avantage très excessif pour la bailleresse, excédant notablement le montant du préjudice réellement subi, de sorte qu'il y a lieu de retrancher du montant en principal de la demande provisionnelle (520.337,61 euros) la somme de 20.873,25 euros qui a été comptabilisée dans le relevé de compte au titre de l'indemnité de 10%, ainsi que la somme de 52.033,76 euros réclamée en sus et au même titre par l'appelante dans ses conclusions.
La société Turquoise or holding sera ainsi condamnée, par infirmation de l'ordonnance entreprise, au paiement d'une provision de 499.464,36 euros, montant non sérieusement contestable de son obligation de paiement.
Cette somme produira intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation du 23 novembre 2022 sur 84.588,48 euros, à compter des conclusions de l'appelante du 8 mars 2024 sur 432.432,30 euros et à compter de celles 6 mai 2024 sur le solde, ces intérêts étant de droit capitalisables dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.
Sur la demande de délais de paiement
Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
La société Turquoise or holding demande à pourvoir apurer sa dette selon un échéancier de paiements trimestriels de montants égaux répartis sur une durée de 24 mois.
Elle fait valoir qu'elle s'est trouvée confrontée à des difficultés qui lui sont étrangères en raison du retard dans les travaux qu'elle a réalisés dans les locaux et du manquement de son bailleur et de son franchiseur à leurs engagements de financer une partie de ces travaux, lesquels se sont chiffrés à 469.128,93 euros, que cependant son chiffre d'affaires des mois de juin et juillet 2023, seuls mois d'activité eu égard à l'ouverture tardive de sa boutique le 17 juin 2023, démontrent la rentabilité de son activité.
L'appelante s'oppose aux délais sollicités, soulignant l'accumulation des impayés, la mauvaise foi de la société Turquoise or holding et le défaut de démonstration de sa capacité à respecter les délais sollicités.
En se bornant à justifier de son chiffre d'affaires des mois de juin et juillet 2023, sans faire état de ses résultats ultérieurs depuis l'ouverture de son commerce en juin 2023, la société Turquoise or holding ne démontre effectivement pas sa capacité à apurer sa dette de près de 500.000 euros dans le délai légal de 24 mois, lequel suppose des versements mensuels de plus de 20.000 euros en sus du loyer courant, la progression constante de la dette démontrant en elle-même son incapacité à faire face au loyer courant.
La demande de délais de paiement sera rejetée.
Sur la demande de reconstitution du dépôt de garantie
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'article 5.4 du titre II du contrat de bail prévoit que le bailleur est autorisé par le preneur à compenser sans formalité le dépôt de garantie et le montant des loyers échus et non réglés ainsi que toute autre somme exigible en vertu du bail, et qu'en cas de compensation le preneur est tenu de compléter ou reconstituer à première demande du bailleur le dépôt de garantie pour le maintenir toujours égal au nombre de termes de loyer convenus dans le bail (soit trois termes de loyer).
S'il ressort du relevé de compte locataire que le dépôt de garantie a bien été compensé le 4 octobre 2022 avec les loyers et charges impayés, l'obligation contractuelle du preneur de reconstituer ce dépôt de garantie se heurte néanmoins à une contestation sérieuse, car ce même relevé fait ressortir que le 1er janvier 2023 le bailleur a reconstitué le dépôt de garantie en débitant la somme de 41.328 euros précédemment compensée (« Notre appel reconstitution DG reconstitution dépôt »).
Il en résulte que la provision allouée au bailleur inclut le montant du dépôt de garantie reconstitué.
L'appelante sera déboutée de sa demande.
Sur les mesures accessoires
Partie perdante, la société Turquoise or holding sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.
Si aux termes de l'article 26.2.2 du bail le preneur s'est obligé à indemniser son bailleur de tous les honoraires et frais de procédure engagés en ce inclus les honoraires d'avocat quel que soit leur montant, comme le souligne l'intimée l'appelante ne justifie pas avoir exposé la somme de 6.000 euros qu'elle réclame en exécution de cette clause. Le montant contractuellement dû par le preneur n'est donc pas déterminé, la somme de 6.000 euros étant par suite sérieusement contestable.
La société Aéroville est toutefois fondée à bénéficier de l'application de l'article 700 du code de procédure civile. Il lui sera alloué au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel la somme de 4.000 euros, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance entreprise,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Turquoise or holding à payer à la société Aéroville, à titre de provision, la somme de 499.464,36 euros au titre des loyers, taxes et charges impayés au 3 mai 2024 (échéance d'avril 2024 incluse), avec intérêts de retard au taux légal à compter du 23 novembre 2022 sur 84.588,48 euros, à compter du 8 mars 2024 sur 432.432,30 euros et à compter du 6 mai 2024 sur le solde, ces intérêts étant capitalisables dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
Déboute la société Aéroville du surplus de sa demande de provision,
La déboute de sa demande de reconstitution du dépôt de garantie,
Déboute la société Turquoise or holding de sa demande de délai de paiement,
Condamne la société Turquoise or holding aux entiers dépens de première instance et d'appel,
La condamne à payer à la société Aéroville la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des deux instances,
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE