Décisions
CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 3 octobre 2024, n° 23/09926
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2024
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/09926 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHXIV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2023-Juge de l'exécution de PARIS- RG n° 23 / 80042
APPELANT
Monsieur [S], [F] [C]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Ayant pour avocat plaidant, Maître Aude TONDRIAUX-GAUTIER, DOREAN AVOCATS, Avocat au Barreau d'Amiens
INTIMÉE
S.A.S. EOS FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Cédric KLEIN de la SELAS CREHANGE & KLEIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C1312
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 septembre 2024 , en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Bénédicte Pruvost, président, chargé du rapport et Madame Valérie Distinguin, conseiller .
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre
Madame Emmanuelle Lebée, président de chambre honoraire
Madame Valérie Distinguin, conseiller
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier
ARRÊT
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bénédicte Pruvost, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.
Exposé du litige
Sur le fondement d'un contrat de crédit référencé 771101624, M. [C] a été condamné par une ordonnance d'injonction de payer du 2 novembre 2009 rendue par le président du tribunal d'instance de Bernay à payer à la société Cofidis la somme de 10 762,78 euros, outre les intérêts contractuels au taux de 18,73 %.
En exécution de ce titre, le 5 décembre 2022, la société Eos France (la société Eos) a fait pratiquer une saisie-attribution à l'encontre de M. [C], entre les mains de la Société Générale pour la somme de 29 408,79 euros. La saisie lui a été dénoncée le 9 décembre 2022.
Le 6 janvier 2023, M. [C], invoquant la prescription du titre exécutoire et l'inopposabilité de la cession de la créance de la société Cofidis, a fait assigner la société Eos aux fins d'annulation et de mainlevée de la saisie-attribution.
Par jugement en date du 16 mai 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande d'annulation de la saisie-attribution et celle de mainlevée totale de la saisie-attribution, dit que le commissaire de justice devra recalculer les intérêts en ce que les intérêts antérieurs au 10 novembre 2020 sont prescrits et a cantonné en conséquence la saisie-attribution, ordonné la mainlevée partielle de la saisie-attribution pour le surplus, rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [C] aux dépens.
M. [C] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 1er juin 2023. La société Eos a formé appel incident par voie de conclusions.
Les conclusions récapitulatives de M. [C], en date du 9 novembre 2023, tendent à voir la cour infirmer le jugement attaqué rendu le 16 mars 2023, sauf en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société Eos au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuer à nouveau, déclarer irrecevable, car prescrite, toute action sur le fondement de l'ordonnance d'injonction de payer du 2 novembre 2009, déclarer inopposable la cession de créance en date du 16 décembre 2013, constater la prescription des intérêts, dire fautive la retenue des fonds de la société Eos après le jugement, déclarer abusives les clauses contractuelles suivantes contenues dans le contrat de crédit 771101624 sur lequel se fonde la société Eos, à savoir la clause de TAEG, celle sur les intérêts de retard applicables en cas d'impayés, retard de paiement ou exigibilité anticipée, la clause d'exigibilité anticipée contenue dans le contrat, ainsi que toute autre clause que la cour jugerait abusive au titre de son examen d'office, par conséquent, annuler la saisie-attribution du 5 décembre 2022 et en ordonner immédiatement la mainlevée, condamner la société Eos au paiement des sommes de 10 000 euros au titre de saisie abusive, 5 000 euros au titre de la retenue abusive des fonds après le jugement dont appel, en tout état de cause, la débouter de son appel incident et de ses demandes, fins et conclusions, la condamner à la somme de 20 000 euros au titre des clauses abusives, les réputer non écrites, la condamner à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Les conclusions récapitulatives de la société Eos, en date du 12 juin 2024, tendent à voir la cour confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit que le commissaire de justice devra recalculer les intérêts en ce que les intérêts antérieurs au 10 novembre 2020 sont prescrits et a cantonné en conséquence la saisie-attribution, ordonné la mainlevée partielle de la saisie-attribution pour le surplus et rejeté sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuer à nouveau, déclarer M. [C] irrecevable en sa demande tendant à voir déclarer abusives et réputées non écrites les clauses du contrat, ainsi qu'en sa demande de dommages-intérêts formulée au titre des clauses abusives, valider la saisie-attribution pratiquée le 5 décembre 2022, débouter M. [C] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée.
Pour plus ample exposé du litige, des prétentions et des moyens, il est fait renvoi aux écritures visées.
Discussion
Sur la prescription du titre :
à l'appui de sa demande tendant à voir ordonner la mainlevée de la saisie-attribution, M. [C] soutient, en premier lieu, qu'en application de l'article L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution de l'ordonnance du 2 novembre 2009 est prescrite, qu'en effet, la prescription décennale instituée par ce texte a été interrompue par un commandement de payer aux fins de saisie-vente du 30 mars 2010, puis par un procès-verbal de saisie-vente du 3 septembre 2010, de sorte que la prescription était acquise le 2 septembre 2020 à minuit.
Cependant, comme l'a estimé à bon droit le premier juge, le délai de prescription décennale, interrompu par le procès-verbal du 3 septembre 2010, a commencé à courir le 4 septembre 2010 pour expirer, comme le prévoit l'article 2229 du code civil, lorsque le dernier jour du terme a été accompli, soit le 3 septembre 2020 à minuit. Il en résulte qu'à la date du 3 septembre 2020, date de la signification d'un nouveau commandement aux fins de saisie-vente, la prescription n'était pas acquise, que cet acte interruptif de prescription a fait courir un nouveau délai de 10 ans et que le 5 décembre 2022, date de la saisie-attribution, la prescription n'était pas non plus acquise.
Sur la qualité à agir de la société Eos :
à l'appui de sa demande tendant à voir ordonner la mainlevée de la saisie-attribution, M. [C] soutient que si la créance de la société Cofidis a été cédée, le 13 décembre 2013, à la société Eos Contencia, aux droits de laquelle se trouve la société Eos France, la signification ne lui en a été faite que le 3 septembre 2020, date à laquelle le titre était prescrit, et qu'en outre elle aurait dû lui être faite au préalable.
Cependant, d'une part, ainsi qu'il a été dit plus haut, à la date du 3 septembre 2020, la prescription n'était pas acquise, d'autre part, si l'article 1690 du code civil exige que la cession de créance soit signifiée au débiteur pour lui être opposable, sauf acceptation par le débiteur dans un acte authentique, il est de principe que la signification de la créance peut résulter de la signification du commandement de payer aux fins de saisie-vente.
En l'espèce, l'appelant ne conteste pas que la cession de créance lui a été signifiée avec le commandement de payer et que les mentions de celui-ci, ainsi que l'a relevé le premier juge, permettaient d'identifier la créance.
Sur le décompte des intérêts :
Aucune des parties ne conteste le principe de la prescription biennale des intérêts dont a fait application le premier juge, étant de principe que les créances périodiques nées d'une créance en principal fixée par un titre exécutoire, en raison de la fourniture d'un bien ou d'un service par un professionnel à un consommateur, sont soumises au délai de prescription prévu à l'article L. 218-2 du code de la consommation, applicable au regard de la nature de la créance.
En l'absence de moyen tendant à son infirmation, ce chef du jugement entrepris sera donc confirmé.
Sur la demande tendant à voir déclarer abusives les clauses contractuelles suivantes, à savoir la clause de TAEG, celle sur les intérêts de retard applicables en cas d'impayés, retard de paiement ou exigibilité anticipée, la clause d'exigibilité anticipée contenue dans le contrat, ainsi que toute autre clause que la cour jugerait abusive au titre de son examen d'office :
La société Eos oppose à ce chef de demande la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté en cause d'appel de ces chefs de demande.
Cependant, comme le soutient à bon droit l'appelant, il résulte de l'article 564 du code de procédure civile que les parties ne peuvent soumettre à la cour des prétentions nouvelles, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; selon l'article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, cette prétention tend aux mêmes fins, à savoir l'annulation et la mainlevée de la saisie-attribution, que celles soulevées devant le premier juge. Elles sont donc recevables.
L'appelant fonde cette prétention sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'arrêt de la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation en date du 8 février 2023 (P. N° 21-17.763), l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et l'article L.212-1 du code de la consommation et soutient, en substance, que le juge de l'exécution à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen, qu'en l'espèce, le jugement attaqué n'a pas statué sur l'existence des clauses abusives contenues dans le contrat de crédit, lequel, non produit, comporte de nombreuses clauses abusives, notamment la clause de TAEG, la clause sur les intérêts de retard applicables en cas d'impayés fixant au taux de 18,73% les intérêts de retard et la clause d'exigibilité anticipée contenue dans le contrat. L'appelant en déduit l'illégalité de la saisie.
La société Eos lui oppose, de première part, le fait que l'arrêt du 8 février 2023 n'a pas vocation à s'appliquer aux situations antérieures car, au regard de l'article 6-1 de la CEDH, l'application d'une nouvelle règle jurisprudentielle dans l'instance en cours aboutirait à priver une partie, en l'occurrence le prêteur, d'un procès équitable, principe à valeur constitutionnelle, de deuxième part, qu'il concerne l'exécution d'un titre notarié et non d'une décision de justice, de troisième part, qu'en application des dispositions de l'article R 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution, de quatrième part, qu'il convient de tenir compte du comportement du consommateur et de sa passivité au cours de la procédure et durant l'exécution et que M. [C] n'a jamais contesté le titre exécutoire ni manifesté de moyens de défense, qu'il ne produit pas le contrat et les clauses qu'il estime abusives, que généraliser la solution résultant de l'arrêt du 8 février 2023 entraînerait nécessairement la responsabilité de l'état français pour fonctionnement défectueux de la justice.
Cependant, de première part, le principe posé par l'arrêt du 8 février 2023 n'est pas de nature à priver une partie de son droit à un procès équitable puisque, bien au contraire, il tend à ce que soit examiné par un juge le caractère abusif ou non des clauses d'un contrat.
De deuxième part, l'arrêt précité, outre qu'il concerne bien, contrairement à ce qui est soutenu, l'exécution d'une décision de justice, en l'espèce, l'ordonnance d'un juge-commissaire, revêtue de l'autorité de la chose jugée, n'opère aucune distinction suivant la nature du titre dont l'exécution est poursuivie.
De troisième part, s'il résulte de l'article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution, ni, hors les cas prévus par la loi, statuer sur une demande en paiement, il peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d'une clause abusive, et, dès lors, est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d'exécution forcée dont il est saisi et de tirer ensuite toutes les conséquences de l'évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d'exécution dont il est saisi.
De quatrième part, en ce qui concerne le comportement du débiteur, le seul fait que M. [C] n'a formé ni opposition à l'ordonnance d'injonction de payer ni recours à l'encontre des tentatives d'exécution de cette décision est insuffisant à caractériser un comportement dispensant le juge de l'exécution de son obligation de vérifier d'office le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles sur le fondement desquelles a été obtenue l'ordonnance.
En l'absence, non seulement de production du contrat litigieux malgré une demande expresse de la cour, mais également, d'articulation par l'appelant de moyens à l'appui de son allégation du caractère abusif de certaines de ses clauses, dont les termes ne sont pas même cités, la cour n'est pas en mesure de procéder à l'examen de leur caractère éventuellement abusif et en conséquence de procéder, le cas échéant, à un nouveau calcul de la créance.
Sur la demande de dommages-intérêts pour retenue abusive :
L'appelant sollicite à ce titre la somme de 5 000 euros au motif que la société Eos, n'a toujours pas procédé à la réduction de la saisie, bloquant des sommes indues, ce retard d'exécution étant inadmissible.
Cependant, comme le soutient l'intimée, le titre exécutoire a condamné M. [C] à régler une somme de 10 762,78 euros en principal avec intérêts au taux contractuel de 18,73 %, sur deux années, le montant des intérêts s'élève donc à la somme de 4 031,74 euros, soit un total de 14 794,52 euros, outre les frais à ajouter. La saisie-attribution pratiquée le 5 décembre 2022 ayant permis de bloquer la somme de 14 077,69 euros, SBI déduit, l'appelant n'établit pas l'existence d'une retenue abusive.
L'appelant sollicite encore la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour clauses abusives ainsi qu'une somme à titre de dommages-intérêts pour saisie abusive.
La solution du litige conduit à rejeter ces demandes de dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le jugement entrepris sera confirmé sur l'indemnité de procédure allouée.
L'appelant qui succombe doit être condamné aux dépens et débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2024
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/09926 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHXIV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2023-Juge de l'exécution de PARIS- RG n° 23 / 80042
APPELANT
Monsieur [S], [F] [C]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Ayant pour avocat plaidant, Maître Aude TONDRIAUX-GAUTIER, DOREAN AVOCATS, Avocat au Barreau d'Amiens
INTIMÉE
S.A.S. EOS FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Cédric KLEIN de la SELAS CREHANGE & KLEIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C1312
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 septembre 2024 , en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Bénédicte Pruvost, président, chargé du rapport et Madame Valérie Distinguin, conseiller .
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre
Madame Emmanuelle Lebée, président de chambre honoraire
Madame Valérie Distinguin, conseiller
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier
ARRÊT
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bénédicte Pruvost, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.
Exposé du litige
Sur le fondement d'un contrat de crédit référencé 771101624, M. [C] a été condamné par une ordonnance d'injonction de payer du 2 novembre 2009 rendue par le président du tribunal d'instance de Bernay à payer à la société Cofidis la somme de 10 762,78 euros, outre les intérêts contractuels au taux de 18,73 %.
En exécution de ce titre, le 5 décembre 2022, la société Eos France (la société Eos) a fait pratiquer une saisie-attribution à l'encontre de M. [C], entre les mains de la Société Générale pour la somme de 29 408,79 euros. La saisie lui a été dénoncée le 9 décembre 2022.
Le 6 janvier 2023, M. [C], invoquant la prescription du titre exécutoire et l'inopposabilité de la cession de la créance de la société Cofidis, a fait assigner la société Eos aux fins d'annulation et de mainlevée de la saisie-attribution.
Par jugement en date du 16 mai 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande d'annulation de la saisie-attribution et celle de mainlevée totale de la saisie-attribution, dit que le commissaire de justice devra recalculer les intérêts en ce que les intérêts antérieurs au 10 novembre 2020 sont prescrits et a cantonné en conséquence la saisie-attribution, ordonné la mainlevée partielle de la saisie-attribution pour le surplus, rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [C] aux dépens.
M. [C] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 1er juin 2023. La société Eos a formé appel incident par voie de conclusions.
Les conclusions récapitulatives de M. [C], en date du 9 novembre 2023, tendent à voir la cour infirmer le jugement attaqué rendu le 16 mars 2023, sauf en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société Eos au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuer à nouveau, déclarer irrecevable, car prescrite, toute action sur le fondement de l'ordonnance d'injonction de payer du 2 novembre 2009, déclarer inopposable la cession de créance en date du 16 décembre 2013, constater la prescription des intérêts, dire fautive la retenue des fonds de la société Eos après le jugement, déclarer abusives les clauses contractuelles suivantes contenues dans le contrat de crédit 771101624 sur lequel se fonde la société Eos, à savoir la clause de TAEG, celle sur les intérêts de retard applicables en cas d'impayés, retard de paiement ou exigibilité anticipée, la clause d'exigibilité anticipée contenue dans le contrat, ainsi que toute autre clause que la cour jugerait abusive au titre de son examen d'office, par conséquent, annuler la saisie-attribution du 5 décembre 2022 et en ordonner immédiatement la mainlevée, condamner la société Eos au paiement des sommes de 10 000 euros au titre de saisie abusive, 5 000 euros au titre de la retenue abusive des fonds après le jugement dont appel, en tout état de cause, la débouter de son appel incident et de ses demandes, fins et conclusions, la condamner à la somme de 20 000 euros au titre des clauses abusives, les réputer non écrites, la condamner à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Les conclusions récapitulatives de la société Eos, en date du 12 juin 2024, tendent à voir la cour confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit que le commissaire de justice devra recalculer les intérêts en ce que les intérêts antérieurs au 10 novembre 2020 sont prescrits et a cantonné en conséquence la saisie-attribution, ordonné la mainlevée partielle de la saisie-attribution pour le surplus et rejeté sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuer à nouveau, déclarer M. [C] irrecevable en sa demande tendant à voir déclarer abusives et réputées non écrites les clauses du contrat, ainsi qu'en sa demande de dommages-intérêts formulée au titre des clauses abusives, valider la saisie-attribution pratiquée le 5 décembre 2022, débouter M. [C] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée.
Pour plus ample exposé du litige, des prétentions et des moyens, il est fait renvoi aux écritures visées.
Discussion
Sur la prescription du titre :
à l'appui de sa demande tendant à voir ordonner la mainlevée de la saisie-attribution, M. [C] soutient, en premier lieu, qu'en application de l'article L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution de l'ordonnance du 2 novembre 2009 est prescrite, qu'en effet, la prescription décennale instituée par ce texte a été interrompue par un commandement de payer aux fins de saisie-vente du 30 mars 2010, puis par un procès-verbal de saisie-vente du 3 septembre 2010, de sorte que la prescription était acquise le 2 septembre 2020 à minuit.
Cependant, comme l'a estimé à bon droit le premier juge, le délai de prescription décennale, interrompu par le procès-verbal du 3 septembre 2010, a commencé à courir le 4 septembre 2010 pour expirer, comme le prévoit l'article 2229 du code civil, lorsque le dernier jour du terme a été accompli, soit le 3 septembre 2020 à minuit. Il en résulte qu'à la date du 3 septembre 2020, date de la signification d'un nouveau commandement aux fins de saisie-vente, la prescription n'était pas acquise, que cet acte interruptif de prescription a fait courir un nouveau délai de 10 ans et que le 5 décembre 2022, date de la saisie-attribution, la prescription n'était pas non plus acquise.
Sur la qualité à agir de la société Eos :
à l'appui de sa demande tendant à voir ordonner la mainlevée de la saisie-attribution, M. [C] soutient que si la créance de la société Cofidis a été cédée, le 13 décembre 2013, à la société Eos Contencia, aux droits de laquelle se trouve la société Eos France, la signification ne lui en a été faite que le 3 septembre 2020, date à laquelle le titre était prescrit, et qu'en outre elle aurait dû lui être faite au préalable.
Cependant, d'une part, ainsi qu'il a été dit plus haut, à la date du 3 septembre 2020, la prescription n'était pas acquise, d'autre part, si l'article 1690 du code civil exige que la cession de créance soit signifiée au débiteur pour lui être opposable, sauf acceptation par le débiteur dans un acte authentique, il est de principe que la signification de la créance peut résulter de la signification du commandement de payer aux fins de saisie-vente.
En l'espèce, l'appelant ne conteste pas que la cession de créance lui a été signifiée avec le commandement de payer et que les mentions de celui-ci, ainsi que l'a relevé le premier juge, permettaient d'identifier la créance.
Sur le décompte des intérêts :
Aucune des parties ne conteste le principe de la prescription biennale des intérêts dont a fait application le premier juge, étant de principe que les créances périodiques nées d'une créance en principal fixée par un titre exécutoire, en raison de la fourniture d'un bien ou d'un service par un professionnel à un consommateur, sont soumises au délai de prescription prévu à l'article L. 218-2 du code de la consommation, applicable au regard de la nature de la créance.
En l'absence de moyen tendant à son infirmation, ce chef du jugement entrepris sera donc confirmé.
Sur la demande tendant à voir déclarer abusives les clauses contractuelles suivantes, à savoir la clause de TAEG, celle sur les intérêts de retard applicables en cas d'impayés, retard de paiement ou exigibilité anticipée, la clause d'exigibilité anticipée contenue dans le contrat, ainsi que toute autre clause que la cour jugerait abusive au titre de son examen d'office :
La société Eos oppose à ce chef de demande la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté en cause d'appel de ces chefs de demande.
Cependant, comme le soutient à bon droit l'appelant, il résulte de l'article 564 du code de procédure civile que les parties ne peuvent soumettre à la cour des prétentions nouvelles, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; selon l'article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, cette prétention tend aux mêmes fins, à savoir l'annulation et la mainlevée de la saisie-attribution, que celles soulevées devant le premier juge. Elles sont donc recevables.
L'appelant fonde cette prétention sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'arrêt de la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation en date du 8 février 2023 (P. N° 21-17.763), l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et l'article L.212-1 du code de la consommation et soutient, en substance, que le juge de l'exécution à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen, qu'en l'espèce, le jugement attaqué n'a pas statué sur l'existence des clauses abusives contenues dans le contrat de crédit, lequel, non produit, comporte de nombreuses clauses abusives, notamment la clause de TAEG, la clause sur les intérêts de retard applicables en cas d'impayés fixant au taux de 18,73% les intérêts de retard et la clause d'exigibilité anticipée contenue dans le contrat. L'appelant en déduit l'illégalité de la saisie.
La société Eos lui oppose, de première part, le fait que l'arrêt du 8 février 2023 n'a pas vocation à s'appliquer aux situations antérieures car, au regard de l'article 6-1 de la CEDH, l'application d'une nouvelle règle jurisprudentielle dans l'instance en cours aboutirait à priver une partie, en l'occurrence le prêteur, d'un procès équitable, principe à valeur constitutionnelle, de deuxième part, qu'il concerne l'exécution d'un titre notarié et non d'une décision de justice, de troisième part, qu'en application des dispositions de l'article R 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution, de quatrième part, qu'il convient de tenir compte du comportement du consommateur et de sa passivité au cours de la procédure et durant l'exécution et que M. [C] n'a jamais contesté le titre exécutoire ni manifesté de moyens de défense, qu'il ne produit pas le contrat et les clauses qu'il estime abusives, que généraliser la solution résultant de l'arrêt du 8 février 2023 entraînerait nécessairement la responsabilité de l'état français pour fonctionnement défectueux de la justice.
Cependant, de première part, le principe posé par l'arrêt du 8 février 2023 n'est pas de nature à priver une partie de son droit à un procès équitable puisque, bien au contraire, il tend à ce que soit examiné par un juge le caractère abusif ou non des clauses d'un contrat.
De deuxième part, l'arrêt précité, outre qu'il concerne bien, contrairement à ce qui est soutenu, l'exécution d'une décision de justice, en l'espèce, l'ordonnance d'un juge-commissaire, revêtue de l'autorité de la chose jugée, n'opère aucune distinction suivant la nature du titre dont l'exécution est poursuivie.
De troisième part, s'il résulte de l'article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution, ni, hors les cas prévus par la loi, statuer sur une demande en paiement, il peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d'une clause abusive, et, dès lors, est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d'exécution forcée dont il est saisi et de tirer ensuite toutes les conséquences de l'évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d'exécution dont il est saisi.
De quatrième part, en ce qui concerne le comportement du débiteur, le seul fait que M. [C] n'a formé ni opposition à l'ordonnance d'injonction de payer ni recours à l'encontre des tentatives d'exécution de cette décision est insuffisant à caractériser un comportement dispensant le juge de l'exécution de son obligation de vérifier d'office le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles sur le fondement desquelles a été obtenue l'ordonnance.
En l'absence, non seulement de production du contrat litigieux malgré une demande expresse de la cour, mais également, d'articulation par l'appelant de moyens à l'appui de son allégation du caractère abusif de certaines de ses clauses, dont les termes ne sont pas même cités, la cour n'est pas en mesure de procéder à l'examen de leur caractère éventuellement abusif et en conséquence de procéder, le cas échéant, à un nouveau calcul de la créance.
Sur la demande de dommages-intérêts pour retenue abusive :
L'appelant sollicite à ce titre la somme de 5 000 euros au motif que la société Eos, n'a toujours pas procédé à la réduction de la saisie, bloquant des sommes indues, ce retard d'exécution étant inadmissible.
Cependant, comme le soutient l'intimée, le titre exécutoire a condamné M. [C] à régler une somme de 10 762,78 euros en principal avec intérêts au taux contractuel de 18,73 %, sur deux années, le montant des intérêts s'élève donc à la somme de 4 031,74 euros, soit un total de 14 794,52 euros, outre les frais à ajouter. La saisie-attribution pratiquée le 5 décembre 2022 ayant permis de bloquer la somme de 14 077,69 euros, SBI déduit, l'appelant n'établit pas l'existence d'une retenue abusive.
L'appelant sollicite encore la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour clauses abusives ainsi qu'une somme à titre de dommages-intérêts pour saisie abusive.
La solution du litige conduit à rejeter ces demandes de dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le jugement entrepris sera confirmé sur l'indemnité de procédure allouée.
L'appelant qui succombe doit être condamné aux dépens et débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimée.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,