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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 3 octobre 2024, n° 23/01522

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Geopowair (SA)

Défendeur :

QBE Europe (SA/NV), Tecumseh Europe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Mihajlovic, Me Kroell, Me Grandgonnet, Me Raichon

T. com. Vienne, du 19 janv. 2023, n° 201…

19 janvier 2023

Faits et procédure :

1. La société Geopowair est une entreprise luxembourgeoise spécialisée dans le domaine des pompes à chaleur. Elle a souhaité concevoir une nouvelle gamme de pompes à chaleur fonctionnant au gaz propane à faible impact sur l'effet de serre, et s'est rapprochée de la société Tecumseh Europe, fabricant de compresseurs.

2. En juin 2013, la société Geopowair a passé une première commande de deux compresseurs RK5518U puis a acheté en plusieurs fois 180 compresseurs entre août 2013 à avril 2014 pour un montant total de 24.691,87 euros.

3. Le 10 juillet 2015, la société Geopowair a informé par mail la société Tecumseh Europe de la défectuosité des compresseurs. Par ordonnance du 8 septembre 2016, le jugé des référés du tribunal de commerce de Vienne a désigné monsieur [O] en qualité d'expert. La mesure d'instruction a été déclarée commune à la société QBE Europeans Operations, assureur de la société Tecumseh Europe, par ordonnance du 18 mai 2017. L'expert a déposé deux rapports, l'un sur l'aspect technique le 18 août 2018, l'autre sur l'aspect financier le 8 novembre 2019.

4. La société Geopowair a assigné la société Tecumseh Europe et son assureur la société QBE Europeans Operations devant le tribunal de commerce de Vienne par exploits des 21 décembre 2017 et 5 janvier 2018.

5. Par jugement du 19 janvier 2023, le tribunal de commerce de Vienne a :

- jugé que la société QBE Europe SA/NV se trouve recevable et bien fondée à intervenir volontairement à la présente procédure en lieu et place de la société QBE Insurance Europe Limited ;

- ordonné en conséquence la mise hors de cause de la société QBE Insurance Europe Limited ;

- jugé que la société Tecumseh Europe a manqué à son obligation de délivrance en ayant fourni un compresseur inadapté pour le couple gaz/ lubrifiant, qui était une condition essentielle du consentement de la société Geopowair et que la société Tecumseh Europe connaissait ;

- jugé que la société Geopowair n'établit pas le lien de causalité entre les compresseurs défaillants et le préjudice dont elle prétend obtenir réparation ;

- jugé que la société Geopowair a subi un préjudice au titre des dépenses qu'il conviendra de réparer sur la base du rapport d'expertise ;

- condamné en conséquence solidairement la société Tecumseh Europe et la société la société QBE Europe NV/SA à payer à la société Geopowair la somme de 64.143 euros avec intérêts à compter du 21 décembre 2017, date de l'assignation ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- condamné solidairement la société Tecumseh Europe et la société QBE Europe NV/SA à payer à la société Geopowair la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Tecumseh Europe de ses demandes de condamnation à l'encontre de la société Geopowair ;

- débouté la société Geopowair de ses autres demandes d'indemnisation ;

- débouté la société Geopowair de sa demande de prise en charge du coût des

rapports établis par madame [H], expert-comptable ;

- ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution ;

- condamné la société Tecumseh Europe aux dépens prévus à l'article 695 du code de procédure civile, qui comprendront le coût de la procédure de référé tendant à la désignation de l'expert et le coût de l'expertise judiciaire réalisée par l'expert [O].

6. La société Geopowair a interjeté appel de cette décision le 18 avril 2023 en ce qu'elle a :

- jugé que la société Geopowair n'établit pas le lien de causalité entre les compresseurs défaillants et le préjudice dont elle prétend obtenir réparation ;

- jugé que la société Geopowair a subi un préjudice au titre des dépenses qu'il conviendra de réparer sur la base du rapport d'expertise ;

- condamné en conséquence solidairement la société Tecumseh Europe et la société la société QBE Europe NV/SA à payer à la société Geopowair omme de 64.143 euros avec intérêts à compter du 21 décembre 2017, date de l'assignation ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- condamné solidairement la société Tecumseh Europe et la société QBE Europe NV/SA à payer à la société Geopowair la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Geopowair de ses autres demandes d'indemnisation ;

- débouté la société Geopowair de sa demande de prise en charge du coût des rapports établis par madame [H], expert-comptable.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 22 janvier 2024.

Prétentions et moyens de la société Geopowair :

7. Selon ses conclusions n°2 remises par voie électronique le 30 octobre 2023, elle demande à la cour, au visa des articles 1134 (ancienne numérotation), 1103 et 1104 (nouvelle numérotation), 1147 (ancienne numérotation), 1231-1 (nouvelle numérotation), 1602, 1603, 1343-2 du code civil :

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la concluante n'établit pas le lien de causalité entre les compresseurs défaillants et le préjudice dont elle prétend obtenir réparation ; en ce qu'il a limité la condamnation solidaire de la société Tecumseh Europe et de la société QBE Europe NV/SA au paiement des sommes suivantes: 64.143 euros avec intérêts à compter du 21 décembre 2017, et 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; en ce qu'il a débouté la concluante de ses autres demandes d'indemnisation et de sa demande de prise en charge du coût des rapports établis par madame [H], expert-comptable ;

- statuant à nouveau, de condamner solidairement, en tous les cas in solidum la société Tecumseh Europe et la société QBE Europe NV/SA au paiement des sommes suivantes :

* au titre des dépenses : 1.849.381 euros (coût de fabrication des PAC équipées de compresseurs Tecumseh, prix de revient calculé par l'expert [H] le 21 mai 2021) ;

* au titre de la perte de chance de réaliser un bénéfice si les compresseurs Tecumesh n'avaient pas été défectueux : 936.000 euros ;

* au titre de l'atteinte à l'image : 100.000 euros ;

* au titre de la perte de valeur de la société : 2.454.000 euros ;

* au titre de l'article 700 du code de procédure civile: 30.000 euros, somme qui s'ajoutera à la somme allouée à ce titre en première instance, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront également les frais de référé tendant à la désignation de l'expert, le coût des expertises, y compris notamment l'expertise judiciaire et l'expertise de madame [H] ;

- de dire que les sommes porteront intérêts à compter de l'assignation au fond du 21 décembre 2017 ;

- d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

- de débouter la société Tecumseh Europe, la société QBE Europe NV/SA, la société QBE Insurance Europe Limited Sa de leurs demandes plus amples et ou contraires ;

- très subsidiairement, d'homologuer le rapport d'expertise en ce qu'il a consacré la faute de la société Tecumseh Europe ;

- de condamner in solidum la société Tecumseh Europe et la société QBE Europe NV/SA au paiement de la somme de 200.000 euros à titre de provision à valoir sur le préjudice subi ;

- d'ordonner une contre-expertise ayant pour objet le calcul de l'indemnisation du préjudice subi, en veillant à ce que l'expert désigné ait une connaissance approfondie du marché des PAC écologiques, compétence que n'avait pas monsieur [O], expert judiciaire, qui a à tort balayé l'expérience de monsieur [B], gérant de la concluante, a jugé fantaisiste le business plan dressé par la concluante alors même que le business plan a été contrôlé et validé par les ministères des finances et de l'économie et du commerce extérieur ;

- de renvoyer le dossier à une date ultérieure pour la liquidation du préjudice ;

- de réserver les autres demandes relatives au solde du préjudice, aux dépens, à l'article 700 du code de procédure civile, aux intérêts ;

- dans tous les cas, de débouter la société Tecumseh Europe et la société QBE Europe NV/SA de toutes leurs demandes ;

- de déclarer mal fondé l'appel incident de la société Tecumseh Europe et de la société QBE Europe NV/SA et les en débouter.

L'appelante expose :

8. - que les compresseurs ont d'abord été installés sur une gamme de pompes à chaleur d'eau chaude sanitaire, machines ne fonctionnant que quelques heures par jour ; que les premières pannes ont été constatées après un à deux ans de fonctionnement ; que lorsque la concluante a ensuite intégré ces compresseurs à des pompes à chaleur air/eau fonctionnant plus régulièrement, les casses sont survenues au bout de deux à trois semaines ;

9. - que l'expert [O] a indiqué, dans son rapport concernant les responsabilités, que les casses proviennent de l'inadaptation des compresseurs fournis par la société Tecumseh Europe, puisque de l'huile entre dans le circuit frigorifique pour s'accumuler au point le plus froid de la pompe ; qu'il a précisé que ce problème est cumulatif et s'accentue lorsque la machine subit des arrêts et des démarrages fréquents, le manque d'huile dans le carter du compresseur finissant par provoquer un défaut de lubrification à l'origine des casses ;

10. - que cet expert a noté, dans son rapport concernant les préjudices subis, que les problèmes résultent essentiellement d'un marché très concurrentiel, mal analysé dans l'étude réalisée pour l'établissement du business plan, qui s'est avéré trop optimiste alors que le dirigeant de la concluante n'a pas voulu réorienter son activité sur des pompes intégrant des compresseurs chinois alors qu'elle en avait produit et vendu en 2016 et avait la trésorerie pour le faire ; qu'il a chiffré le préjudice subi à 74.043 euros à parfaire, en laissant au tribunal le chiffrage de l'éventuelle perte d'image ;

11. - que devant le tribunal, la concluante a sollicité une contre-expertise et a produit le rapport de madame [H] remettant en cause l'estimation du préjudice fournie par monsieur [O], qui a, à tort, balayé l'expérience de monsieur [B] gérant de la concluante, a jugé fantaisiste le business plan;

12. - concernant la faute de la société Tecumseh Europe, qu'elle a manqué à son obligation d'information et de conseil, ainsi qu'à son obligation de délivrer un matériel permettant d'atteindre la puissance convenue, puisque tous les

compresseurs ont cassé, alors que lorsqu'en mars 2017, la concluante a remplacé ce type de compresseur par des compresseurs Aweco, plus aucune casse n'a été constatée ;

13. - que la société Tecumseh Europe n'a en réalité procédé à aucun essai de ses compresseurs avant janvier 2017 tout en les certifiant conformes à la norme CE et a fourni une documentation erronée ; que la puissance annoncée par la société Tecumseh Europe n'a pu être atteinte puisqu'elle a préconisé une charge maximale du fluide d'un tiers par rapport à la charge d'huile, réduisant ainsi la masse du fluide à 148 grammes alors que le cahier technique prévoyait une masse de 800 grammes et qu'il s'agissait d'un élément essentiel du consentement de la concluante, puisque le compresseur était incompatible avec la pompe à chaleur fonctionnant avec 240 et 430 grammes de fluide ;

14. - que contrairement aux allégations de la société Tecumseh Europe, les appareils de la concluante sont conformes à la norme NF-EN-378-1 à 4 ainsi qu'à la Directive européenne 2014/68/UE relative aux appareils à pression ;

15. - concernant l'indemnisation des préjudices de la concluante, que le tribunal a accordé 22.612 euros au titre de l'achat des compresseurs inutilisables ;

16. - que si les intimées opposent l'article 7.1 des conditions générales de vente stipulant qu'en aucun cas, le vendeur ne pourra être tenu pour responsable de tout dommage indirect, consécutif ou accidentel, notamment perte d'exploitation, perte de clientèle, préjudice commercial, atteinte à l'image de marque, résultant de la détention ou de l'utilisation de la machine et que sa responsabilité ne pourra excéder le montant payé par l'acheteur en contrepartie des marchandises, ces conditions n'ont pas été paraphées, de sorte que se pose le problème de leur opposabilité, alors que le même article prévoit que les marchandises sont garanties conformes aux spécifications techniques utilisées par le vendeur, bien que la société Tecumseh Europe n'ait pas livré des marchandises conformes ; que cette limitation de garantie ne s'applique pas puisque le préjudice découle de l'impossibilité d'utiliser la marchandise non conforme ; qu'elle doit être réputée non écrite puisqu'elle contredit la portée de l'obligation essentielle de la société Tecumseh Europe, bien que l'article 1170 du code civil issu de l'ordonnance du 10 février 2016 ne soit pas applicable ;

17. - que si la société Tecumseh Europe conditionne un remboursement à la restitution du matériel, il ne s'agit pas pour la concluante d'obtenir un remboursement, mais d'obtenir une indemnisation ;

18. - que le tribunal a également accordé à la concluante la somme de 41.535 euros au titre du temps passé à régler les problèmes ; que contrairement à l'argumentation des intimées, cette somme ne correspond pas à des essais ayant fait l'objet de budgets, mais aux tentatives pour faire face aux manquements de la société Tecumseh Europe ;

19. - que si le tribunal a exclu la somme de 10.000 euros retenue par l'expert au titre de la destruction des machines, la preuve de cette destruction est rapportée, alors que l'expert s'est, à tort, limité aux frais de destruction du matériel fabriqué avec les mauvais compresseurs, et n'a pas tenu compte du prix des matériaux constituant les pompes à chaleur, qui ont été chiffré par madame [H] ;

20. - concernant la critique faite par le tribunal sur le business plan de la concluante, que l'expert judiciaire a commis une erreur résultant du fait qu'il n'est pas suffisamment spécialisé et qu'il ignore la spécificité du marché des pompes à chaleur et méprise l'expérience du dirigeant de la concluante ; que ce business plan a été validé par le ministère des finances avec plusieurs audits sur six mois, pour aboutir au paiement d'une subvention d'un million d'euros ;

21. - s'agissant de la proposition de chiffrage du préjudice subi, que l'expert judiciaire n'a pas examiné les factures d'achat et n'a pas mesuré le coût de production des pompes à chaleur, en intégrant les coûts liés aux dysfonctionnements ;

22. - s'agissant de la perte de chance, que madame [H] indique avoir effectué un calcul sur cinq ans, prenant en compte le résultat prévisionnel et un taux de probabilité de 20 % ; qu'elle a pris en compte l'étude de l'Observatoire des énergies renouvelables du 31 mars 2021 faisant état de 81.700 pompes vendues en France, dont 1.600 pompes fabriquées par la concluante, équivalent à 2 % du marché ; que ses prévisions étaient ainsi réalistes ; que la concluante a subi sur cinq ans une perte de 2,5 millions d'euros, alors qu'elle aurait dû réaliser un bénéfice de 1,043 millions d'euros, de sorte qu'elle justifie bien d'une perte de chance à hauteur de 40 %;

23. - pour la perte de valeur de la société, que l'expert judiciaire a exclu les actionnaires, alors que le préjudice de la concluante doit être calculé sur les bénéfices futurs au regard d'un marché en pleine expansion ; que l'entreprise n'a plus de valeur commerciale, alors que le compte prévisionnel 2017 prévoyait un bénéfice de 1,636 millions d'euros ; que la valeur de l'entreprise aurait ainsi dû être de 8,180 millions d'euros au titre de cinq années de bénéfices ; que la perte de chance doit être retenue à hauteur de 30 % de cette somme ;

24. - que le préjudice d'image résulte du fait que monsieur [B] est connu dans le monde industriel du génie climatique, de sorte que l'échec de la concluante a entaché son image professionnelle et a favorisé l'installation de concurrents ; que la concluante devra ainsi multiplier ses investissements pendant au moins cinq ans pour restaurer son image et la confiance de ses partenaires ;

25. - qu'il convient d'ajouter 100.000 euros au titre des frais d'expertise ;

26. - concernant la demande de contre-expertise, qu'elle est justifiée afin d'obtenir le calcul de l'indemnisation du préjudice subi par un expert ayant une connaissance approfondie du marché des pompes à chaleur écologiques ; que l'expert judiciaire a exclu une perte de marge au motif que l'hypothèse d'une croissance annuelle de 25 % est très optimiste, voire irréaliste alors qu'elle est couverte par la marge réalisée sur d'autres produits ;

27. - que la demande de provision de 200.000 euros repose sur les achats réalisés par la concluante, les frais de personnel et les frais occasionnés lors des essais ;

28. - que les demandes reconventionnelles des intimées sont infondées, en raison de l'absence de faute de la concluante.

Prétentions et moyens de la société Tecumseh Europe et de la société QBE Europe NV/SA :

29. Selon leurs conclusions n°2 remises par voie électronique le 16 février 2024, elles demandent à la cour, à titre principal, de réformer le jugement déféré en ce qu'il a :

- considéré que la société Tecumseh Europe a manqué à son obligation de délivrance et l'a condamnée à payer, ainsi que la Sa QBE Europe SA/NV, à la Sa Geopowair, la somme de 64.143 euros avec intérêts à compter du 21 décembre 2017, date de délivrance de l'assignation, et en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts ; .

- condamné la société Tecumseh Europe et la compagnie QBE Europe SA/NV

à payer à la Sa Geopowair la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- en ce qu'il a débouté la société Tecumseh Europe de ses demandes formées à l'encontre de la Sa Geopowair et en ce qu'il a condamné la société Tecumseh Europe aux dépens.

30. Les intimées sollicitent :

- de débouter la société Geopowair de l'ensemble de ses demandes comme étant irrecevables et non fondées ;

- de condamner l'appelante à leur payer la somme de 50.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise et autoriser la Selarl Balestas-Grandgonnet-Muridi & Associés à les recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.

31. Elles demandent, à titre subsidiaire :

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a alloué à la SA Geopowair la somme de 64.143 euros avec intérêts à compter du 21 décembre 2017, date de délivrance de l'assignation, et en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts ;

- de réduire à la somme de 22.612 euros correspondant au coût d'achat des compresseurs toute somme qui serait allouée à la Sa Geopowair et la débouter de toutes demandes plus amples et contraires ;

- de débouter l'appelante de sa demande provisionnelle et de sa demande de contre-expertise comme non fondée ;

- de condamner l'appelante à payer aux concluantes la somme de 50.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise et autoriser la Selarl Balestas-Grandgonnet-Muridi & Associés à les recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.

32. Elles demandent, à titre infiniment subsidiaire :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a limité la somme allouée à la Sa Geopowair à 64.143 euros en principal avec intérêts à compter du 21 décembre 2017, date de l'assignation ;

- de le réformer en ce qu'il a alloué à la Sa Geopowair la somme de 20.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile et a mis les dépens à la charge de la société Tecumseh Europe.

33. Elles demandent, en tout état de cause :

- de débouter l'appelante de ses prétentions formées au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner l'appelante à payer à la société Tecumseh Europe la somme de 9.000 euros en remboursement des essais d'endurance, opérés dans le cadre des opérations d'expertise sollicités par l'expert judiciaire ;

- de condamner la société Geopowair à payer à la société Tecumseh Europe au titre du temps passé par le management outre frais de déplacement, la somme de 2.453 euros ;

- de condamner la société Geopowair à payer à la société Tecumseh Europe la somme de 18.814 euros au titre du coût de l'intervention de l'expert du Cabinet Altec ;

- de condamner la société Geopowair à payer aux concluantes la somme de 50.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise et autoriser la Selarl Balestas-Grandgonnet-Muridi & Associés à les recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Les intimées indiquent :

34. - que l'appelante n'a pas acquis 180 compresseurs en une commande unique, mais d'abord deux appareils pour des essais, puis 40 et enfin 120 compresseurs, après avoir apprécié leurs caractéristiques et les avoir estimés conformes à ses attente ; qu'elle avait ainsi pleinement connaissance de ces caractéristiques;

35. - que si l'appelante affirme que malgré le respect des conditions de fonctionnement, les compresseurs ont cassé, cette affirmation est fausse puisque la fiche technique avait été communiquée, avec des précisions données par mail le 8 avril 2013 sur la limitation de la charge à 150 grammes de fluide ; que cette charge n'a pas été respectée par l'appelante, ainsi qu'elle le reconnaît dans ses conclusions, ce qui explique les casses, les compresseurs ne présentant aucune anomalie, alors que les essais réalisés lors de l'expertise n'ont démontré aucune casse lorsque les compresseurs n'étaient pas dans la machine conçue par l'appelante ;

36. - que la société Geopowair n'a pas produit les caractéristiques de la machine qu'elle entendait réaliser, ni aucun élément particulier, alors que si elle affirme avoir trouvé un autre fournisseur en 2017, elle indique finalement n'avoir rien fabriqué ensuite ;

37. - contrairement à la discussion de l'appelante, que l'expert n'a pas caractérisé une faute de la société Tecumseh Europe, mais a seulement indiqué, dans une partie de son rapport, qu'il existait une inadéquation entre le compresseur et son intégration dans la machine fabriquée par l'appelante ; que ce n'est pas la société Tecumseh Europe qui a préconisé le compresseur, puisque c'est l'intimée qui l'a choisi en connaissant l'ensemble de ses caractéristiques ; que l'expert a précisé qu'il n'a pas les compétences nécessaires pour se prononcer sur une question de droit et les responsabilités ; que l'appelante reconnaît avoir utilisé des charges de 240 et 430 grammes de fluide, ce qui dépassait les contraintes maximales des compresseurs, de sorte qu'ils n'ont pas été utilisés selon les conditions du fabricant, alors que la documentation nécessaire avait été fournie et que les essais ont démontré l'absence de problème de puissance;

38. - concernant les préjudices invoqués, que les chiffres de l'appelante n'ont aucune réalité ; que l'expert a noté que les problèmes rencontrés par la société Geopowair ont pour origine un marché concurrentiel mal analysé, avec un business plan trop optimiste et une structure inadaptée, outre la décision de gestion de son dirigeant ; que contrairement à l'allégation de l'appelante, l'expert a tenté de rechercher la réalité d'un préjudice ;

39. - que si l'appelante invoque une perte de 2,454 millions d'euros en raison d'une perte d'apport financier, l'expert-comptable pris comme sapiteur indique qu'une partie de cette somme est composée de subventions dont rien n'établit qu'elles devront être remboursées; qu'il résulte du rapport d'expertise que les données du business plan ne peuvent être prises en compte puisque la production et la vente de machines n'étaient pas prévues ; que le sapiteur a relevé des incohérences et des prévisions irréalistes et a écarté toute perte de marge, toute perte de valeur de l'entreprise et d'image, la société Geopowair ayant été créée en 2012 et ayant ainsi peu d'antériorité ; qu'il a écarté toute perte de valeur de l'entreprise puisque ce préjudice ne peut être invoqué que par les actionnaires qui ne sont pas dans la cause ;

40. - que tous les éléments invoqués par l'appelante ont été communiqués à l'expert et à son sapiteur et ont été écartés; qu'une contre-expertise est ainsi sans objet alors que la demande de provision est infondée ;

41. - que l'appelante ne justifie pas de la fabrication de 200 appareils, mais que de quelques prototypes ;

42. - subsidiairement, que les conditions générales de vente de la société Tecumseh Europe limitent sa garantie au montant payé par l'acquéreur des marchandises, soit 22.612 euros ; que ce remboursement est subordonné à la restitution du matériel livré ; qu'en la cause, tous les compresseurs n'ont pas été restitués, sans que l'on sache l'usage qu'en a fait l'appelante puisqu'il a été constaté dans ses locaux qu'une partie des compresseurs n'a pas été utilisée; que si la société Geopowair produit un document de destruction, on ne sait pas de quelles pompes il s'agit; que les frais invoqués censés correspondre au temps passé par les techniciens de l'appelante pour tenter de résoudre les problèmes ne résultent que du choix de la société Geopowair de réaliser un produit spécifique alors qu'elle avait prévu deux ans de mise au point et avait donc intégré dans son projet ce coût ;

43. - concernant les demandes reconventionnelles des concluantes, que par les fautes de la société Geopowair, la société Tecumseh Europe a subi un préjudice découlant des frais d'essais d'endurance réalisés sur les compresseurs à la demande de l'expert (achat de matériels, consommables, frais de personnel) ; qu'elle a subi des frais de déplacement et de défense.

*****

44. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur les fautes imputées à la société Tecumseh Europe :

45. Selon le tribunal de commerce, le rapport de l'expert judiciaire indique que la société Geopowair n'a pas donné de cahiers des charges spéci'que à l'application hormis la puissance requise et le gaz. La société Tecumseh Europe est intervenue en qualité de fournisseur et n'intervient pas dans la conception des machines dans lesquelles ses compresseurs seront intégrés. Dès le 8 avril 2013, la société Tecumseh Europe a indiqué à la société Geopowair dans un mail que le compresseur ne peut aller dans une application avec une charge au-delà de 150 grammes sauf à signer une décharge, et la société Geopowair lui a répondu le 9 avril 2013 que selon ses calculs, la charge sera inférieure ou égale à 150 grammes de R290 par circuit, alors qu'elle écrit dans ses conclusions que le compresseur ne s'est pas révélé compatible avec ses pompes à chaleur dont la charge était de 240 à 430 grammes. Le 2 juillet 2013, la société Tecumseh Europe a adressé la fiche technique définitive qui confirme les performances du compresseur RK5518U et notamment la charge en huile de 444cm3 soit 148 grammes, étant précisé que le manuel d'utilisation et d'installation qu'évoque la société Geopowair dans sa pièce 20 ne concerne pas le compresseur au propane (R290).

46. Les premiers juges ont ainsi retenu que la société Geopowair a béné'cié des caractéristiques du produit, outre les limites s'attachant au compresseur et ce avant la commande.

47. Le tribunal a cependant énoncé que selon l'expert judiciaire, s'agissant de la cause des désordres, les casses subies par les compresseurs proviennent de l'inadaptation de la machine RK5518U proposée par la société Tecumseh Europe pour le couple gaz/lubrifiant (propane/huile). Selon l'expert, cette inadaptation provient de la conception du vilebrequin qui, en étant débouchant,

favorise les entraînements d'huile dans le circuit frigorifique. L'huile ainsi entraînée par le frigorifère au point de refoulement en quantité importante traverse le condensateur et le détendeur pour s'accumuler au point le plus froid du circuit, c'est-à-dire au niveau de l'évaporateur. Le phénomène étant cumulatif dans le temps et d'autant plus accentué quand la machine subit des arrêts/démarrages fréquents, le manque d'huile dans le carter du compresseur finit par provoquer à terme un défaut d'alimentation en huile à l'origine des casses.

48. En conséquence, le tribunal a estimé que la société Tecumseh Europe ne peut arguer que les compresseurs ne présentent aucune anomalie, alors que ce modèle de compresseurs a été vendu uniquement à la société Geopowair, les compresseurs vendus à d'autres clients avec ce couple étant d'un modèle différent. Le tribunal a également noté que la société Tecumseh Europe ne peut non plus affirmer que les essais demandés par l'expert n'ont donné lieu à aucune détérioration, car il ressort de l'expertise que les essais ont utilisé un compresseur avec du R407C et non du R290. Il a relevé qu'aucun test de performance n'a été réalisé par la société Tecumseh Europe sur le compresseur RK5518U avant la vente et que l'expert exclut à plusieurs reprises dans son rapport le problème de charge de 150 grammes mais renvoie à une inadéquation des 'uides.

49. Les premiers juges en ont retiré que la société Tecumseh Europe a manqué à son obligation de délivrance en ayant fourni un compresseur inadaptée pour le couple gaz/ lubrifiant, qui était une condition essentielle du consentement de la société Geopowair et que la société Tecumseh Europe connaissait.

50. La cour ne peut qu'approuver ces motifs. Il doit être ajouté qu'aucun contrat n'a fait l'objet d'un acte écrit. Les commandes ont été passées par mails. Si dès le 8 avril 2013 la société Tecumseh Europe a ainsi indiqué à la société Geopowair que le compresseur ne peut soutenir une charge supérieure à 150 grammes de fluide, cette dernière lui a répondu que selon ses calculs, cette charge ne sera pas dépassée. La société Tecumseh Europe a en conséquence mis en production deux compresseurs. Cependant, lorsqu'elle a communiqué à la société Geopowair le 3 juillet 2013 la fiche technique du compresseur, cette fiche n'a pas comporté d'indication concernant la quantité du fluide pouvant être mis en action. Elle n'a précisé que le volume d'huile contenue dans cette machine.

51. Ainsi que relevé par l'expert judiciaire, la société Geopowair n'a fourni aucun cahier des charges spécifique concernant son installation. Elle n'a indiqué que la puissance requise et la nature du gaz utilisé. La cour note que selon l'analyse des factures de la société Tecumseh Europe, les commandes de compresseurs se sont échelonnées entre le 6 septembre 2013 et le 3 juin 2014, avec des quantités variables. L'expert a ainsi valablement retenu que les compresseurs ont été acquis en plusieurs fois.

52. La cour relève que selon le premier rapport (technique) de monsieur [O], la société Geopowair a réalisé des essais pour ses applications (air/eau et eau/eau) et n'a pas connu de problème sur un délai d'essai de six mois pour les pompes eau/eau. Par contre, elle a constaté des problèmes au bout de 15 jours sur les pompes air/eau. De ce fait, aucune pompe air/eau n'a été commercialisée. Pour les pompes eau/eau, seuls 30 appareils ont été vendus et installés.

53. L'expert a également noté qu'en 2016, la société Geopowair s'est tournée vers le fournisseur Aweco et a mené des essais à partir du mois de mars, sans constater de problème. Par contre, tous les compresseurs fournis par la société Tecumseh Europe et analysés ont démontré un problème de grippage résultant d'une insuffisance de lubrification. L'expert a indique que ce problème ne vient pas de la nature de l'huile utilisée, mais du circuit de l'huile, en raison d'une inadéquation de l'arbre pour le couple lubrifiant/gaz, favorisant l'entraînement

de l'huile par le fluide frigorigène. L'huile va ainsi s'accumuler dans l'évaporateur, et manque dans le carter du compresseur, ce qui entraîne un défaut de lubrification et une casse. Le problème survient d'autant plus en cas de cycles de démarrage fréquents. C'est un problème de conception.

54. Les premiers juges ont ainsi fait une exacte analyse des données contractuelles et techniques, en excluant le problème de la charge de gaz, les casses répétées des compresseurs résultant d'une impropriété tenant à leur conception, au regard de leur utilisation normale.

55. La cour indique que les intimées sont mal fondées à invoquer une faute de la société Geopowair pour n'avoir pas respecté les limites de charge, puisque ce problème a été évincé formellement par l'expert judiciaire. Elles sont de même mal avisées à invoquer le fait que la société Geopowair a passé plusieurs commandes, de sorte qu'elle connaissait les caractéristiques du produit, puisque les essais initiaux ont été réalisés selon le cycle eau/eau, alors que c'est lors de l'utilisation du cycle air/eau que les casses sont rapidement survenues. Les intimées ne peuvent également invoquer l'absence de remise d'information sur la pompe à chaleur développée par la société Geopowair, puisque la société Tecumseh Europe était avisée de son incorporation dans une pompe à chaleur, avec les spécificités d'une telle utilisation de son matériel. La société Tecumseh Europe avait en effet été avisée dès l'origine de l'utilisation d'un fluide frigorigène spécifique que son appareil devait compresser.

56. En n'ayant pas fourni un matériel adapté à cet usage spécifique, la société Tecumseh Europe a ainsi manqué à son obligation de délivrance ainsi que retenu par le tribunal de commerce. Le jugement déféré sera ainsi confirmé en ce qu'il a retenu ce manquement.

2) Sur les préjudices de la société Geopowair :

57. S'agissant en premier lieu d'une limitation des garanties dues par la société Tecumseh Europe, la cour rappelle l'absence de contrat rédigé par un acte particulier, les commandes ayant été faites par mails. Seule la société Geopowair produit la copie des factures émanant de la société Tecumseh Europe, lesquelles ne contiennent aucune condition générale de vente. Si la société Tecumseh Europe produit des conditions générales de vente, elles ne sont pas paraphées par la société Geopowair et rien n'indique que celle-ci en ait eu connaissance et qu'elle les ait acceptées. Il en résulte que la société Tecumseh Europe est mal fondée à invoquer une limitation de ses garanties au prix des marchandises et sous la réserve de leur restitution.

58. Concernant ensuite les préjudices subis par la société Geopowair, le tribunal de commerce a exactement relevé que la société Geopowair a souhaité concevoir et fabriquer des pompes à chaleur vertueuses utilisant le 'uide frigorigène R290 et que la société Tecumseh Europe seule se positionnait dans la gamme recherchée. Ayant justement rappelé que la société Geopowair n'a pas donné de cahier de charges spécifiques à cette application hormis la puissance requise et le gaz, il a valablement retenu que la société Geopowair avait seule la maîtrise de la conception et devait à ce titre effectuer tous les essais et tests y afférents, période de développement souvent longue et aléatoire quant au résultat. Reprenant les données du rapport de l'expert judiciaire, il a pu constater qu'aucune pompe à chaleur air/eau n'a été installée en clientèle compte tenu des problèmes et que 30 machines ont été vendues et installées pour les pompes à chaleur eau/eau.

59. Comme souligné par le tribunal, suite aux problèmes rencontrés, la société Geopowair a recherché un nouveau fabricant de compresseurs et a trouvé le fabricant de marque chinoise Aweco, les essais ayant alors lieu à partir du mois de mars 2016 sans qu'aucune casse n'ait été constatée avec ce type de compresseur, l'expert indiquant que la conception du compresseur Aweco est différente de celui du compresseur Tecumseh.

60. La cour, comme les premiers juges, retient que si le dirigeant de la société Geopowair affirme de ne pas s'être réorienté vers la production de pompes à chaleur équipées des compresseurs chinois car la société ne disposait plus de la trésorerie pour les acheter, cependant ces nouveaux compresseurs avaient un prix d'achat unitaire de 65 euros, moitié moins cher que ceux de la société Tecumseh Europe. En outre, il est établi que la société Geopowair disposait au 31 décembre 2015 de 654.000 euros de trésorerie, alors qu'elle n'était que de 602.000 euros au 31 décembre 2013. Ainsi que retenu par le tribunal de commerce, la société Geopowair n'a donc jamais démarré son activité avec des compresseurs au propane, le chiffre d'affaires réalisé sur les années 2012 à 2015 provenant de pompes à chaleur à gaz fréon.

61. En outre, la cour ne peut que confirmer l'appréciation des premiers juges concernant le business plan établi lors de la création de la société Geopowair, prévoyant une activité avec des pompes à chaleur classiques à compresseur fréon. La décision de réorienter l'activité vers des pompes à chaleur à compresseur propane est intervenue un an après le démarrage de la société. Comme noté par l'expert judiciaire, le compresseur Tecumseh ne peut être rendu responsable de l'ensemble des pertes subies par la société Geopowair.

62. En outre, la cour retient les aléas inhérents au lancement d'un nouveau produit et les délais nécessaires à une mise au point. Comme indiqué par monsieur [O], le marché des pompes à chaleur est très concurrentiel, et le business plan s'est avéré trop optimiste. L'expert a également relevé une structure inadaptée compte tenu de l'activité réelle de la société avec les pompes à chaleur à compression fréon, outre la décision de gestion de son dirigeant qui n'a pas voulu réorienter son activité sur des pompes à chaleur à compresseurs chinois alors qu'elle en a produit et vendu une en 2016, ce qui prouve que les temps et coût d'adaptation des pompes à chaleur à ces compresseurs étaient très réduits et alors qu'elle avait la trésorerie pour le faire.

63. La cour ajoute que l'expert judiciaire s'est adjoint un sapiteur, et que ce dernier a noté que selon monsieur [B], dirigeant de la société Geopowair, il a été décidé fin 2013/début 2014, de développer une pompe fonctionnant au propane, afin de se distinguer de la concurrence, et qu'il s'agit alors d'une question de survie pour la société Geopowair, puisque les prévisions de son business plan n'avaient pas été atteintes et devaient être sérieusement revues à la baisse. Le sapiteur a ainsi retenu que le compresseur litigieux ne peut être rendu responsable de l'ensemble des pertes invoquées, puisque la société Geopowair s'est réorientée ensuite vers des produits plus classiques, n'ayant commercialisé que peu de pompes au propane. Il n'a retenu ni perte de chiffre d'affaires ni de marge, puisque le business plan ne concernait pas les pompes au propane, alors qu'il est impossible de connaître la progression du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé si le produit avait fonctionné.

64. La cour note, à ce propos, qu'il résulte du rapport de monsieur [Z], expert-comptable consulté à titre de sapiteur par l'expert [O], que si la société Geopowair a été constituée en 2012 pour la conception et la fabrication d'une pompe à chaleur innovante, c'était sur la base d'une technologie reposant

sur le fréon et non le propane. L'innovation ne se situait pas ainsi dans l'utilisation d'un compresseur au propane. Elle a acquis trois types de compresseurs auprès de la société Sanyo à cette fin, tous fonctionnant au fréon, et ce n'est que fin 2013/début 2014 qu'elle s'est orientée vers un produit plus innovant devant fonctionner au propane, plus écologique. Cette affirmation a été développée par le dirigeant de la société Geopowair lors de la réunion d'expertise, en raison d'un problème de survie se posant à l'époque, les prévisions du business plan n'étant pas atteintes et devant être revues à la baisse sérieusement pour les années à venir. C'est alors que la société Geopowair s'est tournée vers la société Tecumseh Europe.

65. La cour ajoute que fait que ce business plan ait été validé par l'autorité publique (en la cause, le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg) dans le cadre d'une demande de subvention est sans incidence, puisque à l'origine, il n'avait pas été prévu de production de pompes fonctionnant au propane, cette initiative ayant été prise postérieurement, afin de se différencier sur un marché très concurrentiel. Aucun élément de l'accord intervenu le 18 avril 2013 avec le gouvernement luxembourgeois ne fait état du développement d'une pompe fonctionnant spécifiquement au propane. Il repose seulement sur le subventionnement du développement des pompes à chaleur. Les analyses de madame [H], expert-comptable mandaté par l'appelante, indiquent clairement qu'elles ont été réalisées sur la base d'un postulat de la société Geopowair (ainsi la page 2 du rapport complémentaire de madame [H], citant expressément ce terme).

66. Il en résulte, ainsi que retenu par les premiers juges, que la société Geopowair ne justifie pas que l'ensemble des préjudices qu'elle invoque résulte de la défaillance des compresseurs vendus par la société Tecumseh Europe.

67. L'expert judiciaire a retenu que la société Geopowair a subi néanmoins un préjudice de 22.612 euros correspondant au titre des dépenses engagées dans l'achat des compresseurs inutilisables, et de 41.531 euros correspondant au temps passé à essayer de régler le problème technique. Il a également retenu un préjudice forfaitaire de 10.000 euros correspondant au coût de destruction des machines équipées des compresseurs Tecumseh, aucun document justi'ant ces coûts n'ayant été transmis.

68. Il résulte de ces éléments que le tribunal de commerce a justement confirmé l'analyse de l'expert pour les deux premiers postes, mais a rejeté le préjudice résultant de la destruction des machines équipées de compresseurs Tecumseh, au motif qu'il s'agit d'une évaluation forfaitaire, alors qu'aucun document n'a été remis à l'expert sur ce point.

69. La cour retient en effet qu'aucun élément ne permet de retenir que la somme de 1,8 millions d'euros a été engagée par l'appelante au titre de la fabrication des pompes à chaleur équipées avec les compresseurs livrés par la société Tecumseh Europe, l'analyse de madame [H] portant sur une période de plus de trois ans, alors que les compresseurs ont été acquis entre août 2013 et avril 2014, que les problèmes ont été rapidement constatés, alors que peu de pompes à chaleur ont été produites. Aucun élément n'est fourni concernant le coût de fabrication réel des pompes à chaleur (prix des matières utilisées, personnel affecté à la recherche et à la fabrication notamment), puisque madame [H] a appliqué un pourcentage affecté à cette fabrication spéciale sur l'ensemble des charges de la société Geopowair.

70. Concernant la perte de chance de réaliser un bénéfice si les compresseurs n'avaient pas été défectueux, estimée à 936.000 euros, aucun élément ne permet de retenir ce préjudice. Il a été indiqué plus haut que le business plan n'était pas justifié, alors qu'il n'avait pas intégré la commercialisation de pompes fonctionnant au propane. Cette perte de chance n'est pas établie.

71. S'agissant d'une perte d'image, la cour ne peut relever que très peu de pompes ont été commercialisées et aucune pièce ne permet de retenir ce préjudice. Comme relevé par madame [H], il s'agit en réalité du préjudice subi par le dirigeant de la société Geopowair, estimant que cette société est un échec dans son parcours professionnel.

72. Concernant enfin la perte de valeur de la société Geopowair, estimée à 2,454 millions d'euros, ce chiffre ne résulte que d'un calcul du rapport [H] se basant sur le prévisionnel 2017, dont aucun élément ne permet de constater la validité. En outre, les analyses effectuées dans le cadre de l'expertise judiciaire démontrent que les pertes de l'appelante résultent de l'impossibilité de réaliser son prévisionnel grâce aux autres produits qu'elle commercialise.

73. Il résulte ainsi de ces éléments que le jugement sera confirmé concernant les préjudices effectivement retenus par le tribunal de commerce. La cour confirme le rejet de la demande portant sur le coût de destruction des pompes, qui a été évalué forfaitairement et n'est pas justifié par des pièces probantes.

74. La cour constate concernant la demande subsidiaire de contre-expertise de la société Geopowair déjà présentée subsidiairement au tribunal de commerce, que si elle critique les conclusions de l'expert judiciaire concernant le business plan et la stratégie adoptée, aucun élément ne permet de remettre en cause ces énonciations au regard des développements effectués plus haut. Il n'y a pas lieu en conséquence d'organiser une nouvelle expertise concernant les préjudices subis par la société Geopowair.

3) Concernant les demandes incidents des intimées :

75. Si la société Tecumseh Europe et la société QBE Europe SA/NV demandent le paiement des frais engagés lors de l'expertise judiciaire, la cour retient que la responsabilité de la société Tecumseh Europe est retenue, de sorte que ces divers frais doivent rester à la charge des intimées, étant la conséquence des manquements relevés à l'encontre de la société Tecumseh Europe. Cette demande ne peut ainsi prospérer. Le tribunal de commerce a justement débouté la société Tecumseh Europe de ses demandes de condamnation formées à l'encontre de la société Geopowair.

*****

76. Le tribunal a fait enfin une exacte application des articles 696 et 700 du code de procédure civile. Il en résulte que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour.

77. Succombant en son appel, la société Geopowair sera condamnée à payer aux intimées la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 1134 et 1147 (anciens), 1103 et suivants, 1231-1, 1602 et suivants du code civil ;

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour ;

y ajoutant ;

Déboute la société Geopowair de sa demande de contre-expertise ;

Condamne la société Geopowair à payer à la société Tecumseh Europe et la société QBE Europe SA/NV la somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Geopowair aux dépens exposés en cause d'appel, avec distraction au profit de la Selarl Balestas-Grandgonnet-Muridi & Associés ;