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Décisions

Cass. com., 9 octobre 2024, n° 23-10.645

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Ducloz

Avocats :

SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Versailles, du 20 oct. 2022

20 octobre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 octobre 2022), courant 2018 et 2019, la société Ha Un 18 (la société Ha), détenue en totalité par la société Horizon Engineering Management (la société HEM), a émis trois emprunts obligataires aux fins d'investir dans trois projets immobiliers en Allemagne.

2. Le 12 novembre 2018, la société Ha a remis à la Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociale et assimilés (la CAPSSA) un document d'information reprenant les caractéristiques de l'émission des emprunts obligataires et rappelant les facteurs de risques.

3. Le 27 novembre 2018, la CAPSSA a souscrit à 8 000 obligations d'une valeur nominale de 1 000 euros émises par la société Ha à l'occasion des emprunts obligataires et est devenue créancière obligataire de la « masse 3 » de la société Ha.

4. A la suite de difficultés financières des opérateurs allemands, la société Ha n'a pas été en mesure de respecter ses engagements envers les souscripteurs d'obligations.

5. Le 20 septembre 2021, la CAPSSA a, en vain, mis en demeure la société Ha de lui rembourser la totalité de sa créance.

6. Le 20 janvier 2022, la société Ha a été mise en redressement judiciaire.

7. Le 30 septembre 2021, la CAPSSA a assigné, en référé, la société HEM aux fins que, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, il soit enjoint à cette société, sous astreinte, de lui communiquer divers documents et informations relatifs aux emprunts obligataires émis par la société Ha.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

9. La CAPSSA fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, alors :

« 2°/ que le représentant de la masse des créanciers obligataires a qualité pour engager les actions en justice ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires ; que l'action en responsabilité contre un tiers ne se rattache aux intérêts communs des obligataires que si la faute commise est susceptible d'avoir causé à tous les obligataires ou à une catégorie d'entre eux un même préjudice dont l'évaluation individuelle dépend exclusivement du nombre et de la nature des obligations détenus par chacun d'entre eux ; qu'en l'espèce, la CAPSSA soutenait que la mesure d'instruction sollicitée devait permettre d'apprécier si la société HEM pouvait avoir commis une faute en déclarant que le document d'information remis pour décrire l'emprunt obligataire ne faisait pas d'omission substantielle et comprenait toute l'information pertinente, dans la perspective d'une éventuelle action en responsabilité délictuelle à son encontre ; qu'elle faisait valoir qu'une telle action ne pouvait être engagée que par elle, et non par le représentant de la masse des obligataires, dans la mesure où d'une part, "les manquements qu'elle dénoncent sont, i) antérieurs à son investissement réalisé le 27 novembre 2018, ii) antérieurs à son statut d'obligataire, iii) mais aussi et surtout antérieurs à la constitution d'une masse obligataire" et où, d'autre part, "préalablement à la souscription des emprunts obligataires émis par la société Ha, chacun des créanciers obligataires a décidé de s'engager dans cet investissement dans des conditions et selon des modalités propres. Ainsi, les fautes commises par la société HEM avant que la CAPSSA n'ait souscrit à l'emprunt obligataire émis par la société Ha cause à la CAPSSA un dommage propre et distinct de celui des autres créanciers obligataires" ; que, pour dire que seul le représentant de la masse des créanciers avait qualité pour intenter l'action en responsabilité en vue de laquelle la mesure d'instruction était sollicitée, et déclarer en conséquence irrecevable les demandes de la CAPSSA, la cour d'appel a retenu que "la faute ainsi alléguée procéderait d'un manquement commis dans le cadre de l'élaboration du document d'information ayant servi de support aux contrats d'émission, de sorte qu'elle touche en définitive la communauté d'intérêts des obligataires, peu important que le préjudice qui en résulterait soit distinct d'une situation à l'autre, dès lors que la faute alléguée est commune" ; qu'en statuant ainsi, quand la diffusion d'informations incomplètes concernant l'emprunt obligataire n'est pas de nature à affecter les droits de tous les obligataires mais uniquement de ceux qui parviennent à démontrer que l'information omise était déterminante pour eux, et quand le préjudice en résultant ne peut être évalué de façon globale sur la seule base du nombre d'obligations souscrites mais nécessite d'apprécier au cas par cas la probabilité que chaque obligataire, considéré individuellement, ait renoncé à l'investissement litigieux s'il avait été mieux informé, la cour d'appel a violé les articles L. 228-54 du code de commerce, 31 et 145 du code de procédure civile ;

3°/ que le représentant de la masse des créanciers obligataires a qualité pour engager les actions en justice ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires ; qu'en retenant que seul le représentant de la masse des obligataires avait qualité pour demander les mesures d'instruction sollicitées par la CAPSSA, quand une demande de mesures d'instruction avant tout procès ne tend pas à la défense des droits des obligataires mais seulement à vérifier s'il a pu y être portée atteinte en vue d'introduire éventuellement par la suite une action tendant à la défense de ces droits, qui pourrait alors être attitrée, la cour d'appel a violé les articles L. 228-54 du code de commerce, 31 et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article L. 228-54 du code de commerce, les représentants de la masse, dûment autorisés par l'assemblée générale des obligataires, ont seuls qualité pour engager, au nom de ceux-ci, toutes actions ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires.

11. Il en résulte qu'une action qui a pour objet de voir ordonner, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure d'instruction avant tout procès, ne peut être intentée que par le représentant de la masse autorisé par l'assemblée générale des obligataires si le litige potentiel susceptible d'opposer les parties a pour objet la défense des intérêts communs des obligataires.

12. L'arrêt retient que la CAPSSA invoque l'existence d'un procès en germe contre la société HEM, en sa qualité de responsable du document d'information communiqué avant son investissement, pour avoir commis une faute en déclarant que « l'information fournie dans le présent [d]ocument d'information est juste et que le [d]ocument d'information ne fait pas d'omission substantielle et comprend toute l'information pertinente », ainsi que pour avoir fait preuve d'une négligence fautive pour ne pas avoir anticipé les difficultés financières des opérateurs lors de l'examen et la validation du document d'information dont elle est responsable. L'arrêt ajoute que l'action in futurum qu'entend intenter la CAPSSA contre la société HEM, qu'elle désigne comme la responsable de la teneur du document d'information, est une action en responsabilité civile pour des manquements allégués à ses obligations de renseignement et d'information lors de l'émission d'emprunts obligataires par la société Ha et que la faute alléguée, qui procède d'un manquement commis à l'occasion de l'élaboration du document d'information ayant servi de support aux contrats d'émission, touche la communauté d'intérêts des obligataires et concerne l'ensemble des souscripteurs.

13. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que l'action engagée par la CAPSSA sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile était destinée à obtenir un élément de preuve susceptible d'être invoqué lors d'un procès éventuel ayant pour objet la sauvegarde des droits procédant des emprunts obligataires émis, dont le droit d'agir en responsabilité en cas de faute commise à l'occasion de l'émission des obligations, et concernait, par conséquent, l'ensemble des obligataires, la cour d'appel a exactement déduit que cette action avait pour objet la défense des intérêts communs des obligataires et que le monopole institué au profit du représentant de la masse par les dispositions impératives de l'article L. 228-54 du code de commerce, rendait l'action individuelle de la CAPSSA irrecevable.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.