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Décisions

Cass. com., 9 octobre 2024, n° 22-18.093

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Heineken Entreprise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Avocat général :

M. Lecaroz

Avocats :

SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Waquet, Farge et Hazan

Rapporteur :

Mme Graff-Daudret

Rennes, 3e ch. com., du 5 avr. 2022

5 avril 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 avril 2022), par un acte du 29 août 2012, la société Banque CIC Est (la banque) a consenti à la société [P] un prêt garanti par le cautionnement solidaire de la société Heineken entreprise (la société Heineken).

2. Par un acte du 6 septembre 2012, M. et Mme [P] se sont rendus cautions solidaires au profit de la société Heineken, en garantie du remboursement des sommes dues à cette dernière au titre de son cautionnement.

3. La société [P] ayant été placée en redressement judiciaire, la société Heineken a exécuté son engagement.

4. Le 9 juillet 2019, après la mise en liquidation judiciaire de la société [P], la société Heineken a assigné M. et Mme [P] en paiement, en leur qualité de sous-cautions.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Heineken fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en paiement au titre des sous-cautionnements souscrits par M. et Mme [P], alors « que la déclaration de créance au passif du débiteur principal en liquidation judiciaire constitue une demande en justice qui interrompt le délai de prescription jusqu'à la clôture de la procédure collective ; que cette interruption bénéficie à la caution qui, après avoir désintéressé le créancier et déclaré sa créance au passif du débiteur principal, agit contre la sous-caution en exécution de sa garantie ; que pour déclarer irrecevable l'action en paiement exercée par la société Heineken, caution solidaire d'un prêt consenti par le CIC à la société [P], contre les consorts [P], lesquels s'étaient portés sous-cautions solidaires auprès de la société Heineken Entreprise, la cour d'appel a énoncé que la caution qui a désintéressé le créancier ne peut se prévaloir de l'effet interruptif de la prescription de sa déclaration de créance au passif du débiteur principal s'il est avéré qu'elle a mis en œuvre tardivement le sous-cautionnement dont elle disposait ; qu'en statuant ainsi, alors que la déclaration par la société Heineken de sa créance au passif de la société [P] avait eu pour effet d'interrompre la prescription de l'action qu'elle avait exercée contre les consorts [P] en exécution des garanties qu'ils avaient souscrites à son profit, la cour d'appel a violé les articles 2241 et 2246 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 et 2246 du code civil :

6. Selon le premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

7. Aux termes du second, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.

8. L'obligation de la sous-caution a pour objet de garantir la caution, non pas contre le risque auquel cette dernière est exposée de devoir payer le créancier à la place du débiteur principal défaillant, mais contre celui de ne pas pouvoir obtenir du débiteur principal le remboursement des sommes qu'elle a payées pour son compte en exécution de son propre engagement.

9. Il résulte de ce qui précède que la déclaration de créance à la procédure collective du débiteur principal, effectuée par la caution qui a payé aux lieu et place de ce dernier, interrompt la prescription de son action contre celui-ci et contre la sous-caution, jusqu'à la clôture de la procédure collective.

10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action en paiement engagée le 9 juillet 2019 par la société Heineken contre M. et Mme [P], en qualité de sous-cautions, l'arrêt, après avoir relevé que la société Heineken produisait une quittance subrogative démontrant que, le 31 août 2013, elle avait procédé, en sa qualité de caution, au règlement de la somme de 42 511,39 euros auprès de la banque créancière, retient qu'à compter de cette date, elle disposait d'un délai de cinq ans, soit jusqu'au 31 août 2018 inclus, pour poursuivre les sous-cautions en paiement. L'arrêt en déduit que, dès lors que la société Heineken ne se prévaut d'aucune cause interruptive ou suspensive de prescription valable, son action est prescrite.

11. En statuant ainsi, alors que la société Heineken, caution, avait déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la débitrice principale le 31 mars 2014 et que cette procédure avait été clôturée le 9 septembre 2019, ce dont il résultait que son action exercée le 9 juillet 2019 contre les sous-cautions n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.